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Date: 19990630

Dossier: 98-861-UI

ENTRE :

LES RESTAURANTS MASALIT INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Taylor, C.C.I.

[1] Le présent appel, entendu à Toronto (Ontario) le 17 mai 1999, est interjeté contre le règlement de l'intimé selon lequel Francis Jean, le travailleur, exerçait un emploi assurable du 19 juin 1996 au 3 octobre 1997 aux termes de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi ”) et de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi modifiée ”). La société appelante, représentée par le président, M. Malcolm John Thompson, était d'avis que le travailleur était un entrepreneur indépendant. Dans la réponse à l'avis d'appel, l'intimé s'est appuyé sur les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION]

a) l'appelante est une compagnie qui exploite une franchise “ Pizza Hut ”;

b) l'appelante vend des aliments apprêtés à consommer sur place et fait aussi la livraison d'aliments apprêtés aux clients;

c) le travailleur a été embauché par l'appelante pour livrer des aliments apprêtés aux clients de cette dernière;

d) le travailleur et l'appelante ont signé une entente (l'“ entente ”);

e) l'appelante emploie environ sept personnes pour faire les livraisons;

f) le travailleur et les autres livreurs sont recrutés par l'entremise de centres d'emploi et au moyen d'annonces dans les journaux;

g) selon l'entente écrite, le travailleur devait fournir son propre véhicule pour faire les livraisons et il devait en assumer toutes les dépenses;

h) afin de travailler pour l'appelante, le travailleur a dû signer une déclaration selon laquelle il détenait un permis de conduire valide et avait une assurance-automobile suffisante;

i) le travailleur était tenu de porter le chandail, la casquette et le veston fournis par l'appelante pour le désigner comme un représentant de l'appelante;

j) l'appelante établissait les horaires de travail du travailleur et des autres livreurs;

k) le travailleur était tenu d'aviser l'appelante lorsqu'il ne pouvait pas assurer les services un jour particulier;

l) le travailleur demeurait en contact avec l'appelante au moyen d'un téléavertisseur;

m) pendant les heures de pointe, le travailleur était tenu de retourner à l'établissement de l'appelante entre les livraisons;

n) le reste du temps, le travailleur n'était pas tenu de retourner à l'établissement de l'appelante; il devait toutefois demeurer en disponibilité, soit à cinq ou à dix minutes de l'établissement de l'appelante;

o) l'appelante demandait parfois au travailleur de plier des feuillets entre les livraisons;

p) le travailleur recevait 2,40 $ par livraison;

q) le travailleur devait tenir un registre détaillé de toutes ses livraisons en indiquant le numéro de la facture, l'adresse de la livraison et le prix de vente;

r) le travailleur devait remettre au représentant de l'appelante toutes les sommes consignées sur la feuille du registre mentionné au paragraphe q), moins sa rétribution de 2,40 $ par livraison;

s) le travailleur n'assurait pas de services pour qui que ce soit d'autre car l'appelante avait priorité sur son emploi du temps;

t) le travailleur a assuré les services de manière continue;

u) d'après l'entente écrite, le travailleur devait dédommager l'appelante de toute réclamation contre celle-ci, ce qui en fait un employé aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu ou de toute autre loi;

v) l'appelante exploite une entreprise de vente d'aliments apprêtés et le travailleur a été embauché pour livrer les aliments apprêtés; par conséquent, il fait partie intégrante de l'entreprise de l'appelante;

w) le travailleur ne s'est pas présenté, affiché ou décrit comme un travailleur autonome;

x) le travailleur était employé par l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services.

[2] J'inclus également une copie de l'entente versée au dossier de la Cour :

CONDITIONS GENERALES DES LIVREURS CONTRACTUELS

1. Chaque livreur recevra, 2,40 $ par livraison, c'est a dire pour chaque adresse différente. Chaque pizza sera confié au livreur au prix du client pour livraison à celui-ci aux prix établis régulièrement par Pizza Hut.

2. Chaque livreur sera responsable pour la perte ou les dommages causés aux pizzas, une fois que celles-ci lui auront été confiées part le poste de remise des pizzas.

