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Date : 19971031

Dossier : 95-3457-IT-G

ENTRE :

ARPAD FAZEKAS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(rendus oralement à l'audience le 19 septembre 1997 à Montréal (Québec))

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] M. Fazekas interjette appel à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993 (la “période pertinente”). Le ministre du Revenu national (le “ministre”) n'a pas admis les pertes d'entreprise indiquées par M. Fazekas à l'égard d'activités exercées sous le nom commercial de Zoosystems Enterprises (“Zoosystems”), parce que ces activités ne constituaient pas une entreprise. Le ministre soutient que M. Fazekas n'avait pas d'attente raisonnable de profit à l'égard de ces activités durant la période pertinente.

[2] Le ministre a également établi des cotisations à l'égard de M. Fazekas pour omission de retenir de l'impôt par dérogation à l’alinéa 212(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”) au titre de paiements prétendument faits pour des services de commercialisation et des services de conseil fournis en Hongrie par une entreprise hongroise (“Piac Studio”).

Faits

[3] M. Fazekas est né en 1936 à Szeged, en Hongrie, où il est devenu médecin. Il est venu habiter au Canada en 1968, à l'âge de 32 ans. À Montréal, il a d'abord travaillé comme adjoint de recherche au laboratoire d'endocrinologie de l'hôpital Notre-Dame. En 1973, il a rempli les conditions requises pour exercer la médecine au Québec et a, en 1976, ouvert un cabinet privé. Il a publié de nombreux articles scientifiques : 76 versions intégrales et 28 condensés. Durant la période pertinente, il travaillait toute la journée le mardi et le jeudi et l'après-midi seulement le lundi, le mercredi et le vendredi.

[4] De 1991 à 1995, les revenus, bruts et nets, qu'il a tirés de la médecine ont été les suivants :

Bruts Nets

1991 155 270 $ 101 513 $

1992 181 454 $ 127 593 $

1993 189 577 $ 144 779 $

1994 189 766 $ 138 276 $

1995 187 791 $ 108 524 $

[5] M. Fazekas a toujours été fasciné par l'Afrique, son histoire et sa culture. En 1983, il a fait son premier voyage en Afrique du Sud. Il y est retourné au moins quatre fois : en 1985, en 1986, en 1991 et en 1993. Il y passait habituellement trois semaines chaque fois. Lors de ces voyages, sauf une fois, il était accompagné de son épouse et de son fils. Au cours du premier voyage, il n'a fait que du tourisme. Au cours de tous les voyages subséquents, non seulement il a fait du tourisme, mais il a également participé à des safaris et a visité des boutiques d'artisanat ethnique. Les trois premiers voyages lui ont coûté environ 50 000 $.

[6] En Hongrie, d'après M. Fazekas, la chasse est une tradition de longue date, si bien qu'il n'est pas étonnant que la chasse soit devenue pour lui une passion. Il dit qu'il a accumulé au fil des ans 32 trophées de chasse. En 1990, dans le livre des records du Safari Club International de Tucson, en Arizona, les trophées de chasse de M. Fazekas figuraient parmi les 100 meilleurs dans sept catégories différentes d'animaux. Les classements obtenus allaient de la 42e à la 97e place.

[7] Le 15 avril 1991, M. Fazekas avait déposé auprès de la Cour supérieure du Québec une déclaration de “raison sociale” dans laquelle il disait qu'il exploitait une entreprise sous le nom de Zoosystems pour les fins suivantes :

Promotion des aspects de commerce, business et conservation des animaux sauvages au niveau national et international comme consultation, recherche, ferme de gibier, importation et exportation des produits naturel [sic], zoologique [sic], etc.

[8] M. Fazekas a dit qu'il avait établi, à peu près à la même époque, un plan d'entreprise et des projections financières. Il a dit qu'il avait suivi les lignes directrices données dans un livre décrivant comment mettre sur pied une petite entreprise. Il n'a pas déposé ce livre en preuve pour corroborer sa déposition orale. Le plan d'entreprise est un document de trois pages dans lequel, par exemple, les “produits de l'entreprise” sont décrits comme suit :

[TRADUCTION]

Produits de l'entreprise : société aux multiples facettes qui s'intéresse au commerce de produits de la nature et de produits relatifs à la faune, ainsi qu'à la recherche scientifique dans le domaine de la faune, soit :

a. Organisation de safaris et promotion de safaris en Afrique

Expéditions de chasse aux gros animaux et safaris-photos en Afrique du Sud

b. Organisation d'expéditions de chasse en Hongrie

Organisation d'expéditions de chasse en Hongrie pour des clients d'Amérique du Nord et d'expéditions de chasse au Canada pour des clients de Hongrie

c. Production de vidéocassettes concernant la chasse

Production de vidéocassettes originales concernant la chasse en Afrique, pour vente et promotion de nos propres forfaits expéditions de chasse

d. Importation et vente d'artisanat ethnique provenant d'Afrique

Bijoux et autres objets d'artisanat ethnique provenant principalement d'Afrique du Sud et devant être vendus au Canada, à des détaillants ou à des distributeurs

e. Rédaction et publication de livres concernant la chasse en Afrique

Rédaction et publication de livres racontant des histoires de chasse et des voyages en Afrique du Sud; but : être reconnu et réaliser un profit

g. [sic] Recherche et conseil en matière scientifique

Recherche scientifique et aide à la recherche scientifique au plus haut niveau concernant la faune et les ressources renouvelables; but : découvrir de nouveaux procédés et créer de nouveaux produits à des fins lucratives.

[9] Ce plan d'entreprise décrit aussi comme suit les aspects “marché et concurrence” et “expertise en matière de gestion” :

[TRADUCTION]

Marché et concurrence

— Services en matière de chasse : vaste marché composé de riches chasseurs des É.-U. et du Canada. En Hongrie, marché composé de 50 000 amateurs de chasse aux gros animaux, soit des personnes moins riches. Concurrence : forte en Amérique du Nord et pratiquement inexistante en Hongrie.

Recherche scientifique : marché mondial et concurrence faible, voire inexistante, s'il s'agit de recherches originales.

