Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19981113

Dossiers: 92-2773-IT-G; 93-3160-IT-G

ENTRE :

ALAIN CÔTÉ,

LOUISE MARCOUX,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Garon, C.C.I.

[1] Il s’agit d’appels de cotisations d’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990. Par ses cotisations à l’égard des appelants pour les années en cause, le ministre du Revenu national a réduit à zéro la déduction pour dons de bienfaisance portant sur certaines oeuvres d’art. Cette déduction avait été réclamée par les deux appelants dans chacune des trois années en cause. Les appelants contestent aussi les pénalités établies par ces cotisations pour les mêmes années d’imposition.

[2] Ces appels ont été entendus sur preuve commune. En outre, il y a eu audition commune d’une partie de la preuve et des plaidoiries dans les présents appels et dans les appels des cotisations d'impôt sur le revenu de monsieur Amédée Duguay (94-1081(IT)G), madame Diane L. Duguay (94-1084(IT)G) et de monsieur François Langlois (92-1124(IT)G et 94-3007(IT)G). À ce point-ci, il y a lieu de noter que les appelants dans les présentes affaires aussi bien que les trois personnes susmentionnées dans le présent paragrahe font partie d'un groupe d'environ 200 personnes qui ont acheté divers objets d'art et d'autres biens dans le but de les donner à des organismes de bienfaisance enregistrés.

[3] Dans un premier temps, pour les fins de ces appels, il me paraît opportun de fournir un récit assez détaillé des témoignages des deux appelants. Ce récit sera suivi d'un exposé circonstancié de la déposition de monsieur Marc Levert, un acteur clef dans le déroulement des événements qui sont au coeur de ce litige. La version d'un dirigeant d'un organisme bénéficiaire de dons, monsieur Julien Carignan, sera étudiée assez longuement. Finalement, le témoignage de monsieur Jacques Demers, agent des appels à Revenu Canada, vu son rôle important dans l'émission des cotisations dont appel, sera également l'objet d'un rapport exhaustif. L'enquête menée par ce dernier a été complétée à l'égard d'un sujet seulement par monsieur Réjean Juneau.

[4] Je me réfère d'abord à la déposition de l'appelant Côté. Il a été au service de la Société Radio-Canada à Québec comme chef technicien depuis 1984. Il s’était joint à cette dernière Société comme employé en 1969. Il a décrit le contexte préalable à sa première donation d'oeuvres d'art et a témoigné qu’en 1986, son épouse, l'appelante Louise Marcoux, l'a informé qu’une dame Aline Tremblay, collègue de travail à une succursale de la Banque Royale du Canada, lui avait fait part de l'existence d'un avantage fiscal intéressant qui consistait à donner des oeuvres d’art à des organismes de bienfaisance. L'appelant Côté connaissait madame Tremblay à cette époque car cette dernière en sa qualité d’agente de prêt à la Banque Royale, s'occupait des transactions, comme les prêts et les hypothèques, que l'appelant Côté avait conclues à cette succursale de la Banque.

[5] L'appelant Côté affirme que vers la fin septembre ou au début octobre de la même année, il a rencontré madame Tremblay à la Banque au sujet des donations d’oeuvres d’art. Il indique que la première question qu’il a posée à madame Tremblay avait trait à la légalité de cet avantage fiscal. De plus, l'appelant Côté a mentionné que madame Tremblay lui a montré une brochure intitulée “Don au Canada, une province, don de charité” qui expliquait la procédure à suivre pour obtenir une déduction pour fins fiscales. Elle lui a remis copie de cette brochure mais l'appelant Côté ne l’avait plus en sa possession lors de l'audition.

[6] L'appelant Côté témoigne que madame Tremblay lui a expliqué comment il devait procéder pour faire ces dons. Elle lui a indiqué qu’elle va s’occuper de tout car elle connaît une personne qui a une galerie d’art, qui fait des transactions, qui achète à des encans des oeuvres d’art de particuliers et fait des évaluations selon des critères professionnels et des livres spécialisés. Le chiffre retenu dans l'évaluation devient le montant du reçu fourni par l'organisme de bienfaisance. Le reçu sera produit à Revenu Canada. Madame Tremblay a ajouté que le spécialiste en cette matière, l’intermédiaire qui s’occupe de trouver des tableaux, de les acheter et de les évaluer est monsieur Marc Levert. L'appelant Côté relate qu’il ne connaissait pas monsieur Levert à ce moment-là.

