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Date: 19991210

Dossier: 1999-1842-IT-I

ENTRE :

ARNOLD ROSENFELDT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Le présent appel, qui est régi par la procédure informelle, a été entendu à Saskatoon (Saskatchewan) le 3 décembre 1999. L'appelant a été le seul témoin.

[2] L'appelant porte en appel le refus d'autoriser la déduction des pertes agricoles qu'il avait déclarées pour 1995 et 1996 et des dépenses particulières aux termes de l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu, ainsi que la détermination de pertes agricoles restreintes aux termes de l'article 31.

[3] Les paragraphes 7 à 12 inclusivement de la réponse à l'avis d'appel se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

7. Dans ces nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1995 et 1996, le ministre se fondait sur les hypothèses de fait suivantes :

a) les faits admis et énoncés ci-devant;

b) durant toute la période pertinente, l'appelant exerçait un emploi comme opérateur de grue;

c) l'appelant a touché des prestations d'assurance-chômage (“ a.-c. ”) pour la période où il n'a pas exercé un emploi comme opérateur de grue, soit des prestations de 10 173 $ et de 8 155 $, respectivement, au cours des années d'imposition 1995 et 1996;

d) l'appelant a reçu des prestations d'a.-c. pour les périodes du 8 janvier au 3 juin 1995 et du 7 janvier au 4 mai 1996, respectivement, au cours des années d'imposition 1995 et 1996;

e) l'appelant a gagné les revenus d'emploi suivants au cours des années d'imposition 1995 et 1996, respectivement :

ANNÉE D'IMPOSITION ET EMPLOYEUR

REVENU

1995 Premay Pipeline Hauling Ltd.

9 479,94 $

1995 Heritage Pipeline Const. Prairie

10 986,93 $

1995 Michetti Pipe Stringing Inc

8 904,42 $

1995 Alta Construction Ltd

18 724,33 $

TOTAL

48 095,62 $

1996 Procrane Inc. s/n Sterling

37 252,75 $

TOTAL

37 252,75 $

f) l'appelant a acheté deux quarts de section de pâturage, une baraque Quonset inachevée, de vieux bâtiments, de vieux corrals et un bungalow de 1 100 pieds carrés, à un prix de 80 000 $, au cours de l'année d'imposition 1992;

g) l'appelant a financé l'achat du bien agricole et de la résidence par un emprunt hypothécaire de 57 000 $;

h) les activités agricoles de l'appelant comprenaient une exploitation de naissage ainsi que la vente de bottes de foin;

i) l'appelant a grandi sur une ferme d'élevage de bestiaux;

j) l'appelant a commencé son exploitation de naissage en achetant neuf génisses pleines en 1992;

k) le stock de bestiaux de l'appelant comprenait 23 vaches ou génisses pleines à la fin de l'année d'imposition 1996;

l) le stock d'animaux de reproduction de l'appelant était attribuable à des naissances naturelles, sauf dans le cas de cinq génisses achetées en 1994 ou en 1995;

m) l'appelant vendait tous les bouvillons sur une base annuelle;

n) l'appelant a amélioré la clôture entourant la propriété, ainsi que le système d'adduction d'eau, et a acheté une botteleuse mécanique, une vieille andaineuse, un vieux tracteur et une moissonneuse-batteuse depuis qu'il est revenu à l'agriculture, dans l'année d'imposition 1992;

o) voici un tableau des dépenses qui ont été refusées ainsi que de sommes représentant un revenu non déclaré pour les années d'imposition 1995 et 1996 :