Expertise en matière de gestion

Le propriétaire de la société a une vaste expérience de la chasse et des voyages en Afrique du Sud. Il a d'excellentes relations sur place et en sait beaucoup sur le pays. Il connaît également très bien la Hongrie, puisqu'il y est né et qu'il y a été élevé, parle la langue et a de nombreuses relations dans ce pays.

Concernant la recherche scientifique, le Dr Arpad Julius Fazekas, soit le propriétaire de la société, a plus de 30 ans d'expérience dans le domaine de la recherche biomédicale et est l'auteur de plus d'une centaine de publications. C'est un expert de réputation internationale dans le domaine de l'endocrinologie comparative et il a été professeur de chirurgie expérimentale à l'université McGill.

Andrew S. Fazekas, bachelier ès sciences, soit notre expert-conseil dans le domaine de la zoologie, est diplômé de l'université McGill; c'est un jeune scientifique qui a acquis de l'expérience à l'échelle internationale.

La société a accès à des experts scientifiques du plus haut calibre, grâce à des relations personnelles au Canada et dans d'autres pays (Afrique du Sud, Hongrie, É.-U.).

[10] Le plan d'entreprise décrit également les objectifs et les besoins financiers de l'entreprise.

[11] Des cartes d'affaires avaient été imprimées, une ligne téléphonique distincte avait été installée dans la maison de M. Fazekas, du matériel de télécopie avait été acheté, et un compte bancaire au nom de Zoosystems avait été ouvert.

[12] M. Fazekas avait suivi un cours de chasse d'une valeur de 4 400 $ au cours du voyage qu'il avait fait en Afrique du Sud en 1991 et avait inclus ce montant comme “frais de publicité et de promotion”. Il avait négocié des contrats de mandat avec au moins deux propriétaires de ranch à gibier, ce qui lui donnait droit à une commission équivalant à 15 p. 100 des frais quotidiens engagés par des chasseurs de passage. M. Fazekas a dit qu'un chasseur dépenserait normalement environ 300 à 400 $ par jour pour une période allant d'au moins six jours jusqu'à dix jours. Toutefois, les safaris pour lesquels il faisait de la publicité dans des revues professionnelles coûtaient entre 230 et 240 $ par jour, d'après ce qui était indiqué. Donc, cela lui donnerait droit à une commission minimale de 207 $ [230 $ x 6 x 15 p. 100] et à une commission maximale de 360 $ [240 $ x 10 x 15 p. 100]. Ces résultats ne correspondent pas aux 1 000 $ de commission par chasseur auxquels il a fait allusion dans son témoignage. De 1992 à 1996, il n'est parvenu à envoyer à ces propriétaires de ranch à gibier qu'environ deux ou trois chasseurs par année. M. Fazekas imputait ce piètre résultat à la situation politique et à la violence existant en Afrique du Sud. Il attribuait également ce résultat à l'interdiction des importations de trophées de chasse au Canada qui était en vigueur depuis 1987 et qui n'a été levée qu'en 1995.

[13] En 1991, M. Fazekas avait retenu les services de Piac Studio pour la réalisation d'une enquête auprès des Hongrois, soit une étude de commercialisation visant à déterminer l'intérêt des Hongrois pour la chasse en Afrique de même que leur intérêt pour les livres et les vidéocassettes concernant la faune. M. Fazekas avait fourni au ministre un résumé de certains des résultats, et ce document a été déposé en preuve. Sur la foi des énoncés de services d'expert déposés auprès de la Cour, les services qui ont été fournis en Hongrie en matière de commercialisation et de conseil ont été fournis au cours de la période pertinente, c'est-à-dire qu'ils se sont étalés sur une période de trois ans. Les reçus relatifs aux paiements faits par M. Fazekas avaient été signés par sa belle-soeur, au nom de Piac Studio.

[14] En décembre 1991, M. Fazekas avait signé un bail d'un an avec une propriétaire non liée à lui, soit un bail relatif à un petit bureau qui était situé dans sa ville natale, en Hongrie, et pour lequel il a payé un loyer annuel d'environ 8 000 $. Il avait retenu les services de son beau-père pour l'exécution de travaux de rénovation d'une valeur de 8 000 $. D'après M. Fazekas, il s'agissait d'obtenir une adresse et une ligne téléphonique en Hongrie et un endroit qui convienne pour recevoir des clients éventuels.

[15] M. Fazekas dit qu'il est allé en Hongrie en 1992 pour visiter certains clubs de chasse et qu'il négociait des mandats de manière à pouvoir gagner un revenu de commissions pour l'envoi de chasseurs dans ce pays. La commission convenue était inférieure à la commission sur laquelle il s'était entendu avec les propriétaires de ranch sud-africains. Le nombre de clients qu'il a pu envoyer en Hongrie est également inférieur au nombre de clients qu'il a pu envoyer en Afrique du Sud.

[16] Lors de son voyage en Hongrie, il était accompagné de son épouse et de son fils. Il avait visité des parents, y compris sa fille et sa mère ainsi que le père et la soeur de son épouse1. L'année suivante, son épouse était retournée en Hongrie seule, et M. Fazekas a, dans le calcul du revenu de Zoosystems, indiqué le montant intégral des frais de déplacement de son épouse comme dépenses d'entreprise. Il a dit que son épouse avait apporté avec elle une partie de l'argent nécessaire pour payer les services de commercialisation de l'entreprise de la soeur de son épouse et que son épouse avait visité certaines boutiques d'artisanat et était allée voir un artiste de renom au sujet du récit d'une vidéocassette à venir.

[17] En 1993, M. Fazekas et son fils étaient retournés en Afrique du Sud. M. Fazekas laissait entendre qu'il s'agissait d'accompagner un client qui partait en safari. Lorsque je lui ai demandé à combien s'était élevée sa commission, il a répondu : “2 000 $”. Je lui ai demandé si c'était le client qui payait son voyage (le voyage du Dr Fazekas), et il a répondu que non. Ses frais de déplacement dépassaient 15 000 $, et je lui ai manifesté mon étonnement. Le jour suivant, M. Fazekas a modifié sa version des faits et a insisté davantage sur le fait qu'il recueillait des glandes surrénales d'antilope en vue d'un projet de son fils, qui effectuait des recherches pour ses études de troisième cycle. J'ai également eu l'impression que M. Fazekas n'avait guère chassé durant ce voyage. Toutefois, le résumé de la version anglaise de son livre décrivant le voyage qu'il a fait en Afrique du Sud en 1993 donne une impression différente :

[TRADUCTION]

Nouvelles expéditions de chasse au Natal et dans la province du Cap en 1993. Trois chasseurs voyageant ensemble. Trajet de Joburg à Hluhluwe en auto. Chasse à Bonamanzi de nouveau. Aventures. À propos des tiques dans la brousse. Tout le monde réussit. Nous tuons le duiker rouge. En route pour Rooipoort, en passant par Durban, Pietermaritzburg, Harrismith, Bloemfontein et Kimberley. Nouvelles expéditions de chasse à Rooipoort, durant l'hiver africain. Les nuits sous la tente, dans la plus grande tradition. Aventures. Je tue un vraiment gros koudou. Succès à tous! De retour à Joburg. Visite d'un atelier de taxidermie. Retour au Canada.

