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Date: 19980615

Dossier: 96-1065-IT-G

ENTRE :

LES ENTREPRISES L. CLANCY INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s’agit d’appels à l’encontre de nouvelles cotisations du ministre du Revenu national (le « Ministre » ) pour les années d’imposition 1991, 1992 et 1993 de l’appelante.

[2] La question en litige est de savoir si la principale source de revenu de l’appelante provient de l’agriculture en combinaison avec une autre activité soit la fabrication et la vente d’un produit alimentaire. Il s’agit de l’application du paragraphe 31(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ) qui prévoit que si le revenu d’un contribuable ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source, les pertes provenant de l’entreprise agricole sont restreintes au montant indiqué dans ce paragraphe.

[3] Les faits de cette affaire ne sont pas vraiment contestés. Toutefois, comme leur interprétation détermine l’issue du litige, il est important de les rapporter. Les faits décrits aux paragraphes 1 à 20 de l’Avis d’appel sont les suivants :

1) Avant 1989, M. Louis Limoges, le seul actionnaire de l'Appelante, qui connaissait bien les chevaux de course, a opéré une entreprise de vente et d'exploitation de chevaux de course en confiant le soin, l'entretien et l'entraînement des bêtes à des professionnels. En 1988, M. Louis Limoges avait reçu la somme de 79 071 $ en bourses résultant de l'exploitation de son entreprise.

2) En 1989, M. Limoges a décidé de mieux structurer l'exploitation de son entreprise et a investi dans l'Appelante afin que cette dernière puisse acquérir son inventaire de chevaux.

3) En date du 1er juillet 1989, l'Appelante, dont la capacité juridique est similaire à celle d'un particulier, a acquis à leur juste valeur marchande les 17 (dix-sept) chevaux de course et l'achalandage de l'entreprise de vente et d'exploitation de chevaux de course de M. Louis Limoges, en vue d'en continuer l'exploitation à son propre compte.

4) Lors de l'élaboration de son plan d'affaires, l'appelante avait structuré son entreprise afin de tirer des revenus de deux sources, à savoir :

i) les bourses attribuées aux chevaux de course gagnants; et

ii) les ventes de poulains de course.

5) L'Appelante a exploité son entreprise de 1989 à 1994. L'exploitation se divise en deux périodes distinctes, à savoir :

i) la phase initiale avec des juments poulinières, des poulains, des pouliches et un étalon, principalement sous la supervision de M. Henri Côté;

ii) une phase ultérieure sous la supervision de M. Raymond Gingras, où les juments poulinières et l'étalon ont été remplacés par des chevaux de meilleure qualité.

6) En plus des poulains et pouliches nés des juments poulinières, l'appelante a remplacé, acheté et vendu des poulains et des pouliches tout au cours de la période d'exploitation de son entreprise.

7) Puisque l'Appelante ne possède pas de ferme et n'avait engagé aucun employé, elle avait conclu des contrats de service, d'entretien et d'entraînement pour ses chevaux avec des tiers transigeant à distance, dont notamment l'entraîneur Gingras.

8) Après quelques années, il est devenu évident que le potentiel de l'entreprise ne se développait pas normalement de sorte que l'Appelante a pris la décision de confier dorénavant l'entraînement de ses chevaux à M. Gingras, de remplacer ses principales juments poulinières par des juments de meilleure qualité, d'accoupler ces dernières avec de meilleurs étalons et de consulter M. Gingras afin de mettre à jour son plan d'affaires et d'identifier les meilleurs chevaux qu'elle devrait acquérir.

9) M. Gingras est l'un des entraîneurs les plus expérimentés du Québec et à ce titre, était en mesure d'assurer le succès de l'entreprise à moyen terme.

10) De 1989 à 1994, l'Appelante a investi les montants suivants pour l'acquisition de chevaux, a déboursé les sommes suivantes pour les frais de pension, d'entretien et d'entraînement et a perçu les sommes suivantes au titre de ventes de chevaux et de bourses de course :

1989 1990 1991 1992 1993 1994

(6 mois)

$    $      $ $      $ $

Investissements

Achats de chevaux 242 000 53 00022 500 109 000 1 500 0

Dépenses

Pension et 83 877 138 505 129 133 159 297 103 323 101 938

entraînement

Revenus

Bourses de course : 19 624 35 972 21 888 113 280 22 608 37 123

Ventes de chevaux : 0 13 240 25 308 20 350 4 400 57 050

11) Les poulains « Vitesse de nuit » et « Speedy Dora » , tous deux nés de la jument « Speedy Midnight » se sont mérités des bourses substantielles en 1992 et 1993 et démontraient le potentiel de l'entreprise, exploitée avec l'assistance de M. Raymond Gingras.