3. Il est convenue que le coût de toute pizza offerte gratuitement suite à un délai de livraison dépassant 30 minutes, si cela ne peut être imputé au livreur, sera absorbé par le restaurant qui l'expédie.

4. Chaque livreur sera libre d'établir son propre horaire de travail. Si toutefois un livreur ne peut se présenter au travail comme convenu, il doit en aviser le gérant(e) ou toute personne responsable du restaurant aussitôt que possible pour que celui-ci trouve un remplaçant.

5. Chaque livreur doit fournir son propre véhicule et se charger des dépenses d'essence, d'assurance, réparation, etc.

6. Chaque livreur doit porter son uniforme au complet soit le chandail, la casquette et si nécessaire, le manteau durant le travail, sans aucune considérations.

7. Pizza Hut ne fournira pas au livreur de fonds de caisse.

8. Le livreur doit effectuer son travail de livraison de façon courtoise.

9. Les livraisons seront confiées au livreur selon la méthode du premier entré, premier servi.

10. Le livreur n'est pas tenu de demeurer au restaurant lorsqu'il attend une livraison, mais est libre d'aller et de venir. Il ne doit toutefois, en aucune temps, entrer à la cuisine.

11. Le livreur n'est pas tenu de poinçonner une carte de temps.

12. Il est entendu que le livreur garde tous les pourboires des clients, et il doit les déclarés aux différents gouvernements selon sa discrétion.

13. (a) Il est convenu que le livreur n'est pas sujet aux contrôles et à la direction de Pizza Hut quant à concerne les méthodes de livraison, mais que le livreur est un entrepreneur indépendant et ne doit en aucun cas être considéré comme employé de Pizza Hut ou bénéficier des droits et privilèges de Pizza Hut ou de ses employés.

(b) Le livreur convient par les présentes d'indemniser Pizza Hut de toutes les demandes d'indemnité, revendications au causes d'actions fondés sur la loi de l'impôt sur le revenue ou une autre loi à l'égard d'une obligation de la part de Pizza Hut de verser des cotisations, faire des remises pour retenir des intérêts ou pénalités s'y rapportant en raison du fait que le livreur est considéré comme un employé de Pizza Hut.

14. Pizza Hut peut mettre fin à la présente entente immédiatement et sans avis préalable advenant le cas où un livreur contractuel viole à l'encontre l'une des clauses ci-haut mentionnées. Chacune des parties peut également mettre fin à l'entente à volonté à condition d'envoyer un avis écrit d'une semaine.

15. Il est convenu que le livreur est un entrepreneur indépendant (travailleur autonome), et ne doit en aucun cas être considéré comme un employé de Pizza Hut (Les Restaurants Masalit, Inc.).

Fait à Sherbrooke, ce 21ième

jour du mois de juin

1996.

______________________ _______________________

Livreur Contractuel Gérant(e) du Restaurant

Les Restaurants Masalit sont un usager autorisé du

marque déposée de Pizza Hut

[3] M. Thompson a témoigné pour le compte de sa compagnie. Plus particulièrement, il a fait des observations au sujet des alinéas i), j), k), m), o), s) et v) de la réponse à l'avis d'appel reproduite ci-dessus. Il a soutenu que le “ chandail, la casquette et le veston ” (alinéa i)) visaient à indiquer que le livreur venait de l'établissement commercial de l'appelante — pour des raisons de sécurité, plutôt qu'à titre de “ représentant ” de l'appelante, pour faire la publicité ou la promotion de l'entreprise de celle-ci. Concernant l'horaire de travail (alinéa j)), celui-ci était tout simplement affiché une fois que chaque livreur avait choisi et organisé son horaire, du moins celui qu'il souhaitait obtenir. La société appelante “ n'établissait ” pas les horaires; et les journées ou les heures où le travailleur n'était pas censé être disponible, il était libre de faire ce qu'il voulait, y compris effectuer des livraisons pour d'autres entreprises. Au sujet de l'alinéa k), le travailleur pouvait se faire remplacer s'il n'était pas disponible. Dans ce cas, l'appelante ne voulait pas en être informée — toutefois, si le travailleur ne pouvait pas trouver de remplaçant, l'appelante tenait alors à être prévenue afin de pouvoir prendre d'autres dispositions pour lui confier des livraisons aux moments qui lui convenaient davantage. Relativement à l'alinéa m), le travailleur n'était pas tenu de “ retourner ” à l'établissement de l'appelante entre les livraisons — il le faisait souvent pour des raisons pratiques, mais les communications étaient habituellement établies par téléavertisseur. Comme il est indiqué à l'alinéa o), le travailleur pliait parfois des feuillets, mais il n'était pas tenu de le faire, et il n'était pas payé pour le faire; il était payé uniquement pour les livraisons effectuées. L'appelante n'avait la priorité (alinéa s)) que les jours ou les heures où le travailleur avait accepté de travailler.