Pour l'année d'imposition 1995

ÉLÉMENT

DÉDUIT

ADMIS

REFUSÉ

Intérêts

5 852 $

2 926 $

2 926 $

Impôt foncier

1 454 $

727 $

727 $

Réparations

5 678 $

3 678 $

2 000 $

Carburant

4 920 $

3 576 $

1 344 $

Location de camion

13 934 $

7 835 $

6 099 $

Remboursement de TPS

0 $

0 $

1 454 $

Total

14 550 $

Pour l'année d'imposition 1996

ÉLÉMENT

DÉDUIT

ADMIS

REFUSÉ

Intérêts

5 680 $

2 840 $

2 840 $

Réparations

7 081 $

4 081 $

3 000 $

Carburant

5 302 $

3 805 $

1 497 $

Location de camion

6 680 $

4 800 $

1 880 $

Remboursement de TPS

0 $

0 $

1 790 $

Vente de bestiaux

0 $

0 $

1 000 $

Total

12 007 $

p) l'appelant a déduit, relativement aux activités agricoles, des dépenses qui représentaient des frais personnels ou de subsistance ou un revenu non déclaré de l'appelant comme l'indiquent les alinéas q) à w) ci-après;

q) frais d'intérêts sur l'emprunt hypothécaire de 57 000 $

i) les frais d'intérêts ont été engagés concernant le bien agricole et la résidence sur le terrain acquis en 1992;

ii) 50 p. 100 des frais d'intérêts ont été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

iii) des dépenses d'au plus 2 926 $ et 2 840 $ ont été engagées par l'appelant dans ses années d'imposition 1995 et 1996, respectivement, en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

r) impôt foncier

i) les frais d'impôt foncier ont été engagés concernant le bien agricole et la résidence sur le terrain acquis en 1992;

ii) 50 p. 100 des frais d'impôt foncier ont été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

iii) une dépense d'au plus 727 $ a été engagée par l'appelant dans son année d'imposition 1995 en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

s) frais de réparations et d'entretien

i) les frais de réparations et d'entretien représentent des frais personnels ou de subsistance de l'appelant ainsi que certaines sommes déductibles;

ii) des dépenses d'au plus 3 678 $ et 4 081 $ ont été engagées par l'appelant dans ses années d'imposition 1995 et 1996, respectivement, en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

t) frais de carburant

i) l'appelant ne tenait aucun registre pour distinguer entre le nombre de milles parcourus aux fins de l'entreprise et le nombre de milles parcourus à des fins personnelles;

ii) 60 p. 100 des frais de carburant ont été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

iii) des dépenses d'au plus 3 576 $ et 3 805 $ ont été engagées par l'appelant dans ses années d'imposition 1995 et 1996, respectivement, en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

u) frais de location de camion

i) l'appelant ne tenait aucun registre pour distinguer entre le nombre de milles parcourus aux fins de l'entreprise et le nombre de milles parcourus à des fins personnelles;

ii) 60 p. 100 des frais de location de camion ont été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

iii) des dépenses d'au plus 7 835 $ et 4 800 $ ont été engagées par l'appelant dans ses années d'imposition 1995 et 1996, respectivement, en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

v) taxe sur les produits et services non déclarée

l'appelant est un inscrit aux fins de la TPS;

ii) les activités agricoles de l'appelant sont détaxées;

iii) l'appelant a reçu des remboursements à l'égard de ses frais d'exploitation;

iv) l'appelant n'a pas inclus ces remboursements dans son revenu;

v) le ministre a inclus les remboursements reçus par l'appelant dans le revenu de l'appelant pour les années d'imposition 1995 et 1996, soit des sommes de 1 454 $ et de 1 790 $, respectivement;

w) ventes de bestiaux non déclarées

i) l'appelant a abattu deux bovins pour consommation personnelle et revente privée, comme viande conditionnée, dans l'année d'imposition 1996;

ii) la juste valeur marchande des bovins abattus était estimée à 1 000 $;

iii) l'appelant a passé en charges les dépenses engagées pour l'abattage des bovins et le conditionnement de cette viande;

iv) l'appelant n'a pas inclus dans son revenu la juste valeur marchande du bétail abattu;

v) le ministre a inclus la juste valeur marchande reçue par l'appelant dans le revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1995, soit le montant de 1 000 $;

x) l'appelant a déclaré les sommes suivantes comme revenus d'agriculture (pertes) pour les années d'imposition 1992, 1993, 1994, 1995, 1996 et 1997 :