12) En décembre 1994, l'actionnaire de l'Appelante, M. Limoges a déterminé de mettre fin à l'exploitation de l'entreprise et en conséquence a vendu son inventaire de chevaux incluant « Vitesse de nuit » , « Speedy Dora » et « Speedy Midnight » pour une considération globale en excédant de 35 000 $.

13) Par avis de nouvelles cotisations en date du 2 janvier 1996, dont appel, le ministre du Revenu national a déterminé que l'Appelante avait exploité son entreprise avec un espoir raisonnable de profit pendant la période pertinente et qu'à ce titre, l'entreprise de vente et d'exploitation de chevaux de course de l'appelante constituait une source de revenu pour cette dernière, mais qu'elle ne constituait pas la principale source de revenu de l'Appelante, seule ou en combinaison avec quelque autre source.

L'ENTREPRISE DE CRISTAUX DE SAVEUR

14) En 1991, l'Appelante a entrepris l'exploitation d'une autre entreprise, la vente de cristaux de saveur.

15) À cette fin, l'Appelante a convenu avec ledit manufacturier de faire appel aux ressources associée de distribuer et de vendre à son propre compte la production de cristaux du manufacturier principalement auprès de grossistes en alimentation.

16) L'Appelante a aussi convenu avec ledit manufacturier de faire appel aux ressources humaines de ce dernier pour effectuer les tâches requises pour la vente des produits, de sorte que l'Appelante n'a engagé aucun employé en relation avec la vente de cristaux.

17) Puisque l'entreprise de l'Appelante consistait dans la distribution et la vente de produits manufacturés par le biais d'un sous-traitant, elle n'a investi aucune somme substantielle dans l'entreprise de vente de cristaux de saveur.

18) De 1991 à 1994, l'Appelante a investi les montants suivants, a déboursé les sommes suivantes en sous-contrats et a effectué les ventes suivantes de cristaux de saveur :

1991

1992

1993

1994

$

$

$

$

Investissements :

0

0

0

0

Dépenses

Coût des marchandises :

320 456

338 042

234 987

217 339

Sous-contrats:

28 373

13 898

6 551

7 406

Revenus

Vente de cristaux :

544 649

530 235

366 908

300 174

AUTRES

19) Pendant la période pertinente, l'Appelante n'a engagé aucun employé pour exploiter ses entreprises de chevaux de course et de cristaux de saveur puisqu'elle a sous-contracté les tâches à effectuer.

20) Pendant la période pertinente, l'Appelante n'a utilisé aucune écurie, ni aucun entrepôt pour exploiter ses entreprises de chevaux de course et de cristaux de saveur puisque les sous-contractants ont pris charge des aspects physiques des opérations.

[4] En ce qui concerne le paragraphe 10 de l’Avis d’appel, ci-dessus, l’avocat de l’appelante, lors de l’audition, a modifié quelques nombres pour se conformer aux états financiers dans leur forme finale, états qu’il n’avait pas en sa possession lors de la rédaction de l’Avis d’appel. C’est cette version corrigée qui a été reproduite. Dans la Réponse, l’intimée avait nié ce paragraphe en se rapportant aux états financiers. Je considère donc maintenant ce paragraphe comme admis.

[5] La Réponse à l’avis d’appel fait état de l’admission de la première phrase du paragraphe 1, des paragraphes 2, 4 à 7, de l’énoncé du paragraphe 11 jusqu’au nombre 1993, des paragraphes 14 à 17, de l’énoncé du paragraphe 18 pour les années 1991 à 1993, des paragraphes 19 et 20 de l’Avis d’appel.

