Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 19980123

Dossier : 95-1257-UI

ENTRE :

FREDERICK P. BROWN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Léger, C.C.I.

[1] Il s’agit de l'appel de la décision par laquelle l'intimé a déterminé, le 28 mars 1995, que l'appelant n'avait pas exercé, du 4 octobre au 31 décembre 1993, un emploi assurable chez Ianetti Investments Canada Ltd. (le « payeur » ) au motif qu'il n'existait aucun contrat de louage de services entre les parties concernées, comme le requiert l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage.

[2] Dans le dossier de la Cour, sur le formulaire CPT 101, « Demande qu'il soit statué sur une question concernant un emploi assurable » , daté du 8 octobre 1994, signé par l'appelant et joint à une lettre datée du 22 juin 1995, signée par Odile Lafontaine, du greffe central des appels de Revenu Canada, et adressée à R. P. Guenette, greffier de la Cour canadienne de l'impôt, l'appelant a répondu ceci à la rubrique « Détails des modalités du travail » : « Aide domestique effectuant l'entretien d'un immeuble » . Dans l'avis d'appel déposé par l'ancien procureur de l'appelant, on peut lire ceci au paragraphe 3 :

[TRADUCTION]

Cette preuve montrera qu'au cours de la période pertinente, M. Brown travaillait pour Ianneti Investments Limited à titre de préposé aux soins de M. Edward Beck, non-voyant, qui réside au 38, avenue Harrison, Sydney (N.-É.). M. Beck avait besoin de soins personnels en raison de sa cécité et de ce qui paraissait être les premiers signes de la sénilité.

[3] En soi, les différences entre les deux déclarations qui précèdent ne sont pas importantes mais, combinées à de nombreuses autres questions, dont j'exposerai les grandes lignes, elles pourraient laisser songeur.

[4] L'appelant a été prestataire d'aide sociale du 11 avril au 10 novembre 1993. Au cours de l'été, il a demandé un prêt étudiant puis, le 27 septembre 1993, il s'est inscrit à un programme d'études à la Patrick's Beauty School, exploitée par le payeur. L'appelant aurait commencé à travailler pour le payeur le 4 octobre 1993. Il aurait alors touché 300 $ par semaine. Il a cependant continué à percevoir de l'aide sociale pendant 36 jours après avoir censément commencé à travailler; cela équivaut à cinq semaines. Au cours de cette période, il a touché 340 $ par semaine ou 1 700 $ en tout (voir la pièce I-1 — question numéro 362). Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer comment il se faisait qu'il avait reçu de l'aide sociale pendant qu'il gagnait censément un revenu, il a simplement dit qu'il y avait eu un chevauchement. Quel chevauchement!

[5] L'appelant aurait été engagé pour prendre soin d'Edward Beck, un homme infirme qui résidait dans une propriété appartenant au payeur. L'appelant devait aider M. Beck à préparer ses repas et à prendre son bain. La preuve a révélé que l'appelant suivait censément les cours de l'école de soins de beauté toute la journée et qu'après 16 h, il se rendait au 38, avenue Harrison, Sydney (Nouvelle-Écosse), pour prendre soin de M. Beck. Il y restait censément jusqu'à minuit. Ni l'appelant ni l'employeur n'ont consigné les heures de travail. L'employé aurait reçu 300 $ par semaine du 4 octobre au 5 novembre 1993 et 400 $ par semaine le reste du temps qu'il a travaillé pour le payeur. Patrick Ianetti, le propriétaire du payeur, a été appelé à expliquer pourquoi une augmentation de salaire de 33,3 p. 100 avait été accordée à l'appelant au début du mois de novembre. Il a donné à la Cour une explication boiteuse suivant laquelle les salaires étaient fixés par Mme Louise Boyd, comptable, qui avait les pouvoirs voulus. Lorsque, en contre-interrogatoire, on lui a fait remarquer qu'il n'avait reçu que 4 800 $ par année pour prendre soin de M. Beck et que sa compagnie avait censément dépensé environ 4 000 $ pour engager l'appelant afin qu'il prenne soin de M. Beck pendant environ trois mois, il est devenu évident pour la Cour qu'il ne disait pas la vérité. Il a tergiversé avant de répondre aux questions qui lui étaient posées et, lorsqu'il a été mis au pied du mur, il a finalement déclaré que seule Mme Boyd pouvait répondre à la question et qu'elle était décédée. L'appelant n'a pu donner de meilleure réponse.

[6] La preuve a également révélé que l'appelant était payé comptant et qu'il signait la feuille de paie chaque fois qu'il était payé. Une photocopie de la feuille de paie a été produite sous la cote A-3; c'est une copie de l'original de la feuille de paie. Les signatures qui figurent sur la pièce A-3 ne ressemblent pas aux signatures de l'appelant qui figurent sur les pièces I-1 et I-2 et sur le formulaire CPT « Demande qu'il soit statué sur une question concernant un emploi assurable » , joint à une lettre datée du 22 juin 1995 d'Odile Lafontaine à R. P. Guenette. La Cour ne se fonde pas sur les faits énoncés dans le présent paragraphe pour trancher l'appel.