[4] Au cours du contre-interrogatoire de M. Thompson, l'avocat de l'intimé a déposé une copie de l'entente type (reproduite ci-dessus) entre l'appelante et le travailleur. Il a surtout insisté sur le port de l'uniforme (alinéa i)) et sur la question de l'intégration (alinéa v)) dans la liste tirée de la réponse à l'avis d'appel.

Argumentation

[5] M. Thompson a versé au dossier de la Cour une copie d'un appel accueilli par la Cour canadienne de l'impôt (96-1951 (UI)) Resto Vimont P.H. Inc. s/n Pizza Hut et M.R.N.. Il a soutenu que la situation en l'espèce est essentiellement la même que celle décrite dans l'affaire Resto Vimont (précitée) et que l'appel en l'instance devrait également être accueilli.

[6] L'avocat de l'intimé a cité deux autres affaires entendues par la Cour canadienne de l'impôt : 872538 Ontario Inc. c. M.R.N. [1993] (92-644(UI)) et Family Pizza Inc. c. M.R.N. [1997] (96-1971(UI)), qui ont toutes deux été rejetées en appel. L'avocat a invoqué ces affaires pour exhorter la Cour à rejeter l'appel en l'instance. Il a fait valoir que “ le chandail, la casquette et le veston ” (alinéa i)) mentionnés ci-dessus servaient à faire la promotion de l'entreprise de la payeuse et n'étaient pas fournis uniquement pour des raisons de sécurité. Cela était la preuve, à ses yeux, de l'“ intégration ” dans l'ensemble des activités, dont la livraison, comme il est en outre mentionné à l'alinéa v) ci-dessus de la réponse à l'avis d'appel.

Analyse

[7] L'appel en l'instance pourrait être qualifié d'appel courant “ sur la livraison de la pizza ”, quoique, assurément, chaque appel puisse comporter des éléments différents. Selon l'avocat de l'intimé, le facteur qui permet principalement de conclure que M. Francis Jean était un employé — plutôt qu'un entrepreneur indépendant, selon les termes de l'entente signée par l'appelante et le travailleur — est l'“ intégration ”. À ce sujet, le propos de l'avocat semble être que la livraison était un élément indispensable de l'ensemble des activités et que, par conséquent, M. Francis Jean était intégré — dans l'entreprise. J'admettrai certainement qu'il devait exister un service de livraison quelconque pour que Masalit livre des pizzas. Toutefois, s'appuyer presque uniquement sur cette partie infime des activités de l'appelante pour rejeter la version de la relation consignée dans l'entente — celle d'un entrepreneur indépendant — lorsque, manifestement, cette entente et cette relation ont été mises à exécution de la manière prévue, me semble être une extension injustifiée du facteur de l'“ intégration ” énoncé dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. [1986] 3 C.F. 553, 87 DTC 5025. J'aimerais citer à ce propos une observation faite par un juge de Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Richard Bass v. M.N.R., [1988] 1 C.T.C. 202, 87 DTC 666, à la page 669 :

Même s'il n'était pas partie intégrante des activités de la société, il était certainement un atout nécessaire et précieux.