[6] Les faits sur lesquels le Ministre s’est fondé pour établir sa cotisation sont décrits au paragraphe 17 de la Réponse à l’avis d’appel (la « Réponse » ) comme suit :

a) Les faits admis ci-haut;

b) Avant 1988, M. Louis Limoges exploitait une entreprise de chevaux de course en son nom personnel;

c) En 1988, M. Louis Limoges a fait l'objet d'une vérification fiscale par le Ministre qui s'est soldée en un ajustement de son obligation fiscale visant à restreindre les pertes admissibles de M. Limoges provenant de l'exploitation de chevaux de course, en vertu de l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu;

d) L'exploitation de cette entreprise par M. Limoges n'a jamais généré de profit et dans les cinq (5) années précédents la fin de cette exploitation, soit le 30 juin 1989, M. Limoges avait subi des pertes d'exploitation de l'ordre de 432 467 $;

e) Le 26 janvier 1989, M. Limoges incorpore 2628-6526 Québec Inc. qui deviendra par la suite Les Entreprises L. Clancy Inc.;

f) Le 1er juillet 1989, M. Limoges effectuera un roulement en vertu de l'article 85(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu transférant ses chevaux à l'appelante, à leur juste valeur marchande, en contrepartie desquels il reçut des actions du capital-action de l'appelante pour un montant de 214 000 $;

g) En 1990, Pied-Mont Dora Inc., une corporation contrôlée par M. Louis Limoges débuta l'exploitation d'un nouveau produit soit celui des cristaux de saveur pour la préparation de produits alimentaires;

h) À partir de 1991 les revenus provenant de la vente des cristaux ont été déclarés par l'appelante, et non par Pied-Mont Dora Inc., bien que toutes les activités reliées à l'exploitation de cette entreprise ont été effectuées par Pied-Mont Dora Inc.;

i) Pied-Mont Dora Inc. est propriétaire des marques de commerce utilisées en liaison avec les cristaux de saveur susmentionnés;

j) Les revenus nets générés par l'exploitation de l'entreprise de cristaux par l'appelante étaient de 185 184 $, 147 249 $ et 121 102 $ pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993 respectivement;

k) Les pertes nettes réclamées par l'appelante en vertu de l'exploitation de l'entreprise de chevaux de course étaient de 160 750 $, 70 522 $ et 193 229 $ pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993 respectivement;

l) L'appelante a déduit les pertes provenant de l'exploitation de l'activité des chevaux de course contre les revenus générés par la vente des cristaux;

m) L'exploitation des chevaux de course par l'appelante entre le 1er juillet 1989 et le 31 décembre 1993 n'a jamais généré de profit mais plutôt généré des pertes d'exploitation de l'ordre de 651 195 $;

n) Pendant les années en litige, les revenus de l'appelante ne provenaient pas principalement de l'exploitation d'une activité agricole ni d'une combinaison de celle-ci et de quelque autre source.

[7] Dans sa Réponse, l’intimée a toutefois ajouté ces deux paragraphes 18 et 19 :

18. L'exploitation des chevaux de course par l'appelante ne constituait pas une entreprise entretenue avec l'espoir raisonnable de tirer un profit;

19. Les frais encourus pour l'exploitation des chevaux de course par l'appelante constituaient des frais personnels ou de subsistance;

[8] Un recueil de documents a été déposé par l’avocat de l’appelante comme pièce A-1. Il contient 27 onglets. L’avocat de l’intimée a lui aussi déposé un recueil de documents comme pièce I-1. Elle est divisée en 15 onglets.

[9] Monsieur Louis Limoges, le seul actionnaire de l’appelante, monsieur Constant Cadieux, conseiller financier et comptable à l’interne de l’appelante depuis les années 1989 et monsieur Raymond Gingras, conducteur et entraîneur de chevaux de course ont témoigné à la demande de l’avocat de l’appelante. Monsieur John Kamio, vérificateur d’impôt a témoigné à la demande de l’avocat de l’intimée.

[10] Monsieur Limoges est un homme d’affaires. En 1956, après ses études, il est entré au service de l’entreprise familiale, Pied-Mont Dora Inc. En 1980, il en a assumé la direction et est devenu le seul actionnaire. À cette époque, le chiffre d’affaires était de 300 000 $. En 1991, il était devenu de 7 000 000 $. Une nouvelle usine a été construite. L’entreprise employait une cinquantaine d’employés. Elle produisait des confitures, tartinades et sirops de table. Elle ne vendait qu’à quelques grossistes, propriétaires de supermarchés.

