Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990723

Dossier: 97-1975-IT-G

ENTRE :

LINDA VOSKO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Les présents appels portent sur les années d'imposition 1989, 1990 et 1992. La question à trancher est de savoir si les frais judiciaires et professionnels que l'appelante a engagés relativement à des conflits juridiques découlant d’une procédure en divorce l’ont été en vue de tirer un revenu ou s’il s’agissait de dépenses à titre de capital.

[2] Dans les années d'imposition 1989, 1990 et 1992, l'appelante a déduit 44 083 $, 172 029 $ et 102 504 $ respectivement. L'appelante a fait valoir qu’elle a dépensé ces sommes pour obtenir une pension alimentaire. L’intimée a prétendu que l'appelante a engagé ces dépenses principalement pour contester une procédure en divorce, obtenir une prestation compensatoire ou la propriété du foyer conjugal, obtenir un versement global, faire augmenter la pension alimentaire, obtenir le remboursement des frais judiciaires et des honoraires d’experts qu’elle avait dépensés dans le cadre de la procédure de divorce. L’intimée a accepté certaines déductions, soit 1 600 $ en 1989 et 3 700 $ en 1990. L’intimée a prétendu qu’il s’agit là des seuls frais judiciaires engagés pour obtenir une augmentation de la pension alimentaire.

[3] L’avocat de l'intimée a présenté une requête préalable visant à modifier la réponse à l’avis d’appel pour y inclure des allégations selon lesquelles tous les frais judiciaires et les honoraires d’experts avaient été payés en conformité avec les jugements rendus par la Cour dans le cadre des procédures en divorce et que l'appelante aurait dû les inclure dans son revenu durant les années au cours desquelles les jugements ont été rendus ou exécutés. L’avocat de l'appelante a contesté cette requête en faisant valoir qu’elle aurait comme résultat de modifier les motifs retenus pour établir la cotisation à l’égard de l'appelante et qu’elle était présentée trop tard. La Cour a accepté les arguments de l’avocat de l'appelante et a conclu que la requête ne pouvait être accueillie. S’il est question de paiements que l'appelante n’a pas inclus dans le calcul de son revenu pour les années pertinentes, il convient d’établir et de délivrer une autre cotisation afin de rectifier cette omission. Voir l'affaire Millette v. The Queen, 99 DTC 527, pages 534 à 536, paragraphes 69 à 79. En outre, quand le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) est au courant des faits depuis longtemps, il ne devrait pas attendre la veille de l’audition pour demander une modification. Le ministre avait tous les jugements pertinents en sa possession. La requête a donc été rejetée avec dépens.

[4] La Cour a entendu deux témoins, l'appelante et Mme Kwee Chung pour l'intimée. Le témoignage de cette dernière ayant porté essentiellement sur les cotisations, il ne sera pas relaté. L'appelante a produit une liasse de documents sous la cote A-1. Cette pièce est divisée en 26 sections. Les 25 premières se rapportent aux procédures judiciaires et aux jugements. La 26e contient plus de cent pages et est constituée des notes d’honoraires des divers avocats qui ont représenté l'appelante dans les procédures en divorce et des factures d’un comptable. Une requête pour mesures accessoires a également été produite sous la cote A-2. L'intimée a produit une liasse de document sous la cote R-1. Cette pièce est divisée en 38 sections. Les 18 premières portent sur les cotisations. Les sections 19 à 34 contiennent des procédures et des jugements, les sections 35 à 38 des quittances et des chèques.