[7] L'appelant Côté ajoute que l’automne suivant, il a rencontré de nouveau madame Tremblay qui lui a expliqué qu'à chaque année, il y a des encans qui se font et qu’à ces encans se vendent aux enchères des tableaux de peintres connus. Les propriétaires de galeries se rencontrent dans tous les encans et achètent des tableaux à des prix qui sont soit des prix de « débarras » ou de liquidation. Les tableaux sont réévalués et l’évaluation est établie selon des guides et brochures. Par la suite, madame Tremblay a discuté avec lui du rôle de monsieur Levert et l'a informé qu’en 1986, monsieur Levert « était associé avec le conservateur du Musée du Québec » et qu'il était une personne bien connue dans la région de Québec. De plus, madame Tremblay lui a mentionné qu'étant donné le salaire que l'appelant Côté gagnait à l’époque, il pourrait faire des dons de bienfaisance pour un montant d’environ 10 000 $.

[8] L'appelant Côté ajoute que madame Tremblay s’occupait de la procédure à suivre avec monsieur Levert. Ainsi, madame Tremblay et monsieur Levert vérifiaient les oeuvres qui étaient achetées, celles qui pouvaient être données et ils soumettaient un rapport avec une proposition d’achat qui incluait la désignation d'une fondation qui donnerait le reçu pour l’année en cours. L'appelant Côté déclare qu’il était intrigué par le fait qu’il pourrait payer 3 000 $ pour une oeuvre quelconque et obtenir un reçu de 10 000 $. L'appelant Côté explique l'existence de l’avantage fiscal par le fait qu’il y a une disparité entre le montant du reçu de l'organisme en question et le montant qu’il a payé. Cette différence est déterminée par le fait que les oeuvres d'art sont achetées à des encans ou sont offertes par des artistes ou par des personnes qui possèdent ces oeuvres et qui les liquident pour une contrepartie en espèces.

[9] De plus, l'appelant Côté reconnaît qu’à l’époque, il avait lu le Guide d’impôt « Dons au Canada et à une province » . Il ne se souvenait pas cependant de la mention qu'il devait traiter avec des évaluateurs indépendants. L'appelant Côté a reconnu que monsieur Levert était à la fois vendeur, évaluateur et fournisseur de reçus.

[10] L'appelant Côté affirme que les oeuvres d'art en question étaient connues et qu’il pouvait consulter le Guide Vallée qu'on retrouve dans les maisons spécialisées. Ce guide est comme un dictionnaire dans le domaine. L'appelant Côté n’a fait ces vérifications qu'un certain temps après 1986 qui n'a pas été précisé.

[11] L'appelant Côté a décrit la façon dont se faisait la transaction. Il mentionne que lorsque la transaction avec monsieur Levert était complétée, il rencontrait madame Tremblay, l’intermédiaire à la Banque, par le biais de l'appelante Marcoux. Madame Tremblay remettait alors le document qui était le reçu de l'organisme en question. Il y avait un deuxième document accompagnant le reçu qui était généralement un écrit qui attestait l'achat d'une oeuvre d'art, sa provenance, son format, sa valeur comptable et sa juste valeur marchande. La transaction se faisait entre madame Tremblay et les appelants directement. Il mentionnait à madame Tremblay qu’il voulait acquérir des tableaux à l’automne de l’année courante et c’était à ce moment-là que la transaction était conclue. Par contre, l'appelant Côté mentionne qu’il est possible qu’il ait émis des chèques en janvier et février de l’année suivante plutôt qu'au cours de l’automne de l’année courante.

[12] L'appelant Côté mentionne aussi que lorsqu’il avait en mains les reçus, il émettait deux chèques : l'un payable au début de l’année suivante et l’autre chèque daté de quelques mois plus tard, soit à la fin de mai ou au début de juin. Ce dernier versement représentait la deuxième moitié du paiement qu’il devait sur le prix d'achat de l’oeuvre d’art en question.

[13] L'appelant Côté ajoute que, dans plusieurs cas, ils avaient des photos des oeuvres qui étaient données car les oeuvres en question étaient immédiatement livrées aux musées ou aux fondations. Les appelants n’ont jamais eu en leur possession les oeuvres mais l'appelant Côté déclare qu’il est allé quelques fois à la galerie de monsieur Marc Levert, en 1989 et après, et il a vu des oeuvres d’art mais pas nécessairement celles qu’il avait achetées. Cependant, l'appelant Côté indique que monsieur Levert lui a seulement fourni des photos des tableaux pour les années 1988, 1989 et 1990.

[14] L'appelant Côté a témoigné qu'il ne se rappelle pas exactement quand il a reçu les factures des oeuvres données en 1989 et 1990. Il sait que la documentation lui a été remise en principe vers novembre ou au début décembre de l’année concernée mais il ne se souvient pas si toutes les factures accompagnaient la documentation. L'appelant Côté admet que si on ne lui avait pas fourni de reçus, il n’aurait pas été prêt à conclure les transactions avec monsieur Levert.