[11] En 1990, Pied-Mont Dora Inc. a fait quelques expériences concernant les cristaux de saveur et en a commencé la vente vers la fin de cette année. Cette dernière production requiert tout au plus le travail de deux employés. C’est cette production qui en 1991 a été tranférée à l’appelante.

[12] Monsieur Limoges a toujours été intéressé par les courses de chevaux. Il a commencé dans les années soixante où il était propriétaire d’un cheval de course. Il aimait se rendre à l'hippodrome quelques fois par semaine. En 1985, il possédait une dizaine de chevaux, quelques uns pour la course, gardés dans une écurie de l'hippodrome et entraînés par un monsieur Yvon Pelchat, et d’autres pour l’élevage, gardés dans la ferme d’un monsieur Henri Côté. Le but de monsieur Limoges a été tout ce temps d'arriver à produire un champion. En 1989, il a confié à monsieur Raymond Gingras la totalité des activités de course et d’élevage. La ferme de monsieur Gingras est située à Sorel. Dans les années en litige, monsieur Limoges serait allé à l'hippodrome trois ou quatre fois par mois. Il serait rarement allé à la ferme de monsieur Gingras quoiqu’il aurait communiqué par téléphone avec lui presque tous les jours. En 1994, après avoir vendu ses chevaux à monsieur Gingras, il ne serait pas retourné aux courses.

[13] Dans les années 1988 et 1989, les déclarations de revenu de monsieur Louis Limoges ainsi que celles des corporations dont il était le principal actionnaire ont été révisées par les agents du Ministre et ont donné lieu à de nouvelles cotisations. Selon monsieur Cadieux, le comptable à l’interne, l’entreprise de monsieur Limoges aurait eu un problème de croissance trop rapide et le système comptable n’aurait pas suivi. C’est dans ces circonstances que les services de monsieur Cadieux ont été requis sur l’avis de la firme de comptables, à l’externe, de l’entreprise.

[14] Lors de cette révision, le Ministre avait accordé à monsieur Limoges en pertes agricoles, pour les années 1985, 1986 et 1987, les sommes respectives de 20 000 $, 60 000 $ et 120 000 $ ainsi qu’on peut le voir à l’onglet 9 de la pièce I-1. C’est à partir de ce document que monsieur John Kamio, l’agent du ministre, a témoigné pour expliquer l’énoncé de l’alinéa 17 d) de la Réponse qui veut que dans les cinq années précédant le 30 juin 1989, monsieur Limoges ait subi des pertes au montant total de 432 467 $ relativement à son entreprise de chevaux de course. Toujours lors de cette même révision qui s’est passée en 1988 et 1989, le Ministre aurait alors informé monsieur Limoges que dorénavant il serait sujet à l’application de l’acticle 31 de la Loi et n’aurait droit qu’à un montant de pertes réduit. En 1988, c’est sur cette base qu’il a été cotisé.

[15] Le 1er juillet 1989, l’appelante a acquis de monsieur Limoges l’inventaire des chevaux tel que mentionné à l’alinéa 17f) de la Réponse. En 1989 et 1990, la seule activité de l’appelante était l’entreprise des chevaux de course. Elle a engagé pour chacune de ces années, des pertes substantielles. L’appelante a reçu à sa demande un avis de détermination d’une perte pour chacune de ces années voir onglets 10 et 11 de la Pièce A-1. Ces avis n’indiquaient aucun montant de perte mais plutôt dans chacune des cases la mention s/o. C’est ainsi que notamment dans les cases « perte autre qu’en capital » , « perte agricole restreinte » et « perte agricole » ne se retrouve que la mention s/o. Ces déterminations seraient en appel selon l’information donnée par l’avocat de l’appelante.

[16] En 1991, tel qu’indiqué à l’Avis d’appel et à la Réponse, les ventes des cristaux de saveur dont les premières expériences avaient été faites par Pied-Mont Dora Inc. ont été confiées à l’appelante. Monsieur Constant Cadieux a relaté à la Cour que c’est lui qui aurait suggéré ce plan. Il s’agissait d’un produit nouveau et l’on n’était pas certain des résultats. Il aurait mieux valu l’isoler dans une corporation qui n’était pas l’entreprise principale. C’était lui aussi qui avait suggéré à monsieur Limoges de transférer à une corporation, soit l’appelante, l’entreprise des chevaux de course. Malgré les énoncés des alinéas 17 h) et 17 i) de la Réponse donnant à penser le contraire, l’intimée ne conteste pas que les revenus provenant des ventes des cristaux de saveur appartiennent validement à l’appelante.

