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Date: 19990216

Dossier: 97-753-UI

ENTRE :

CARYL NEGRI,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

DIAMOND AUTO COLLISION INC.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] L'appel a été entendu à Toronto (Ontario) le 22 octobre 1998.

[2] L'appelante interjette appel du règlement d'une question daté du 6 février 1997 par lequel le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a déterminé que l'emploi qu'elle a exercé chez Diamond Auto Collision Inc. (la « compagnie » ) du 1er août 1995 au 12 janvier 1996 n'était pas un emploi assurable aux termes de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après appelée la « Loi » ). Le motif du règlement était le suivant :

[TRADUCTION]

[...] votre emploi était exclu des emplois assurables parce que vous aviez un lien de dépendance avec Diamond Auto Collision Inc. et vous n'étiez pas réputée ne pas avoir de lien de dépendance avec celle-ci.

[3] Les faits établis révèlent que l'appelante est la belle-soeur de Gregorio Pannia, qui détenait à l'époque pertinente toutes les actions en circulation de la compagnie. Ainsi, en vertu de l'article 3 de la Loi et du paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en tant que personnes liées l'appelante et Gregorio Pannia sont, en droit, réputés avoir entre eux un lien de dépendance. Il s'ensuit que, sous réserve de l'exception énoncée au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, l'emploi en cause est un « emploi exclu » , c'est-à-dire que ce n'est pas un emploi qui donne lieu au paiement de prestations d'assurance-chômage lorsqu'il prend fin. Le ministre a déterminé que l'emploi en cause n'était pas visé par l'exception, et l'appelante a interjeté appel de cette décision.

Le droit

[4] Dans le régime établi en vertu de la Loi, le législateur a prévu que certains emplois sont assurables, donnant lieu au versement de prestations à la suite de leur cessation, et que d'autres sont « exclus » , ne donnant pas droit à des prestations à la suite de leur cessation. L'emploi résultant d'un contrat de travail conclu entre personnes traitant ensemble avec lien de dépendance entre dans la catégorie des « emplois exclus » . Les beaux-frères et les belles-soeurs sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance suivant le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui régit la situation. De toute évidence, ces dispositions visent à éviter d'avoir à payer une multitude de prestations sur le fondement de conventions de travail factices ou fictives.

[5] La rigueur desdites dispositions est cependant atténuée par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, qui prévoit que l'emploi, lorsque l'employeur et l'employé sont des personnes liées entre elles, est réputé être exercé sans lien de dépendance et doit par conséquent être considéré comme un emploi assurable, s'il satisfait à toutes les autres exigences, c'est-à-dire, si le ministre est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances (dont celles qui sont énoncées), qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu (dans les faits) un lien de dépendance. Il serait peut-être utile de reformuler la façon dont je comprends ce sous-alinéa. Aux termes de la Loi, les personnes liées entre elles ne peuvent réclamer de prestations d'assurance-chômage à moins que le ministre soit convaincu que le contrat de travail est en fait le même que celui qu'auraient conclu des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes qui n'ont manifestement pas de lien de dépendance. S'il s'agit d'un contrat de travail à peu près semblable, le législateur a jugé qu'il devrait en toute équité être inclus dans le régime. Toutefois, c'est le ministre qui décide. S'il n'est pas convaincu qu'un contrat à peu près semblable aurait été conclu en l'absence d'un lien de dépendance, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit à des prestations.

[6] L'article 61 de la Loi porte sur les appels au ministre et sur le règlement de questions par lui. Aux termes du paragraphe 61(6) :

[...] le ministre doit, avec toute la diligence voulue [...] régler la question soulevée par la demande [...]

[7] Le ministre n'a donc pas le pouvoir discrétionnaire de décider de régler la question ou de ne pas la régler. La Loi l'oblige à la régler. S'il n'est pas convaincu, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit aux prestations. Si, cependant, il est convaincu, sans plus de cérémonie et sans prise d'aucune mesure par le ministre (si ce n'est la communication de la décision), l'employé devient admissible à des prestations, à condition qu'il soit par ailleurs admissible. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire en ce sens que, s'il est convaincu, le ministre peut alors juger que l'emploi est assurable. Il doit « régler la question » et, selon ce qu'il décide, l'emploi est réputé, en droit, soit comporter un lien de dépendance, soit ne pas en comporter. En ce sens, le ministre n'a pas à proprement parler de pouvoir discrétionnaire car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n'est pas libre de son choix. Il ressort des différentes décisions de la Cour d'appel fédérale sur cette question que le même critère s'applique à une myriade d'autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans nombre de domaines différents. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada v. Jencan Ltd. (1997), 215 N.R. 352, et Her Majesty the Queen v. Bayside Drive-in Ltd. (1997), 218 N.R. 150.

