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Date: 19991123

Dossiers: 98-2659-IT-I; 98-2660-GST-I

ENTRE :

HELEN WHITEHOUSE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] La question en litige dans les appels en l'instance est celle de savoir si Mme Whitehouse est responsable du fait d'autrui au termes du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (“ LIR ”) et du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise (“ LTA ”) (partie IX), c'est-à-dire de l'omission de Whitehouse & Brodmann Trucking & Excavation Limited (“ société ”) de remettre au receveur général du Canada des retenues à la source sur les salaires payés à ses employés et la taxe sur les produits et services (“ TPS ”) nette respectivement, y compris des pénalités et de l'intérêt s'y rapportant.

[2] Le paragraphe 153(1) de la LIR impose aux employeurs l'obligation de faire des retenues à la source, au titre de l'impôt notamment, sur le salaire d'un employé, et d'en remettre le montant au receveur général du Canada. Aux termes du paragraphe 227.1(1) de la LIR, les administrateurs d'une société qui a omis de remettre les montants en question sont solidairement responsables, avec la société, du paiement des montants, y compris les intérêts et les pénalités s'y rapportant. Les administrateurs des sociétés ne sont pas solidairement responsables de l'omission de la société de remettre des retenues à la source aux termes du paragraphe 227.1(3) s'ils peuvent établir qu'ils ont “ agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables ”. L'article 323 de la LTA est analogue à l'article 227.1 de la LIR; le paragraphe 228(2) de la LTA prévoit qu'une personne doit produire une déclaration en application de la section V de la partie IX de la LTA afin de verser un montant de TPS nette au receveur général du Canada.

[3] La société a été constituée en 1994 par l'appelante, M. Martin Brodmann et M. Kevin Whitehouse, le fils de l'appelante. Chacun détenait une action de la société. M. Brodmann était administrateur et président, l'appelante était administratrice et secrétaire; Kevin Whitehouse n'était ni un dirigeant, ni un administrateur.

[4] Une fois constituée, la société a acquis l'équipement et les camions utilisés par l'ex-époux de l'appelante dans le cadre de son entreprise de construction et de réfection de routes. La société a également pris en charge la dette que M. Whitehouse avait initialement contractée pour acquérir l'équipement. (M. Whitehouse et l'appelante ont divorcé en 1994.) Mme Whitehouse avait personnellement garanti le remboursement d'un montant d'environ 10 000 $ emprunté par M. Whitehouse auprès d'une coopérative de crédit pour acheter l'équipement en question. La compagnie a aussi emprunté de l'argent à la Banque Scotia et Mme Whitehouse a garanti le remboursement de cet emprunt.

[5] Mme Whitehouse a participé à la constitution de la société notamment parce qu'elle voulait garantir à son fils un emploi qu'il aimait. M. Kevin Whitehouse avait travaillé pour l'entreprise de l'ex-époux de l'appelante, et cette dernière “ craignait ” que son fils se retrouve sans emploi. Apparemment, l'ex-époux de Mme Whitehouse éprouvait des “ difficultés ” avec l'entreprise et “ la compagnie semblait se diriger vers la faillite ”. De plus, Mme Whitehouse voulait disposer d'une source pour rembourser l'emprunt contracté auprès de la coopérative de crédit.

[6] Mme Whitehouse connaissait M. Brodmann parce que son époux avait fourni certains services pour ce dernier. M. Brodmann exploitait une entreprise d'“ aménagement de routes et de terrains ”. Originaire de la Suisse, il avait déménagé en Nouvelle-Écosse en 1991 semble-t-il. D'après Mme Whitehouse, il avait des “ relations outremer ” et pouvait apporter à la société du travail d'aménagement. Mme Whitehouse avait rencontré M. Brodmann peu après l'arrivée de ce dernier en Nouvelle-Écosse, et ils étaient devenus amis.

[7] Mme Whitehouse travaille depuis plus de 31 ans pour un fabriquant de panneaux de fibres comprimés et, à l'époque du procès, elle était directrice des ressources humaines de cette compagnie, qui compte 350 employés. L'appelante s'occupe notamment de l'administration des avantages des employés et du recrutement. Elle travaille à temps plein et n'était pas intéressée ni n'avait l'envie de prendre part à l'exploitation de la société. Elle était administratrice de la société mais, a-t-elle insisté, elle n'assumait aucune tâche.

[8] Le nom de l'appelante figure dans les documents de la société et elle a été nommée administratrice de la société pour les seuls motifs qu'elle voulait que son fils ait du travail et qu'elle ne voulait pas perdre l'argent qu'elle avait investi pour permettre à la société d'acquérir l'équipement de son ex-époux. Elle ne participait pas aux activités quotidiennes de la société, elle n'assistait jamais aux réunions des administrateurs, s'il y en avait, et elle n'était jamais consultée par la direction.