[7] En contre-interrogatoire, l'appelant a été interrogé à propos des réponses qu'il a données sur la pièce I-2, soit un formulaire requis par l'institution de prêt étudiant et appelé [TRADUCTION] « Examen de la contribution de l'étudiant, 1993-1994 » . Ce formulaire a été rempli et signé par l'appelant le 19 novembre 1993. À ce moment-là, il avait censément travaillé 45 jours, ou plus de six semaines, pour le payeur. Sous la rubrique « Ressources pendant l'année scolaire actuelle » , à la question numéro 601, « Revenus bruts » (montant hebdomadaire gagné pendant l'année scolaire seulement), la réponse est « nul » . Il est évident que les réponses données dans le formulaire sont fausses ou que l'appelant n'avait pas encore conclu d'entente avec son soi-disant employeur dans le but de toucher des prestations. Lorsque l'appelant a été interrogé à propos de cette pièce, il est devenu évident pour la Cour qu'il ne disait pas la vérité. Il a essayé de nous dire que d'autres personnes avaient rempli ce formulaire d'une façon semblable. Il a également tenté de nous dire qu'il ne comprenait pas les questions simples qui figuraient sur le formulaire. Nous ne sommes en présence en l'espèce non pas d'une personne illettrée, mais d'un diplômé du secondaire. L'appelant m'a paru intelligent et malin. Au cours de son contre-interrogatoire, il a tellement hésité qu'il est évident qu'on ne pouvait lui accorder aucune crédibilité. Rarement une transcription de la preuve a-t-elle fait ressortir tant d’hésitations mais, dans la présente affaire, j'aimerais reproduire une partie de la transcription, lorsque l'appelant a été interrogé sur la déclaration solennelle qui précède sa signature sur la pièce I-2. Ici, j'expose le réinterrogatoire mené par son propre avocat, à la page 161 de la transcription du témoignage, où l'on peut lire ceci à la ligne 3 :

[TRADUCTION]

Q. --- connaissiez-vous l'existence de cette déclaration au moment où vous avez signé le formulaire?

R. Oui.

Q. Bien. Qu'avez-vous à dire sur la question de savoir si oui ou non vous vous êtes conformé à cette déclaration selon ce que vous compreniez des renseignements que l'on vous demandait.

R. D'après ce que j'ai pu comprendre, j'étais bien en-deça -- Je l'ai de toute évidence signée. J'ai n'ai eu aucun problème. Je veux dire, je pensais -- si quelqu'un devait vérifier si j'avais tort ou raison -- je veux dire, il va sans dire que, vous savez, je souscrirais à leurs termes si -- vous savez, je n'avais aucune objection. Je devais l'envoyer. J'étais tenu de l'envoyer. Et, à ma connaissance, d'après ce que je sais de la demande, je n'ai pas eu le moindre problème à cet égard.

[8] D'autres parties de la transcription mettent en évidence un comportement semblable.

[9] Pour que le régime d'assurance-chômage fonctionne bien, la loi exige un certain comportement de la part de l’auteur d’une demande et de son employeur. Le régime est tel qu'il est facile de conclure des ententes fictives ou frauduleuses. Par conséquent, dans le cas d'une demande de prestations d'assurance-chômage, la loi requiert que les parties se conduisent uberrima fides, c'est-à-dire en toute bonne foi. Dans l'affaire qui nous occupe, je conclus à l'absence totale de bonne foi chez l'appelant et chez son soi-disant employeur.

[10] La question est de savoir si, du 4 octobre au 31 décembre 1993, l'appelant occupait un emploi assurable chez le payeur au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage. L'intimé invoque l'affaire Wiebe Door Services v. M.N.R., (1986) 87 DTC 5025, dans laquelle la Cour a déclaré qu’il est important d'examiner l'ensemble de la relation entre les parties concernées pour déterminer s'il existe un contrat de louage de services. Certains des facteurs à considérer qui sont énoncés dans cette affaire sont les suivants :

- la supervision et le contrôle que le payeur exerce sur le travailleur;

- la propriété des instruments de travail;

- les chances de bénéfice;

- les risques de perte;

- l'intégration du travailleur dans l'entreprise de la compagnie.

[11] L'intimé soutient également que la période d'emploi était de 12 semaines exactement, c'est-à-dire le nombre minimum de semaines requis pour que l'appelant soit admissible à des prestations aux termes de la Loi sur l'assurance-chômage. La compagnie exploitait une partie d'une entreprise qui a subi des pertes que d'autres parties rentables de l'entreprise ont dû financer. Malgré cela, le salaire de l'appelant a, au cours de la période d'emploi, été augmenté de 33,3 p. 100, sans qu'on sache pourquoi.

[12] Après avoir examiné l'ensemble de la preuve et les prétentions des avocats, la Cour n'est pas convaincue que l'appelant était supervisé. Il pouvait se rendre à son soi-disant emploi et le quitter comme il le voulait. La Cour ne retient pas la preuve selon laquelle il fallait huit heures par jour pour accomplir la tâche qui, prétend-on, avait été confiée à l'appelant. S'il y avait un contrat de travail, c'était un contrat d'entreprise et non un contrat de louage de services. L'appelant n'a pas été intégré à l'entreprise du payeur.

[13] La Cour déclare par les présentes, après avoir examiné l'ensemble de la preuve, qu'elle n'est pas convaincue selon la prépondérance de preuve crédible qu'il y avait, pendant la période en question, un contrat d'emploi assurable comme le requiert l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage.

[14] L'appel est par conséquent rejeté et le règlement de la question en cause est confirmé.

Signé à Shenstone (Nouveau-Brunswick), ce 23e jour de janvier 1998.

C. I. L. Léger

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de juillet 1998.

Philippe Ducharme, réviseur

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