[18] Relativement à cette visite de l'atelier de taxidermie, M. Fazekas a inclus des frais de 2 000 $ qu'il avait payés au taxidermiste pour un de ses trophées de chasse et a indiqué ce montant comme “frais de publicité”.

[19] Au cours de chacune des trois années de la période pertinente, toute la famille de M. Fazekas est allée en Floride, et M. Fazekas a indiqué la moitié des frais de déplacement aux fins de l'impôt. Il a dit qu'il visitait des boutiques d'artisanat lors de ces voyages, qu'il cherchait une terre en vue de l'établissement d'un ranch à gibier et qu'il s'entretenait avec des avocats. Il n'a jamais effectivement acheté un tel ranch.

[20] Au cours de ses nombreux voyages, M. Fazekas achetait normalement des bijoux pour quelques centaines de dollars pour tester le marché au Canada. Il avait retenu les services de cinq vendeuses qui, fonctionnant comme les vendeuses de produits Avon, réussissaient à vendre ces bijoux. Parmi les acheteurs, il y avait des patients et des connaissances de M. Fazekas. M. Fazekas a dit qu'il avait réalisé un profit; toutefois, je ne sais pas de quelles dépenses il a tenu compte pour parvenir à cette conclusion. Après s'être rendu compte que les bijoux mexicains se vendaient beaucoup moins cher, il avait décidé de ne pas poursuivre cette activité, à cause de la faiblesse de sa marge bénéficiaire.

[21] Il avait fait appel à son fils pour des enquêtes relatives à des programmes de reproduction d'animaux et pour d'autres études en 1991 et en 1992, activités pour lesquelles il avait payé des frais totaux de 16 662 $. Il pensait pouvoir ainsi acquérir le savoir-faire nécessaire pour gagner éventuellement des millions de dollars. Il pensait, par exemple, que la viande d'antilope pouvait être utilisée pour fins de consommation humaine, que les études pourraient permettre d'élucider une partie du mystère entourant la maladie connue sous le nom de “myopathie liée à la capture”. Toutefois, les frais payés en 1991 sont indiqués comme frais “de publicité et de promotion”.

[22] En 1992, M. Fazekas avait commencé à écrire un livre sur les voyages et les expéditions de chasse en Afrique du Sud et sur l'histoire de ce pays. Aux fins de ce projet, il avait acheté de nombreux ouvrages. Pour la seule année 1993, il avait indiqué des dépenses de 9 794 $ à cet égard. Il avait en outre indiqué des frais de vêtements et de matériel de chasse de 1 415 $ et des frais de matériel vidéo de 2 520 $. Il a terminé son livre en 1996, livre qu'il a publié en hongrois. Il a pris cette décision parce que le hongrois était sa langue maternelle.

[23] M. Fazekas avait fait imprimer 1 000 exemplaires numérotés et avait décidé de les vendre lui-même pour accroître sa marge bénéficiaire. D'après lui, les distributeurs prennent habituellement entre 40 et 60 p. 100 du prix de vente. Il soutenait que son coût par livre était de 13 $ et que la vente de chaque exemplaire au prix de 50 $ donnerait lieu à un profit de 37 $ par exemplaire. Il entend maintenant publier la version anglaise de ce livre et a une offre de Quebecor visant l'impression de 1 020 livres au prix de 13 000 $. Il est convaincu de pouvoir en vendre beaucoup et de réaliser un gros profit.

[24] Voici les revenus bruts, les profits et pertes et les dépenses de Zoosystems (de M. Fazekas) pour 1991 à 1996 :

Revenus bruts Profits (pertes) Dépenses

1991 606 $ ( 61 384 $) 61 990 $

1992 2 371 $ ( 85 156 $) 87 527 $

1993 3 890 $ ( 83 292 $) 87 182 $

Total partiel 6 867 $ ( 229 832 $) 236 699 $

1994 13 824 $ 37 $ 13 786 $

1995 14 249 $ 1 072 $ 13 177 $

1996 12 965 $ 839 $ 12 126 $

Total partiel 41 038 $ 1 948 $ 39 089 $

GRAND TOTAL 47 905 $ ( 227 884 $) 275 788 $

Analyse

Attente raisonnable de profit

[25] Dans les cotisations qu'il avait établies à l'égard de M. Fazekas, le ministre présumait que toutes les dépenses indiquées par M. Fazekas représentaient des frais personnels et que M. Fazekas n'avait pas d'attente raisonnable de profit. M. Fazekas avait la charge de démontrer que les hypothèses de fait du ministre étaient erronées. Malheureusement pour lui, M. Fazekas n'a pas réussi à s'acquitter de la charge qui lui incombait à cet égard.

[26] Contrairement à la croyance populaire, le fait qu'une personne obtienne des cartes d'affaires, qu'elle enregistre une “déclaration de raison sociale” selon laquelle elle exploite maintenant une entreprise sous un certain nom et qu'elle établisse un plan d'entreprise et des projections financières ne signifie pas nécessairement qu'elle exploite une entreprise.

[27] L'approche à suivre pour se prononcer sur une telle question a été décrite maintes fois dans la jurisprudence. Aux fins qui nous occupent, je ne mentionnerai que trois arrêts clés : Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, Landry v. The Queen, 94 DTC 6499, et Tonn v. The Queen,[1996] 1 C.T.C. 205, 96 DTC 6001.