[8] Les autres facteurs mentionnés dans l'arrêt Wiebe Door (précité), soit “ le contrôle ”, “ les instruments de travail ” et “ les chances de profit et les risques de perte ” sont, au mieux, des facteurs neutres qui, peut-être même, favorisent la thèse de l'appelante plutôt que celle de l'intimé. À mon avis, il n'y avait pas de “ contrôle ”, exception faite des communications minimales. Les “ instruments de travail ” étaient presque tous ceux du travailleur. Selon moi, il est manifeste que seul le travailleur était véritablement en mesure d'accroître son revenu (en faisant plus de livraisons) et, partant, “ ses chances de profit ou ses risques de perte ”. Je ne prétends pas un seul instant que la signature d'une “ entente d'entrepreneur indépendant ” entre les parties soit déterminante en ce qui concerne la question en litige, et j'invoque à ce propos l'affaire Manhatten Multi-Marketing Inc. c. M.R.N. [1991] (90-483(UI)) dont je cite un extrait tiré de l'affaire Bradford v. M.N.R., 88 DTC 1661, à la page 1667 :

Le principe général qui s'impose à moi dans cet appel et dans la récente jurisprudence mentionnée est que, dans un ensemble donné de circonstances où l'on trouve certaines caractéristiques de “l'employé” et de “l'entrepreneur indépendant”, quelques autres aussi qui sont plutôt ambiguës, les intentions et les objectifs des parties, s'ils sont clairement exprimés et acceptés de façon non équivoque, devraient être un facteur prédominant dans la décision de la Cour.

Dans Multi-Marketing (précité), le juge faisait également l'observation suivante :

Quoique je n'aille pas jusqu'à affirmer que l'intention en l'espèce est un facteur prédominant, c'est le facteur qui fait pencher la balance en faveur de l'appelante.

[9] Je serais certainement d'accord pour dire que l'adjectif “ prédominant ” est peut-être quelque peu exagéré, mais je ne crois pas qu'une entente écrite devrait être jugée sans importance —, elle devrait être prise au sérieux. J'ajouterai que cette façon de voir les choses me semble compatible avec l'analyse classique à laquelle procède le juge Stone, de la Cour d'appel fédérale, à la page 239 de l'arrêt M.N.R. v. Emily Standing, 147 N.R. 238 :

Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égard aux circonstances entourantes [sic] appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door.

J'insiste sur l'emploi par le juge de l'expression “ du simple fait ” ci-dessus pour rejeter de façon claire et avisée le fait que, dans la décision antérieure de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Emily Standing (90-69(UI)), on avait accordé trop d'importance à l'entente entre les parties, sur laquelle on s'était même appuyé directement.

[10] Ayant fait les observations préliminaires qui précèdent, j'en viens à la jurisprudence invoquée (et citée ci-dessus) par les parties à l'appel en l'instance. Je constate qu'il s'agit de décisions contradictoires de la Cour canadienne de l'impôt sur des faits fondamentaux qui, à première vue, semblent identiques. J'entends me limiter à ces trois affaires — quoique j'admette qu'il y en a probablement beaucoup d'autres qui pourraient être citées. Dans l'affaire Resto Vimont (précitée), le juge, qui a procédé à un examen détaillé, a relevé les points suivants :

(1) il a déposé sous la cote A-1 un contrat de travail écrit;

(2) il devait posséder sa propre voiture;

(3) sa seule fonction était de livrer des pizzas;

(4) il pouvait demander à un autre livreur de le remplacer lorsqu'il ne pouvait pas faire les livraisons;

(5) il gagnait plus d'argent en travaillant plus fort;

(6) le travail des livreurs de pizzas était différent de celui des employés ordinaires, qui devaient régulièrement exécuter toutes sortes de tâches pour la payeuse;

(7) il avait dû souscrire une assurance spéciale sur sa voiture;

(8) il travaillait en moyenne vingt-cinq (25) heures par semaine;

(9) le gérant de la payeuse était chargé d'établir les horaires de travail de tous les livreurs;

(10) les employés prenaient les commandes — les livreurs faisaient la livraison des pizzas;

(11) les livreurs étaient payés à la fin de la journée, sans aucune retenue à la source.

