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Date: 20000605

Dossier: 1999-5009-IT-I

ENTRE :

SANDRA FISHER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une cotisation fiscale pour l'année d'imposition 1997. Cette année-là, l'appelante a reçu de son ex-mari certains montants à titre de pension alimentaire. D'autres montants qu'elle aurait pu recevoir la même année à titre de pension alimentaire ont compensé une dette qu'elle avait envers son ex-mari. La question est de savoir quel montant l'appelante est tenue d'inclure dans le calcul de son revenu à titre de pension alimentaire aux termes de l'alinéa 56(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'appelante a choisi la procédure informelle.

[2] Les faits ne sont pas contestés. L'appelante et Gordon Fisher (“ Gordon ”) se sont mariés en 1973. Ils ont eu deux enfants : Brian, né en 1977 et Robert, né en 1979. L'appelante et Gordon se sont séparés en 1993. En 1994, une ordonnance du tribunal obligeait Gordon à verser 1 100 $ par mois de pension alimentaire à son épouse et à ses deux enfants. L'appelante et Gordon ont obtenu leur divorce en mai 1995 et l'ordonnance exigeant le versement d'une pension alimentaire de 1 100 $ par mois a été maintenue. Après le divorce, l'appelante et Gordon se sont partagés les biens familiaux aux termes de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario.

[3] Le juge Bernstein, de la Cour de l'Ontario (Division générale), a été saisi de la question du partage des biens familiaux le 14 janvier 1997. À cette époque, Gordon devait des arriérés au titre de la pension alimentaire de l'ordre de 7 558 $. En ce qui concerne uniquement le partage des biens familiaux, le juge Bernstein a décidé que l'appelante devait à Gordon un montant net de péréquation de 12 138 $ (11 788 $ plus 350 $), attribuable au fait qu'elle avait conservé la maison familiale à la suite du partage des biens. Après avoir pris cette décision, le juge a rendu une ordonnance qui me semble être très sensée. Il a d'abord soustrait les arriérés au titre de la pension alimentaire mensuelle (7 558 $) du montant net de péréquation (12 138 $), laissant subsister un solde de 4 579 $. Il a ensuite ordonné à Gordon de verser à l'appelante, pendant une période de douze mois, un montant de 700 $ seulement par mois et de considérer la différence, soit 400 $ par mois, comme un crédit, de sorte que, après douze mois, le crédit total de Gordon de 4 800 $ compenserait le solde de 4 579 $ que l'appelante lui devait. La décision du juge Berstein est déposée sous la cote A-1. Voici le passage pertinent :

[TRADUCTION]

Audition de l'affaire soumise à notre Cour le 14 janvier 1997, en présence des parties.

APRÈS LECTURE DES OBSERVATIONS ET APRÈS AUDITION DE LA PREUVE et des arguments de l'avocat de la demanderesse (Sandra Fisher) et du défendeur (Gordon Fisher) en personne.

1. IL EST ORDONNÉ que la péréquation de la valeur nette des biens familiaux s'effectue en fonction de la pièce déposée sous la cote 1. La demanderesse devra verser au défendeur 4 579,47 $ et les parties deviendront propriétaires des biens mentionnés à la pièce déposée sous la cote 1.

2. IL EST DE PLUS ORDONNÉ que le défendeur verse à la demanderesse, à titre de pension alimentaire, la somme de 1 100,00 $ par mois, dont le défendeur a le droit de déduire 400,00 $ par mois pendant douze mois, afin que soit acquittée pleinement la dette découlant de la péréquation de la valeur des biens. Les versements s'effectueront le premier jour de chaque mois à compter du 1er février 1997.

3. [...]

Le paragraphe 1 du jugement mentionne la pièce déposée sous la cote 1 et le montant de 4 579,47 $. Dans ce document, le juge Bernstein avait déjà déterminé que le montant net de péréquation s'élevait à 12 138 $ et il en avait déduit les arriérés de la pension alimentaire de 7 558 $, laissant subsister un solde de 4 579 $.

[4] La décision du juge Bernstein est sensée car elle a permis à l'appelante, qui était dépourvue de capital liquide, de se libérer de sa dette de 12 138 $ envers Gordon en l'espace d'un an sans trop en souffrir financièrement. Cependant, cette décision pose des problèmes au point de vue fiscal car on a opéré compensation entre les obligations de l'appelante, consistant à verser à Gordon un montant sous forme de capital, et celles de Gordon, consistant à verser à l'appelante un montant sous forme de revenus.