[8] Le rôle de la Cour, dans le cadre d'un appel, est donc de contrôler la décision du ministre et de déterminer s'il y est arrivé légalement, c'est-à-dire conformément à la Loi et aux principes de justice naturelle. Dans l'arrêt Her Majesty the Queen v. Bayside et al., précité, la Cour d'appel fédérale a relevé certaines questions à considérer par la Cour canadienne de l'impôt lorsqu'elle entend des appels de cette nature : (i) le ministre a-t-il agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié? (ii) le ministre a-t-il omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii)? ou (iii) le ministre a-t-il tenu compte d'un facteur non pertinent?

[9] La Cour d'appel fédérale a ensuite ajouté :

Ce n'est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l'on peut dire qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon contraire à la loi, et [...] que le juge de la Cour de l'impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[10] On a fait valoir que les faits énoncés sur lesquels le ministre s'est fondé étaient dans bien des cas erronés ou avaient été mal compris, et que le ministre ne disposait pas de tous les faits. Encore une fois, ce que je ne dois pas oublier en examinant ces arguments, c'est que notre Cour ne doit pas substituer sa propre opinion concernant la preuve à celle du ministre. Toutefois, si la façon dont le ministre est parvenu à sa décision était illégale dans le contexte des jugements précités, je pourrais ne pas tenir compte des parties concernées des faits énoncés et je devrais alors déterminer s'il se dégage des faits qui restent des motifs justifiant la décision. Si ces motifs sont en soi suffisants pour que le ministre parvienne à une décision, cette décision doit être maintenue, même si la Cour peut ne pas y souscrire. Si par contre, d'un point de vue objectif et raisonnable, il ne reste plus rien sur lequel le ministre pourrait légalement fonder une telle décision, celle-ci peut alors être infirmée, et la Cour peut prendre en considération la preuve qui lui a été présentée en appel et rendre sa propre décision. De même, si le ministre a omis de prendre en considération des faits pertinents dont il aurait dû tenir compte et que la décision ne peut être maintenue d'un point de vue raisonnable et objectif compte tenu de ces faits, la Cour peut là aussi intervenir.

[11] Bref, si le ministre dispose de faits suffisants pour fonder sa décision, c'est à lui qu'il appartient de la prendre et, s'il n'est pas convaincu, il n'appartient pas à la Cour de substituer sa propre opinion au sujet de ces faits et de dire que le ministre aurait dû être convaincu. De même, si le ministre est convaincu, il n'appartient pas à la Cour de substituer sa propre opinion selon laquelle il n'aurait pas dû être convaincu (scénario peu probable de toute façon). La Cour ne peut intervenir que si la décision a été prise d'une manière inappropriée et qu'elle est déraisonnable d'un point de vue objectif, compte tenu des faits qui ont été ou qui auraient dû être légitimement présentés au ministre.

[12] Mon point de vue à cet égard est appuyé par un certain nombre de décisions rendues par différentes cours d'appel canadiennes et la Cour suprême du Canada dans des cas connexes concernant la délivrance de divers actes de procédure en vertu du Code criminel, qui ont par la suite été examinés par les tribunaux et qui, à mon avis, sont analogues à la situation en l'espèce. La norme de contrôle en ce qui concerne la validité d'un mandat de perquisition a été énoncée par le juge Cory de la Cour d'appel (tel était alors son titre) dans l'arrêt Times Square Book Store, Re (1985) 21 C.C.C. (3d) 503 (C.A.), où il a dit qu'il n'appartient pas au juge qui effectue le contrôle d'examiner ou considérer de novo l'autorisation relative à un mandat de perquisition et que ledit juge ne saurait substituer sa propre opinion à celle du juge qui a décerné le mandat. Il s'agit plutôt, dans le cadre d'un contrôle, de déterminer d'abord s'il existait ou non une preuve sur la foi de laquelle un juge de la paix, agissant de façon judiciaire, pouvait conclure qu'il y avait lieu de décerner un mandat de perquisition.