[5] Le 15 septembre 1986, l'appelante et son mari à l’époque, M. Giovanni Mastromonaco, ont signé un Consentement à jugement sur les mesures accessoires applicable tant dans le cas des mesures provisoires que celui du jugement final en séparation de corps (onglet 1 de la pièce A-1, onglet 19 de la pièce R-1). Les parties s’étaient entendues sur une pension alimentaire de 3 340 $ par mois pour Mme Vosko. Le mari de l'appelante versait cette pension depuis le 1er juin 1986. Il avait également été entendu qu’une compagnie, propriété de M. Mastromonaco et exploitée par lui, verserait à l'appelante un salaire hebdomadaire de 375 $ à titre de revenu tiré d’un emploi. Le mari devait continuer à payer toutes les dépenses d’automobile courantes et normales engagées par Mme Vosko, y compris l’assurance. Le mari devait aussi payer toutes les dépenses relatives au foyer conjugal que Mme Vosko pouvait continuer d’habiter avec ses deux propres enfants. (Mme Vosko a trois enfants d’un précédent mariage. Il n’est pas question du troisième enfant dans l’entente). Le mari s’était engagé à payer tous les soins médicaux et dentaires de Mme Vosko et de ses deux enfants. Il était prévu dans les deux dernières clauses du protocole d’entente que celui-ci n’avait pas pour effet de porter atteinte au droit de Mme Vosko de faire valoir d’autres demandes dans le cadre d’une procédure en divorce éventuelle et que chaque partie payait ses propres honoraires d’avocat. Le 9 février 1987, la Cour supérieure a rendu un jugement en séparation de corps donnant effet à l’entente (onglet 20 de la pièce R-1).

[6] La requête en divorce présentée par M. Mastromonaco est datée du 2 novembre 1987. Il y demandait les mêmes mesures accessoires que celles qui sont prévues dans l’entente susmentionnée intervenue entre les parties (onglet 21 de la pièce R-1, onglet 2 de la pièce A-1).

[7] Le 22 août 1988, Mme Vosko a présenté une défense et demande reconventionnelle en divorce (onglet 22 de la pièce R-1). Il était admis dans cette procédure que les mesures accessoires dont M. Mastromonaco avait fait état dans sa requête en divorce correspondaient à celles prévues dans l’entente signée par les parties avant le jugement en séparation de corps et qui avait été confirmée par ce jugement. La demande reconventionnelle de Mme Vosko contenait quelques paragraphes dans lesquels elle expliquait le travail qu’elle avait accompli au sein de la compagnie de M. Mastromonaco. Elle a demandé une prestation compensatoire de 1 000 000 $ pour le motif qu’elle avait contribué à l’enrichissement de son mari. Elle a demandé une pension alimentaire mensuelle de 4 000 $ tant qu’elle habiterait le foyer conjugal et de 5 500 $ une fois qu’elle aurait quitté cette maison. Elle voulait continuer à habiter le foyer conjugal pour deux années encore.

[8] Le 21 mars 1989, M. Mastromonaco a présenté une requête en modification de la pension alimentaire (onglet 3 de la pièce A-1). Il offrait de verser 2 500 $ par mois et il demandait qu’il soit ordonné à Mme Vosko de quitter le foyer conjugal dans un délai de quatre mois.

[9] En juin 1989, Mme Vosko a effectué une saisie des biens meubles de M. Mastromonaco pour le motif qu’il devait des arriérés de pension alimentaire pour le mois de juin et n’avait pas payé certains frais médicaux (onglet 4 de la pièce A-1). M. Mastromonaco a présenté une opposition à la saisie-exécution (onglet 5 de la pièce A-1).

[10] Le 22 février 1990, Mme Vosko a produit une défense et demande reconventionnelle en divorce modifiées (onglet 23 de la pièce R-1). À cette occasion, elle a demandé que son mari lui verse une somme forfaitaire de 1 000 000 $ en plus de la prestation compensatoire de 1 000 000 $, une pension alimentaire de 9 000 $ par mois et qu’il paye ses honoraires d’expert et ses frais judiciaires. Dans une autre défense et demande reconventionnelle en divorce modifiées produite le 18 juin 1990, les avocats de l'appelante ont demandé l’exécution provisoire du jugement nonobstant appel. Le 18 juin 1990, Mme Vosko a présenté une défense et demande reconventionnelle en divorce avec de nouvelles modifications contenant quelques demandes additionnelles (onglet 24 de la pièce R-1, onglet 6 de la pièce A-1).