[17] Monsieur Raymond Gingras a commencé à travailler pour son père qui était conducteur et entraîneur de chevaux de course à l'hippodrome Blue Bonnets, à l’âge de 13 ans. À 24 ans, il s’est établi à son compte. En 1981, il a acquis une ferme qu’il a appelée la Ferme Yana-Moray. En 1981, il a gagné le championnat des conducteurs à l'hippodrome de Montréal. Il a connu monsieur Limoges au paddock de l'hippodrome. Il a dit qu’en 1989, l’industrie des courses a commencé à chuter pour des raisons reliées à l’administration des hippodromes. L’entretien et l’entraînement des chevaux de l’appelante constituaient 75 % du chiffre d’affaires de son entreprise. Il n’avait pas l’entière autorité sur la gestion des chevaux. Tout en donnant son avis, il prenait ses instructions de monsieur Limoges quant à la gestion de l’écurie. En 1994, après qu’il eût acheté les chevaux de monsieur Limoges, il en a disposé de quelques uns, en a croisé d’autres et selon son témoignage aurait réussi à gagner des bourses substantielles.

Arguments et conclusions

[18] L’avocat de l’appelante fait valoir que l’activité agricole de l’appelante constituait son activité principale et que la production des cristaux était une activité secondaire et, qu’en conséquence, l’appelante tirait son revenu d’une combinaison de l’agriculture et d’une autre source de revenu. Il a fait valoir que selon les critères développés par la jurisprudence pour déterminer s’il s’agit d’une entreprise agricole principale, il faut examiner le capital investi, le temps consacré et la possibilité de profit. Il a fait valoir qu’en ce qui concerne le capital investi, il était à peu près identique à l’autre activité, en ce qui concerne le temps consacré, celui-ci était supérieur à l’autre activité, et que, en ce qui concerne la possibilité de profit il fallait prendre en considération les nombreuses bourses gagnées par les chevaux pendant et après l’exploitation de l’appelante.

[19] L’avocat de l’intimée s’est également référé aux mêmes critères jurisprudentiels pour en arriver à chaque point à des conclusions contraires de celles de son confrère.

[20] Le paragraphe 31(1) de la Loi se lit comme suit :

31(1) Pertes provenant d’une activité agricole ne constituant pas la principale source de revenuLorsque le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source, pour l’application des articles 3 et 111, ses pertes pour l’année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées être le total des montants suivants :

a) la moins élevée des sommes suivantes :

...    (Le souligné est de moi.)

[21] La décision classique en la matière des pertes agricoles demeure celle de la Cour suprême du Canada dans Moldowan c. La Reine [1978] 1 R.C.S. 480. Elle a été reprise récemment par la Cour d’appel fédérale dans La Reine c. Donnelly, 97 DTC 5499 pour être encore plus amplement explicitée. Dans ces deux affaires, tout comme dans la présente instance, il s’agissait de chevaux de course. Toutefois dans les deux cas, les appelants étaient des particuliers alors que dans la présente affaire, il s’agit d’une corporation. Je discuterai l’aspect corporatif plus tard. Pour l’instant, je me référerai à l’analyse faite par le juge Dickson dans l’affaire Moldowan. Pour une meilleure compréhension du texte, il faut se souvenir qu’à l’époque le présent article 31 était l’article 13. Je cite aux pages 486 à 489 :

Les opinions diffèrent sur la question de savoir si le mot « combinaison » utilisé au par. 13(1) implique un « rapport » de connexité matérielle, une intégration ou une interrelation entre l'agriculture et l'activité accessoire qui fournit une autre source de revenu. ...

...

Il est clair que le mot « combinaison » utilisé à l'art. 13 ne vise pas la simple addition des deux sources de revenu d'un contribuable. En ce cas en effet, un contribuable pourrait combiner les pertes provenant de son exploitation agricole et sa plus importante source de revenu, constituant de ce fait sa principale source. Je ne pense pas que ce soit la bonne interprétation du par. 13(1). En réalité, cela signifierait que la limite prévue à cet article ne serait jamais applicable et que, dans chaque cas, le contribuable pourrait déduire l'intégralité des pertes provenant de son exploitation agricole.