ANNÉE D'IMPOSITION

REVENU BRUT

DÉPENSES

REVENU NET

(PERTE)

1992

0 $

9 014 $

( 9 014 $)

1993

5 150 $

19 953 $

( 14 803 $)

1994

4 500 $

36 355 $

( 31 855 $)

1995

8 734 $

47 249 $

( 38 515 $)

1996

11 643 $

41 728 $

( 30 085 $)

1997

17 088 $

30 007 $

( 12 919 $)

y) les revenus bruts de l'appelant pour les années d'imposition 1995 et 1996 peuvent être répartis entre les catégories suivantes :

ANNÉE D'IMPOSITION

Ventes de foin

Ventes de bestiaux

Travail sur commande

1995

1 550 $

5 684 $

1 500 $

1996

5 075 $

6 568 $

0 $

z) l'appelant a maintenu son adhésion à la section locale 870 de l'International Union of Operating Engineers pour les années d'imposition pertinentes;

aa) l'appelant n'a pas engagé des dépenses de 13 096 $ et de 9 217 $ pour les années d'imposition 1995 et 1996, respectivement, en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

bb) l'appelant a omis de déclarer des revenus de 1 454 $ et de 2 790 $ pour les années d'imposition 1995 et 1996, respectivement;

cc) le revenu de l'appelant pour les années d'imposition 1995 et 1996 ne provenait principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source.

B. QUESTIONS À TRANCHER

8. Les questions sont les suivantes :

a) si les dépenses de 13 096 $ et de 9 217 $ étaient des frais personnels ou de subsistance de l'appelant pour les années d'imposition 1995 et 1996, respectivement;

b) si les sommes de 1 454 $ et de 2 790 $ étaient des revenus d'agriculture non déclarés pour les années d'imposition 1995 et 1996, respectivement;

c) si le revenu de l'appelant provenait principalement de l'agriculture ou d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source pour les années d'imposition 1995 et 1996;

C. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES, MOTIFS INVOQUÉS ET MESURE DE REDRESSEMENT DEMANDÉE

9. Il invoque les articles 3, 9 et 67.1, les paragraphes 31(1) et 248(1) et les alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi dans sa forme modifiée pour les années d'imposition 1995 et 1996.

10. Il soutient que pour les années d'imposition 1995 et 1996 l'appelant a engagé des frais personnels de 13 096 $ et de 9 217 $, en vertu des alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi.

11. Il soutient que l'appelant a omis de déclarer des revenus d'agriculture de 1 454 $ et de 2 790 $ pour les années d'imposition 1995 et 1996, respectivement, en vertu de l'article 9 de la Loi.

12. Il soutient que, pour les années d'imposition 1995 et 1996, le revenu de l'appelant ne provenait principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source. Ainsi, en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi, les pertes agricoles sont limitées à 8 750 $ et à 8 750 $ pour les années d'imposition 1995 et 1996, respectivement.

[4] Les hypothèses 7b), c), d), e), f), g), h), i), j), m), o), x), y) et z) sont exactes ou n'ont pas été réfutées. En ce qui a trait aux hypothèses restantes, la Cour conclut ce qui suit :

7k) À la fin de 1996, l'appelant avait 48 bovins au total. Il y avait 23 vaches et au moins un taureau, et les autres animaux étaient des veaux.

7l) Les cinq génisses ont été achetées en 1995.

7n) Cette hypothèse est vraie, sauf que l'appelant n'a jamais acheté une moissonneuse-batteuse et que la question de savoir s'il était “ revenu ” à l'agriculture est problématique.

7p) Des détails seront donnés plus loin.

7q), r), v) et w) L'appelant en a convenu au début de l'audience.

7s), t) et u) Des détails seront donnés plus loin.

7bb) L'appelant en a convenu.

Les hypothèses restantes sont contestées.

