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Date: 19990219

Dossiers: 98-486-UI; 98-84-CPP

ENTRE :

JOHN WIDDOWS S/N GOLDEN EARS ENTERTAINMENT,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

JOANNE J. FERRARI,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] L'appelant a interjeté appel à l'encontre d'une décision de l'intimé en date du 21 janvier 1998 concluant que l'intervenante, Joanne Ferrari, exerçait pour l'appelant un emploi assurable et ouvrant droit à pension au cours des périodes allant du 4 juin au 25 juillet 1996, du 27 août au 29 août 1996, du 10 septembre au 19 décembre 1996, du 7 janvier au 13 mars 1997 et du 25 mars au 5 juin 1997. La décision avait été rendue conformément à l'article 93 de la Loi sur l'assurance-emploi et au paragraphe 6(1) du Régime de pensions du Canada et elle se fondait sur l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi et sur l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage.

[2] Les parties ont convenu que l'issue de l'appel considéré en l'espèce s'appliquerait à l'appel 98-84(CPP) de l'appelant et à l'intervention de Joanne J. Ferrari dans cet appel-là.

[3] L'appelant a déclaré dans son témoignage qu'il habite à Maple Ridge (Colombie-Britannique) et que, en mars 1988, il avait commencé à exploiter une entreprise de musique sous la raison sociale de Golden Ears Entertainment. L'entreprise était exploitée dans un local d'environ 2 500 pieds carrés situé dans un centre commercial linéaire de Maple Ridge. À partir de ce local, l'appelant vendait des guitares, des tambours, des amplificateurs et des accessoires pour cuivres et instruments à vent et il louait des équipements de son et d'éclairage. De plus, les locaux comportaient des studios qui étaient utilisés pour des cours de musique relatifs à 13 instruments différents. Les leçons étaient données par divers professeurs, dont Joanne Ferrari, qui avait commencé à enseigner à Golden Ears en 1991. L'appelant a dit que les tarifs demandés pour les leçons avaient été fixés par lui et l'administratrice de l'école travaillant comme employée de Golden Ears, après consultation des professeurs. Il a dit que Mme Ferrari l'avait informé du montant qu'elle souhaitait recevoir pour ses cours et que les tarifs relatifs aux leçons étaient structurés selon la nature du programme. A été déposée sous la cote A-1 une brochure de Golden Ears Music publiée pour 1998. L'appelant a dit que la Golden Ears percevait les frais de scolarité auprès des élèves et/ou de leurs parents et que les tarifs demandés pour les leçons devaient être concurrentiels par rapport à ceux de particuliers donnant des cours dans un studio à domicile. Le taux payé à Joanne Ferrari et à d'autres professeurs était de 10 $ la demi-heure et, pour l'enseignement de la théorie, de 6 $ par élève. Les classes de théorie de la musique pouvaient compter quatre élèves et duraient une heure. Si un parent n'était pas satisfait de l'enseignement dispensé à un enfant et qu'un remboursement était accordé ou si un chèque n'était pas honoré par la banque ou encore si un paiement relatif à certaines leçons n'était pas effectué, les sommes correspondantes étaient déduites du chèque suivant versé à un professeur. L'école de musique de l'entreprise — avec 160 élèves — était gérée par l'administratrice de l'école, tandis que l'appelant se concentrait sur le commerce de détail de l'entreprise, soit la partie de l'entreprise exploitée à l'avant du magasin. L'appelant avait travaillé comme ténor avant d'ouvrir le magasin et est encore actif comme interprète. L'appelant a dit que ses locaux comportaient un studio équipé d'un piano et que, toutefois, les professeurs apportaient certains de leurs propres livres et matériel pour donner des leçons. Une des enseignantes utilisait son propre accordéon pour donner des leçons. Il y avait un horaire hebdomadaire de cours, qui variait selon les annulations et selon que des élèves arrivaient dans la région ou en partaient. Un professeur était payé uniquement si un élève avait effectivement suivi un cours et qu'un paiement avait été fait à la Golden Ears Music pour cette leçon. L'appelant a dit que l'été, sauf en août, Joanne Ferrari enseignait une ou deux heures par semaine. Toutefois, à partir de septembre, elle donnait des leçons d'une demi-heure à 33 élèves, soit 16,5 heures d'enseignement par semaine au total. Un registre des présences contenant une liste d'élèves était tenu