[11] Le juge Herbert Marx de la Cour supérieure a rendu un jugement le 17 octobre 1990, (onglet 7 de la pièce A-1, onglet 25 de la pièce R-1). Il a prononcé le divorce pour le motif que les parties vivaient séparées depuis plus d’un an. Le juge mentionne aussi dans le jugement qu’il s’agissait du second mariage et du second divorce pour les parties qui s’étaient mariées à Montréal le 21 octobre 1971, qu’ils avaient chacun trois enfants issus d’un précédent mariage, que tous ces enfants étaient maintenant majeurs et que les parties n’avaient pas eu d’enfant ensemble. Je cite l’extrait suivant du jugement : “ Le litige tourne autour de la demande reconventionnelle de Mme Vosko pour mesures accessoires. Elle demande ce qui suit : une pension alimentaire mensuelle de 9 000 $ nette d’impôt; une prestation compensatoire de 1 000 000 $; un paiement forfaitaire de 1 000 000 $ ou la propriété du foyer conjugal; des frais judiciaires de 82 790,96 $ plus 10 p. 100 du montant de la prestation compensatoire ou de la somme forfaitaire et des honoraires d’experts de 96 974,36 $. Il y a aussi la question des deux saisies : une effectuée par le demandeur sur les meubles meublant le domicile conjugal à Hampstead et dont il se considère le propriétaire et une par la défenderesse parce que son mari n’avait pas payé certaines factures . Le juge a dit qu’à l’époque du jugement Mme Vosko recevait une pension alimentaire mensuelle de 3 340 $ plus un salaire mensuel de 1 625 $. Elle continuait à habiter le domicile conjugal et M. Mastromonaco devait payer toutes les dépenses d’automobile et tous les soins médicaux et dentaires de sa femme ainsi que toutes les dépenses relatives à la maison.

[12] Mme Vosko avait demandé une prestation compensatoire de 1 000 000 $. Le juge a conclu que la contribution de Mme Vosko à l’enrichissement de son mari se limitait à l’appui qu’elle lui avait prêté en tant qu’épouse. Il a aussi conclu que la compagnie de son mari lui versait un salaire depuis 1971, qu’elle avait retiré 275 000 $ environ depuis cette année-là et qu’elle avait été payée pour tous les services qu’elle avait rendus à la compagnie. Le juge a également conclu que Mme Vosko avait contribué certaines sommes d’argent. Au terme de son analyse, la Cour a statué que M. Mastromonaco s’était enrichi de la somme de 75 000 $ et a fixé la prestation compensatoire à ce montant. En outre, le juge a accordé à Mme Vosko la propriété de tous les meubles de l’ancien foyer conjugal plus une somme de 28 150 $ pour des réparations. En ce qui a trait à la somme forfaitaire de 1 000 000 $, la Cour a mentionné qu’elle peut accorder une telle somme aux termes du paragraphe 15(2) de la Loi sur le divorce. La Cour a estimé qu’il était nécessaire d’accorder une somme forfaitaire importante à Mme Vosko pour lui permettre d’acheter une maison, de payer les dépenses de déménagement et de réinstallation, de se libérer de ses dettes, d’assurer sa sécurité financière actuelle et à l’avenir et de régler ses frais judiciaires et ses honoraires d’experts. D’après le juge, la somme forfaitaire et la pension alimentaire allaient lui permettre de maintenir un style de vie comparable à celui qu’elle avait mené durant son mariage. Il lui a accordé 750 000 $ à titre de somme forfaitaire, plus 96 974,36 $ pour les honoraires d’experts et 82 790,96 $ pour les frais judiciaires. Mme Vosko demandait une pension alimentaire indexée et nette d’impôt de 9 000 $ par mois, le juge lui a accordé la somme de 6 500 $ par mois, avant impôt.

[13] Le 2 novembre 1990, M. Mastromonaco a interjeté appel à l’encontre de la décision du juge Marx (onglets 8 et 9 de la pièce A-1, onglets 26 et 27 de la pièce R-1). Le juge Marx ayant ordonné l’exécution provisoire des dispositions alimentaires du jugement nonobstant appel, le même jour, M. Mastromonaco a présenté une requête pour obtenir la suspension de l’exécution provisoire, du paiement de la somme forfaitaire dans son intégralité et du paiement d'une partie de la pension alimentaire de Mme Vosko, soit 3 500 $ par mois (onglet 10 de la pièce A-1, onglet 28 de la pièce R-1). Un jugement réduisant le montant de la somme forfaitaire à 100 000 $ a, semble-t-il, été rendu (onglet 11 de la pièce A-1).