[5] Les dépenses qui demeurent en litige pour ce qui est de l'hypothèse énoncée à l'alinéa o) sont les frais de réparations, les frais de carburant et les frais de location de camion; la Cour conclut ce qui suit à l'égard de chacun de ces éléments :

1) Location de camion – L'appelant a déduit des paiements de location de camion de 774,12 $ par mois. Le plafond pour chaque année était de 650 $ par mois, et l'appelant est limité à ce montant dès le départ. L'appelant ne tenait aucun registre du nombre de milles parcourus avec le camion. Lui, son épouse et son père utilisaient le camion — un 4x4 GMC de 1995 à cabine allongée — à des fins personnelles et aux fins de la ferme. L'appelant avait en outre une Lincoln de 1978, que lui et son épouse utilisaient à des fins personnelles, et ils avaient aussi un camion de trois tonnes que l'appelant avait acheté de seconde main pour la ferme. L'appelant soutenait que l'utilisation personnelle du camion représentait 25 p. 100. Toutefois, il n'a pas présenté d'éléments de preuve détaillés ou un registre pour étayer cette proportion de 25 p. 100 ou pour réfuter l'hypothèse selon laquelle une proportion de seulement 60 p. 100 correspondait à l'utilisation personnelle (sic). Pour cette raison, cette partie de l'appel est rejetée.

2) Carburant – Cet élément concerne du carburant diesel et de l'essence en vrac que l'appelant entreposait sur sa ferme et utilisait. Une proportion de 60 p. 100 a été admise comme pourcentage relatif à l'entreprise agricole. Il n'y a aucune preuve concernant la source du carburant pour la Lincoln de 1978 ou concernant la question de savoir si le camion de trois tonnes était utilisé à des fins personnelles ou exclusivement aux fins de l'entreprise. Pour cette raison, cette partie de l'appel n'est pas réfutée.

3) Réparations – Encore là, il incombait à l'appelant de traiter des factures relatives aux réparations et de réfuter les hypothèses en détail. Il ne l'a pas fait. Donc, cette partie de l'appel est rejetée.

[6] Ainsi, les appels concernant les hypothèses en litige énoncées aux alinéas 8a) et 8b) de la réponse à l'avis d'appel sont rejetés totalement. L'hypothèse en litige restante, énoncée à l'alinéa 8c), a trait à l'appel relatif à la perte agricole restreinte.

[7] L'appelant a 43 ans et est marié. Jusqu'à l'âge de 12 ans, il a été élevé sur une ferme mixte, située à environ 60 km au nord-ouest de Saskatoon. Il est devenu opérateur de grue et de pose-tube à flèche latérale et a travaillé à ce titre en Saskatchewan et dans l'ancienne Union soviétique au cours des années en question. Ce travail, quand il l'exerce, lui rapporte environ 3 000 $ par semaine.

[8] À la naissance de son fils, en 1992, l'appelant a décidé qu'il voulait élever sa famille sur une ferme. Il a déterminé que, s'il pouvait avoir une exploitation de naissage comprenant 60 animaux, il pourrait gagner assez pour vivre décemment sur la ferme à temps plein. Il ne s'attendait pas à réaliser un profit avant cinq à sept ans. Il a décidé d'élever des bovins de race Hereford et a acheté une ferme à environ 50 km à l'ouest de Saskatoon, en 1992. La ferme comportait une maison, les bâtiments nécessaires et un vieux corral. Cet automne-là, l'appelant a acheté neuf vaches pleines et un taureau pur-sang de race Hereford. Il a acheté cinq autres vaches en 1993, et 13 de ses vaches ont vêlé en 1993. Il a vendu les bouvillons et a éliminé un certain nombre de vaches. En 1992 et en 1993, les prix étaient d'environ 1,05 $ à 1,10 $ la livre, et il vendait les animaux lorsqu'ils pesaient 800 à 900 livres, à un prix d'environ 1 000 $ par animal.