[15] L'appelant Côté a aussi fait état du fait qu'en 1989, il a donné à la Fondation Amérindienne Tecumseh. Il n’a jamais fait des démarches auprès des organismes auxquels il a fait des dons durant les trois années en cause. C'est seulement lorsqu’il a reçu les factures qu’il s’est rendu compte que des frais professionnels étaient inclus dans les montants indiqués sur les factures. Il a appris que ces frais professionnels servaient à indemniser monsieur Levert relativement à la recherche, la manutention, l'acquisition et le transport des oeuvres d'art. Il n'a pas posé de questions à monsieur Levert à ce sujet. Les factures n'ont pas été fournies à Revenu Canada par l'appelant Côté. Fut produite une lettre circulaire de monsieur Levert demandant à ses clients de ne pas fournir de factures d'achat et des preuves de paiement.

[16] L'appelant Côté mentionne que madame Tremblay indiquait aux deux appelants, à l’automne de chacune des trois années en question, le montant total à payer lorsqu’elle les informait du montant des dons qu’ils devaient faire. L'appelant Côté émettait ainsi, durant chacune des années en cause, un chèque pour la moitié du prix des dons pour lui et l'appelante Marcoux, le 1er mars de l’année suivante, et un chèque pour l’autre moitié pour lui et l'appelante Marcoux, le 1er juin de cette même année. En ce qui a trait à l’année d’imposition 1990, l’appelante Marcoux a fait ses propres chèques pour ses achats de tableaux.

[17] L'appelant Côté affirme que même si au printemps 1989 les montants des dons de tableaux qu’il avait faits en 1986 et 1987 avaient été révisés par le ministre du Revenu national, il a continué de faire des donations pour les années en litige. Il mentionne que la position de Revenu Canada concernant cette révision touchait une question d'évaluation des oeuvres d’art et non une question de la légalité des dons. Toutefois, il ajoute qu'il n’a pas fait de dons en 1991 parce qu’un ami, de son groupe, qui était un officier à la Sûreté du Québec et qui était aussi l'un des donateurs d'oeuvres d'art à des organismes de bienfaisance, lui a raconté que des poursuites avaient été engagées contre la Galerie des Maîtres Anciens Inc. et monsieur Levert. Ces renseignements l'ont incité à cesser de faire des dons. L'appelant Côté a affirmé qu’il n’y avait pas eu avant 1991 de doutes ou de soupçons portant sur la légalité des dons faits dans les trois années d'imposition en litige et pour les deux années d'imposition antérieures. À la fin de l'année 1991, l'appelant Côté a aussi appris par la voie des journaux que monsieur Levert avait des démêlés avec la justice.

[18] En ce qui concerne les cotisations pour les années 1986 et 1987, qui ne sont pas en cause dans les présents appels, il y a eu notamment désistement des appels de la part des appelants après que le groupe dont faisait partie l'appelant Côté eut retenu de nouveaux avocats à la fin de 1991, à la suite de la recommandation de ces derniers.

[19] La déposition de l'appelante Marcoux confirme sous certains rapports le témoignage de l'appelant Côté et comporte certains éléments supplémentaires d'information. Elle était préposée à l’accueil à la Banque Royale du Canada et elle était employée à cette dernière Banque depuis 1968. Durant les années 1986 à 1990, l'appelante Marcoux était appelée à se rendre à plusieurs succursales de la Banque Royale du Canada pour accomplir ses tâches. L'appelante Marcoux connaissait madame Tremblay et cette dernière était attachée à la succursale de Charlesbourg de cette Banque. Les appelants détenaient un compte à cette même succursale.

[20] Le premier contact entre l'appelante Marcoux et madame Tremblay en ce qui concerne les oeuvres d’art fut fait au téléphone. Madame Tremblay lui a expliqué que l'acquisition d'oeuvres d'art pouvait être une façon d'obtenir une réduction d’impôt. Par la suite, c'était plutôt l'appelant Côté qui a participé aux discussions avec madame Tremblay. Les appelants échangeaient entre eux sur le sujet.

[21] L'appelante Marcoux affirme que les appelants recevaient des documents comme les reçus de l’organisme de bienfaisance durant l’automne ou sûrement avant la fin de l’année bien que ce fut l'appelant Côté qui s’occupait de tout ça. De plus, elle témoigne que les appelants effectuaient des paiements pour les oeuvres d'art deux fois par année et que soit l'appelant Côté transmettait les chèques à madame Tremblay ou bien elle-même les mettait dans le courrier interne de la Banque à l’attention de madame Tremblay, lorsque cette dernière et l'appelante Marcoux travaillaient dans la même succursale. Madame Tremblay était l’agente de crédit de l'appelant Côté depuis l'arrivée des appelants à Charlesbourg en 1975 ou 1976.