et servait d'aide à la facturation. Les professeurs ne présentaient pas de factures à la Golden Ears, car le registre des présences était utilisé pour fins de paiement, et l'appelant a dit qu'il multipliait simplement le nombre d'heures d'enseignement d'un professeur par le taux dont il avait été convenu. A été déposé sous la cote A-2 un chèque de 335,50 $ à l'ordre de Joanne Ferrari en date du 28 novembre 1996 représentant 26 heures à 10 $ l'heure, plus 5 élèves en théorie de la musique à 6 $ et 13 enfants en découverte des arts à 3,50 $ l'élève. L'appelant a déposé — sous la cote A-3 — une lettre en date du 2 janvier 1999 dans laquelle Linda Armstrong — l'administratrice de bureau de la Golden Ears Music School — donnait des détails sur le mode de fonctionnement concernant les professeurs de musique, y compris Joanne Ferrari. L'appelant a dit que la lettre énonçait de façon exacte les politiques de son entreprise touchant les professeurs et il a ajouté que les professeurs s'occupaient des remplacements à assurer de diverses manières. Parfois, le professeur cherchait à trouver un remplaçant et, si ce n'était pas possible, l'administratrice de l'école en était avisée et c'était elle qui s'efforçait de trouver un remplaçant. L'appelant a expliqué qu'il était beaucoup plus facile de recourir à des remplaçants au début d'un programme et que, toutefois, à mesure que la relation évoluait entre le professeur et l'élève, il était plus pratique de reporter des leçons, de manière à maintenir le contact entre les parties. L'appelant a dit que l'entreprise d'enseignement de la musique exploitée par lui sous la raison sociale de Golden Ears Music School était essentiellement souple et qu'il n'était pas du genre pour qui “ ça passe ou ça casse ”. Il a dit que Joanne Ferrari enseignait à d'autres élèves chez elle et qu'elle enseignait également dans une école, ainsi que pour le service des parcs et des loisirs de Maple Ridge. La question de savoir si elle aurait pu en même temps donner des leçons de musique pour un concurrent n'avait jamais été soulevée. L'appelant a dit que l'école de musique produisait 85 000 $ de revenus sur un total de 220 000 $ et qu'il se demande actuellement s'il devrait mettre un terme à l'enseignement de la musique dans le cadre de son entreprise. Les années précédentes, le revenu provenant du commerce de détail avait été supérieur au revenu provenant de l'enseignement de la musique. L'appelant a dit qu'il n'avait jamais délivré de feuillets T4 aux professeurs et que, cependant — question de courtoisie — on leur remettait un imprimé d'ordinateur faisant état de leurs gains pour l'année précédente. Lorsque Revenu Canada a effectué une vérification, l'appelant a fourni une liste de professeurs qui avaient enseigné à des élèves à la Golden Ears Music. Joanne Ferrari avait commencé à enseigner à l'école de l'appelant en 1991 et y a travaillé jusqu'au 5 juin 1997. L'appelant a dit qu'aucun professeur n'avait jamais demandé à louer le studio séparément et qu'aucun ne voulait s'occuper de percevoir les frais de scolarité relatifs aux leçons ou s'occuper des changements d'horaires ou d'autres fonctions administratives. Il y avait trois employés, pour qui les retenues à la source habituelles étaient faites, y compris Linda Armstrong, l'administratrice de l'école. Aucun encouragement n'était offert aux professeurs pour qu'ils amènent leurs propres élèves, mais Mme Ferrari avait déclaré à la cessation de leur relation de travail qu'elle partait avec certains de ses “ élèves ”, et certains ont effectivement quitté la Golden Ears. L'appelant a dit qu'il continue d'exploiter son entreprise de la même façon et que la question de la taxe sur les produits et services ne se pose pas, les leçons de musique représentant une fourniture exonérée. Les professeurs déterminent le programme d'études conformément aux voeux des élèves et/ou des parents, et l'appelant ne se préoccupe pas de savoir quelle forme particulière d'études est entreprise par un élève. L'appelant ne fixait pas le nombre d'élèves par classe et comptait sur l'expérience professionnelle des professeurs. Bien qu'ayant fait un peu d'enseignement par le passé, il n'estimait pas être aussi qualifié que les professeurs embauchés par son école. Il considérait la relation de travail entre lui — comme propriétaire de l'entreprise — et tous les professeurs comme une relation régie par un “ accord reposant sur l'honneur ”.

