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Date: 19980818

Dossier: 96-1241-UI

ENTRE :

DANIELLE CYR,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé

et

HORACE BLAIS (MARCHÉ BLAIS INC.),

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Percé (Québec), le 5 août 1998.

[2] Il s'agit d'un appel relatif à l'assurabilité d'un travail exécuté durant la période du 8 mai au 28 juillet 1995 pour le compte et bénéfice de Horace Blais.

[3] La preuve a été constituée par le témoignage de l'appelante et de celui du capitaine du bateau, monsieur Horace Blais.

[4] Au cours de la période litigieuse, l'appelante a expliqué que son son travail consistait à attacher les pinces des homards au moyen d'un élastique ( « élastiquer » ). Une fois « élastiqué » , le homard était livré à l'usine, en l'occurrence le Marché Blais où l'appelante était associée au débarquement.

[5] En après-midi, l'appelante se rendait à nouveau à l'usine pour y prendre la bouette, c'est-à-dire le poisson, habituellement hareng servant d'appât aux prises de homard et allait par la suite, à l'occasion, chercher l'essence requise pour l'opération du bateau. À raison de deux ou trois fois par semaine, elle devait faire le lavage et nettoyage complet du bateau qui prenait, selon les deux témoins, environ une heure. Également à raison de deux ou trois fois par semaine, l'appelante allait en mer. Il semble que cette participation aux opérations de la pêche était conséquence aux conseils d'un fonctionnaire qui leur avait indiqué que cela faciliterait l'obtention d'un statut assurable pour son travail. Lorsque l'appelante allait en mer, cela avait pour avantage d'accélérer le processus de livraison du homard puisque « l'élastiquation » se faisait au large et par voie de conséquence était déjà faite à l'arrivée au quai. Chaque semaine, soit le mardi, l'appelante se rendait au Marché pour y chercher les paies.

[6] La preuve a aussi établi que le travail exécuté par l'appelante avait déjà fait l'objet d'une décision de ce Tribunal où l'honorable juge suppléant Charron, dossier 94-2224(UI), le 13 octobre 1995, avait décidé en substance ce qui suit :

« J'en viens à la conclusion que la preuve a démontré que le contrat de l'appelante constituait un « emploi de convenance » , c'est-à-dire un emploi qui n'a d'autre but que de se qualifier aux prestations d'assurance-chômage... »

[7] Cette même preuve a aussi démontré que le travail exécuté par l'appelante pour le compte et bénéfice du payeur au cours de la période en litige était sensiblement le même qu'à l'époque de la décision dont il a été précédemment question.

[8] Finalement, les témoignages ont permis de savoir que l'appelante n'avait pas travaillé pour le payeur lors d'une période de cinq semaines en plein temps de la saison de la pêche, ses prestations d'assurance-chômage n'étant pas épuisées.

[9] Horace Blais a témoigné d'une façon assez imprécise; il a indiqué avoir recours à des jeunes sur le quai lorsque l'appelante n'y était pas. Ces jeunes étaient rémunérés plus ou moins 25 $. Pour le travail décrit, l'appelante a indiqué qu'elle recevait un salaire brut de 400 $ par semaine qui lui était payé par le Marché Blais sur les instructions de son beau-père Horace Blais.

Analyse

[10] Ayant vécu une première expérience devant le Tribunal concernant son emploi exécuté pour le même payeur et de ce fait, devant savoir que le fardeau de preuve reposait sur ses épaules, il eut été normal voire nécessaire que la preuve soumise au soutien du présent appel soit claire, articulée et surtout complète et satisfaisante. La réalité fut toute autre, elle a, en quelque sorte, sensiblement reproduit la preuve enregistrée lors de sa première expérience au point que ce Tribunal a un peu l'impression de statuer en appel d'une décision déjà rendue par cette Cour.

[11] Certes, ce Tribunal n'est pas lié par la décision précédente, certes le présent jugement doit découler essentiellement des faits établis par la preuve et seuls les faits de la période en litige doivent être pris en compte. Par contre, il eut été nécessaire de faire la preuve d'éléments nouveaux et déterminants ou tout au moins bonifier la preuve ayant fait l'objet du premier jugement.

[12] Les témoignages ont démontré que l'appelante avait été associée aux opérations de la pêche au homard exécutées par Horace Blais et son fils, conjoint de l'appelante.

[13] En quoi et comment le travail de l'appelante était-il utile et nécessaire à l'entreprise? Il a été établi que cela permettait de livrer le homard plus vite étant donné qu'il était « élastiqué » sur le bateau quand l'appelante y était. Quand l'appelante n'allait pas en mer, cela était fait sur le quai lors du débarquement à trois plutôt qu'à deux. En l'absence de l'appelante, des jeunes, dont la formule de rémunération a été décrite de façon assez confuse, aidaient l'exécution du travail « d'élastiquation » . Le Tribunal a voulu savoir pourquoi la bouette et l'essence n'étaient pas chargées après le débarquement du homard, évitant ainsi un voyage. Encore là, les explications fournies furent peu convaincantes voire même différentes en ce que l'appelante avait soutenu que le hareng (la bouette) était conscrit alors que Blais a affirmé qu'il devait attendre l'après-midi pour obtenir du hareng frais. Aux questions visant à savoir pourquoi la responsabilité de la bouette et de l'essence lui incombait, elle a soutenu que les hommes se reposaient pendant cette période. Pourquoi attendre l'après-midi pour récupérer la bouette et l'essence? Horace Blais a répondu qu'il avait hâte de déjeuner et de se reposer. Pourquoi l'appelante n'allait pas sur le bateau tous les jours de la pêche? « Pour lui donner une chance parce que c'était une femme » , fut la réponse du beau-père.

[14] La preuve dont le fardeau incombait à l'appelante a été assez décousue et peu convaincante quant à ses aspects essentiels; je ne doute pas que l'appelante ait rendu de bons et utiles services, qu'elle ait été disponible et empressée pour faciliter le travail de son conjoint et beau-père. D'ailleurs le plaidoyer du procureur de cette dernière a beaucoup insisté que le salaire n'était pas élevé, qu'il était raisonnable et légitime. Je ne crois pas que la générosité soit un élément pertinent pour la formation d'un contrat de louage de services. La générosité excessive m'apparaît contraire aux caractéristiques d'un véritable contrat de louage de services dont la composante est essentiellement rationnelle laissant peu de place à la générosité. Un véritable contrat de louage de services doit découler d'un besoin réel de l'entreprise ou du payeur pour l'exécution d'un travail commandé par la nécessité et non pas par la générosité ou la sympathie à l'endroit de l'exécutant. Il est peut-être louable qu'Horace Blais ait associé l'appelante au partage de la masse salariale; cela n'avait cependant pas pour effet de créer pour autant un emploi assurable.

[15] De toutes les tâches décrites par la preuve, je suis d'opinion que seule « l'élastiquation » et le lavage du bateau étaient des travaux pouvant faire partie d'un véritable contrat de louage de services; or la preuve a démontré qu'il s'agissait de travaux requérant tout au plus une quinzaine d'heures par semaine. D'ailleurs, le peu de transparence relatif à l'embauche de jeunes sur le quai atteste qu'il s'agissait là d'un travail dont la nécessité était douteuse.

[16] Dans les circonstances, je considère que le travail de l'appelante au cours de la période en litige n'a pas été exécuté dans le cadre d'un véritable contrat de louage de services. Il s'agissait essentiellement d'un arrangement maquillé en contrat de louage de services. Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d'août 1998.

« A. Tardif »

J.C.C.I.

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