[28] Dans l'arrêt Moldowan, le juge Dickson, de la Cour suprême du Canada, disait, à la page 485 :

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une “source” de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise [...]

Puis il ajoutait :

[...] Si le contribuable, en exploitant sa ferme, se livre simplement à un passe-temps, sans expectative raisonnable de profit, il ne peut réclamer aucune déduction pour les dépenses engagées.

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. A mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants: l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise: La Reine c. Matthews.

[notes de bas de page omises]

[29] Dans l'arrêt Landry, précité, à la page 6500, le juge Décary disait :

Outre les critères énumérés par le juge Dickson, ceux dont la jurisprudence a tenu compte, à ce jour, pour déterminer s'il y avait espoir raisonnable de profit, comprennent les suivants : le temps requis pour rentabiliser une activité de ce genre, la présence des ingrédients nécessaires à la réalisation éventuelle de profits, l'état des profits et pertes pour les années postérieures aux années en litige, le nombre d'années consécutives pendant lesquelles des pertes ont été enregistrées, l'accroissement des dépenses et la diminution des revenus au cours des périodes pertinentes, la persistance des facteurs qui causent les pertes, l'absence de planification, et le défaut d'ajustement. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes arrêts que la bonne foi et la réputation du contribuable, la qualité du résultat obtenu, le temps et l'énergie consacrés, ne suffisent pas, en eux-mêmes, à transformer en entreprise l'exercice d'une activité.

[note de bas de page omise]

[30] Dans l'arrêt Tonn, précité, à la page 6009, le juge Linden formulait l'observation suivante2.

[...] le critère de l'arrêt Moldowan convient on ne peut mieux aux situations dans lesquelles le contribuable cherche à éviter de payer de l'impôt en structurant ses affaires de façon inappropriée, notamment lorsqu'il tente de déduire une dépense engagée pour obtenir un remboursement d'impôt ou de déduire des dépenses d'entretien ménager personnelles sous le couvert d'une entreprise de services de dactylographie exploitée par son épouse. Il s'agit, dans tous ces cas, de situations dans lesquelles le contribuable applique la Loi à des fins inappropriées et dans lesquelles le critère de l'arrêt Moldowan a été appliqué à juste titre pour refuser la déduction, parce que celle-ci allait à l'encontre des objets de la Loi.

[notes de bas de page omises]

[31] À la même page dans l'arrêt Tonn, le juge Linden décrivait comme suit la catégorie de cas dans lesquels il convient très bien d'appliquer le critère de l'arrêt Moldowan :

[...] La première se compose des cas où l'activité reprochée se caractérise en grande partie par un élément personnel. Il s'agit de situations dans lesquelles le contribuable a investi de l'argent pour poursuivre une activité qui lui procure une satisfaction ou des avantages personnels, notamment sur le plan psychologique. L'exploitation de fermes d'élevage pour chevaux, la location d'unités en copropriété à Hawaï et en Floride ou de chalets de ski, l'affrètement de yachts, l'exploitation de chenils et ainsi de suite ont été considérés comme des activités de cette nature. Même si ces activités peuvent parfois être poursuivies comme s'il s'agissait d'une entreprise, les tribunaux ont généralement décidé qu'elles visaient avant tout des fins personnelles. Le désir de réaliser un bénéfice dans ce genre de situation n'est rien de plus qu'un voeu pieux ou un rêve impraticable et ne constitue qu'une intention secondaire liée à l'activité. En réalité, le contribuable cherche à subventionner le coût de ces activités en déduisant de son revenu ce qui constitue effectivement une dépense personnelle.

[notes de bas de page omises]

[32] Appliquons cette approche aux faits de l'espèce. Tout d'abord, je doute sérieusement que le plan d’entreprise ait été établi en 1991, l’année où M. Fazekas a prétendument lancé ses projets. Le plan dit bien que l'entreprise fait appel à l'expertise d'un consultant en zoologie qui est diplômé de l'université McGill. Or, en 1991, le fils de M. Fazekas était encore inscrit à un programme de baccalauréat ès sciences avec majeure en zoologie. Il a commencé ses études de maîtrise à l'automne 1993, à l'époque où son père avait décidé de lui faire “don” de 5 000 $ par semestre pendant deux ans à partir de l'automne 1993. Donc, ou bien le plan d'entreprise exagère les qualifications professionnelles du “consultant en zoologie” de Zoosystems, ou bien il s'agit là d'une description exacte et le plan d'entreprise a été établi deux ans après le début des prétendues activités d'entreprise.

[33] Même si nous prenons le plan d'entreprise pour argent comptant, il est loin de correspondre à une tentative sérieuse pour établir l'existence d'une entreprise véritable. M. Fazekas semble aller dans plusieurs directions : organisation de safaris et d'autres expéditions de chasse, production et vente de vidéocassettes, rédaction et vente de livres, importation et vente d'artisanat ethnique et exécution de travaux de recherche et prestation de services de conseil concernant la faune. On n'a pas tenté sérieusement de décrire comment M. Fazekas doit réussir dans ces nombreux projets.

[34] Tous les projets commerciaux de Zoosystems exigeaient un apport considérable en temps et beaucoup de capitaux; de la main-d'oeuvre et des capitaux devaient être mis en place et organisés efficacement pour la réalisation d'un profit. M. Fazekas consacrait son temps et son énergie à l'exercice de la médecine. C'est un médecin qui réussit. Il gagne un revenu brut de l'ordre de 180 000 $. Durant l'audience, il a reconnu que l'exercice de la médecine était sa priorité et représentait sa principale source de revenu.

[35] Quand aurait-il pu mettre en oeuvre une telle exploitation commerciale “aux multiples facettes”? Qui aurait alors fourni la main-d'oeuvre nécessaire pour établir et exploiter toutes ces entreprises différentes? Son fils? Ce dernier était à l'université, étudiant pour devenir zoologiste; il ne devait obtenir son diplôme de maîtrise qu'en 1996. Son épouse? Nous ne savons pas ce qu'elle faisait. D'après le témoignage de M. Fazekas, il semble qu'elle intervenait seulement lorsqu'ils étaient en vacances en Afrique du Sud, en Hongrie et en Floride. On ne m'a pas dit qu'elle intervenait à un degré important dans la vente d'artisanat ethnique. Je fais également remarquer qu'elle n'a pas témoigné pour corroborer la déposition de son époux ou pour décrire le rôle qu'elle jouait dans Zoosystems.