[4] En contre-interrogatoire, l'appelant a dit que l'administratrice de l'école établissait un horaire hebdomadaire basé sur des leçons d'une demi-heure, ce qui était habituel dans ce domaine. Il a dit que c'était Joanne Ferrari qui avait déterminé que la durée appropriée des cours de découverte de la musique destinés à des enfants était de 45 minutes. Bon nombre des professeurs connaissaient les tarifs demandés dans d'autres écoles de musique, et l'appelant les avait consultés avant de fixer les tarifs. Pour augmenter les taux de paiement de ses professeurs, il devait accroître le tarif demandé à l'élève ou, occasionnellement, il absorbait les frais supplémentaires, même si cela avait pour effet de réduire les marges bénéficiaires. Habituellement, les parents traitaient directement avec les professeurs concernant les questions d'enseignement de la musique, mais l'appelant s'occupait de toutes les questions financières. Même si la Golden Ears vendait des livres de musique, de nombreux élèves utilisaient du matériel qui avait été acheté ailleurs. L'appelant ne fournissait aucun matériel d'enseignement à Mme Ferrari. Il a expliqué qu'il avait créé un système de fiches pour consigner les présences et qu'il avait également mis au point un processus d'évaluation pour que les parents aient de l'information quant aux progrès, mais pas en vue de déterminer le niveau des élèves. C'était un moyen de fournir de l'information aux parents, et certains professeurs utilisaient le compte rendu de progrès — pièce R-1 —, tandis que d'autres ne s'en servaient pas. L'appelant exploitait l'entreprise depuis deux ou trois ans lorsque Joanne Ferrari a été embauchée comme professeur et il n'arrivait pas à se souvenir des détails de leur rencontre. L'embauchage était pour une période indéterminée mais partait du principe que chaque année l'enseignement se terminait en juin et recommençait en septembre. L'appelant a dit qu'il ne se souvenait pas d'avoir eu des discussions avec Mme Ferrari au sujet des retenues à l'égard de l'assurance-chômage ou du Régime de pensions du Canada et que, toutefois, il était manifeste qu'aucune somme n'avait jamais été retenue à cet égard sur les chèques de Mme Ferrari. Il n'avait jamais conseillé les professeurs en matière d'impôt sur le revenu et a dit que, en 12 ans, seule Joanne Ferrari avait fini par se plaindre de l'arrangement de travail conclu avec son entreprise. Il a reconnu qu'il avait toujours eu le pouvoir de congédier Mme Ferrari et qu'il avait bel et bien mis fin à son engagement à l'école. Elle avait donné avis de son intention de partir, et un professeur avait été embauché en remplacement pour donner les cours aux quatre ou cinq élèves restants. La politique d'annulation en vigueur était que, si un élève ne se présentait pas à une séance prévue, une leçon de rattrapage était inscrite à l'horaire, et le professeur donnait ce cours sans être payé. L'école faisait appel à 10 ou 11 professeurs pour l'enseignement de la musique à environ 160 élèves. Il y a en tout sept salles qui sont utilisées pour l'enseignement. Tout au long de leur relation de travail, il n'avait jamais considéré Mme Ferrari comme une employée, malgré le fait qu'il avait utilisé ce terme en écrivant des lettres de référence — pièces R-2 et R-3 — pour Mme Ferrari lorsque cette dernière cherchait à être admise à l'Université de l'État de Washington; il ne pensait nullement utiliser le mot “ employé ” en un sens juridique, l'intention étant simplement d'aviser une partie intéressée quant aux aptitudes et aux habitudes de travail de Mme Ferrari.

[5] Lors du réinterrogatoire, l'appelant a déclaré qu'il avait payé Mme Ferrari une fois par mois pendant des années et qu'il se souvenait que, au cours d'une période de difficulté financière, un chèque n'avait pas été honoré par la banque, en septembre 1995, et Mme Ferrari avait affronté l'appelant et elle était très en colère. Ainsi, il avait commencé à la payer une fois par semaine — en argent comptant — pour les cours qu'elle donnait. L'appelant a expliqué que le problème du paiement par chèque qui s'était posé cette fois-là — ainsi qu'une autre fois — avait été corrigé rapidement et qu'elle n'avait subi aucune perte.