[13] La Cour d'appel de l'Ontario a repris et développé ce point de vue dans l'arrêt R. v. Church of Scientology of Toronto and Zaharia (1987), 31 C.C.C. (3d) 449 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée. En indiquant que le tribunal qui effectue le contrôle devrait examiner [TRADUCTION] « l'ensemble des circonstances » , la Cour d'appel a dit à la page 492 :

[TRADUCTION]

De toute évidence, s'il n'y a pas de preuve sur laquelle appuyer une telle conviction (qu'une infraction criminelle a été commise), on ne peut dire que, dans ces circonstances, le juge de paix devrait être convaincu. Il y aura cependant des cas où une telle preuve (établissant des motifs raisonnables de croire) existera bel et bien et où le juge de paix pourrait être convaincu, mais où il ne le sera pas et n'exercera pas son pouvoir discrétionnaire en décernant un mandat de perquisition. Dans de telles circonstances, le juge qui effectue le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix aurait dû être convaincu et qu'il aurait dû décerner le mandat. De même, si, dans de telles circonstances, le juge de paix dit qu'il est convaincu, et s'il décerne le mandat, le juge qui effectue le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix n'aurait pas dû être ainsi convaincu.

[14] La Cour suprême du Canada a approuvé cette approche dans l'affaire R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421. Traitant de la question du contrôle d'une décision d'autoriser l'écoute électronique, feu Monsieur le juge Sopinka a dit :

Bien que le juge qui exerce ce pouvoir relativement nouveau ne soit pas tenu de se conformer au critère de l'arrêt Wilson, il ne devrait pas réviser l'autorisation de novo. La façon appropriée est établie dans les motifs du juge Martin en l'espèce. Il affirme [...] :

[TRADUCTION] Si le juge du procès conclut, d'après les documents dont disposait le juge ayant accordé l'autorisation, qu'il n'existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l'autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la fouille, la perquisition ou la saisie contrevient à l'art. 8 de la Charte.

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l'autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision, conclut que le juge qui a accordé l'autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d'être nécessaires à la révision leur seul effet est d'aider à décider s'il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l'autorisation.

[15] Cette approche semble avoir été adoptée par presque tous les tribunaux d'appel canadiens. (Voir R. v. Jackson (1983), 9 C.C.C. (3d) 125 (C.A. C.-B.); R. v. Conrad et al. (1989), 99 A.R. 197, 79 Alta. L.R. (2d) 307, 51 C.C.C. (3d) 311 (C.A.); Hudon v. R. (1989), 74 Sask. R. 204 (C.A.); R. v. Turcotte (1988), 60 Sask. R. 289, 39 C.C.C. (3d) 193 (C.A.); R. v. Borowski (1990), 66 Man. R. (2d) 49, 57 C.C.C. (3d) 87 (C.A.); Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres (1991), 41 Q.A.C. 254 (C.A.); Société Radio-Canada v. Nouveau-Brunswick (Procureur général) et autres (1991), 104 R.N.-B. (2e) 1, 261 A.P.R. 1, 55 C.C.C. (3d) 133 (C.A.); R. v. Carroll and Barker (1989), 88 N.S.R. (2d) 165, 225 A.P.R. 165, 47 C.C.C. (3d) 263 (C.A.), et R. v. MacFarlane (K.R.) (1993), 100 Nfld. & P.E.I.R. 302, 318 A.P.R. 302, 76 C.C.C. (3d) 54 (C.A. Î.-P.-É.).) Il me semble s'agir d'une approche qui s'applique très bien au contrôle du règlement d'une question par le ministre, qui constitue lui aussi une décision quasi judiciaire.

Première étape - Analyse de la décision du ministre

[16] J'examinerai maintenant en détail la contestation de la décision du ministre par l'appelante. Les faits sur lesquels le ministre se serait fondé sont énoncés dans la réponse à l'avis d'appel comme suit :

[TRADUCTION]

le payeur a été constitué en société le 6 mars 1987;

le payeur exploite une entreprise de réparation d'automobiles et de remorquage;

l'unique actionnaire du payeur est Gregorio (Greg) Pannia;

l'appelante est la belle-soeur de l'actionnaire;

l'appelante a été engagée comme assistante du chef de bureau, Lori Pannia, sa soeur;

l'appelante avait pour fonctions de recueillir auprès des chauffeurs les feuilles de contrôle des remorquages et de les mettre ensemble avec les demandes correspondantes de remorquage faites par les différentes associations ou par des particuliers ou faites relativement à des accidents, et d'accomplir diverses tâches de bureau;

le taux de rémunération de l'appelante était de 650 $ par semaine, peu importe le nombre d'heures travaillées;

l'appelante travaillait de 28 à 30 heures par semaine;

le taux de rémunération d'environ 22 $ l'heure est excessif pour ce type de travail;

le salaire excessif est inconciliable avec l'existence d'un contrat de travail conclu entre des parties n'ayant entre elles aucun lien de dépendance;

l'appelante a eu un bébé en avril 1995, est allée travailler pour le payeur au mois d'août 1995 et a demandé un congé parental après avoir travaillé les 21 semaines requises pour être admissible aux prestations d'assurance-chômage;

aucun autre travailleur n'a été engagé par le payeur pour exécuter les tâches de l'appelante avant et après la période en question;

le prétendu engagement de l'appelante pour le nombre exact de semaines requises pour être admissible aux prestations d'assurance-chômage alors qu'il n'y avait besoin d'engager personne pour fournir les prétendus services avant et après la période en question est inconciliable avec l'existence d'un contrat de travail conclu entre des parties n'ayant entre elles aucun lien de dépendance;

l'appelante est liée au payeur au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

[...]