[11] Une fois ces facteurs établis dans l'affaire Resto Vimont (précitée), le juge a résumé la situation de la manière suivante :

Les livreurs en l'espèce, contrairement aux employés ordinaires de la compagnie appelante, ne sont pas assujettis à un contrôle une fois qu'ils ont accepté de travailler pour l'appelante et de porter l'uniforme de celle-ci et que les horaires de travail ont été établis par le gérant. Ils sont propriétaires de l'instrument de travail et assument toutes leurs dépenses. Ils peuvent réaliser des bénéfices ou subir des pertes et leur activité de livraison de pizzas n'est pas intégrée dans l'entreprise étant donné qu'elle ne représente que dix pour cent du chiffre d'affaires de la compagnie.

[12] J'aurais de la difficulté à faire la distinction entre l'un ou l'autre des onze éléments relevés dans l'affaire Resto Vimont (précitée) ci-dessus et les éléments semblables dans l'appel en l'instance. En réalité, le fait qu'en l'espèce les livreurs exerçaient, semble-t-il, plus de contrôle sur leur emploi du temps parce qu'ils participaient directement à l'établissement de leur horaire de travail, alors que, dans l'affaire Resto Vimont (précitée), les horaires étaient établis par les gestionnaires, pourrait favoriser encore davantage la thèse de l'appelante.

[13] J'examinerai de la même manière les deux affaires contradictoires qui ont été citées — Family Pizza (précitée) et 872538 Ontario (précitée) — en insistant sur tout élément significatif qui semble en contradiction avec les circonstances de l'affaire Resto Vimont (précitée) énumérées ci-dessus. Je commence par l'affaire Family Pizza :

(1) il y a une personne qu'on appelle le chauffeur principal. C'est lui qui dirige les autres chauffeurs et qui organise les équipes des différents quarts de travail;

(2) [les chauffeurs] doivent acheter à FPI un uniforme qui les désigne comme des représentants de Family Pizza Inc. Ils doivent aussi fixer sur leur véhicule une enseigne Family Pizza, fournie sans frais par l'appelante;

(3) ils ont mis leur argent en commun pour louer un téléavertisseur;

(4) il lui [le gérant] importait peu que les chauffeurs fassent aussi de la livraison pour d'autres entreprises, dans la mesure où ils ne portaient pas à ce moment-là un uniforme Family Pizza.

[14] Dans l'affaire Family Pizza (précitée), le juge a conclu ce qui suit :

[...] les chauffeurs [...] faisaient partie intégrante de l'entreprise de l'appelante parce que la livraison des produits tenaient de la nature même de la formule commerciale de FPI.

[15] J'ai précisé un peu plus tôt que j'hésitais à invoquer le facteur de l'“ intégration ” en m'appuyant sur ce seul raisonnement. J'admets toutefois que, dans l'affaire Family Pizza (précitée), la prise en considération du rôle du chauffeur principal (mentionné ci-dessus) peut justifier le règlement différent; la situation n'est toutefois pas la même dans l'appel en l'instance.

[16] J'en viens maintenant à l'affaire 872538 Ontario (précitée) —

(1) on lui [le livreur] garantissait quatre livraisons à l'heure;

(2) chaque livreur [...] indiquait [sur le calendrier] les périodes de la semaine pendant lesquelles il ne serait pas disponible pour travailler. Le samedi, le propriétaire de l'appelante établissait l'horaire des postes de travail de la semaine suivante [et] l'affichait;

(3) un client qui, après avoir commandé une pizza de l'appelante, ouvre sa porte au livreur, peut voir que celui-ci porte une casquette et un veston Pizza Pizza. Une enseigne de Pizza Pizza est installée sur le véhicule de livraison et la commande se trouve dans un emballage isolant Pizza Pizza, qui appartient à l'appelante.