[6] Joanne Ferrari a déclaré que, depuis l'âge de 14 ans, elle avait travaillé comme professeur de musique. Elle avait commencé à travailler à la Golden Ears en 1990 et, avant cela, elle avait travaillé à la Coquitlam Music. Elle avait apporté un curriculum vitae au magasin de la Golden Ears après qu'elle et sa famille se furent lancées dans la construction d'une maison à Maple Ridge. Elle travaillait une journée par semaine — comme institutrice de maternelle — à une école Montessori et enseignait également la musique à des élèves chez elle. De plus, elle enseignait pour le conseil des arts de Maple Ridge, prétendument comme entrepreneur indépendant en vertu d'une convention qu'elle avait signée. Elle a dit que l'appelant l'avait informée qu'il cherchait un professeur pour faire des remplacements en l'absence d'un autre professeur mais que cela aboutirait à un poste permanent pour elle. Il l'avait avisée que la paie était de 10 $ la demi-heure et qu'elle devait produire sa déclaration de revenu en tant que travailleur indépendant. À la Coquitlam Music, elle était payée en tant qu'employée, et les retenues habituelles étaient faites sur ses chèques de paie. Sa façon de travailler aux deux endroits était fondamentalement la même, tout comme la méthode utilisée pour calculer sa paie. Elle a dit que, “ un certain nombre de fois ”, elle avait demandé à l'appelant de faire des retenues sur son chèque et qu'il avait répondu que cela nécessitait une trop grande comptabilité. Elle a dit que l'école Montessori ne faisait aucune retenue sur son chèque pour le motif qu'elle n'était que “ temporaire ” et qu'elle ne travaillait qu'un jour par semaine. Mme Ferrari a dit que les élèves étaient des élèves de la Golden Ears et que le paiement de leurs leçons était fait directement à l'école. On demandait à Mme Ferrari d'établir des comptes rendus de progrès pour ses élèves, et c'était ce qu'elle faisait. Tout au long de sa relation de travail avec la Golden Ears, elle a déclaré ses revenus en tant que travailleur indépendant, soit des revenus provenant de plusieurs sources différentes, et elle se prévalait des déductions habituelles offertes aux personnes exploitant une entreprise, y compris les déductions de certains frais relatifs à l'utilisation de son domicile pour donner des cours à des élèves. Lorsque l'appelant l'avait avisée que l'entreprise ne produisait pas suffisamment de revenus, elle avait suggéré d'organiser une classe d'initiation à la musique pour de jeunes enfants, et il avait accepté. Lorsque leur relation a pris fin, il lui a demandé de continuer un certain temps, et elle a accepté, mais il a fait en sorte qu'un nouveau professeur assiste aux cours donnés par Mme Ferrari. Un autre différend s'est ensuite posé, et elle est partie, mais sans aucun élève avec elle. Ultérieurement, lorsque des parents ont demandé qu'elle donne des cours à leurs enfants, elle l'a fait, à partir de chez elle.

[7] Contre-interrogée par l'appelant, Joanne Ferrari a dit qu'elle donne des leçons particulières actuellement, chez les élèves. Aucune retenue n'est faite sur son chèque par un payeur quelconque, et elle se considère comme un travailleur indépendant. Mme Ferrari a dit que les taux étaient fixés par l'appelant lorsqu'elle était à la Golden Ears; elle a dit qu'elle avait un diplôme de l'Université de Washington et qu'elle avait également travaillé comme institutrice de maternelle pendant 10 ans. Elle estimait que, durant ses 7 années à la Golden Ears, c'était grâce au bouche à oreille que certains élèves s'étaient inscrits à l'école de musique pour suivre des cours avec elle. Lorsqu'elle enseignait pour le conseil des arts, elle se présentait simplement en classe et donnait le cours établi; tout l'équipement et tous les instruments étaient fournis par le conseil. Pour ce qui est de la Golden Ears, elle avait accepté d'apporter certains instruments rythmiques pour donner des cours à de jeunes enfants, tandis que l'école fournissait le tambour, les baguettes et le coussinet. Mme Ferrari a dit qu'elle avait demandé des feuillets T4 à l'appelant et que, toutefois, aucun ne lui avait jamais été délivré.