[22] L'appelante Marcoux affirme que monsieur Levert est un client de la même succursale de la Banque Royale mais qu’il ne lui a jamais parlé d’abris fiscaux. L'appelante Marcoux mentionne que madame Tremblay lui a fait mention de l’abri fiscal qui est en jeu dans ces appels pour la première fois en 1986. L'appelante Marcoux a reconnu que le quart du montant figurant sur le reçu représentait le montant que l'acquéreur du bien à être donné devait payer selon les arrangements faits par l'appelant Côté avec monsieur Levert. Par exemple, pour l’année 1986, le prix d'acquisition du tableau fut de 850 $ et le reçu correspondant portait un montant de 3 400 $. Le chèque en date du 6 juillet 1987 a été signé par l'appelante Marcoux pour la première transaction en 1986. Elle admet n’avoir jamais vu les tableaux qui furent achetés pour fins de dons et n'avait aucun intérêt à les voir.

[23] En ce qui a trait à l’année d’imposition 1989, la facture 1139 n'était pas datée. L'appelante Marcoux témoigne qu’il est probable qu’elle a reçu cette facture et l'évaluation correspondante de madame Tremblay. Le fait que l’évaluation indiquant la valeur marchande du bien à être donné n’était pas non plus datée ne l’a pas perturbée.

[24] L'appelante Marcoux se souvenait d'avoir reçu une lettre de Revenu Canada du 25 janvier 1992 et y avoir répondu le 25 février 1992. Elle a reconnu avoir signé cette lettre qui indiquait qu'elle ne pouvait fournir les documents demandés par Revenu Canada, c'est-à-dire factures d’achat, preuves de paiement et certificats d’évaluation. Elle affirme que ce n'est pas madame Tremblay qui leur avait suggéré de ne pas fournir ces documents.

[25] L'appelante Marcoux admet n’avoir jamais vérifié auprès des organismes qui émettaient les reçus si effectivement ils avaient réellement reçu les tableaux. Elle a seulement vu une photographie concernant un tableau donné en 1988. Elle reconnaît aussi qu'elle n’a choisi ni les tableaux ni les organismes de bienfaisance.

[26] J'aborde maintenant la déposition de monsieur Levert.

[27] Monsieur Levert était sans emploi au moment où il a donné son témoignage. Il était vérificateur pour le Comité paritaire « sur les services automobiles » de la région de Québec depuis les années 1970. En 1995, il quittait cet emploi. Il a fondé la Galerie des Maîtres Anciens Inc. en 1987 ainsi que la Tourelle, Maison d’encans Inc. La Tourelle, Maison d'encans, et la Galerie des Maîtres Anciens ont été constituées en sociétés par actions en mars 1987. Depuis 1987, il s'occupait de l'administration de ces deux maisons avec sa femme, madame Denise Boily.

[28] Monsieur Levert affirme qu'il a commencé à s'intéresser aux oeuvres d'art comme collectionneur au début des années 1970. Il était particulièrement intéressé aux huiles sur toile et aux aquarelles. Il s’est aussi intéressé aux antiquités comme le bronze ou la porcelaine. Monsieur Levert a aussi indiqué qu’il a fait de nombreux déplacements pour fréquenter les galeries surtout au Québec pour acquérir des connaissances dans le domaine des peintures. De plus, il consultait des ouvrages sur ce sujet. Par la suite, monsieur Levert a commencé à acheter des tableaux en galeries, par exemple, de la Galerie Charles Huot ou de la Galerie de Michel Décardo. Grâce aux catalogues d'encans qu'il recevait des maisons Fraser et Sotheby's, il a commencé à fréquenter des maisons d’encans à Montréal comme les maisons Pinney's, Fraser et Empire. De plus, il se rendait aux encans à Toronto et recevait des catalogues d'oeuvres d'art de New York.

[29] Monsieur Levert affirme que depuis qu'il est dans le domaine de l'art, il évalue des tableaux surtout pour fins d'assurances et de dons. Durant les années 1983 et suivantes, il a commencé à évaluer des tableaux lorsqu'il était un agent à Québec de la Maison Pinney's de Montréal.

[30] Monsieur Levert affirme qu'il était particulièrement intéressé aux périodes comprenant le 17e siècle, le 18e, le 19e et le début du 20e siècle, jusque vers 1930. Il a dû s'adapter aux exigences du marché car les personnes de la région concernée étaient plus familières avec les artistes de la période contemporaine qui va de 1920 à aujourd’hui. On le consulte toujours aujourd'hui en ce qui a trait à la période ancienne pour savoir notamment si la période mentionnée est bien la période en cause, si le tableau peut être restauré ou si le marché pour les oeuvres d’un artiste donné est bon. Il était consulté fréquemment par les antiquaires.

[31] Monsieur Levert a constaté, d’après son expérience, qu'il y avait deux marchés : le marché en galerie et le marché à l'encan; deux marchés complètement distincts. Dans le marché en galerie, on va y retrouver beaucoup plus les tableaux de l'artiste contemporain qui est actif actuellement ou qui est décédé au cours d'une période relativement récente. Par exemple, Jean-Paul Lemieux est un artiste contemporain même s'il est décédé. Selon lui, Fielding Downes est aussi un artiste contemporain mais « à la limite » .