[9] En 1992, l'appelant a acheté pour son entreprise d'élevage du matériel modeste et manifestement de seconde main, qu'il arrangeait. Il a ensuite acheté de seconde main un camion de trois tonnes et une remorque à plateau, puis, en 1994 ou en 1995, il a acheté un tracteur John Deere 4020. Ses achats de matériel étaient modestes et raisonnables et étaient faits économiquement. Il utilisait son revenu d'emploi pour financer ces achats et pour effectuer ses paiements hypothécaires relatifs à la ferme.

[10] L'appelant avait prévu qu'il aurait 30 vaches de reproduction en 1995. Au lieu de cela, il en avait 23. En 1995, il a essayé de louer des pâturages, parce que l'achat de pâturages était trop coûteux. Il ne pouvait avoir un pâturage communautaire. Il a ensuite fait une offre sur un pâturage de 2 sections où il espérait mettre des vaches, moyennant du financement du syndicat du blé et un acompte de 5 p. 100; il n'a pas réussi dans cette entreprise. Sa terre n'était suffisante que pour le nombre de bovins qu'il avait alors.

[11] En 1996, il a loué 80 acres à 20 milles de là, puis il a trouvé que c'était trop loin pour gérer le bétail. En 1996, le prix des bovins a chuté de 50 p. 100 par rapport à ce qu'il était en 1995, et l'appelant a décidé d'abandonner l'élevage de bovins pour se lancer dans l'élevage de bisons. Il peut faire paître trois bisons pour une vache sur sa terre. Ainsi, il a commencé à vendre son troupeau de bovins en 1996. En 1997, il a acheté ses premiers bisons, des petits. Il a poursuivi la vente de son troupeau de bovins en 1997 et a vendu ses derniers bovins en 1998.

[12] Le présent appel portant sur une cotisation relative à une perte agricole restreinte concerne une entreprise au stade du démarrage. La présente espèce est semblable à l'affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, dans laquelle le juge Dickson a déclaré, à la page 486 :

[...] on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants: l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise: La Reine c. Matthews [... (1974), 74 D.T.C. 6193]. Personne ne peut s'attendre à ce qu'un fermier qui achète une affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain vierge.

Déterminer si une source de revenu est la principale “source” de revenu d'un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif. Ce n'est incontestablement pas une simple question de proportion. Celui qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'en tirer sa principale source de revenu du simple fait qu'il a inopinément gagné à la loterie. Ce qui distingue la principale “source” de revenu du contribuable, c'est l'expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analyser ces éléments, notamment à l'égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future. Un changement dans les habitudes ou la façon de travailler d'un contribuable ou dans ses expectatives raisonnables peut indiquer une modification de la principale source de revenu, mais cela demeure une question de fait dans chaque cas.

[13] Dans l'affaire R. v. Donnelly (soit également un appel portant sur une cotisation relative à une perte agricole restreinte), [1998] 1 C.T.C. 23, le juge d'appel Robertson a déclaré, aux paragraphes 12 et 13 :

L'analyse du facteur de la rentabilité permet de dissiper les doutes qui subsistent quant à savoir si la principale source de revenu d'un contribuable est l'agriculture. Il existe une différence entre le genre de preuve qu'un contribuable doit produire concernant la rentabilité en vertu de l'article 31 de la Loi et le genre de preuve applicable à l'expectative raisonnable de profit. Dans ce dernier cas, le contribuable n'a qu'à démontrer qu'il a ou avait une expectative de profit, que ce soit un dollar ou un million de dollars. Il est bien établi en droit fiscal que les termes “ expectative raisonnable de profit ” et “ expectative de bénéfices raisonnables ” ne sont pas synonymes. En ce qui concerne la rentabilité prévue à l'article 31, toutefois, le montant est pertinent parce qu'il permet de comparer un revenu agricole potentiel avec le revenu que le contribuable a effectivement tiré de l'autre occupation. Autrement dit, nous cherchons des éléments de preuve de nature à appuyer une conclusion d'expectative raisonnable de bénéfices “ considérables ” en provenance de l'agriculture.