[14] Le 25 janvier 1991, Mme Vosko a présenté une requête en modification des mesures accessoires visant à obtenir une somme forfaitaire de 2 500 000 $ en remplacement de toute pension alimentaire à l’avenir (onglet 14 de la pièce A-1).

[15] Le 30 janvier 1991, Mme Vosko a fait effectuer une saisie des biens meubles de M. Mastromonaco (onglet 15 de la pièce A-1). Le 1er février 1991, M. Mastromonaco a produit une requête en annulation du bref de saisie avant jugement (onglet 16 de la pièce A-1). Une autre requête en annulation du bref de saisie avant jugement a été présentée le 21 février 1991 (onglet 17 de la pièce A-1). Le 27 mars 1991, les biens meubles de M. Mastromonaco ont été saisis une autre fois (onglet 18 de la pièce A-1). Le 12 avril 1991, M. Mastromonaco a produit une opposition à la saisie (onglet 19 de la pièce A-1).

[16] M. Mastromonaco a contesté verbalement l’admissibilité de la requête de Mme Vosko (visée au paragraphe 14 des présents motifs) visant à modifier le jugement du juge Marx et à obtenir une somme forfaitaire de 2 500 000 $. Le juge Filiatreault a rejeté cette requête verbale le 1er mai 1991 (onglet 20 de la pièce A-1). Le 28 mai 1991, M. Mastromonaco a présenté une requête en modification de la pension alimentaire (onglet 21 de la pièce A-1). Le 7 août 1991, Mme Vosko a effectué une autre saisie (onglet 22 de la pièce A-1) à laquelle M. Mastromonaco s’est opposé (onglet 23 de la pièce A-1).

[17] Le 18 juin 1992, le juge Deslongchamps de la Cour supérieure a rendu un jugement (onglet 24 de la pièce A-1, onglet 33 de la pièce R-1) sur toutes les diverses requêtes susmentionnées, celle de Mme Vosko visant à remplacer la pension alimentaire par une somme forfaitaire, celle de M. Mastromonaco visant à réduire la pension alimentaire. Ce jugement donnait effet pour la première fois à l’entente intervenue entre les parties le 3 février 1992 relativement à la somme forfaitaire et à la prestation compensatoire. En ce qui concerne la somme forfaitaire (visée au paragraphe 12 des présents motifs), il avait été entendu entre les parties que M. Mastromonaco transférait à Mme Vosko la maison de Hampstead, à laquelle les parties accordaient une valeur de 750 000 $ et lui versait la somme de 79 765,32 $ en plus de la somme de 100 000 $ qu’il avait déjà payée. Pour régler la prestation compensatoire de 75 000 $, M. Mastromonaco donnait les meubles à Mme Vosko. Le juge Deslongchamps devait statuer sur la requête de Mme Vosko visant à remplacer la pension alimentaire par une somme forfaitaire de 2 500 000 $. Il a fixé cette somme forfaitaire à 775 000 $.

[18] Le 28 août 1992, l'appelante a présenté une requête pour mesures accessoires. Dans cette requête, l'appelante demandait que la somme forfaitaire que le juge Deslongchamps avait fixée à 775 000 $ soit augmentée à 1 620 278 $ (pièce A-2). Dans un jugement rendu le 24 novembre 1992 (onglet 25 de la pièce A-1 et onglet 34 de la pièce R-1), le juge Tellier de la Cour supérieure a confirmé la décision du juge Deslongchamps sur le montant de la somme forfaitaire, a accordé à Mme Vosko la somme de 28 000 $ représentant les paiements de pension alimentaire pour quatre mois et a statué que M. Mastromonaco devrait verser une pension alimentaire de 7 200 $ par mois à compter du 1er décembre 1992 si, dans l’intervalle, il ne s’était pas conformé au jugement du juge Deslongchamps et n’avait pas remis à Mme Vosko la somme forfaitaire en remplacement de toute pension alimentaire.