[17] En s'appuyant sur ce qui précède et après avoir examiné les autres points, le juge a conclu ce qui suit :

l'appelante exerçait un contrôle sur les livreurs;

chaque livreur était propriétaire des instruments de travail;

la seule façon pour un livreur de gagner plus d'argent qu'un autre est d'avoir un véhicule économique et d'effectuer ses livraisons plus rapidement — l'entreprise était la pizzeria de l'appelante. M. Thompsett [le livreur] n'exploitait pas une entreprise de livraison de marchandises. Il livrait des pizzas pour l'appelante. Il ne pouvait pas livrer de pizzas préparées par d'autres pizzerias.

Le juge a conclu en ces termes :

Compte tenu de tous les éléments de preuve [...] je suis convaincu qu'il est question [...] d'un contrat de louage de services.

Conclusions concernant l'appel en instance

[18] Comme je l'ai indiqué un peu plus tôt, les conditions qui régissaient la relation entre l'appelante et les travailleurs dans le présent appel sont en tous points semblables à celles décrites dans l'affaire Resto Vimont (précitée); en fait, elles favorisent même un peu plus l'appelante. À mes yeux, le contrat écrit entre l'appelante et les travailleurs — Family Pizza (précitée) et 872538 Ontario (précitée) — n'a pas joué en faveur des appelantes, ou du moins n'a pas été suffisant pour annuler l'effet des différents facteurs sur lesquels le ministre s'était appuyé pour établir ses évaluations. Par contre, c'est l'un des principaux points relevés par le juge dans l'affaire Resto Vimont (précitée). Je suis d'avis qu'un tel contrat écrit, signé par deux parties sans lien de dépendance, sans indication aucune de coercition, dont les principales dispositions ont par la suite été appliquées, devrait au moins servir de fondement pour établir l'existence de la relation qui y est décrite, la Cour se réservant toujours le droit de procéder à un examen critique de l'ensemble de la relation.

[19] Étant donné que l'entente conclue entre l'appelante et les travailleurs en l'instance semble claire et non équivoque et qu'elle semble avoir été scrupuleusement respectée, je ne peux la juger sans importance lorsqu'il n'existe à peu près rien pour en contredire les modalités. L'intimé peut être fondé dans certaines circonstances de qualifier les travailleurs d'“ employés ”, mais, pour que je fasse abstraction des conditions élémentaires de la relation dont on a fait la preuve et soutenu l'existence en l'espèce, il me faudrait plus d'éléments de preuve qu'on m'en a fournis en l'espèce. Il ne s'agit pas d'un appel fondé sur l'alinéa 3(2)c) de la Loi, délimitant clairement le rôle de la Cour, mais simplement d'un appel d'une évaluation établie aux termes du paragraphe 3(1) de la Loi nécessitant une décision fondée sur le droit et sur les faits.

[20] Les principaux facteurs qui m'incitent à conclure que le travailleur en l'espèce est un entrepreneur indépendant, compte tenu de la preuve fournie, sont les suivants :

(1) le libellé général de l'entente écrite;

(2) la relation, qui est compatible avec cette entente;

(3) la nature apparemment indépendante de la relation

- le ramassage et la livraison des pizzas étaient des activités extérieures et secondaires eu égard aux principales fonctions de l'établissement;

- le contrat qui stipulait que : “ Chaque livreur pourra établir son propre horaire de travail ”;

- il n'était pas tenu de poinçonner une carte de temps;

- aucune autre fonction n'était attribuée ou requise;

- il pouvait se faire remplacer par un autre livreur;

- il n'était pas tenu de demeurer à l'établissement entre les livraisons (téléavertisseur).

(4) L'horaire de travail

- il participait directement à l'établissement de son horaire.

(5) Le paiement

- il était payé à la fin de chaque journée, ce qui dégageait ainsi chaque partie de toute responsabilité ultérieure;

- aucune retenue n'était faite sur sa paye;

- la payeuse ne faisait aucune remise au titre des avantages sociaux.

(6) À l'exception des vêtements aux couleurs de Pizza Hut — qui, selon M. Thompson, devaient être portés pour des raisons de sécurité, le conducteur fournissait tous les “ instruments de travail ” nécessaires — dont un téléavertisseur, une voiture et une assurance spéciale pour la voiture. La “ sécurité ” s'entendait de celle du client, pour que ce dernier ne paie pas par erreur la pizza d'un autre établissement, dans ce milieu très compétitif, aux dires de M. Thompson. Pour les besoins de la cause uniquement, j'ajouterais que l'intimé n'a appelé personne pour réfuter ce témoignage de M. Thompson.