[32] Le marché à l'encan de tableaux peut être celui de maisons internationales comme Sotheby's à Toronto qui a des bureaux à Londres et à New York; ces maisons ont un système très sophistiqué. Dans ces encans, on utilise des catalogues avec des photographies en couleur où est estimé le prix qu'on s'attend normalement d'obtenir lors de l'encan et non la valeur marchande. La deuxième catégorie d'encans est constituée de maisons locales comme à Montréal ou à Toronto qui n'ont pas le calibre des grosses maisons et leurs catalogues ne sont pas en couleur mais on publie plutôt une liste de ventes à l'encan. La troisième catégorie est constituée de petites maisons qui font des ventes à l'encan à l'occasion.

[33] La différence entre ces maisons c'est que plus la maison est importante, plus la publicité est forte, plus le nombre de clients qui est rejoint est élevé et plus le prix va se rapprocher du prix en galerie pour certains artistes. Aux encans importants on ne vend pas des tableaux d’artistes locaux.

[34] Monsieur Levert a indiqué qu’en ce qui concerne les années 1988, 1989 et 1990, ses deux commerces, c'est-à-dire la Galerie des Maîtres Anciens et la Tourelle, Maison d'encans, étaient exploités dans la même bâtisse. La Galerie des Maîtres Anciens après la vente de cette bâtisse a emménagé dans un autre endroit. Sur le plan des affaires, l'objectif de monsieur Levert était l'exploitation d'une maison d'encans où il s'occupait de communiquer avec différentes personnes pour leur demander de lui apporter les tableaux qu'elles désiraient revendre. De plus, la Galerie des Maîtres Anciens achetait des tableaux à l'occasion et ces tableaux étaient confiés à La Tourelle, Maison d'encans, pour être revendus dans une vente aux enchères publiques. La Galerie des Maîtres Anciens faisait aussi des ventes privées.

[35] Monsieur Levert a expliqué ce qui l'a amené à vendre des tableaux pour fins de dons en substance comme suit :

1. il avait personnellement fait des dons et des ventes directement aux gouvernements et à différents organismes avant 1986;

2. lorsque son employeur, le Comité paritaire, a cessé ses opérations temporairement, ses amis lui ont demandé de faire de la vente de tableaux pour fins de dons.

Par la suite, en 1986, monsieur Levert et son épouse sont allés au bureau d'un fonctionnaire de Revenu Canada à Ottawa pour s'informer sur la légalité de cette opération. Un dénommé Boutet (apparemment un avocat du Gouvernement fédéral) leur a dit que « c'est tout à fait légal » . C'est à partir de ce moment que monsieur Levert a commencé à vendre des tableaux ouvertement à des gens dans son entourage avant d'ouvrir son commerce.

[36] Donc, avant que monsieur Levert ouvre sa galerie, il avait déjà traité durant les années 1986 et 1987 avec les deux appelants sur les instances de madame Tremblay.

[37] En 1987, monsieur Levert a ouvert la Tourelle, Maison d'encans, et la Galerie des Maîtres Anciens. Les ventes pour fins de dons qu'il effectuait à ce moment-là n'étaient pas l'élément principal de ses activités. Il était convaincu que l'achat de tableaux dans le but de faire des dons était tout à fait légitime. Il a mentionné que durant les années 1987 à 1991, la partie de son chiffre d'affaires reliée à des dons de bienfaisance ne représentait pas plus de dix ou 15 pour cent du total de ses ventes. En outre, monsieur Levert a témoigné n’avoir jamais fait de la publicité concernant les dons, mais il existe un document avec le logo de la Galerie des Maîtres Anciens où une telle publicité a été faite. D'après lui, ce sont ses associés qui se sont chargés de cette publicité.

[38] En général, la façon de procéder de monsieur Levert avec les clients auxquels il vendait des tableaux pour fins de donation était la suivante : les clients étaient dirigés vers lui, il contactait alors un organisme de bienfaisance et demandait au responsable de l'organisme de bienfaisance s'il était intéressé à une telle catégorie de tableaux. Ensuite, lorsqu'il trouvait un tableau qui était acceptable à un musée ou à un autre organisme de bienfaisance, monsieur Levert informait le donateur de la possibilité d'acquisition de quelques tableaux que monsieur Levert pouvait revendre. Le montant était habituellement déterminé d'avance à 25 pour cent de la valeur normale du tableau en galerie. Monsieur Levert incluait dans le total des factures montrant les prix de vente qui avaient été négociés les frais professionnels qui étaient chargés aux clients.