[19] Le litige s’est terminé le 25 novembre 1992. Mme Vosko a signé une quittance et déclaré avoir reçu la somme de 775 000 $ (onglet 35 de la pièce R-1). Dans une autre quittance elle a reconnu avoir reçu la somme de 53 000 $ représentant 28 000 $ de pension alimentaire pour quatre mois et une somme globale de 25 000 $ se rapportant à des frais additionnels (onglet 36 de la pièce R-1). Les chèques pour les montants en question ont été émis le même jour.

Les arguments

[20] L’avocat de l'appelante a prétendu que les frais judiciaires engagés pour percevoir la pension, contester la demande de réduction ou demander l’augmentation de la pension sont déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”) qui est ainsi libellé :

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien;

[21] Il a renvoyé aux décisions rendues par la présente cour dans les affaires Hasbani v. The Queen, [1994] 1 C.T.C. 2810 et St-Laurent v. The Queen, 1998 Carswell Nat 1042. Il a prétendu que l’on considère maintenant que les frais judiciaires sont aussi déductibles s’ils ont été engagés pour réclamer une pension alimentaire dans le cadre d’une procédure en divorce. À cet égard, l'avocat de l'appelante a renvoyé aux décisions rendues par la présente cour dans les affaires Nissim v. The Queen, 1998 Carswell Nat 1488 et Donald v. The Queen, 1998 Carswell Nat 1932 ainsi qu’à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Evans v. M.N.R. 60 DTC 1047. En outre, l'avocat de l'appelante a fait valoir que le fait que les frais judiciaires et les honoraires d’experts puissent avoir servi en même temps à protéger l'appelante contre une réduction ou une annulation de la pension alimentaire ou les autres incidents d’une procédure en divorce ne devrait pas influer sur le droit de l'appelante de les déduire. Il n’a pas fait valoir subsidiairement qu’il devrait y avoir une répartition des dépenses.

[22] L'avocat de l'intimée a avancé que les dépenses n’avaient pas été engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien mais à titre de capital et qu’elles n’étaient donc pas déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi, qui est ainsi rédigé :

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

[...]

b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;

[23] L'avocat de l'appelante a renvoyé à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Evans (précitée), où il a été statué que la réclamation à l’égard de laquelle l'appelante avait engagé des frais judiciaires représentait une réclamation de revenu et que ces frais judiciaires étaient donc déductibles parce qu’ils avaient été engagés en vue de tirer un revenu.

[24] Les deux avocats ont renvoyé à cette décision. L'extrait cité par l’avocat de l'appelante se trouve à la page 1050 et celui cité par l'avocat de l'intimée à la page 1051. Ils sont ainsi rédigés :

(Page 1050)

[TRADUCTION]

À mon avis, la forme sous laquelle l'affaire a été soumise à la Cour n’a pas d’importance; l'appelante a engagé ces frais judiciaires dans le but d’obtenir paiement d’un revenu; il s’agissait de dépenses faites en vue de toucher un revenu auquel elle avait droit, mais dont elle ne pouvait obtenir paiement autrement. Dans cette perspective, on peut difficilement douter que les dépenses fussent déductibles du revenu imposable de l'appelante. Voilà, à mon avis, la conclusion à tirer, peu importe que la dame Andersen ait prétendu à tort que l'appelante n’avait pas droit à aucun revenu.

(page 1051)

[TRADUCTION]

À mon avis, deux questions pertinentes dans les circonstances sont soulevées en l’espèce, auxquelles, selon les admissions de faits, il convient de répondre à toutes les deux par l’affirmative : (i) la demande à l’égard de laquelle l'appelante a engagé des dépenses était-elle une demande visant à toucher un revenu auquel elle avait droit? (ii) les frais judiciaires ont-ils été justement engagés pour obtenir le paiement de ce revenu?