À mon avis, la Loi de l'impôt sur le revenu envisage dans son ensemble trois catégories d'agriculteur :

(1) le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribuable, dont l'agriculture est le gagne-pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années où il subit des pertes provenant de son exploitation agricole;

(2) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain mais pour qui l'exploitation d'une ferme est une entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévues au par. 13(1) au titre des pertes provenant d'une exploitation agricole;

(3) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu comme son gagne-pain et qui poursuit une activité agricole comme passe-temps. Les pertes de ce contribuable provenant de son exploitation agricole qui ne constitue pas une entreprise, ne sont pas déductibles.

Le paragraphe 13(1) suppose l'existence d'un contribuable qui tire son revenu de l'agriculture et de quelqu'autre source et il renvoie donc à la 1ière catégorie. Il vise une personne dont l'agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d'un investissement, d'un emploi ou d'une entreprise secondaire. L'article prévoit que ces intérêts subsidiaires ne placent pas le contribuable dans la 2e catégorie : le montant déductible pour perte n'est donc pas limité à $5,000. Bien que la proportion du revenu provenant de l'agriculture soit pertinente, elle n'est pas en elle-même décisive. Le test est à la fois relatif et objectif et on peut utiliser les critères indicatifs de la principale « source » de revenu pour discerner s'il s'agit ou non d'un intérêt auxiliaire. Une personne qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'appartenir à la 1ière catégorie uniquement parce qu'elle reçoit un héritage. D'autre part, une personne qui change de travail et concentre ses forces et ses capitaux dans l'agriculture avec l'espoir d'en tirer son revenu principal ne perd pas son droit de déduire la totalité de ses frais d'établissement.

En l'espèce, il est reconnu que l'appelant exploitait une ferme et en tirait un revenu. Il ressort de conclusions concordantes des tribunaux d'instance inférieure que l'agriculture ne constituait pas sa principale source de revenu. Je ne veux pas modifier ces conclusions. En outre, je ne pense pas qu'on puisse dire à juste titre que l'appelant était une personne dont la principale source de revenu provenait d'une combinaison de l'agriculture et d'une autre source de revenu, au sens que j'ai indiqué. Il consacrait beaucoup d'effort au lancement de nouvelles entreprises. Les courses de chevaux ne l'accaparaient que quelques heures par jour et une partie de l'année uniquement. Il engageait ses capitaux avec circonspection. Il s'agit d'une entreprise de nature aléatoire. Il est difficile de raisonnablement concevoir d'y consacrer ses forces dans l'espoir d'en tirer un gagne-pain régulier. Il a subi des pertes constantes et croissantes, à l'exception de deux années où il a réalisé de faibles profits. Même si chacun des faits signalés précédemment n'est pas déterminant en lui-même, ensemble ils évoquent une seule entreprise parmi plusieurs, sans rien qui la caractérise comme principale « source » de revenu.

[22] Ainsi que l’explique le juge Dickson dans Moldowan, supra, il ne s’agit pas d’additionner les sources de revenu pour déterminer si une personne tire son revenu principalement de l’agriculture, en combinaison avec une autre source de revenu car de cette façon cela aurait pour effet de rendre sans effet l’article 31 de la Loi. Il faut déterminer si l’activité agricole est la principale source de revenu en combinaison possiblement avec une autre. En d’autres termes, il faut déterminer si le contribuable est une personne qui exerce principalement une activité agricole.

[23] Celui qui exerce principalement une entreprise d’agriculture est celui dont l’agriculture est la préoccupation majeure, dont c’est le mode de vie. En fait, il s’agit du fermier ou de l’entreprise agricole authentique. L’entreprise agricole authentique comme le fermier authentique se préoccupe de rentabiliser son entreprise. Il peut arriver qu’une entreprise agricole ne soit pas rentable à certaines années ou sur un certain nombre d’années. Dans ces années, l’entreprise agricole authentique aura droit à la déduction entière de ses pertes. Le fermier authentique se reconnaît au fait qu’il aura habituellement été élevé sur une ferme et, ou aura suivi des cours directement reliés à cette activité et se consacre entièrement à l’activité agricole d’où il espère tirer son gagne-pain. Si son activité ne lui rapporte pas suffisamment, il pourra augmenter son revenu agricole par d’autres activités économiques.