[8] L'appelant soutenait qu'il avait une entreprise fonctionnant sans histoires, compte tenu du fait que les professeurs étaient des entrepreneurs indépendants qui exploitaient eux-mêmes une entreprise de cours de musique donnés à des élèves à son école et ailleurs, à leur choix. Ils avaient un degré élevé de contrôle sur leur horaire, ainsi qu'une autonomie totale quant au contenu des leçons.

[9] L'avocat de l'intimé soutenait qu'un examen de la preuve révélerait que la nature de la relation de travail était telle que Joanne Ferrari était nettement une employée travaillant en vertu d'un contrat de louage de services durant les périodes pertinentes et que la décision de l'intimé était fondée.

[10] Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025, la Cour d'appel fédérale a approuvé l'assujettissement de la preuve aux critères suivants, en précisant bien qu'il s'agit en fait d'un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations. Les critères sont les suivants :

1. le contrôle;

2. la propriété des instruments de travail;

3. les chances de bénéfice ou les risques de perte;

4. l'intégration.

[11] La travailleuse, Joanne Ferrari, était un professeur de musique qualifié ayant de nombreuses années d'expérience et, comme institutrice de maternelle, elle était habituée à enseigner à de jeunes enfants. L'appelant connaissait à fond plusieurs aspects du monde de la musique et avait également donné des cours de musique, mais il ne se considérait pas aussi qualifié que Mme Ferrari ou les autres professeurs. La travailleuse et les autres professeurs ne faisaient pas l'objet d'un degré élevé de contrôle, et on ne s'attendrait pas à un degré élevé de contrôle dans le contexte des services fournis. Certes, l'appelant, en tant que répartiteur des tâches, était bienveillant et semblait exploiter son entreprise sur la base du consensus, dans la mesure du possible, mais il était le seul propriétaire de l'entreprise de musique, dont l'une des composantes était une école de musique ayant 160 élèves. Comme propriétaire de l'entreprise, c'est lui qui déterminait la structure globale relative à la prestation des services consistant à donner des leçons de musique et qui calculait le montant devant être demandé comme tarif pour que l'ensemble de l'entreprise — le commerce de détail et l'école de musique — continue de fonctionner comme une entité rentable. Toutes les questions d'argent concernant les frais de scolarité ou les remboursements accordés aux élèves ou encore le recouvrement de sommes exigibles relevaient de lui et non de la travailleuse. La politique consistant à exiger qu'un professeur reprenne une leçon manquée — sans rémunération — était une politique qui avait été fixée par lui. Les horaires ainsi que les arrangements à prendre pour assurer les remplacements nécessaires relevaient de l'administratrice de l'école, soit une employée de l'appelant, malgré le fait qu'il y avait un apport considérable des professeurs et que l'on faisait des efforts pour accéder à leurs voeux.

[12] Certes, la travailleuse apportait son propre matériel d'enseignement, mais les autres instruments de travail nécessaires, y compris un piano et l'équipement connexe, étaient fournis par l'appelant, et les studios où se donnaient les leçons faisaient partie intégrante des locaux exploités par l'appelant comme entreprise comportant un important commerce de détail.

[13] La travailleuse était payée selon un taux qui, quoique négocié, était fixé par l'appelant, et le seul aspect pertinent en matière de risque de perte tenait au fait qu'un professeur devait prendre en charge — du moins temporairement — la somme correspondant à tout chèque sans provision pouvant avoir été fait à la Golden Ears en paiement d'une leçon. On ne peut transformer une relation en une relation avec un entrepreneur indépendant en imposant unilatéralement une condition qui violerait probablement une disposition de la loi du travail pertinente applicable à un particulier ayant le statut d'employé. Pour ce qui est de la notion de chance de bénéfice utilisée dans ces causes, il n'y avait aucune chance de bénéfice pour la travailleuse dans la structure de sa relation de travail avec l'appelant. Elle recevait un prix fixe par unité de travail ou une somme basée sur un calcul fait à partir du nombre d'élèves dans une classe.