En l'espèce, il incombait au contribuable de démontrer ce qu'il aurait raisonnablement pu gagner n'eussent été les deux contretemps qui sont à l'origine de la perte, à savoir le décès de M. Rankin et la baisse des prix des chevaux. Je dis cela parce que le juge de la Cour de l'impôt a conclu que sans ces deux contretemps le contribuable aurait tiré la majeure partie de son revenu de l'agriculture au cours des trois années d'imposition en question. Il ne fait aucun doute que la perte de M. Rankin et les modifications qui ont été apportées aux lois fiscales américaines ont eu un effet négatif et inattendu sur l'entreprise, mais le contribuable n'a fourni aucun élément de preuve sur les bénéfices qu'il aurait pu réaliser si ces événements ne s'étaient pas produits ni sur la question de savoir si le montant aurait été jugé considérable par rapport à son revenu de profession libérale. Le contribuable ne pouvait pas se contenter d'affirmer qu'il pourrait avoir réalisé un bénéfice. Il aurait dû fournir assez d'éléments de preuve pour permettre au juge de la Cour de l'impôt d'évaluer à combien ce bénéfice aurait pu s'élever.

[14] Selon les critères du juge Dickson, le contribuable était aidé par son père, qui avait exploité une ferme mixte. Le contribuable est en outre compétent en mécanique. Sa formation était suffisante. La voie sur laquelle il entend s'engager semble raisonnable. Ses coûts en capital étaient minimes.

[15] À la fin de l'arrêt Donnelly, le juge d'appel Robertson a indiqué que trois facteurs déterminent la principale source de revenu : les capitaux investis, le temps consacré et la rentabilité. Tous les capitaux de l'appelant étaient investis dans cette ferme. Sur la foi de la preuve, en 1995 et en 1996, l'appelant a passé annuellement autant de temps à travailler sur la ferme qu'à exercer son emploi. Lorsqu'il exerçait son emploi, son épouse et son père s'occupaient du bétail.

[16] L'appelant a subi deux revers. Le premier a été son incapacité à obtenir des pâturages supplémentaires bon marché en 1995. Le second est survenu lorsque, en 1996, le prix du bétail a chuté de 50 p. 100, ce qui a mis fin à toute attente de rentabilité, sur quoi l'appelant a judicieusement transformé son exploitation et s'est lancé dans l'élevage de bisons. L'appelant a en outre reconnu qu'il avait seulement 23 vaches de reproduction en 1995, alors qu'il avait prévu qu'il en aurait 30. Cela confirme la viabilité du passage à l'élevage de bisons, en 1996.

[17] En établissant trois catégories d'agriculteurs dans l'arrêt Moldowan, le juge Dickson a affirmé que la première catégorie était celle du “ contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel ”. Nul doute que c'est ce que le juge d'appel Robertson a développé dans la citation de l'arrêt Donnelly. Toutefois, il y a une distinction entre la présente espèce et les affaires Moldowan et Donnelly. Dans l'affaire Moldowan, le contribuable avait lancé son entreprise en 1960 et avait été l'objet de cotisations pour 1968 et 1969. Dans l'affaire Donnelly, le contribuable avait lancé son entreprise en 1972 et avait été l'objet de cotisations pour 1986, 1987 et 1989. Dans la présente espèce, M. Rosenfeldt a commencé à acheter son bétail à l'automne 1992 et a été l'objet de cotisations pour 1995 et 1996. Il avait une attente raisonnable quant au fait qu'il lui faudrait cinq à sept ans pour réaliser un profit. Sa première série de quatre saisons complètes d'agriculture remonte à 1993. Il a été l'objet de cotisations comme agriculteur limité à des pertes restreintes après deux ans de démarrage dans l'élevage de bovins. Il est indéniable que M. Rosenfeldt n'est pas ce que l'arrêt Donnelly décrivait comme un gentleman-farmer. Sur la foi des propres hypothèses de Revenu Canada, il était “ revenu ” à l'agriculture, après avoir grandi sur la ferme mixte de son père.