[36] Les rentrées d'argent prévues et le capital de M. Fazekas étaient-ils suffisants pour permettre d'embaucher le personnel nécessaire pour de tels projets? Les projections financières ne révèlent aucune tentative sérieuse pour prévoir ce que comportait la réalisation de ces projets aux multiples facettes. Elles sont muettes sur les coûts afférents aux produits que M. Fazekas envisageait de vendre, par exemple sur le coût de la main-d'oeuvre, des approvisionnements et des locaux. De plus, le niveau de vente que supposent les projections financières n'a aucun fondement sérieux.

[37] Le meilleur exemple de ce manque de sérieux, ce sont les projections relatives au revenu provenant de la vente de vidéocassettes et d'artisanat ethnique. Il n'y a aucune projection quant aux coûts en cause dans la production des vidéocassettes. En fait, on n'avait rien fait pour la production d'une vidéocassette, si ce n'est que le fils de M. Fazekas avait tourné des séquences durant les safaris. Les vidéos n'ont jamais été produits, car cela exige du matériel hautement perfectionné ainsi que le travail de spécialistes pour la production proprement dite, ce qui est coûteux. Il faut beaucoup plus que le tournage lui-même. Il n'est donc pas étonnant qu'aucun vidéo n'ait jamais été terminé.

[38] Concernant la commercialisation d'objets d'art ethnique, il est facile d'acheter au cours d'un voyage, pour quelques centaines de dollars, des bijoux et des objets d'art et de les rapporter au Canada. Toutefois, il faut beaucoup plus que cela pour les vendre au détail. Cinq voyageuses de commerce offrant leurs produits à la manière des vendeuses de produits Avon pourraient à peine suffire pour tester le marché, mais ce ne serait assurément pas suffisant pour l'exploitation d'une entreprise viable. M. Fazekas a reconnu que c'est à une boutique qu'il songeait pour la commercialisation de ces produits. Cependant, qui devait la gérer? Dans ce genre d'entreprise, on travaille de très longues heures pour réussir, non seulement pour offrir des produits de qualité au bon prix, mais également pour veiller à ce que les employés travaillent bien et ne gardent pas d'argent qui ne leur appartient pas. Il n'est donc pas étonnant que M. Fazekas ait décidé de ne pas lancer une telle entreprise. À mon avis, l'entreprise d’importation et de vente objets d'art ethnique n'a jamais démarré.

[39] Ni le plan d'entreprise ni le témoignage de M. Fazekas n'expliquent comment il est possible de réaliser un profit en offrant un produit aussi limité que des expéditions de chasse en Afrique du Sud et en Hongrie pour des Nord-Américains et des expéditions de chasse au Canada pour des Hongrois. Je pense qu'il est tout à fait évident que ce genre d'expédition n'attire pas un large public. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas en Amérique du Nord un grand nombre de chasseurs de gibier comme M. Fazekas qui seraient intéressés, mais comment les atteindre sans publicité dans des revues professionnelles? M. Fazekas a reconnu qu'il avait fait de la publicité les deux premières années et qu'il avait ensuite cessé. Il s'est rendu compte qu'une foule de personnes répondant à ses annonces demandent des renseignements mais n'achètent pas : il faut du temps pour répondre à ces demandes de renseignements, et M. Fazekas exerce la médecine à temps plein. De plus, il est à noter qu'il a dépensé seulement 900 $ en publicité dans des revues professionnelles en 1991.

[40] M. Fazekas a dit que, par la suite, il s'était fié uniquement au bouche à oreille en guise de publicité. Comment peut-on s'attendre à augmenter ainsi le volume de façon à recouvrer les frais “initiaux”? M. Fazekas a lui-même admis qu'il n'aime pas s'adresser à un intermédiaire comme il l'est lui-même pour réserver ses expéditions de chasse, car il peut obtenir de bien meilleurs prix quand il traite directement avec les propriétaires de ranch à gibier. On s'attendrait que les chasseurs très spécialisés et expérimentés d'Amérique du Nord en fassent autant. Ainsi, il est difficile à un entrepreneur de lancer une entreprise servant d'intermédiaire dans l'organisation de safaris et de s'attendre à réaliser un profit dans cette entreprise.

[41] Je signale également que l'enquête dont M. Fazekas a fait part au ministre n'indique pas quel est le niveau du revenu disponible en Hongrie pour fins de consommation personnelle. Y a-t-il suffisamment de Hongrois qui ont un revenu disponible suffisant pour aller faire un safari en Afrique du Sud? Nous l'ignorons. On s'attendrait que, si une personne investit 32 700 $ dans des études de marché, une telle question ferait partie des premières questions posées. De plus, les études ne semblent pas définir ce qui constitue un prix raisonnable pour des vidéocassettes et des safaris. Quel est un prix raisonnable en Hongrie pour des vidéocassettes et des livres concernant la chasse aux animaux sauvages et les voyages dans un pays comme l'Afrique du Sud?

[42] Enfin, comment peut-on s'attendre à obtenir une quantité quelconque de contrats en Hongrie alors qu'on ne vit pas dans ce pays et que le bureau qu'on y a est dépourvu de personnel? M. Fazekas a dépensé plus de 28 000 $ en loyer et en rénovations pour le bureau qu'il avait dans sa ville natale3, sans compter le coût du mobilier et des fournitures et sans que du personnel soit engagé. À quel point un tel bureau est-il utile lorsque personne n'y est pour vendre des produits ou des forfaits expéditions de chasse? Il est à noter que, à l'époque, il n'y avait aucun livre ou vidéocassette à vendre. Piac Studio fournissait seulement des “services de commercialisation et des services de conseil”. Je n'accorde pas beaucoup de poids à une convention de 1995 qui concerne des “services de commercialisation et de promotion et des activités commerciales” de Piac Studio et dont il est dit qu'elle est rétroactive à 1991.