[14] En ce qui a trait à l'intégration, il est indubitable que l'entreprise appartenait à l'appelant, qui l'exploitait comme propriétaire unique. Lorsqu'un élève ou un parent voulait des leçons de musique, tous les arrangements nécessaires à cette fin étaient conclus avec l'appelant ou l'administratrice de son école. L'hostilité entourant la cessation de la relation de travail de l'appelant et de la travailleuse, soit une relation qui a duré plus de 7 ans, était en grande partie attribuable au fait que l'appelant craignait que la travailleuse cherche à partir avec certains élèves comme s'ils étaient ses propres élèves et non des particuliers liés par contrat à l'entreprise de l'appelant exploitée sous le nom de Golden Ears Music School. Les leçons étaient données dans les mêmes locaux que le magasin de détail et constituaient, avec la vente d'instruments et de matériel de musique, l'entreprise globale de l'appelant, qui intégrait ces composantes productives de revenus dans la structure globale. Il serait complètement illogique de considérer dans les circonstances révélées par la preuve que l'enseignement dispensé par la travailleuse correspondait à l'exploitation de sa propre entreprise dans une école portant le nom de l'entreprise à propriétaire unique de l'appelant, dans des locaux loués par lui dans un centre commercial, alors que tous les aspects financiers de la relation entre le professeur et l'élève relevaient directement de l'appelant. Il y avait beaucoup plus dans l'entreprise d'enseignement de la musique que ce qui se faisait dans un studio durant une séance d'une demi-heure, quoiqu'il soit clair que l'enseignement faisait partie intégrante de la composante productive de revenus de l'entreprise qui comptait sur les tarifs demandés aux élèves. L'administratrice de l'école n'avait pas été embauchée simplement pour coordonner des activités d'une dizaine d'entrepreneurs indépendants dont les services auraient été retenus pour que chacun donne des leçons de musique dans le contexte d'une entreprise distincte lui appartenant en propre. Encore là, il faut considérer la nature globale de l'entreprise exploitée par l'appelant et le rapport entre cette entreprise et les services fournis par la travailleuse.

[15] Ce que les parties croient être la nature de leur relation ne changera pas les faits. Dans la cause The Minister of National Revenue v. Emily Standing, 147 N.R. 238, le juge d'appel Stone a précisé à la page 239 :

Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door.

[16] Dans le jugement Whistler Mountain Ski Club c. M.R.N., inédit, 95-1723(UI), rendu le 2 août 1996, l'honorable juge Sobier, de la Cour canadienne de l'impôt, a entendu un appel interjeté à l'encontre d'évaluations établies à l'égard de l'appelante, une société, qui avait embauché des personnes pour donner de l'entraînement en vue de compétitions de ski alpin, étant entendu que les entraîneurs étaient des entrepreneurs indépendants en vertu d'un contrat écrit. Le juge Sobier a tiré, notamment, les conclusions de fait suivantes :

- les entraîneurs n'étaient pas supervisés et avaient le droit d'occuper d'autres emplois et de travailler pour d'autres en dehors des heures où ils fournissaient des services d'entraîneur pour l'appelante;

- les entraîneurs fournissaient leurs propres équipement et accessoires;

- on leur assignait des groupes d'élèves qu'ils aidaient à améliorer leurs aptitudes pour ce qui est des compétitions de ski alpin;

- l'horaire des entraîneurs était étroitement lié au calendrier des compétitions de ski établi par une autorité indépendante avant l'ouverture de chaque saison de compétition;

- les entraîneurs touchaient un montant fixe sur une base journalière ou mensuelle et soumettaient une facture à l'appelante deux fois par mois pour le nombre de jours travaillés au cours des périodes visées, mais le taux n'était pas modifié en fonction du nombre de personnes dans le groupe;

- les entraîneurs ne pouvaient pas sous-traiter leurs obligations, mais pouvaient prendre d'autres arrangements avec la permission de l'appelante;

- les entraîneurs pouvaient suivre des cours pour se perfectionner ou pour améliorer leurs compétences, généralement à leurs propres frais.