[17] L'appelante admet les allégations énoncées aux alinéas 4a), b), c) et d). Elle nie le reste des allégations en tout ou en partie.

[18] Seule l'appelante a témoigné à l'audition de l'appel. Elle a expliqué qu'elle avait une vaste expérience dans l'administration de petits bureaux d'affaires et elle a produit des références louangeuses pour l'attester. Elle a donné naissance à son deuxième enfant en avril 1996, après environ quatre ans d'absence du marché du travail. Son beau-frère était propriétaire-exploitant d'une entreprise de remorquage et de réparation de carrosserie. Il lui a proposé, environ quatre mois après la naissance de son deuxième enfant, qu'elle travaille pour lui dans son entreprise. À peu près au même moment, l'époux de l'appelante a été blessé dans un accident, ce qui leur a causé des difficultés financières. Bien que la soeur de l'appelante travaillât pour son époux, M. Pannia, selon la description donnée dans la preuve l'entreprise se trouvait dans un état de chaos total. Le beau-frère de l'appelante était bon chauffeur de camion et réparateur de carrosserie, mais, pour l'organisation de ses affaires commerciales, il était nul. Son épouse, la soeur de l'appelante, était trop occupée à veiller aux activités quotidiennes, notamment à l'envoi des dépanneuses, pour effectuer efficacement les tâches administratives. En conséquence, dans bien des cas, les services de dépanneuse n'étaient pas facturés tandis que, dans d'autres cas, les chauffeurs facturaient à l'entreprise deux ou trois fois un voyage de dépanneuse. Il y avait donc des boîtes et des boîtes de choses à classer et à régler.

[19] En un sens, les allégations faites aux alinéas 4 e) et f) sont exactes, mais elles sous-estimaient complètement l'étendue et le volume du travail que l'appelante devait entreprendre et auquel elle a apporté ses immenses compétences en administration et en secrétariat.

[20] De même, si l'appelante a admis dans une certaine mesure les allégations énoncées aux alinéas 4 g), h) et i), elle a de nouveau souligné qu'en disant « peu importe le nombre d'heures travaillées » et « 22 $ l'heure est excessif » , ces allégations ne tenaient pas compte de l’énormité du travail qu'elle effectuait, de son niveau de compétence, de la valeur de son travail pour l'entreprise, du fait que sa soeur touchait un salaire comparable, qu'elle-même avait touché le même montant quatre ans auparavant dans son ancien emploi de bureau, et qu'elle apportait fréquemment du travail à la maison pour faire plus que les quatre jours par semaine qu’elle travaillait régulièrement au bureau. Elle a signalé également que, puisqu'elle touchait un salaire, elle ne s'attendait pas à devoir consigner ses heures travaillées.

[21] En ce qui concerne l'allégation énoncée à l'alinéa 4 l), l'appelante a déclaré que le chaos avait pris de l'ampleur avant qu'elle arrive parce que son beau-frère persistait à croire qu'il s'en occuperait un jour, mais il n'y est jamais arrivé. L'appelante a quitté son emploi en janvier 1996 parce que son bébé souffrait d'otites et que, pendant qu'elle essayait de faire face à la situation créée par les blessures de son époux, les choses s'étaient accumulées chez eux. Elle n'avait pas prévu prendre le congé en question lorsqu'elle avait commencé à travailler, mais, en janvier, elle a estimé qu'elle en avait besoin. Elle n’envisageait pas un long congé et elle parlait fréquemment à son beau-frère de son retour prochain au travail. Ce dernier n'a donc cherché personne pour la remplacer. Puis l'appelante a souffert d'une dépression pour laquelle elle a dû prendre des médicaments et dont elle a mis un certain temps à se remettre. Elle est cependant retournée au travail au mois d'août suivant et elle y est restée pendant un an.

[22] L'appelante a vivement contesté l'allégation implicite, faite aux alinéas 4 k) et m) de la réponse à l'avis d'appel, qu'elle s’était délibérément proposé de travailler pendant un certain temps simplement pour obtenir des prestations de maternité.