[39] Monsieur Levert expliquait aussi aux donateurs la façon de procéder et il les encourageait à vérifier auprès de Revenu Canada la légitimité de l'opération. Il a aussi mentionné que plusieurs personnes lui ont posé des questions par rapport à la légitimité de l'opération relativement à la différence entre le montant de l'évaluation d'une oeuvre d'art et son prix de vente. Les évaluations de monsieur Levert, selon son témoignage, s'appuyaient sur les principaux volumes de référence, surtout le Guide Vallée. De plus, lorsque monsieur Levert avait un doute sur la valeur d'un tableau selon un guide donné, il téléphonait à la galerie qui représentait l'artiste ou il consultait d'autres galeries, par exemple, à Montréal. Par contre, il a reconnu qu’il y avait des variations importantes dans les guides, comme le Guide Vallée, en ce qui concerne les prix de peintures. Il a aussi mentionné que le Guide Vallée est simplement un « guide » qui suggère des prix.

[40] Monsieur Levert a reconnu qu'en règle générale il remettait le reçu, l'évaluation et la facture à ses clients, comme dans le cas de la peinture de Ludger Larose vendu à l'appelant Côté. Il a ajouté qu'il n'y avait pas de raison particulière pour laquelle lui-même plutôt que l'organisme concerné acheminait au donateur le reçu de cet organisme. Il a mentionné que dans la majorité des cas c'était lui qui remettait le reçu au donateur. Par exemple, il a placé le tableau de Ludger Larose mentionné ci-dessus qui avait été donné par l'appelant Côté à l'Univers du Rail Inc. en consignation chez Pinney's parce qu'il voulait que ce tableau soit revendu pour le bénéfice du propriétaire, l'Univers du Rail Inc.

[41] Monsieur Levert n'a pas contesté le fait que les mêmes tableaux se retrouvaient plusieurs fois dans les différents organismes de bienfaisance car les organismes revendaient les peintures à l'encan ou même privément. Ces tableaux pouvaient être « redonnés » à d'autres organismes de bienfaisance.

[42] Monsieur Levert a rencontré l'appelant Côté par l'intermédiaire de madame Tremblay de la Banque Royale du Canada. Il ne se souvenait pas s'il a rencontré personnellement l'appelant Côté lorsque ce dernier a acheté des tableaux pour la première fois. Cependant, il affirme qu'il l'a sûrement rencontré à un moment donné car il a rencontré, a-t-il dit, 99 pour cent de ses clients.

[43] En ce qui a trait à une vente en particulier de monsieur Levert à l'appelant Côté, ce dernier a acheté, selon une certaine facture, des tableaux en novembre et décembre 1990 mais les deux chèques étaient en date de mars 1991 et juin 1991. Monsieur Levert a témoigné que le délai de paiement est attribuable au fait qu'il voulait permettre à l'acheteur de recevoir son remboursement d’impôt avant qu'il effectue ses paiements.

[44] À l'égard des modalités de paiement convenues entre monsieur Levert et l'appelant Côté relatives à la vente du tableau de Ludger Larose, monsieur Levert a indiqué qu'au mois de mars 1989, l'appelant Côté a versé un montant de 1 838 $ qui était probablement le solde du montant impayé à ce moment-là. Monsieur Levert ne se souvient pas clairement des modalités de paiement. En outre, monsieur Levert soumet que lorsqu'il traitait avec un client, il ne lui indiquait pas qu'un certain montant couvrait ses frais professionnels. Ses clients ne lui demandaient pas d'explications à ce sujet.

[45] Monsieur Levert affirme que la principale activité de son commerce était d'acheter des tableaux en très grande quantité à bas prix et de les vendre en gros plutôt que de les vendre au détail à plein prix par l'entremise de la Galerie des Maîtres Anciens. La vente aux encans constituait la principale activité de son commerce. De plus, il a ajouté qu'il vendait aussi à des marchands, à des galeries et à des collectionneurs qui, à leur tour, revendaient les peintures de 20 à 40 fois leur prix d'acquisition. Il explique qu'il vendait les tableaux à un quart de la valeur en galerie ou de la valeur mentionnée dans le Guide Vallée parce qu'il s'était fixé un barème de 25 pour cent à cet égard pour le prix de vente de tableaux pour fins de dons. Il a ajouté qu'il a dirigé des clients vers une quinzaine d'organismes de bienfaisance différents au cours des années.

[46] Monsieur Levert déclare qu'il fit connaissance il y a plusieurs années de madame Tremblay, la responsable du département des prêts à la Banque Royale du Canada, qui lui a dirigé des clients pour des achats de tableaux pour fins de donations. Il a ajouté que madame Tremblay lui a acheminé des clients à titre personnel et non en tant qu'agente de la Banque Royale.