[24] Il arrive que des personnes dont l’agriculture ne soit pas la préoccupation de travail majeure, aient quand même suffisamment d’intérêt dans l’agriculture et y mettent suffisamment d’effort et de ressources pécuniaires pour que leur entreprise d’agriculture soit considérée comme une entreprise pour les fins des pertes restreintes. Je dis qu’elles peuvent être considérées comme des entreprises pour les fins des pertes restreintes car elles réussiraient rarement à se classer comme entreprises commerciales pour les fins des articles 3, 9 et 18(1)a) de la Loi. Comme il ne s’agit pas de l’activité de travail majeure, le profit de l’entreprise n’est pas l’objectif premier et les pertes sont habituellement substantielles.

[25] La dernière catégorie est celle d’entreprises agricoles exploitées en dehors des règles de l’art, sans la connaissance requise pour une exploitation agricole ou sans employer les personnes qui sont du métier ou de la profession.

[26] La Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Robertson, dans l’arrêt Donnelly (supra) a repris l’arrêt Moldowan pour l’expliquer à nouveau en y incorporant certains éléments d'analyse qui avaient été ajoutés par la jurisprudence au cours des ans :

...Selon l'arrêt Moldowan, le contribuable doit satisfaire à deux critères pour avoir gain de cause. Il doit démontrer, en premier lieu, que son exploitation agricole avait une « expectative raisonnable de profit » et, en second lieu, que l'agriculture est sa « principale source de revenu » (communément appelé l'agriculteur « à temps complet » ). Si le contribuable est incapable de satisfaire au premier critère, il ne peut déduire aucune perte (communément appelé l'agriculteur « amateur » ). S'il satisfait au premier critère mais pas au second, il peut déclarer une perte agricole restreinte de 5 000 $ (maintenant 8 500 $) par application de l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu (communément appelé l'agriculteur « à temps partiel » ).

...

Pour déterminer si l'agriculture est la principale source de revenu d'un contribuable, il faut établir une comparaison favorable entre cette source de revenu et l'autre source de revenu du contribuable sous l'angle des capitaux investis, du temps consacré à chacune et de la rentabilité présente et future. Il s'agit d'un critère à la fois relatif et objectif. Ce n'est pas une simple question de proportion. Ces trois facteurs doivent être soupesés et aucun d'eux n'est décisif. Malgré tout, il ne saurait y avoir de doute que le facteur de la rentabilité est le principal obstacle auquel se heurtent les contribuables qui cherchent à convaincre les tribunaux que l'agriculture est leur principale source de revenu. Il en est ainsi parce que les contribuables ont la charge de prouver que le revenu net qu'ils pourraient raisonnablement s'attendre de tirer de l'agriculture est considérable par rapport à leur autre source de revenu : ...

...

Nul doute qu'en l'espèce le contribuable a investi des montants considérables dans l'élevage des chevaux. Ainsi qu'il vient d'être mentionné, le contribuable a subi des pertes de près de deux millions de dollars. Ce facteur joue en sa faveur. Ce sont les deux autres éléments, soit le temps consacré à l'élevage et la rentabilité, qui posent plus de problèmes au contribuable.

...

..le contribuable a reconnu qu'il avait besoin de son revenu provenant de l'exercice de la médecine pour vivre et financer l'achat de nouveaux chevaux et d'autres aspects de ses activités d'élevage ...

L'analyse du facteur de la rentabilité permet de dissiper les doutes qui subsistent quant à savoir si la principale source de revenu d'un contribuable est l'agriculture. Il existe une différence entre le genre de preuve qu'un contribuable doit produire concernant la rentabilité en vertu de l'article 31 de la Loi et le genre de preuve applicable à l'expectative raisonnable de profit. Dans ce dernier cas, le contribuable n'a qu'à démontrer qu'il a ou avait une expectative de profit, que ce soit un dollar ou un million de dollars. Il est bien établi en droit fiscal que les termes « expectative raisonnable de profit » et « expectative de bénéfices raisonnables » ne sont pas synonymes. En ce qui concerne la rentabilité prévue à l'article 31, toutefois, le montant est pertinent parce qu'il permet de comparer un revenu agricole potentiel avec le revenu que le contribuable a effectivement tiré de l'autre occupation. Autrement dit, nous cherchons des éléments de preuve de nature à appuyer une conclusion d'expectative raisonnable de bénéfices « considérables » en provenance de l'agriculture.