[43] Concernant l'entreprise de recherche scientifique et de services de conseil, comment peut-on sérieusement s'attendre à exploiter une telle entreprise dans le domaine de la zoologie lorsque le seul expert en est encore au stade des études de premier cycle? J'ai lu les documents que M. Fazekas avait commandés en 1991 et en 1992 et pour lesquels il a payé 16 600 $. Il s'agit de travaux d'un étudiant qui peut avoir rédigé ces documents dans le cadre d'un programme de baccalauréat ès sciences. Ils peuvent être très utiles à un étudiant qui apprend son futur métier, mais ils ne représentent pas le genre de recherche pour laquelle paierait une entreprise véritable. Ces dépenses sont loin de se rapporter au processus qui consiste pour une entreprise à gagner un revenu. Elles n'ont pas le rapport qu'il faut avec l'entreprise.

[44] De plus, M. Fazekas n'était pas un vétérinaire qui, à ce titre, pouvait devenir un spécialiste de l'antilope, bien que je reconnaisse que son expertise en endocrinologie pouvait lui permettre d'aider son fils dans les recherches de ce dernier concernant ces animaux. Je peux entrevoir que son fils pourrait bien devenir un expert reconnu dans ce domaine : le fait qu'il ait obtenu un emploi dans son domaine de prédilection dans un zoo de Californie étaye ce point de vue. Toutefois, cela est à son propre avantage et non à celui de son père. Il en avait été ainsi lorsque le fils de M. Fazekas, amateur d'astronomie, avait en 1996 lancé un projet de “visite du ciel” au nom de Zoosystems avec l'aide de son père, qui avait en fait acheté un ordinateur : tout le revenu déposé auprès de Zoosystems (c.-à-d. auprès de M. Fazekas) a été intégralement remis au fils de M. Fazekas. Où était donc le profit pour Zoosystems?

[45] Qu'en est-il du projet de livre? Il s'agit là du projet qui, selon moi, a le plus de sens parmi tous les projets de Zoosystems. M. Fazekas est l'auteur de nombreux écrits, qui, toutefois, se rapportent pour la plupart au domaine scientifique. Bien qu'une personne puisse avoir beaucoup de talent, cela ne signifie pas qu'elle puisse nécessairement s'attendre à réaliser un profit en publiant un livre. Dans le cas qui nous occupe, pour écrire le livre en question, M. Fazekas a dû faire cinq voyages en Afrique du Sud, ce qui lui a coûté en tout près de 80 000 $. Il n'a indiqué dans sa déclaration de revenus que les deux derniers de ces voyages, ce qui représente environ 30 000 $.

[46] Le coût d'impression de 1 000 livres est d'environ 13 000 $. Toutefois, nous ignorons le coût de distribution du livre. Ce que nous savons, c'est que, si l'on passe par un distributeur, celui-ci peut demander 40 à 60 p. 100 du prix de vente. Si l'on décide de s'occuper soi-même de la distribution, on doit compter sur sa propre publicité, sur des cocktails, sur le bouche à oreille, mais on est alors plus susceptible d'avoir des ventes moins nombreuses, notamment si on n'investit pas beaucoup dans la campagne de mise en marché. On n'y échappe pas : ou bien on vend de nombreux livres avec un petit profit unitaire ou en en vend quelques-uns avec un profit plus important. M. Fazekas estimait que la dernière solution serait meilleure.

[47] Au 21 septembre 1997, il avait vendu 356 livres sur un total de 1 000 livres numérotés, soit 180 en Hongrie, au prix moyen de 15 $, et 176 en Amérique du Nord, au prix moyen de 50 $, c'est-à-dire un prix moyen total de 32 $. Vendre des livres en Hongrie quand on vit à Montréal comporte des frais de distribution plus élevés.

[48] Les pertes totales accumulées par M. Fazekas pour la période allant de 1991 à 1996 s'élèvent à près de 228 000 $. Sans tenir compte du coût d'impression de livres supplémentaires et des dépenses engagées pour vendre ces livres, à ce prix moyen, il faudrait que M. Fazekas vende plus de 7 000 livres simplement pour recouvrer ses frais initiaux, et ce, avant de réaliser un profit. Manifestement, pour réaliser un profit après avoir engagé les frais d'impression et de vente supplémentaires, il lui faudrait vendre beaucoup plus de livres.

[49] Il est vrai qu'il ne faut pas déterminer s'il existe une attente de profit en faisant preuve d'une sagesse rétrospective. Le critère est le suivant : existait-il une attente raisonnable de profit lorsque M. Fazekas a lancé Zoosystems et durant les trois années d'imposition pertinentes? M. Fazekas n'a présenté aucune preuve objective pour étayer son point de vue selon lequel une telle attente de profit existait. Je dispose simplement de son opinion personnelle, soit un élément de preuve subjectif, voulant qu'une telle attente ait existé.

[50] Les tribunaux ont reconnu qu'il faut trancher cette question objectivement. Sinon, tout ce qu'un contribuable aurait à faire, ce serait de se présenter devant la Cour et de jurer qu'il croit qu'il existait une attente de profit. Évidemment, cela n'est pas suffisant ni acceptable. En l'espèce, j'utilise seulement les renseignements recueillis pour la période allant de 1991 à 1996 pour jauger ce que croyait M. Fazekas; ce sont les seuls éléments objectifs dont je dispose. Aucun témoignage indépendant ne corrobore le fait que M. Fazekas croyait qu'il pourrait tirer un profit de l'un quelconque des projets aux multiples facettes ou de l'ensemble de ces projets.

[51] Les faits objectifs sont que M. Fazekas est un médecin qui a une certaine expérience en rédaction de documents scientifiques mais non en rédaction de livres sur les voyages en Afrique du Sud. Ce n'est pas un expert reconnu dans ce domaine. Les résultats qu'il a obtenus pour les années subséquentes, soit de 1994 à 1996, indiquent un très petit profit de moins de 2 000 $ en tout, ce qui laisse encore des pertes nettes accumulées importantes. Il est également à noter que la disparition de ses pertes d'entreprise pour la période suivant immédiatement la période pertinente est attribuable davantage à la réduction importante de ses dépenses, qui ont été ramenées d'environ 87 000 $ à environ 14 000 $, qu'à une augmentation du revenu brut, qui semble avoir plafonné à un montant de l'ordre de 14 000 $.