[23] Il me semble que, ce qui n’a pas été pris en considération dans l'examen des faits par le ministre, c'est l’énormité du travail entrepris, les compétences que l'appelante a apportées à ce travail, les véritables raisons pour lesquelles elle a quitté son emploi quand elle l’a fait et pour lesquelles elle n'est pas revenue peu de temps après comme prévu, la valeur de son travail pour l'entreprise et, tout simplement, la sincérité de l'appelante, qui, manifestement, ne se dégage pas des faits tels qu'ils ont été présentés. En fait, l’enquêteur qui a établi l'énoncé des faits pour le ministre a vu ces faits d’un très mauvais oeil et a donné clairement, sur papier, l'impression préjudiciable que toute cette affaire était une sorte de stratagème visant à obtenir des prestations de maternité, alors qu'en fait il n'en était rien.

[24] Je crois fermement que, si le ministre avait connu tous ces faits et qu'il avait été conscient de l’incontestable sincérité de l'appelante, il n'aurait pu, d'un point de vue objectif et raisonnable, légalement arriver à la décision qu'il a prise. Ces faits étaient tous pertinents et ils ne lui ont pas été soumis. En outre, il y avait un élément de partialité dans les faits présentés au ministre et dans le langage utilisé. La décision du ministre doit assurément être fondée sur les simples faits, et le langage utilisé pour énoncer ces faits ne doit pas exprimer, explicitement ou implicitement, l'opinion de l’enquêteur. Par conséquent, la décision du ministre ne peut être maintenue en droit, et je dois maintenant passer à la deuxième étape de l'appel et déterminer si, vu l'ensemble de la preuve, l'appelante et la compagnie auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu de lien de dépendance, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles énoncées explicitement à l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

Deuxième étape - Examen de la preuve

[25] J'ai été fortement impressionné par le témoignage de l'appelante. Elle m'a paru très honnête et sincère et je n'ai pas la moindre difficulté à accepter la totalité de son témoignage. Elle a expliqué de façon détaillée et complète ce qui s'était produit. L'avocat du ministre lui a posé des questions sur le temps qui s'était écoulé avant que certains de ses chèques de paie soient déposés. Ses explications m'ont semblé tout à fait normales et raisonnables. Il n'y a pas eu de retards démesurément longs à cet égard. L'appelante a expliqué en des termes clairs quelles étaient ses fonctions et responsabilités, pourquoi elles valaient le salaire qu'elle touchait et pourquoi ce salaire ne pouvait être jugé excessif comparativement à ce qu'elle avait gagné quatre ans auparavant pour un emploi de bureau. Elle a expliqué pourquoi elle avait quitté son emploi et pourquoi elle avait mis tant de temps à retourner au travail. Elle a demandé des prestations de maternité, comme, à mon avis, elle avait le droit de faire, et rien n'indique qu'il s'agissait d’une espèce de stratagème, si ce n'est que l'appelante a travaillé le nombre de semaines minimum requis avant d'arrêter et de demander des prestations. Il n'y a rien dans la loi qui lui interdit d'organiser ses affaires ainsi, tant que l'entente est un contrat de travail véritable, ce dont je suis parfaitement convaincu. La question est donc alors de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances énoncées dans la Loi, l'appelante et la compagnie auraient conclu une entente à peu près semblable si elles n'avaient pas eu de lien de dépendance. Je n'ai aucune hésitation à conclure qu'elles l'auraient fait. L'appelante représentait clairement un atout pour l'entreprise et elle méritait amplement le salaire qui lui était versé. Celui-ci était comparable à celui que sa soeur touchait et à celui qu'elle-même avait gagné dans un emploi de bureau analogue quelque temps auparavant. Elle a quitté son emploi pour des raisons de santé et de famille. Elle avait l'intention de retourner au travail peu de temps après, mais, encore une fois pour des raisons de santé, son retour a été retardé. C'est pour cette raison que personne n'a été engagé pour la remplacer. Elle est finalement retournée au travail et y est restée pendant un an, ce qui constitue en soi une preuve qu’il s’agissait d’un travail valable.

Conclusion

[26] Compte tenu de toute la preuve, tant orale qu'écrite, et des pièces produites, je suis tout à fait convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il s’agissait effectivement d’une entente véritable et que, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités de l'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il est raisonnable de conclure que l'appelante et la compagnie auraient conclu la même entente ou à tout le moins une entente à peu près semblable si elles n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[27] Par conséquent, l'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 16e jour de février 1999.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de novembre 1999.

Erich Klein, réviseur

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