[21] Avant de terminer, j'aimerais revenir à la réponse à l'avis d'appel (citée précédemment), et plus particulièrement aux alinéas m), v) et w).

Alinéa m)

[TRADUCTION]

pendant les heures de pointe, le travailleur était tenu de retourner à l'établissement de l'appelante entre les livraisons;

D'après le témoignage que j'ai entendu, souvent le travailleur, dans son propre intérêt — pour obtenir autant de livraisons que possible — retournait de sa propre initiative à l'établissement. Je ne considère pas que cette situation soit déterminante, qu'elle soit même révélatrice d'une relation employeur-employé.

Alinéa v)

[TRADUCTION]

l'appelante exploite une entreprise de vente d'aliments apprêtés et le travailleur a été embauché pour livrer les aliments apprêtés; par conséquent, il fait partie intégrante de l'entreprise de l'appelante;

J'ai indiqué que la conclusion tirée dans l'affirmation ci-dessus ne concorde pas avec les faits de la relation et que “ l'intégration ” est une extension non justifiée de ces faits.

Alinéa w)

[TRADUCTION]

le travailleur ne s'est pas présenté, affiché ou décrit comme un travailleur autonome;

Dans les circonstances, il n'avait à mon avis aucune bonne raison de le faire. Il pourrait sembler que l'intimé préfère ne faire entrer dans la catégorie des “ entrepreneurs indépendants ” que les particuliers qui exploitent des entreprises à une échelle plus grande et plus facile à saisir. Je ne suis pas d'accord avec cette façon de voir, et les exigences ainsi que la complexité de l'exploitation d'une petite entreprise personnelle de nos jours devraient être comprises et acceptées.

[22] Pour étayer ce point de vue, j'aimerais citer un extrait de la décision rendue dans l'affaire Ranger c. Canada (M.R.N.) [1997], A.C.F. No 891 :

Dans Wiebe Door Services Ltd., [Voir Note 1 ci-dessous] notre Cour s'est penchée sur les critères devant être appliqués afin de déterminer l'existence d'un contrat de louage de services par opposition à un contrat d'entreprise. Se basant sur le jugement de Lord Wright dans Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., notre Cour a identifié quatre facteurs dans l'appréciation des divers éléments qui composent la relation employeur-employé, notamment le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les risques de perte et les chances de profit, auxquels s'ajoute le degré d'intégration des activités de l'employé dans l'entreprise de l'employeur. Ces critères, comme le soulignait récemment notre Cour dans Charbonneau, [Voir Note 2 ci-dessous], ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ils constituent des points de repère généralement utiles à considérer sans qu'il faille, toutefois, mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles.

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Note 1 : Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. (C.A.F.), [1986] 3 C.F. 553 (le juge MacGuigan)

Note 2 : Le Procureur général du Canada c. Normand Charbonneau, [1996], (A-831-95 et A-832-95), (le juge Décary).

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Bien que le premier juge ait eu raison de ne pas considérer comme déterminants les termes du contrat qui lie la requérante et l'intimé, ces motifs révèlent une absence d'analyse globale de la relation entre la compagnie et son employé. Il n'a pas étudié les facteurs tels les chances de profit et les risques de perte et a erré en analysant l'intégration sous l'angle de l'employeur plutôt que sous celui de l'employé comme l'enseigne l'affaire Wiebe Door Services Ltd.

[23] Compte tenu de ce qui précède, et je l'avoue, après avoir accordé beaucoup d'importance à l'entente écrite qui a été mise à exécution, je suis disposé à appliquer les grandes lignes du raisonnement suivi dans l'affaire Resto Vimont (précitée) et à conclure que les circonstances décrites en l'espèce étayent beaucoup plus la prétention de l'appelante que celle de l'intimée.

[24] L'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 1999.

“ D.E. Taylor ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de mai 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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