[52] Cette modification de la configuration des dépenses peut également être attribuable, du moins en partie, à la visite du vérificateur du fisc à l'automne 1993. Parmi les dépenses qui ont disparu ou qui ont été réduites considérablement, il y a les frais de déplacement. Si M. Fazekas estimait qu'un plus grand nombre de voyages en Afrique du Sud seraient nécessaires pour raconter ses nouvelles aventures dans ce pays, il lui faudrait encore augmenter les dépenses considérablement et il lui serait donc plus difficile de recouvrer les frais initiaux. M. Fazekas espère grandement que sa nouvelle version anglaise du livre générera des revenus importants. Toutefois, sur la foi de ses projections antérieures, dont on a prouvé qu'elles étaient erronées, et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il n'est guère possible d'espérer que ces revenus se concrétiseront.

[53] En plus des facteurs que j'ai déjà mentionnés, il y en a un qui me conforte dans ma décision selon laquelle M. Fazekas n'avait pas d'attente raisonnable de profit. Il me semble qu'il s'agit ici d'un cas dans lequel on a fait un usage inapproprié du régime fiscal pour financer des projets personnels. Ce cas entre dans la catégorie que le juge Linden a décrite dans l'arrêt Tonn et qui a été mentionnée précédemment.

[54] En l'espèce, M. Fazekas a, dans son témoignage, habilement relié à une fin commerciale toutes les dépenses qu'il avait indiquées dans le calcul de ses pertes provenant d'activités de Zoosystems. Il y a toutefois une autre façon d'interpréter les mêmes faits. Les dépenses peuvent toutes être reliées à des projets personnels. Les plus importantes sont celles qui ont été indiquées comme frais de déplacement relatifs à des voyages en Afrique du Sud, en Hongrie et en Floride. Tous ces voyages comportent un très fort élément personnel. M. Fazekas aime beaucoup la chasse, tire une grande satisfaction de ses réalisations et en est très fier, à juste titre. Le fait qu'il détient 32 trophées de chasse est éloquent. Cependant, chasser pour son propre plaisir est une entreprise personnelle qui ne permet pas à un contribuable de déduire de son revenu imposable des dépenses se rapportant à cette activité.

[55] Des frais relatifs à des voyages d'agrément de l'épouse et de l'enfant d'un contribuable représentent également des frais personnels. On peut dire la même chose des frais de 4 400 $ engagés pour suivre un cours afin d'apprendre à chasser l'antilope en Afrique et pour acheter des livres. Payer des frais de 16 600 $ à un fils pour qu'il effectue des recherches dans son propre domaine d'étude, lesquelles recherches pouvaient facilement servir aux fins des études universitaires du fils, me semble une façon d'aider le fils à payer ces études. En vertu du Code civil du Québec, les parents sont tenus d'aider leurs enfants sur le plan des études. Dans ce contexte, il n'est pas important que les travaux que le fils de M. Fazekas a exécutés aident particulièrement à faire avancer les projets d'entreprise de son père. Enfin, je suis convaincu que M. Fazekas n'aurait pas payé les mêmes frais pour des travaux semblables à un étudiant non lié à lui et inscrit à un programme de baccalauréat en sciences avec majeure en zoologie.

[56] Le fait que M. Fazekas a pu structurer un don de 20 000 $ à l'université McGill, don au titre duquel il a obtenu un reçu pour don de charité et relativement auquel il a indiqué un crédit d'impôt, montre que M. Fazekas utilisait le régime fiscal pour financer les études de troisième cycle de son fils4.

[57] Des observations semblables peuvent être formulées concernant les frais de rénovation que M. Fazekas a payés à son beau-père et même concernant les études de marché que l'entreprise de sa belle-soeur a exécutées. M. Fazekas a reconnu que son beau-père, soit un retraité qui vit en Hongrie, n'avait comme revenu qu'une pension de 100 $ par mois, et il est bien possible que M. Fazekas ait été motivé davantage par la compassion que par le profit. Le fait qu'il ait loué et rénové le bureau qu'il avait dans sa ville natale, en Hongrie, n'a absolument aucun sens d'après moi. Sur une période de 22 mois, M. Fazekas a dépensé plus de 28 000 $ pour un bureau qui n'était pas pourvu en personnel. Sa belle-soeur n'avait pas de bureau hors de son appartement et, apparemment, l'accès à un téléphone était difficile. Il est possible que le bureau était davantage destiné à elle : cela aurait plus de sens que les explications de M. Fazekas.

[58] Je suis également convaincu que M. Fazekas n'aurait pas payé 32 700 $ à l'entreprise de sa belle-soeur si sa belle-soeur n'avait pas été membre de cette entreprise. Le marché le plus naturel pour la prétendue entreprise de M. Fazekas se situait en Amérique du Nord, et M. Fazekas n'a jamais engagé de tels frais sur ce continent. J'ajouterais que, peut-être à l'exception de son comptable et de son avocat, les seules personnes à qui M. Fazekas ait payé des honoraires importants pour des services de conseil durant la période pertinente étaient toutes liées à lui.

[59] Ses activités consistant à organiser des safaris n'ont pas donné lieu à un profit pour lui et ne pouvaient d'après moi donner lieu à un tel profit, vu la structure mise en place par lui et vu le caractère limité de sa publicité, publicité qu'il n'a faite que les deux premières années. Des éléments de preuve indiquent toutefois qu'il pouvait obtenir des safaris gratuits pour lui-même après avoir trouvé cinq clients aux propriétaires de ranch à gibier de l'Afrique du Sud. Ces activités pourraient donc être considérées davantage comme une façon de réduire le coût de ses projets de chasse personnels que comme une tentative pour faire de ces activités une entreprise.

La question de la retenue d'impôt

[60] Dans sa réponse à l'avis d'appel, l'intimée n'énonçait pas suffisamment les faits sur lesquels le ministre s'était fondé dans les cotisations établies à l'égard de M. Fazekas pour défaut de retenir de l'impôt par dérogation à l'alinéa 212(1)a) de la Loi. La portée de l'expression “honoraires ou frais de gestion ou d'administration” figurant à cet alinéa est déterminée par le paragraphe 212(4) de la Loi. Les “honoraires ou frais de gestion ou d'administration” ne comprennent pas un paiement au titre d'un service fourni dans le cadre de l'exploitation normale d'une entreprise d'une personne non résidente si le payeur canadien et la personne non résidente n'avaient aucun lien de dépendance. En l'espèce, l'intimée n'a pas dit que le ministre avait présumé que M. Fazekas et Piac Studio avaient un lien de dépendance et elle n'a pas dit non plus que les services de commercialisation n'avaient pas été fournis dans le cadre de l'exploitation normale de l'entreprise de Piac Studio.