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Il est bien établi que l'article 31 de la Loi vise à empêcher les « gentlemen-farmers » qui disposent d'un revenu considérable de déduire la totalité des pertes agricoles qu'ils subissent : voir l'arrêt La Reine c. Morrisey, supra, aux pp. 5081 et 5082. Plus souvent qu'autrement, cet arrêt est invoqué par les agriculteurs qui sont disposés à poursuivre l'exploitation de leur entreprise en demeurant ouvertement indifférents aux pertes subies. Concrètement et sur le plan juridique, ces agriculteurs sont des agriculteurs amateurs, mais le ministre leur accorde la déduction limitée prévue à l'article 31 de la Loi. Ces affaires concernent presque toujours des éleveurs de chevaux qui achètent ou élèvent des chevaux en vue de les faire courir. En vérité, ces entreprises ont rarement même une expectative raisonnable de profit, encore moins les éléments essentiels pour constituer la principale source de revenu de leur propriétaire.

(Le souligné est de moi.)

[27] En ce qui concerne le fait que l’appelante soit une corporation, il ne semble pas y avoir de doute jurisprudentiel que ce fait puisse faire une différence dans l’application des critères d’application élaborés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Modolwan. Je me réfère notamment à deux décisions, soit celle du juge Rip de cette Cour dans Gestion S.A.P. Inc. c. M.R.N, 94 DTC 1342, à la page 1346, et à celle du juge Teitelbaum de la Cour fédérale de première instance dans Buchanan Forest Products Limited v. M.N.R., 86 DTC 6282, à la page 6292. Les mêmes principes s'appliquent.

[28] J'analyse maintenant la preuve à partir des critères repris par l'arrêt Donnelly (supra). En ce qui concerne le capital investi je peux accepter que le capital investi soit à peu près identique dans les deux activités, soit agricole et industrielle. En ce qui concerne le temps consacré par l’appelante, l’avocat de l’appelante soutient qu’il est beaucoup plus considérable dans l’activité agricole parce qu’il faudrait prendre en compte le temps consacré par celui qui garde et entraîne les chevaux. L’avocat de l’intimée soutient qu’il ne faut prendre en compte que le temps consacré par l’administrateur ou les employés mêmes de l’appelante. Je suis d’avis que c’est ainsi qu’il faut appliquer ce principe puisqu'il faut déterminer quelle est la préoccupation majeure de l’appelante. Il se peut que l’administrateur prenne un peu plus de son temps à l’égard de l’activité agricole qu’à l’égard des activités de fabrication et de vente du produit alimentaire en question mais pas de façon marquée.

[29] En ce qui concerne la rentabilité de l'entreprise agricole, cette activité a été exploitée personnellement par l’administrateur et actionnaire unique de l’appelante pendant plusieurs années avant d’être transférée à l’appelante. L’expérience de profit de cette activité depuis 1985 est donc pertinente comme est pertinente le profit depuis 1989, année du transfert de l’exploitation à l’appelante. Il s’agit donc de se rapporter aux allégués des alinéas 17d) et 17k) de la Réponse, allégués qui ont été prouvés et qui en fait n’étaient pas niés pour conclure facilement qu’il n’est pas raisonnable de prétendre que cette activité ait eu une expectative de profit raisonnable, critère que l’on retrouve dans l’arrêt Donnelly ci-dessus.

[30] L’activité agricole de l'appelante n’avait aucune expectative de profit raisonnable. Il est même douteux qu’elle ait eu une expectative raisonnable de profit. Toutefois, le législateur a prévu la possibilité de déduire un certain montant de pertes pour des activités agricoles qui ont un certain caractère d’entreprise, vu l’ampleur et la qualité du travail, mais qui ont peu de souci de rentabilité vu que ce n’est pas la raison première pour laquelle elles sont exercées. Selon la preuve en la présente affaire, c’est dans cette catégorie que l’activité agricole de l’appelante doit se retrouver. Le Ministre a donc cotisé l’appelante correctement en fait et en droit.

[31] Les appels sont rejetés, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de juin 1998.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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