[25] L'avocat de l'intimée a mentionné la décision de la Cour d’appel fédérale dans l'affaire The Queen v. Sembinelli, 94 DTC 6636, où il a été statué que les frais judiciaires engagés par l’épouse pour contester la demande de son ex-mari visant à faire annuler l’ordonnance de pension alimentaire rendue à l’époque du divorce l’avaient été en vue de tirer un revenu. Il a également renvoyé à ma propre décision dans l'affaire Sembinelli v. The Queen, [1993] 2 C.T.C. 2345 et a cité l’extrait suivant qui se trouve à la page 2348 :

Je conclus que les frais judiciaires engagés par l'appelante “ pour empêcher l’anéantissement du droit de recevoir le revenu en question ” (précité) l’ont été aux fins de tirer un revenu d’un droit existant générateur de revenu, et non pas aux fins d’acquérir un actif d’un caractère durable ni aux fins de protéger un élément de capital immobilisé.

[26] L'avocat de l'intimée a prétendu que, contrairement aux deux affaires précédentes, les frais judiciaires engagés en l’espèce l’ont été en vue d’acquérir des actifs de caractère durable.

[27] L'avocat de l'intimée a aussi renvoyé à la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire The Queen v. Burgess, 81 DTC 5192, où il a été statué qu’une demande de pension alimentaire dans le cadre d’une action en divorce était de la nature d’une demande de capital parce que le droit à la pension alimentaire devait être établi alors qu’il n’est pas nécessaire de le faire dans le cadre d’une action en séparation de corps et de biens. Il aussi renvoyé à l'affaire Filteau v. M.N.R., 91 DTC 509 dans laquelle la présente cour a appliqué le raisonnement suivi dans l'arrêt Burgess.

[28] Les deux avocats ont renvoyé à la décision de la présente Cour dans l'affaire Nissim (précitée). Bien que les dépenses dans cette affaire aient été engagées avant la dissolution du mariage, le juge Bowman examine la question des frais judiciaires engagés pour obtenir une pension alimentaire à la suite d’un divorce telle qu’elle a été décidée dans l'arrêt Burgess (précité). Je cite de longs extraits de cette décision parce que l’on a l’avantage d’y trouver une discussion des caractéristiques des paiements visant à tirer un revenu et des paiements à titre de capital :

1993, 1994 et 1995

Le point en litige concernant ces années-là est la déductibilité de frais judiciaires. Les frais déduits étaient de 3 983 $, 13 914,26 $ et de 8 500 $, respectivement.

[...]

La question importante est de savoir si les frais judiciaires ont été engagés en vue de gagner un revenu ou s’il s’agissait de dépenses en immobilisations ou encore de frais personnels ou de subsistance.

[...]

Les nombreuses procédures judiciaires ainsi que les relations de l'appelante avec les nombreux avocats dont elle avait retenu les services avaient toutes pour objet primordial l’exécution de l’obligation qu’avait l’époux de verser des aliments pour les enfants. Je considère comme avéré que l’époux ne s’était pas acquitté de l’obligation qu’il avait de verser des aliments en vertu de l’ordonnance de la cour. L’époux a fini par entreprendre de payer, et les paiements ont été déclarés comme revenus par l'appelante et ont été déduits par l’époux. À mon avis, l’objet des frais juridiques qui ont été engagés était d’obliger l’époux à respecter l’obligation qu’il avait de verser des aliments pour les deux enfants. Donc, les dépenses ont été engagées en vue de gagner un revenu sous forme de paiements d’entretien, lesquels sont évidemment imposables entre les mains de l'appelante en vertu de l’alinéa 56b) ou c) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[...]

Dans la présente espèce, les frais judiciaires ont été engagés avant la dissolution du mariage et visaient à obliger l’époux à respecter l’obligation qu’il avait de faire des paiements d’entretien. Pour ce motif, je pense que la présente espèce est régie par l'arrêt Evans plutôt que par l'arrêt Burgess.

