Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990324

Dossier: 97-2870-IT-I

ENTRE :

MICHAEL J. CHUTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance sont interjetés par Michael J. Chute (“ appelant ”) à l'encontre de cotisations d'impôt établies pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, dans lesquelles le ministre du Revenu national (“ ministre ”) a refusé une partie des sommes déduites à titre de paiements de pension alimentaire ou d'allocation d'entretien. Les sommes en litige totalisent 2 800 $, 4 400 $ et 3 200 $ respectivement dans les trois années en litige.

[2] Les faits ne sont pas contestés. Dans une ordonnance provisoire rendue en 1993 (“ ordonnance de 1993 ”), la Cour du Banc de la Reine (Division de la famille) a ordonné à l'appelant de payer à son ancienne épouse, Elizabeth Chute, entre autres montants, une pension alimentaire pour leur fille, Erin, de 400 $ par mois, à compter du mois de juillet 1993, et de faire les paiements en question à Elizabeth Chute par l'intermédiaire de la direction de l'exécution.

[3] Dans une ordonnance provisoire rendue sur consentement le 2 juin 1994 (“ ordonnance de 1994 ”), la Cour du Banc de la Reine a modifié l'ordonnance de 1993 et ordonné à l'appelant de verser à Erin une pension alimentaire de 400 $ par mois à compter du mois d'avril 1994, le montant en question étant payable à celle-ci par l'intermédiaire de la direction de l'exécution[1].

[4] La preuve indique également que l'ordonnance de 1994 a été rendue par suite de discussions entre les procureurs de l'appelant et ceux de son ancienne épouse. Plus particulièrement, il est évident qu'ils se sont mis d'accord et qu'ils ont consenti à l'ordonnance de 1994 à condition que l'ancienne épouse de l'appelant continue à inclure le montant payé à Erin dans son revenu aux fins de l'impôt sur le revenu[2].

[5] L'intimée soutient que l'appelant n'a pas le droit de déduire les montants en litige conformément à l'alinéa 60 b) ou 60 c) et au paragraphe 60.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (“ Loi ”) car ils ne sont pas des allocations au sens du paragraphe 56(12) de la Loi. Plus précisément, soutient-elle, dans les circonstances de la présente affaire, l'épouse de l'appelant ne pouvait pas utiliser les montants à sa discrétion.

[6] Il peut être utile de citer la décision rendue par le juge Bowman, C.C.I., dans Hak v. The Queen[3]. Dans cette affaire, l'intimée a également fondé son refus de la déduction sur une interprétation de l'alinéa 60 b), de l'article 60.1 et du paragraphe 56(12) et sur ce qui est allégué être l'effet de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale The Queen v. Armstrong[4]. Bien que les faits ne soient pas parfaitement identiques à ceux des appels en l'instance, l'analyse effectuée par le juge Bowman s'applique en l'espèce. Dans le cadre de son examen, il a cité l'arrêt de la Cour d'appel fédérale The Queen v. Arsenault[5] comme suit :

Le sommaire de cet arrêt énonce les faits comme suit :

En vertu d'un accord de séparation en date du 26 juin 1984, le contribuable était notamment tenu de payer 400 $ par mois de pension alimentaire à sa conjointe, “ S ”, dont il s'était séparé, et 100 $ par mois pour chacun des trois enfants. Au lieu de faire de tels paiements, le contribuable a remis à S des chèques mensuels de 690 $ (puis de 760 $) payables au propriétaire de S, lesquels chèques S remettait à ce dernier. Dans la cotisation établie à l'égard du contribuable pour 1991 et 1992, le ministre a refusé les déductions que le contribuable avait indiquées au titre de ces chèques pour le loyer. L'appel du contribuable devant la Cour canadienne de l'impôt a été accueilli. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que les montants payés par le contribuable étaient des sommes limitées et prédéterminées et se rapportaient à un certain type de dépenses que S pouvait ainsi payer. De plus, de l'avis du juge de la Cour de l'impôt, S était réputée avoir reçu les montants en cause en ce qu'elle avait acquiescé au paiement de ces montants par le contribuable au propriétaire, faisant ainsi de son propriétaire son mandataire pour la réception des montants et leur affectation appropriée. Donc, dans l'esprit du juge de la Cour de l'impôt, toutes les conditions de l'alinéa 60b) et du paragraphe 56(12) étaient remplies, ce qui l'a amené à la conclusion que les montants en cause étaient déductibles. Le ministre a présenté à la Cour d'appel fédérale une demande de contrôle judiciaire des conclusions du juge de la Cour de l'impôt.

Le jugement des majoritaires (juges Strayer et MacGuigan) a été rendu verbalement par le juge Strayer, qui a dit :

J'estime que le requérant n'a pas fait la preuve d'une erreur donnant lieu à contrôle judiciaire de la part du juge de la Cour de l'impôt. J'estime que ce dernier a eu raison de conclure que les paiements en question relevaient de l'alinéa 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu car, selon les faits de l'espèce, l'ex-conjointe de l'intimé conservait le pouvoir discrétionnaire de décider comment la somme d'argent était versée en application de l'accord de séparation et du jugement intervenus et, partant, pouvait l'utiliser à sa discrétion.