[61] M. Fazekas a témoigné que Piac Studio appartenait à parts égales à sa belle-soeur et à un homme qui n'était pas l'époux de cette dernière à l'époque pertinente. Il a témoigné que cette entreprise avait d'autres clients, mais n'a pu fournir plus de renseignements. L'intimée n'a présenté aucun élément de preuve, si ce n'est lors du contre-interrogatoire de M. Fazekas. À mon avis, il incombait à l'intimée d'établir que M. Fazekas et Piac Studio avaient un lien de dépendance et que les services n'avaient pas été fournis dans le cadre de l'exploitation normale de cette entreprise hongroise.

[62] Je ferai remarquer que ce n'était pas là une question cruciale pour l'une ou l'autre des parties. Presque tout le débat était centré sur la question de l'attente de profit. L'avocat de l'intimée soutenait que Piac Studio était une société de personnes et que M. Fazekas et cette société avaient un lien de dépendance. Aucun jugement n'a été cité à l'appui de cette prétention. J'ai accordé un jour et demi de plus pour permettre aux deux parties de faire état de précédents, mais aucun précédent n'a été exposé. Mes propres recherches ne m'ont pas permis de trouver des jugements traitant de cette question particulière, si ce n'est le jugement Chutka v. The Queen, 1997 CanRepNat 284 (TaxPartner CD-ROM), soit une affaire dans laquelle la question avait été soulevée sur une requête visant la détermination d'une question de droit. Toutefois, la Cour avait rejeté cette demande pour des raisons de procédure. J'ai cependant consulté le bulletin d'interprétation IT-419R, qui traite de la signification du lien de dépendance. Le ministre avait adopté l'approche suivante, énoncée aux paragraphes 20 et 21 de ce bulletin :

Société de personnes

20. Dans les cas où un associé est en mesure de contrôler une société de personnes, que ce soit parce qu'il détient une participation déterminante ou un mandat confié par ses associés, l'associé est considéré comme ayant un lien de dépendance avec la société de personnes. Toutefois, lorsqu'un associé n'est pas en position de contrôler une société de personnes dans laquelle il détient une participation et que cet associé n'a à peu près rien à voir avec l'orientation des opérations de la société de personnes, il est habituellement reconnu que l'associé n'a pas de lien de dépendance avec la société de personnes.

21. En règle générale, on suppose que les associés n'ont pas de lien de dépendance entre eux en ce qui a trait aux autres transactions qui se déroulent à l'extérieur des activités de la société de personnes, même si leur association serait un facteur à prendre en considération pour toute autre transaction conclue entre eux.

[63] De prime abord, il semble raisonnable d'adopter cette approche, et je l'adopte effectivement aux fins de l'appel en instance. Étant donné que je n'ai pas eu l'avantage d'entendre un exposé complet sur cette question et que les faits pertinents entourant la négociation du contrat en question et les faits relatifs à la conduite de l'entreprise hongroise n'ont pas été présentés en preuve, je ne considère pas qu'il soit approprié d'en dire davantage à ce stade. En l'espèce, rien ne prouve que la belle-soeur de M. Fazekas contrôlait l'entreprise de Piac Studio. Il y a aussi le fait que l'associé de la belle-soeur de M. Fazekas s'était retiré d'une entreprise de conserves alimentaires et que cette entreprise était sa seule source de revenu, tandis que la belle-soeur de M. Fazekas était professeur d'université.

[64] Je reconnais que ce point peut ne pas être pertinent ou important; toutefois, il soulève bel et bien une question quant à savoir qui a vraiment bénéficié des honoraires payés. On peut spéculer que ce doit avoir été la belle-soeur de M. Fazekas. Quoi qu'il en soit, aux fins de la question de la retenue d'impôt, je ne suis pas convaincu selon la prépondérance des probabilités qu'il existait une relation sans lien de dépendance. J'ajouterai également que j'ai de sérieux doutes quant à savoir si le montant intégral payé à Piac Studio représentait réellement des honoraires au titre de services. Dans ces circonstances, il pourrait être plus sensé de conclure que le montant ainsi payé représente plutôt une espèce d'aide accordée gracieusement à un parent de Hongrie, et aucune retenue d'impôt ne s'applique à l'égard de dons à un parent.

[65] En conséquence, les cotisations établies en vertu des paragraphes 215(6) et 227(8) de la Loi sont annulées. Pour tous ces motifs, les appels interjetés à l'encontre des cotisations pour défaut de retenue sont admis, et ces cotisations sont annulées. Les autres appels concernant la déduction de pertes d'entreprise sont rejetés, avec adjudication de dépens en faveur du ministre.

“ Pierre Archambault ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour de mars 1998.

Mario Lagacé, réviseur



1                Dans son curriculum vitae, qui a été déposé en preuve, M. Fazekas dit, ce qui est étonnant, qu'il n'a qu'un enfant; aucune explication n'a été fournie concernant cet illogisme.

2                Je voudrais souligner l'observation formulée par le juge Robertson dans l'affaire Mastri v. R., 1997 CanRepNat 852, au par. 10 (TaxPartner CD-ROM), à savoir que cela ne signifie pas que le critère de l'arrêt Moldowan ne devrait être utilisé que dans ce genre d'affaire.

3                D'après le Petit Larousse illustré (Bibliorom Larousse), Szeged est une ville de 175 000 habitants, tandis que Budapest, soit la capitale et le centre industriel de la Hongrie, compte un cinquième de la population du pays, soit 2 millions d'habitants.

4                J'ajouterais que le droit de M. Fazekas à un tel crédit peut être douteux étant donné certains jugements comme The Queen v. Burns, 88 DTC 6101 (C.F., 1re inst.), The Queen v. Zandstra, 74 DTC 6416 (C.F., 1re inst.), et The Queen v. McBurney, 85 DTC 5433 (C.A.F.). Toutefois, cette question n'a pas été soulevée dans l'appel en instance, et je n'ai donc pas à me prononcer là-dessus.

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