[5] Dans sa déclaration de revenu de 1997, l'appelante a déclaré comme revenu le montant total de la pension alimentaire (8 400 $) qu'elle avait réellement reçue de Gordon à raison de 700 $ par mois pendant douze mois. Dans un avis de nouvelle cotisation envoyé en janvier 1999, le ministre du Revenu national a fixé la cotisation d'impôt en tenant compte du fait que l'appelante n'avait pas déclaré des revenus de 11 958 $, calculés de la manière suivante :

Arriérés de la pension alimentaire 7 158 $

Réduction de la pension pendant 12 mois 4 800 $

11 958 $

Dans la preuve, rien n'explique la différence entre la somme des arriérés (7 558 $) utilisée par le juge Bernstein et la somme des arriérés (7 158 $) utilisée par Revenu Canada. Toutefois, je fais remarquer que cette différence est de 400 $. L'appelante a interjeté appel de la nouvelle cotisation, prétendant qu'elle n'avait pas reçu le montant susmentionné de 11 958 $ en 1997 ou, s'il fallait considérer qu'elle l'avait reçu, que les circonstances n'exigeaient pas son inclusion dans le revenu conformément à l'alinéa 56(1)b) de la Loi. Les extraits pertinents de l'alinéa 56(1)b) tel qu'il s'appliquait en 1997 sont les suivants :

56(1) Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

a) [...]

b) le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

       A - (B + C)

où :

A représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue après 1996 et avant la fin de l'année d'une personne donnée dont il vivait séparé au moment de la réception de la pension;

B [...]

C [...]

La définition des montants B et C n'est pas pertinente parce que ces montants sont soustraits du montant A. La principale question est de savoir si le montant A inclut le montant de 11 958 $ (ajouté par le ministre au revenu déclaré par l'appelante).

[6] L'élément principal du montant A est une “ pension alimentaire ”, ainsi définie au paragraphe 56.1(4) :

“ pension alimentaire ” Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a) le bénéficiaire est le conjoint ou l'ancien conjoint du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d'échec de leur mariage et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit;

b) le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

Le montant en litige (11 958 $) comporte deux éléments, soit des arriérés de pension alimentaire de 7 158 $ (les “ arriérés ”) et le montant de la réduction de la pension pendant douze mois, soit 4 800 $ (le “ montant de la réduction ”). Il me faut maintenant déterminer si les arriérés et le montant de la réduction peuvent entrer dans le cadre de la définition de “ pension alimentaire ”.

[7] La présente affaire porte sur des montants non payés et non reçus. En tant que payeur, Gordon n'a pas payé les arriérés (7 158 $) et l'appelante ne les a pas reçus. Ces arriérés ont plutôt servi à compenser le montant net de péréquation (environ 12 000 $). De même, pendant les douze mois de 1997, Gordon n'a pas versé 1 100 $ par mois à titre de pension alimentaire et l'appelante n'a pas reçu cette somme. Il a plutôt versé 700 $ par mois et a compensé le montant net de péréquation par un crédit de 400 $ par mois jusqu'à ce que, à la fin des douze mois, ces crédits de 4 800 $ (soit le montant de la réduction) excèdent le solde (4 597 $) qui lui était dû à titre de montant net de péréquation. En ne payant pas les arriérés et le montant de la réduction, Gordon a reçu la valeur intégrale du montant net de péréquation (12 000 $).

[8] En tant que payeur, l'appelante n'a pas versé le montant net de péréquation (12 000 $) et Gordon ne l'a pas reçu. Elle a plutôt renoncé à son droit sur les arriérés (7 158 $) en guise de compensation pour le montant net de péréquation. De même, elle a accepté une pension alimentaire réduite, soit 700 $ par mois, pendant les douze mois de 1997 afin de compenser le montant net de péréquation par son déficit accumulé de 4 800 $ (soit le montant de la réduction) à la fin des douze mois. En ne recevant pas les arriérés et le montant de la réduction, l'appelante a remboursé la valeur intégrale du montant net de péréquation.

[9] Le juge Bernstein a reconnu l'obligation unique de l'appelante envers Gordon (le montant net de péréquation) et les obligations continues de Gordon envers l'appelante et, judicieusement, il a opéré compensation. D'après la cotisation portée en appel, il semble que Revenu Canada a assimilé la compensation à un paiement effectué par Gordon et à une rentrée d'argent pour l'appelante. En droit, la compensation et le paiement sont deux notions sensiblement différentes. Le passage suivant est extrait d'un ouvrage canadien récent, The Law of Set-Off in Canada, de Kelly R. Palmer, Canada Law Book Inc., 1993, aux pages 17 et 18 :

[TRADUCTION]

Bien que la possibilité de faire une demande reconventionnelle, en matière de compensation, décharge le défendeur de l'obligation de payer le demandeur, cela ne veut pas dire qu'un paiement a été effectué. Le paiement et la compensation sont deux mesures distinctes que le défendeur peut prendre. Selon Halsbury :

La compensation et le paiement sont deux notions complètement distinctes. Le paiement est l'acquittement d'une créance par le débiteur de qui elle est exigible ou par une personne en son nom. La personne qui paie exécute l'obligation née de la créance laquelle, de ce fait, s'éteint. La compensation dispense la personne qui y a droit de l'acquittement de la créance dont elle est débitrice, ou d'une partie de la créance équivalant au montant qu'elle a droit de compenser; elle est donc, jusqu'à concurrence de la compensation, libérée de l'exécution de l'obligation née de la créance.