Le juge Bowman a également cité l'arrêt The Queen v. Armstrong[6], à propos duquel il a déclaré ceci :

Trois mois plus tard, la question de paiements faits à des tiers a de nouveau été portée devant la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Armstrong, qui a été entendue par le juge en chef Isaac et les juges Stone et Linden. Le jugement a été rendu par le juge Stone. Dans cette affaire, la cour saskatchewanaise avait ordonné au contribuable d'effectuer les paiements hypothécaires mensuels relatifs au foyer conjugal, où continuait d'habiter son épouse. En ordonnant ces paiements, la cour n'avait pas fait mention du paragraphe 60.1(2). La Cour d'appel fédérale a statué que le contribuable ne pouvait se prévaloir de la disposition déterminative figurant à la fin du paragraphe 60.1(2) et que le paragraphe 60.1(1) ne pouvait être invoqué puisque les paiements faits n'étaient pas une “ allocation ” au sens du paragraphe 56(12), car la conjointe ne pouvait utiliser les paiements hypothécaires à sa discrétion.

Je suis évidemment lié par cet arrêt dans la mesure où sa ratio decidendi s'applique. Il s'agit d'un arrêt concernant des paiements qui étaient expressément prévus au paragraphe 60.1(2) et qui ne relevaient pas par ailleurs de l'alinéa 60b). De plus, l'ordonnance a été rendue par la cour et ne laissait apparemment à la conjointe aucun pouvoir discrétionnaire. Dans la présente espèce, les paiements sont à mon avis visés par l'alinéa 60b) et l'accord entre les conjoints ne fait que permettre à l'appelant de s'acquitter en partie de son obligation de verser le montant périodique de 1 000 $ en payant certaines factures que l'épouse aurait autrement à payer sur l'allocation de 1 000 $ par mois. Selon moi, la présente espèce ressemble beaucoup plus à l'affaire Arsenault. En l'absence d'une indication claire du contraire, je ne peux présumer que, dans l'arrêt Armstrong, la Cour d'appel fédérale entendait casser la décision qu'elle avait elle-même rendue trois mois plus tôt dans l'affaire Arsenault. En fait, la présente cause est plus forte que la cause Arsenault. Dans l'affaire Arsenault, l'époux avait unilatéralement présenté à son épouse des chèques à l'ordre d'une tierce personne alors qu'en l'espèce, les paiements ont été faits avec le consentement exprès de l'épouse.

[7] Comme dans l'affaire Hak, personne ne conteste que, si l'appelant avait versé à son ancienne épouse le montant de 400 $ par mois pour qu'elle remette ensuite ce montant à sa fille (la bénéficiaire), son droit à la déduction ne soulèverait aucun doute. À mon avis, bien que le libellé de l'ordonnance de 1994 ne précise pas que les paiements à Erin sont faits pour le compte de l'épouse, c'était clairement l'intention et l'effet de l'entente et de l'ordonnance subséquente. Je suis convaincu également que les paiements en litige dans le présent appel sont visés par l'alinéa 60 b) car l'ancienne épouse de l'appelant a exercé sa discrétion quant à la façon dont l'argent devait être payé en consentant à l'ordonnance de 1994. Il est indiscutable que ces paiements à la fille ont été faits avec le consentement exprès de l'épouse et avec l'approbation de la Cour.

[8] Les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour permettre à l'appelant de déduire les montants en litige en vertu de l'alinéa 60 b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mars 1999.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour de janvier 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]               Le paragraphe 7 de l'ordonnance provisoire de 1993 est libellé dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

L'intimé paiera en outre à la requérante, pour l'entretien des enfants Erin Louise Chute et Andrew Paul Chute, la somme de 400 $ par mois par enfant, ce qui fait au total 800 $ par mois, 400 $ étant payables le 1er de chaque mois et 400 $, le 15 de chaque mois, et ce, à compter du 1er juillet 1993.

                L'ordonnance provisoire sur consentement de 1994 a modifié l'ordonnance de 1993 dans les termes suivants :

                               

                                [TRADUCTION]

1.                     QUE l'ordonnance provisoire rendue par le juge Mullally le 16 juin 1993 soit modifiée par la suppression du paragraphe 7 de celle-ci et l'ajout du paragraphe 7 suivant :

7. a)          L'intimé paiera en outre à la requérante pour l'entretien de l'enfant ANDREW PAUL CHUTE la somme de 400 $ par mois le 1er de chaque mois à compter du 1er avril 1994.

7. b)         L'intimé paiera en outre à l'enfant ERIN LOUISE CHUTE une pension alimentaire de 400 $ par mois le 15 de chaque mois à compter du 15 avril 1994.

2.                     QUE l'ordonnance provisoire rendue par le juge Mullally le 16 juin 1993 soit modifiée également par l'ajout du paragraphe 10 :

10.                  Le paiement périodique de la pension alimentaire ordonné par les présentes pour subvenir aux besoins de l'enfant ERIN LOUISE CHUTE sera fait au comptant ou par chèque ou mandat à l'ordre de ERIN LOUISE CHUTE envoyé à l'agent autorisé de la direction de l'exécution, Law Courts Building, 114, avenue River ouest, Dauphin (Manitoba), R7N 0J7, conformément à la partie VI de la Loi sur l'obligation alimentaire.

11.              

[2]               Lettre adressée le 30 mars 1994 aux procureurs de l'appelant par les procureurs de l'épouse.

[3]               99 DTC 36.

[4]               96 DTC 6315.

[5]               96 DTC 6131.

[6]               Précité.

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