[17] Après avoir fait référence à la décision Wiebe Door, précitée, le juge Sobier a dit, aux pages 6 à 8 :

Les critères établis par le juge MacGuigan avaient été utilisés auparavant. C'est la façon dont il fallait les examiner qui l'a amené à la conclusion tirée. Les critères sont le contrôle, la propriété des instruments de travail, la possibilité de bénéfice et le risque de perte. En eux-mêmes, ces critères ne sont pas déterminants. Il a écrit, à la page 5029 de l'arrêt Wiebe Door Services Ltd., précitée :

Je suis porté à me rallier à ce point de vue pour les mêmes raisons. Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci-dessus “ l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations ”, et ce, même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

Il a également discuté du fait que le critère du contrôle ne devait pas être appliqué seul. À la page 5029, il a renvoyé à l'affaire Morren v. Swinton & Pendlebury Borough Council [1965] 1 W.L.R. 576, où l'on a écrit :

[...] lord Parker (en sa qualité de juge en chef) a affirmé que le critère du contrôle était peut-être trop simple. Il a ajouté que [TRADUCTION] “ manifestement la surveillance et le contrôle ne pouvaient être le critère décisif lorsqu'on avait affaire à un professionnel ou à un homme de métier ”. Partant, les tribunaux ont commencé à modifier et à transformer le critère pour qu'il devienne un critère du “ bon sens ” [le lord juge Somervell dans Cassidy v. Minister of Health [1951] 2 K.B. 343] ou un critère “ multiple ” [voir le juge Mocatta dans Whittaker v. Minister of Pensions & National Insurance [1967] 1 Q.B. 156].

La supervision ou le contrôle de la façon dont un professionnel ou un expert exécute ses fonctions ne peuvent être qualifiés de contrôle puisque le professionnel en sait généralement plus long sur ses fonctions que son employeur. Ce dernier peut cependant exercer un contrôle sur son employé en fixant ses heures et son lieu de travail et en déterminant s'il peut aller et venir à sa guise.

Je souscris au passage, à la page 5030 de l'arrêt Wiebe Door Services Ltd., précité, où l'on renvoie aux propos suivants du professeur P.S. Atiyah :

Nous doutons fortement qu'il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d'identifier les contrats de louage de services... La meilleure chose à faire est d'étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s'appliquent pas dans tous les cas et n'ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n'est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée. Il reste que, dans un grand nombre de cas, le tribunal doit se contenter de comparer deux solutions en évaluant l'importance des facteurs qui tendent vers une solution et en les équilibrant par ceux qui tendent vers la solution contraire. Dans l'ordre des choses, il ne faut pas s'attendre à ce que cette opération soit effectuée avec une précision scientifique.

Je conclus donc qu'il faut garder les quatre critères à l'esprit, sans pour autant les considérer comme des critères fixes et immuables assimilables à des formes que l'on doit faire entrer dans les ouvertures appropriées. Ce sont des moyens et non pas une fin en soi. La démonstration, bien sûr, en a été faite au paragraphe ci-dessus dans le cas du contrôle.

En l'espèce, les entraîneurs étaient informés du nom des membres qu'ils devaient entraîner de même que de l'endroit et du moment où les entraînements auraient lieu. Ils ne pouvaient aller et venir à leur guise. C'est un entrepreneur qui prend des risques, non pas un employé. Un entrepreneur peut dire : “ Si je travaille fort et ne compte pas mes heures, mes efforts seront récompensés ”. Il dira : “ Plus le nombre de personnes que j'entraîne est élevé, plus je ferai d'argent ”. Par contre, le fait de recevoir une rémunération à la pièce ou une commission n'est pas synonyme de travail autonome si l'employeur fixe les autres normes et contrôle par ailleurs l'employé. En l'espèce, l'entraîneur ne peut gagner plus que le taux journalier ou mensuel établi. Si la taille de son groupe diminue en raison de l'absence d'athlètes, son taux de rémunération reste le même. En l'espèce, peu importe combien d'heures il travaillait, peu importe combien d'athlètes il entraînait, l'entraîneur touchait le même montant. On lui attribuait des groupes et on lui disait quand les entraîner. Il ne pouvait inclure de tiers dans son groupe. Il ne risquait pas de subir de perte.

[18] Après avoir analysé les effets d'une prétendue attribution de statut dans un contrat écrit, le juge Sobier poursuivait en disant, à la page 9 :

Qu'une personne soit engagée à temps partiel ne signifie pas qu'elle n'est pas un employé. On peut tenir plusieurs emplois à temps partiel et être quand même un employé dans tous ces cas.

Lorsqu'on pose la question “ À qui appartient l'entreprise? ”, l'avocat de l'appelante invite la Cour à dire que l'entraînement de skieurs est l'entreprise de l'entraîneur et que, si celui-ci n'obtient pas de résultats, il perd son client — le club de ski. Cependant, cet argument est tout aussi applicable, sinon plus, à l'argument suivant lequel l'entreprise du club de ski était de former des skieurs de compétition et les entraîneurs étaient ses employés.