En cas de paiement, le débiteur invoque paiement ou accord et exécution, ce qui revient à faire valoir que la créance est éteinte. Par contre, le débiteur qui invoque la compensation admet l'existence de la créance et peut faire une demande reconventionnelle par laquelle il est dispensé du paiement et a droit à jugement sur la demande. (Halsbury's Law of England, 4e éd., vol. 42, par. 410)

Cependant, cela ne veut pas dire que l'on ne peut utiliser la compensation pour acquitter un paiement en toute circonstance. Si les parties sont d'avis que la compensation de dettes réciproques constitue un paiement satisfaisant, ainsi en sera-t-il. Il s'agit alors davantage d'une question contractuelle que d'une compensation.

À défaut d'entente, il est toutefois évident que le paiement ne peut être acquitté au moyen d'une compensation.

[10] Compte tenu des dernières phrases de l'extrait ci-dessus, il n'existe aucune preuve d'une entente entre l'appelante et Gordon selon laquelle la compensation de leurs dettes réciproques serait considérée comme un paiement. Il semble que ce soit le contraire. L'appelante a déclaré que Gordon lui avait demandé de signer un document précisant qu'elle avait reçu 1 100 $ par mois en 1997. Elle a toutefois refusé de signer ce document parce qu'elle n'avait reçu que 700 $ par mois conformément à l'ordonnance du juge Bernstein. Faute d'une entente en ce sens, j'estime que le montant net de péréquation (12 000 $) n'a pas été payé. Les arriérés (7 158 $) n'ont pas été payés et le montant de la réduction (4 800 $) n'a pas été payé. Ces montants n'ont pas été payés à cause de la compensation. Le montant net de péréquation a été compensé par les deux autres montants.

[11] Bien que l'expression “ pension alimentaire ” soit définie au paragraphe 56.1(4) comme un “ montant payable ou à recevoir ”, j'ai toujours compris que l'imposition des pensions alimentaires se faisait selon la méthode de la comptabilité de caisse et non selon la méthode de la comptabilité d'exercice, ce que confirment les mots définissant le montant A à l'alinéa 56(1)b) :

“ [...] une pension alimentaire que le contribuable a reçue après 1996 et [...] ”

Je signale en outre que le montant A est ainsi défini au paragraphe 60b) :

“ [...] une pension alimentaire que le contribuable a payée après 1996 et [...] ”

Je suis d'avis qu'il ne faut inclure aucun montant dans le calcul du revenu pour une année d'imposition en vertu de l'alinéa 56(1)b) à moins que le montant ait été reçu dans l'année. L'appelante n'a pas reçu les arriérés (7 158 $) en 1997 parce qu'ils ont compensé le montant net de péréquation. De même, l'appelante n'a pas reçu le montant de la réduction (4 800 $) en 1997, celui-ci ayant également compensé le montant net de la péréquation.

[12] Une pension alimentaire est généralement versée pour exécuter une obligation familiale après l'échec d'un mariage. Il n'y a aucune contrepartie. Selon les faits en l'espèce, Gordon n'a pas payé les arriérés ou le montant de la réduction mais il en a eu pour son argent en ne payant pas puisque le non-paiement de ces montants lui a permis de récupérer le montant net de péréquation. Il y a eu une contrepartie dans le cas du non-paiement des arriérés et du montant de la réduction. Ces montants ne peuvent être considérés comme le paiement de la pension.

[13] L'appel interjeté à l'égard de la cotisation est admis et la cotisation pour l'année d'imposition 1997 est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelante n'a pas reçu en 1997 la somme de 11 958 $ qui a été ajoutée, dans cette cotisation, à son revenu déclaré. Notamment, l'appelante s'est acquittée du fardeau de la preuve en établissant que le fait à l'origine du litige, dont le ministre a présumé l'existence et qui était énoncé au paragraphe 8(g) de la réponse, était erroné. L'appelante n'a reçu que 8 400 $ à titre de pension alimentaire en 1997.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juin 2000.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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