Outre cette distinction, j’ajouterais qu’à mon avis, sauf tout le respect que j’ai pour les jugements du juge Cattanach, la distinction que ce dernier a établie en 1981 peut ne pas être conforme aux réalités économiques et sociales en 1998. Nous connaissons tous trop bien le phénomène des époux qui ne s’acquittent pas de l’obligation d’entretien qu’ils ont envers leur épouse et leurs enfants. Le fait de refuser aux épouses le droit de déduire les frais engagés pour obliger leur époux à payer sa juste part de l’entretien des enfants et d’imposer les épouses sur les paiements d’entretien qu’elles peuvent obtenir de leur époux me semble contraire au bon sens et aux principes ordinaires de justice. Quelle que puisse être la valeur de la distinction entre les frais engagés pour assurer le respect d’un droit existant à un revenu et les frais engagés pour établir un tel droit, je ne pense pas que les tribunaux doivent s’efforcer de trouver des raisons juridiques de refuser que ces dépenses très nécessaires soient déduites. Il importe de reconnaître que le droit concernant les dépenses d’exploitation et les dépenses en immobilisation a évolué depuis le siècle dernier et que des distinctions pouvant avoir eu du poids en 1898 peuvent être moins importantes en 1998. Dans l'arrêt M.N.R. v. Algoma Central Railway, 68 DTC 5096, la Cour suprême du Canada disait, à la page 5097 :

[TRADUCTION]

Le législateur n’a pas défini les expressions “ somme déboursée ” ou “paiement à titre de capital ”. Comme il n’y a pas de critère législatif, l’application ou la non-application de ces expressions à des dépenses particulières doit dépendre des faits propres à chaque cas. Nous ne pensons pas qu’un seul et unique critère s’applique aux fins de cette détermination et souscrivons au point de vue exprimé par lord Pearce dans une décision récente du Conseil privé, soit B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia, (1966) A.C. 224. Au sujet de la question de savoir si une dépense était une dépense en immobilisations ou une dépense d’exploitation, il disait, à la page 264 :

La solution du problème ne réside pas dans l’application d’un critère ou d’une définition rigides. Elle découle des nombreux aspects de l’ensemble des circonstances, dont certaines amènent à conclure dans un sens, et certaines, dans un autre. Il se peut qu’un facteur ressorte de façon tellement évidente qu’il domine d’autres indices plus vagues qui indiquent une solution contraire. C’est une appréciation logique de tous les éléments directeurs qui permettra d’obtenir la réponse finale.

[Je souligne.]

[29] Les deux avocats ont renvoyé à l'affaire Donald (précitée) dans laquelle la présente Cour a suivi la décision rendue dans l'arrêt Nissim (précité).

[30] Les deux avocats ont aussi renvoyé à la décision de la présente Cour dans l'affaire St-Laurent (précitée), où il a été statué que l'appelante pouvait, en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, déduire les frais judiciaires totalisant 3 488,18 $ qu’elle avait engagés pour présenter une requête visant à modifier le montant de pension alimentaire qu’elle recevait de son ex-époux.

[31] L'avocat de l'intimée a renvoyé à l’affaire Savard v. M.N.R., 90 DTC 1478 et il a cité un extrait de la décision dans lequel le juge a déclaré que la prestation compensatoire est de la nature d’un paiement à titre de capital, à la page 1480 :

Je crois que le texte même de l’article 459 du Code civil du Québec, les auteurs et le jugement de la Cour supérieure en question m’obligent à conclure que la prestation compensatoire n’est pas de la nature d’un paiement fait pour subvenir aux besoins d’un ex-conjoint mais un paiement fait pour le rembourser de sa contribution à l’accroissement du patrimoine de l’époux qui effectue les paiements. C’est un paiement de la nature d’un paiement à titre du capital et non à titre du revenu.

Conclusion

[32] Les deux avocats, semble-t-il, s’entendent sur l’interprétation de la jurisprudence, mais ils ne s’entendent pas sur la question de savoir si les dépenses engagées par Mme Vosko doivent être caractérisées comme des dépenses visant à tirer un revenu ou des dépenses à titre de capital.

[33] La question de la répartition des dépenses n’a jamais été soulevée durant l’argumentation. Le ministre a permis à l'appelante de déduire certaines petites sommes à l’égard des frais engagés relativement à la pension alimentaire sans vraiment expliquer les raisons de la répartition. Mais ce n’est pas la répartition qui fait l’objet du débat. L’argumentation juridique des deux côtés a porté sur la détermination du véritable objectif des procédures judiciaires. D’après l'avocat de l'appelante, elles visaient surtout à tirer un revenu tandis que d’après l'avocat de l'intimée c’était le contraire.