[9] L'entreprise de la société était gérée par Brodmann Management, qui était soit une entreprise individuelle exploitée par M. Brodmann, soit une société appartenant à ce dernier. Brodmann Management se chargeait des activités quotidiennes de la société, y compris des relations avec les clients et avec les employés. Au procès, l'appelante a supposé que seul M. Brodmann avait un pouvoir de signature pour la société. Elle a déclaré qu'elle ignorait à quel endroit le compte bancaire ordinaire de la société avait été ouvert.

[10] Mme Whitehouse n'était aucunement au courant des omissions de la société de remettre des retenues à la source et la TPS, jusqu'à ce qu'une cotisation soit établie à son égard en décembre 1996. Elle ignorait que la société devait des arriérés à Revenu Canada avant le mois de décembre. Lorsqu'elle a posé la question à M. Brodmann, il lui a dit de ne pas s'inquiéter, a-t-elle témoigné : les factures allaient être acquittées. Elle n'a jamais posé de questions spécifiques à M. Brodmann concernant le paiement des retenues à la source ou de la TPS. Elle a tenu pour acquis que Brodmann Management effectuait les paiements dans les délais. Lorsqu'elle demandait à M. Brodmann ou à son fils comment les choses allaient, a-t-elle indiqué, ils lui répondaient que les “ choses allaient bien ”.

[11] La société a mis un terme à ses activités au cours du premier trimestre de 1996. Pour autant que Mme Whitehouse sache, la société a vendu son équipement pour rembourser l'emprunt bancaire. Au mois de mars 1996, l'appelante a remis sa démission en tant qu'administratrice parce qu'elle “ ne voulait plus faire partie ” de la société. Elle ne savait pas à l'époque qu'elle pouvait avoir des obligations légales en matière fiscale. Au mois d'avril 1996, la Banque de Nouvelle-Écosse a poursuivi Mme Whitehouse ainsi que l'ex-époux de celle-ci afin de récupérer le montant de l'emprunt.

[12] Avant 1994, Mme Whitehouse n'avait jamais été administratrice d'une société. Elle n'avait aucune idée des responsabilités d'un administrateur ou de l'obligation faite à un administrateur sous le régime de la LIR ou de la LTA. Elle n'a jamais cherché à connaître ses responsabilités en tant qu'administratrice. À ce titre, elle croyait n'avoir rien à faire puisque Brodmann Management gérait la société.

[13] Mme Whitehouse a reconnu qu'elle savait qu'une société devait effectuer des retenues à la source, qu'elle était tenue de les remettre et qu'elle devait payer la TPS.

[14] L'appelante ne savait pas grand-chose, sinon rien, de l'entreprise de M. Brodmann. Ce dernier a bien préparé des prévisions financières pour la société avant d'entreprendre l'exploitation de l'entreprise et, Mme Whitehouse a-t-elle déclaré, ces prévisions ont été utilisées pour obtenir à la Banque de Nouvelle-Écosse l'emprunt dont elle avait garanti le remboursement.

[15] L'avocate de l'intimée s'est fondée sur les motifs du jugement prononcés dans l'affaire Stuart v. M.N.R.[1], où un contribuable complètement passif n'ayant jamais pris de mesures pour s'affirmer en tant qu'administrateur et ne s'étant jamais renseigné au sujet des responsabilités des administrateurs a été jugé responsable en vertu de l'article 227.1 de la LIR. Le juge de première instance a mentionné l'affaire Black v. The Queen[2] pour soutenir que rien dans le libellé de l'article 227.1 ne donnait à entendre que le législateur avait l'intention de prêter secours à un administrateur qui omet d'agir parce qu'il ignore ses responsabilités et celles de la compagnie et qu'il y est indifférent.

[16] Les avocats des deux parties ont cité l'arrêt Soper v. The Queen[3], où le juge Robertson, de la Cour d'appel fédérale, a résumé ses conclusions sur le paragraphe 227.1(3) de la LIR dans les termes suivants :

[...] La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la “ compétence ” et l'idée de “ circonstances comparables ”. Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme “ objective subjective ”.

[17] Il est parfaitement évident que Mme Whitehouse était un “ administrateur externe ”. Les affaires de la société étaient menées par M. Brodmann, et je doute qu'il aurait toléré quelque intervention que ce soit de la part de Mme Whitehouse, qui n'avait aucune expérience dans l'entreprise, en dépit du fait qu'elle était directrice des ressources humaines et qu'il lui incombait, notamment, d'administrer les avantages des 350 employés de son employeur.

[18] Mme Whitehouse savait très peu de choses de l'entreprise de M. Brodmann et elle ne croyait pas nécessaire de s'informer. Elle considérait qu'elle et M. Brodmann étaient des amis et, à tort ou à raison, elle se fiait suffisamment au prétendu savoir-faire et aux relations de ce dernier pour lui confier les rennes de la société. Elle avait mis toute sa confiance en M. Brodmann et elle savait que des retenues à la source ainsi que la TPS devaient être remises régulièrement. Elle n'a jamais demandé si les paiements nécessaires étaient faits. Elle était satisfaite de la réponse que tout allait bien lorsqu'elle posait une question générale.