[18] De l'avis de la Cour, la cotisation établie en vertu de l'article 31 est mal fondée. En 1995 et en 1996, l'appelant en était au stade du démarrage et, en 1995, il avait une attente raisonnable quant au fait qu'il réaliserait un profit comme agriculteur entre 1997 et 1999, une fois qu'il aurait 60 vaches. Des difficultés se sont posées en 1995 du fait qu'il n'a pas obtenu de pâturages supplémentaires. En 1996, le revers en matière de prix a fait que l'appelant a modifié son plan et est passé à l'élevage de bisons. Ainsi, il a commencé à vendre son troupeau de bovins.

[19] L'appelant a le droit d'essayer de se lancer en affaires comme éleveur de bétail. Il a également le droit d'essayer de rectifier ses activités face à des revers imprévus.

[20] Dans l'affaire Enno Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001 (C.A.F.), le juge d'appel Linden distinguait entre une entreprise dans laquelle l'appelant a un intérêt personnel et une entreprise dans laquelle l'appelant n'a aucun intérêt personnel. Dans la présente espèce, l'appelant a acquis la terre agricole après la naissance de son fils en vue d'élever sa famille sur une ferme. Cependant, une terre agricole peut servir de pâturage ou être utilisée pour faire pousser du foin, pour cultiver des céréales ou pour élever des bovins, des porcs, des poulets ou d'autres animaux. Ainsi, le fait d'élever des enfants dans un environnement agricole ou rural doit être distingué du fait d'exploiter une entreprise agricole effective.

[21] L'appelant est né en 1956. En 1992, il avait 36 ans. Pour travailler dehors dans le domaine des pipelines ou de la construction, c'est un âge avancé quand on est un ouvrier, qualifié ou non. Lorsque le fils de l'appelant est né, il était temps pour l'appelant de déterminer ce qu'allait être le reste de sa vie et de se trouver une nouvelle occupation. Il a opté pour l'élevage de bovins.

[22] De l'avis de la Cour, l'entreprise de bovins de boucherie représentait un plan d'affaires sensé pour l'avenir de l'appelant. Cette entreprise était purement commerciale. Il n'y a aucun élément de plaisir personnel à s'occuper de bovins en hiver en Saskatchewan, à casser de la glace pour qu'ils aient de l'eau, à épandre du foin, à aider les vaches à vêler ou à s'occuper des petits pour qu'ils survivent. L'élevage de bovins est une entreprise difficile comportant un risque constant de pertes d'animaux, jeunes ou vieux, ce qui donne lieu à des pertes d'ordre pécuniaire.

[23] L'appelant s'est lancé dans cette entreprise à une échelle qu'il pouvait se permettre, sans s'endetter excessivement et muni d'un plan pour la constitution de son troupeau. Tout comme dans l'affaire Tonn, il s'est trompé, en partie à cause du prix du marché et en partie à cause du coût élevé des pâturages et de son incapacité à obtenir un bail approprié. Il a le droit de réussir et de réaliser un profit. Il a également le droit d'échouer ou, comme il l'a fait, de modifier son plan. Dans l'affaire Tonn, la Cour d'appel fédérale avait conclu qu'une période de trois ans était trop brève pour juger d'un succès ou d'un échec. Assurément, dans le cas d'une entreprise d'élevage de bovins, une période de deux ou trois ans est une période trop brève. Il était raisonnable que l'appelant envisage une période de cinq ou sept ans et il est raisonnable d'accepter qu'il ait décidé de passer à l'élevage de bisons.

[24] L'appel est admis compte tenu du fait que l'appelant était, en 1995 et en 1996, ce que le juge Dickson a appelé un agriculteur de la première catégorie, soit un agriculteur pouvant raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. L'appelant en était au stade du démarrage.

[25] L'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en conséquence. Des dépens, fixés à 1 000 $, sont accordés à l'appelant.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 10e jour de décembre 1999.

“ D. W. Beaubier ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 5e jour de septembre 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

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