[47] En analysant les déclarations de revenu de monsieur Levert au début des années 1980, madame Tremblay a noté les dons effectués par monsieur Levert. Elle lui a demandé si elle et ses amis pouvaient bénéficier de cette opération. De plus, dans certains cas, monsieur Levert remettait les reçus, évaluations et factures à madame Tremblay et cette dernière les transmettait aux clients concernés. Il arrivait aussi que madame Tremblay lui remettait les chèques faits par les clients pour l'achat de tableaux.

[48] En décembre 1988, monsieur Levert a fait parvenir une lettre à tous ceux qui avaient acheté de lui des tableaux pour fins de donation en vue de la formation d'un groupement. C'était alors l'époque où Revenu Canada avait commencé à émettre des cotisations à l'égard de ceux qui réclamaient le crédit d'impôt pour dons de tableaux. Le 5 juin 1989, monsieur Levert a expédié une autre lettre à ceux qui, dans le passé, avaient fait des dons pour leur dire qu'il n'y avait pas eu de modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu et pour les assurer qu'il ne les abandonnerait pas comme clients. Cependant, certains clients lui ont demandé de les rembourser étant donné les problèmes qu'ils avaient avec les autorités fiscales. Monsieur Levert a convenu avec ces personnes soit de les rembourser soit de leur donner des tableaux pour les indemniser. Dans le cas des appelants, monsieur Levert a choisi de ne pas encaisser l'un de leurs chèques.

[49] Monsieur Levert affirme qu'en 1989, monsieur Gaston Lamy de l'Univers du Rail Inc. l'a approché pour lui demander s'il était intéressé à organiser une collecte de fonds et à faire une vente à l'encan pour le bénéfice de l'Univers du Rail Inc. Monsieur Lamy était collectionneur de tableaux. Pour sa part, l'Univers du Rail Inc. avait déjà commencé à ramasser des tableaux. Monsieur Lamy a demandé à monsieur Levert s'il voulait s'occuper de faire les évaluations et d'essayer de trouver des personnes qui feraient des dons à l'Univers du Rail Inc. Monsieur Levert a conclu par la suite une entente verbale avec l'Univers du Rail Inc. selon laquelle il acceptait de s'occuper des ventes à l'encan pour cet organisme, comme il l'avait fait dans le cas de la Société protectrice des animaux. Monsieur Levert avait garanti à l'Univers du Rail Inc. un prix minimum de dix pour cent lors des ventes aux encans. Monsieur Levert affirme que cette condition que l'Univers du Rail Inc. devait recevoir un prix minimum de dix pour cent pour les peintures lors d'un encan n'a pas toujours été remplie. À un certain moment, l'Univers du Rail Inc. a demandé à monsieur Lamy d'entreposer les tableaux qui avaient été donnés à cet organisme dans le sous-sol d'un établissement dont monsieur Levert était propriétaire.

[50] Monsieur Levert a décrit la procédure relative aux dons faits à l'Univers du Rail Inc. de la façon suivante : il appelait le président de l'organisme de bienfaisance et lui expliquait qu'il avait une personne désireuse de faire un don de tel tableau et le don serait de tel montant. Par la suite, le président de l'organisme émettait le reçu à la personne concernée qui le recevait de monsieur Levert. Ce dernier ajoute que c'était lui qui procédait à l'évaluation pour l'Univers du Rail Inc. Il y avait une copie de l'évaluation qui était remise à cet organisme avec une liste indiquant que telle personne avait donné tel tableau pour tel prix. De plus, monsieur Carignan de l'Univers du Rail Inc. est allé dans certains cas seulement voir les tableaux. Au sujet de la documentation relative à ces dons, monsieur Levert a été l'objet d'une demande péremptoire de production de documents. Il a reconnu qu'il a détruit les listes dont il vient d'être question, listes qu'il avait conservées pendant un certain temps et qu'il fournissait à l'Univers du Rail Inc.

[51] En ce qui concerne la Fondation Amérindienne Tecumseh, monsieur Levert a été approché par monsieur Jacques St-Laurent qui lui a demandé s'il pouvait lui envoyer des clients. Il s'agit d'une opération de même nature que celle qui concerne l'Univers du Rail Inc. Cependant, monsieur Levert a ajouté que dans les jours ou semaines qui ont suivi le don, soit un représentant la Fondation Amérindienne Tecumseh venait chercher les tableaux ou encore monsieur Levert allait leur livrer. Les tableaux n'étaient pas entreposés. De plus, monsieur St-Laurent, président de cette fondation, avait son propre évaluateur mais monsieur Levert reconnaît qu'il a sûrement fait des évaluations pour cette dernière.

[52] Monsieur Levert affirme que le marché d'une maison d'encans se fait à un moment précis dans le temps. Les personnes intéressées ont un ou deux jours pour visiter et voir les tableaux et par la suite, la vente a lieu. La garantie est limitée à 15 ou 30 jours pour confirmer la valeur du tableau. En ce qui concerne le marché en galerie, il y a une exposition et le client peut visiter la galerie à loisir. De plus, le client n'est pas tenu de payer la peinture au complet lors de l'achat; il peut conclure des arrangements au sujet des modalités de paiement. La garantie est aussi supérieure à celle offerte par une maison d'encans. L'encan est un marché où on achète dans le but de revendre.