[19] La question de savoir si un administrateur a satisfait à la norme de prudence aux fins des paragraphes 227.1(3) et 323(3) est d'abord et avant tout une question de fait qui doit être tranchée à la lumière des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur en cause[4]. Une attitude entièrement passive de la part d'un administrateur n'aidera peut-être pas la cause de ce dernier à l'égard d'une cotisation, mais, à moins qu'il n'y ait des motifs de s'interroger, l'administrateur est autorisé à s'appuyer sur les personnes qui s'occupent de la gestion quotidienne pour effectuer le paiement des obligations prévues dans la loi. L'administrateur externe qui sait ou se doute ou devrait savoir que quelque chose cloche doit prendre des mesures concrètes pour tenter de remédier à la situation[5]. L'administrateur d'une compagnie qui ne s'est jamais soucié de s'acquitter de son obligation de prévenir le manquement de la compagnie de remettre les retenues à la source et de payer la TPS, comme le requièrent l'article 227.1 de la LIR et l'article 323 de la LTA respectivement, et est demeuré complètement indifférent et passif à l'égard de son obligation, sera responsable du fait d'autrui relativement aux paiements qui doivent être faits par la compagnie[6].

[20] Les deux avocats ont analysé également les motifs prononcés dans l'affaire Hevenor v. Canada[7]. Dans cette affaire, un contribuable âgé était devenu l'unique administrateur de la société de son fils pour rendre service à ce dernier. Il ne comprenait pas parfaitement la portée de ses responsabilités et obligations en tant qu'administrateur d'une société et ne participait ni aux décisions, ni à l'exploitation de la compagnie. Si on lui avait montré les états financiers, il ne les aurait pas compris. Son degré de prudence en tant qu'administrateur était limité par son manque d'habileté, et son appel de la cotisation interjeté conformément à l'article 323 de la LIR a été admis.

[21] À plus d'un égard, Mme Whitehouse se retrouve dans la même situation que M. Hevenor : tous deux sont devenus administrateurs pour rendre service à leur enfant, tous deux ont participé au financement de l'entreprise en cause, ni l'un ni l'autre n'a pris part aux activités quotidiennes de l'entreprise, ni l'une ni l'autre compagnie ne paraissait tenir de réunions des actionnaires ou des administrateurs, ni l'un ni l'autre parent ne savait que l'entreprise était au bord de la crise financière, et ni l'un ni l'autre parent ne connaissait les obligations et les responsabilités d'un administrateur. Par contre, Mme Whitehouse savait que des retenues à la source devaient être payées régulièrement et que la TPS était payable.

[22] Je ne peux accepter la prétention de l'intimée selon laquelle Mme Whitehouse était “ plus à l'aise dans le monde des affaires ” que M. Hevenor pouvait sembler l'être, et qu'elle “ était plus apte à comprendre les affaires commerciales ” que lui. La prétendue expérience des affaires de Mme Whitehouse découlait de son travail dans une compagnie. Elle était administratrice des avantages des employés, et non pas femme d'affaires prenant des décisions. Elle se contentait d'exécuter le travail qui lui était confié. Elle m'a donné l'impression d'être une employée qui était probablement appréciée pour ce qu'elle faisait, sans plus. Mme Whitehouse n'était pas une personne qui prenait des décisions ou qui élaborait les politiques de son employeur.

[23] L'ignorance de Mme Whitehouse n'était pas délibérée, ni n'était-elle le résultat d'une négligence volontaire. L'appelante est une mère qui, comme M. Hevenor, voulait ce qu'il y avait de mieux pour son fils et comptait sur une personne qu'elle respectait pour exploiter une entreprise qui, l'espérait-elle, allait rembourser les dettes prises en charge et profiter à son fils. Elle a agi comme la plupart des mères agiraient dans des circonstances semblables. Il n'y a aucune preuve que le manque d'expérience de Mme Whitehouse en tant qu'administratrice et son ignorance des responsabilités et obligations d'un administrateur auraient pu être compensés par son expérience à titre d'employée d'une autre compagnie. Je ne peux conclure que sa situation est à ce point différente de celle de M. Hevenor.

[24] Les appels sont admis et les cotisations sont annulées. L'appelante a droit à ses frais pour la préparation des avis d'appel, mais à un seul mémoire de frais pour la préparation et la tenue de l'audience et de la taxation, le cas échéant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de novembre 1999.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour d'août 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]               95 DTC 537, [1995] CarswellNat 510, [1995] 2 C.T.C. 2458D no 1.

[2]               93 DTC 1212.

[3]               97 DTC 5407, [1997] CarswellNat 853, [1997] C.T.C. 242.

[4]               Soper, précité, paragraphe 45.

[5]               Soper, précité, paragraphes 41 et 42.

[6]               Soper, précité, paragraphe 52, le juge Marceau.

[7]               [1999] A.C.I. no 65 (Q.L.).

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