Les entraîneurs ne jouissent pas de la même marge de manoeuvre ou latitude que les entrepreneurs indépendants. Ils ne peuvent entraîner d'autres personnes en même temps qu'ils entraînent des membres du club. Leur premier devoir est envers le club de ski et non envers eux-mêmes. Ils ne fournissent pas l'équipement spécialisé nécessaire à l'entraînement. Le club est propriétaire de cet équipement, qu'il fournit lui-même.

[19] Dans les affaires Jannine Puri c. M.R.N. — 96-2519(UI) — et Rae Anne Hesketh c. M.R.N. — 96-2520(UI) —, j'ai traité des appels de deux entraîneuses en patinage artistique qui donnaient certains cours au centre sportif en vertu d'un contrat conclu avec le Campbell River Skating Club, une société sans but lucratif. Les travailleuses tiraient aussi un revenu d'autres sources, y compris en donnant des leçons particulières n'ayant aucun rapport avec le club de patinage, mais ce, uniquement après avoir satisfait aux exigences du contrat entre elles et le club. J'ai conclu qu'elles étaient des employées du club et qu'elles exerçaient donc un emploi assurable, malgré le fait que toutes les parties voulaient que ces travailleuses soient considérées comme des entrepreneurs indépendants à l'égard des cours qu'elles donnaient dans le cadre des programmes structurés offerts par le club. Dans ce jugement, j'ai fait remarquer ceci, aux pages 12 et 13 :

La réalité du milieu du travail moderne est que souvent les gens exercent parallèlement plusieurs activités lucratives caractérisées par la diversité de leurs combinaisons possibles. En effet, certains occupent un emploi à temps plein ainsi qu'un ou plusieurs emplois à temps partiel. D'autres ont, à titre d'employé à l'égard de chacune, cinq ou six sources de revenu à temps partiel ou occasionnelles, non renouvelables. D'autres encore sont des employés - soit à plein temps, soit à temps partiel, exerçant un ou plusieurs emplois - et exploitent en même temps une entreprise ou fournissent des services à titre d'entrepreneur. Pour tenir compte de l'évolution du milieu de travail, le Parlement a adopté la Loi sur l'assurance-emploi, qui a été sanctionnée le 20 juin 1996. En vertu de cette nouvelle loi, le régime d'assurance a changé, cessant d'être basé sur le nombre de semaines de travail - avec un minimum et un maximum hebdomadaire quant au montant des prestations - pour devenir un régime fondé sur la rémunération totale et le total des heures travaillées, où chaque dollar gagné, à partir de la première heure travaillée, est compté. Ce changement vise à établir un système qui est plus compatible avec le marché du travail actuel. Toutefois, les règles pour déterminer le statut d'une personne à l'intérieur d'une relation de travail demeurent inchangées. Il est extrêmement difficile aux gens - qu'ils soient employeurs ou employés - de savoir à quoi s'en tenir dans des situations où il ne s'agit pas d'un cas clair de catégorisation des services fournis. Il existe une tendance naturelle à examiner le revenu global gagné durant une année et à assigner un statut à une relation de travail en fonction du revenu tiré de la prestation du service en question. Ensuite, il y a un mythe tenace - qui s'est propagé malheureusement jusque dans les hautes sphères des secteurs privé et public - selon lequel une personne qui a été renvoyée d'un poste qu'elle avait occupé pendant des années à titre d'employé et qui est embauchée par la suite “ à contrat ” pour s'asseoir au même bureau et accomplir les mêmes tâches n'est plus un employé, mais a été par magie transformé en entrepreneur indépendant.

[20] Eu égard à l'ensemble de la preuve et appliquant les critères de la manière imposée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe, précité, je conclus que la travailleuse, Joanne Ferrari, était une employée de l'appelant durant la période pertinente et qu'elle fournissait des services en vertu d'un contrat de louage de services. L'appel considéré en l'espèce est rejeté, ainsi que l'appel 98-84(CPP), et la décision de l'intimé est par les présentes confirmée.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique) ce 19e jour de février 1999.

“ D. W. Rowe ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de novembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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