[34] Il se peut qu’un facteur ressorte de façon tellement évidente qu’il domine d’autres indices plus vagues qui indiquent une solution contraire. On considère depuis longtemps que cette remarque de lord Pearce dans l'affaire B.P. Australia Ltd (précitée) indique clairement la voie que la Cour doit suivre quand elle analyse des faits afin de déterminer le but de certaines dépenses.

[35] Mme Vosko a déclaré que les dépenses avaient toutes été engagées pour obtenir des aliments. Selon le libellé du paragraphe 15(2) de la Loi sur le divorce, les aliments peuvent prendre la forme de paiement de capital ou de paiements de revenus :

COROLLARY RELIEF

...

15.(2) A court of competent jurisdiction may, on application by either or both spouses, make an order requiring one spouse to secure or pay, or to secure and pay, such lump sum or periodic sums, or such lump sum and periodic sums, as the court thinks reasonable for the support of

(a) the other spouse;

(b) any or all children of the marriage; or

(c) the other spouse and any or all children of the marriage.

MESURES ACCESSOIRES

[...]

15.(2) Le tribunal compétent peut, sur demande des époux ou de l'un d'eux, rendre une ordonnance enjoignant à un époux de garantir ou de verser, ou de garantir et de verser, la prestation, sous forme de capital, de pension ou des deux, qu'il estime raisonnable pour les aliments :

a) de l'autre époux;

b) des enfants à charge ou de l'un d'eux;

c) de l'autre époux et des enfants à charge ou de l'un deux.

[Je souligne.]

[36] Dans son jugement (mentionné aux paragraphes 11 et 12 des présents motifs), le juge Marx a accordé à l'appelante, à sa demande, (mentionnée au paragraphe 10 des présents motifs) une somme forfaitaire à titre de pension alimentaire. Ce paiement de pension alimentaire est de la nature d’un paiement de capital.

[37] Tel que mentionné au paragraphe 7 des présents motifs, l'appelante demandait une prestation compensatoire de 1 000 000 $. Une telle demande ne vise pas à obtenir une pension alimentaire mais le remboursement de la contribution d’un époux à l’accroissement du patrimoine de l’autre époux comme je l’ai indiqué dans la décision que j’ai rendue dans l'affaire Savard (précitée). Il s’agit d’un montant de capital.

[38] La somme forfaitaire que l'appelante a demandée en remplacement de la pension alimentaire (paragraphes 14 et 17 des présents motifs) est aussi de la nature d’une somme de capital.

[39] Au paragraphe 6 des présents motifs, j’indique que M. Mastromonaco avait présenté une requête en divorce et accepté d’effectuer tous les paiements de pension alimentaire prévus dans l’entente intervenue entre les parties lors de la séparation. Tous ces paiements constituaient un revenu pour Mme Vosko. Cependant, elle n’était pas satisfaite des paiements de pension et elle voulait obtenir des paiements de capital. C’est ce qu’elle visait à obtenir en contestant la requête en divorce de son mari. Personne ne pourrait prétendre qu’elle n’avait pas le droit de se constituer un patrimoine pour elle-même et pour ses enfants ou qu’elle devrait être blâmée d’avoir tenté d’atteindre cet objectif. Toutefois, la Loi fait une distinction entre les dépenses engagées en vue de tirer un revenu d’une propriété et les paiements effectués à titre de capital et elle leur réserve un traitement fiscal différent.

[40] Après avoir analysé les faits en l’espèce, je conclus que les dépenses engagées par l'appelante durant les années faisant l’objet de l’appel avaient comme but primordial de lui permettre d’acquérir son propre patrimoine. Il y a bien eu quelques demandes de pension alimentaire, mais elles étaient secondaires et motivées par le désir de l'appelante d’obtenir d’importantes sommes de capital. Il s’agissait donc de dépenses engagées au titre de capital et non en vue de tirer un revenu.

[41] Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juillet 1999.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

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