[53] Le prix à l'encan peut être jusqu'à 25 fois moins élevé que le prix habituel en galerie, autant pour des artistes réputés que pour les autres. Plus le tableau est de valeur inférieure, plus la marge entre le prix à l'encan et le prix en galerie est élevée. Au sujet du prix en galerie, c'est soit l'artiste qui le suggère ou soit la galerie. Les clients d'une galerie ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui se rendent aux ventes à l'encan.

[54] Monsieur Levert a relaté qu'au printemps 1988, il y a eu une perquisition à sa résidence, sur les lieux de ses commerces, chez son comptable et chez d'autres personnes à Québec, notamment des évaluateurs et marchands. Cette perquisition s'est faite dans le cadre d'une enquête portant, selon Revenu Canada, sur un stratagème fiscal. Monsieur Levert a alors écrit à madame Boucher de Revenu Canada à Ottawa le 14 novembre 1988. Monsieur Levert avait auparavant communiqué avec madame Boucher par téléphone étant donné qu'un fonctionnaire de la Division des Organismes de charité de Revenu Canada l'avait dirigé vers cette dernière. De plus, il affirme avoir fait une autre démarche par la suite auprès de monsieur Carl Juneau de Revenu Canada, ayant été dirigé vers ce dernier par un responsable de la Division des Organismes de charité. Enfin, il a été aussi en contact avec monsieur Laval Mailhot du bureau de Québec de Revenu Canada pour lui demander ce qui constituait, selon lui, la juste valeur marchande d'un bien et monsieur Mailhot de lui répondre que, selon la loi, la juste valeur marchande est le prix le plus élevé qui est négocié entre une personne intéressée à vendre et non obligée et un acheteur intéressé à acheter mais non obligé. Il affirme qu'il a continué à vendre des tableaux pour fins de donation malgré l'enquête du Ministère parce qu'il était persuadé que tout était conforme à la loi et même encouragé par la loi. Il a aussi refusé l'accès aux enquêteurs de Revenu Canada à plusieurs reprises car il leur demandait d’indiquer par écrit ce qu'ils voulaient obtenir et Revenu Canada ne se conformait pas à ces demandes. Il était harcelé par Revenu Canada, selon son témoignage.

[55] Avant de clore le résumé du témoignage de monsieur Levert, il importe de noter que quatre accusations distinctes ont été portées contre monsieur Levert. À la suite de certaines dispositions prises avec les procureurs du Gouvernement, il a été convenu qu’il n’y aurait qu'un seul procès sur la base suivante : si monsieur Levert était acquitté, cela mettrait fin aux poursuites; dans le cas contraire, il plaiderait coupable à l'égard des autres accusations. La Cour du Québec, chambre criminelle, a conclu à la culpabilité de monsieur Levert sur la base qu'il n'avait pas déclaré tous ses revenus pour l'année 1986. Le 7 avril 1997, monsieur Levert s’est vu infligé une peine d'emprisonnement de dix mois et une période de probation de deux ans. Il ne devait pas agir directement ou indirectement à titre d'évaluateur, promoteur, agent ou consultant relativement à des donations d'oeuvres d'art auprès d'organismes sans but lucratif, notamment les organismes de bienfaisance, en particulier les musées et les fabriques. Cependant, l'ordonnance de probation n'était exécutoire qu'à compter de la date d'expiration de la peine d'emprisonnement de monsieur Levert, peine qui n'a pas encore été entièrement purgée. À ce sujet, monsieur Levert a ajouté que son plaidoyer de culpabilité visait plutôt le « back-dating » , pour utiliser son expression, que la question d'évaluations de tableaux.

[56] Le témoignage de monsieur Julien Carignan est intéressant parce qu'il nous fait connaître la version des faits provenant d'un dirigeant d'un organisme qui a bénéficié du système de dons dont il est question dans ces appels.

[57] Monsieur Carignan est devenu membre de l'Univers du Rail Inc. en 1986 et est devenu membre du conseil d'administration de cette société en 1987. L'Univers du Rail Inc. possédait un genre de musée ferroviaire qui avait été établi à Charny en 1978. Cet organisme était composé de membres qui étaient des anciens employés des sociétés ferroviaires ou des « mordus » du chemin de fer. Entre 1978 et 1986, la source principale de financement provenait de la vente de pièces de monnaie, vente qui rapportait environ 4 000 $ ou 5 000 $ par année. En 1987, l'Univers du Rail Inc. acquérait deux wagons grâce à des fonds fournis par cinq membres.

[58] L'Univers du Rail Inc. est devenu un organisme de bienfaisance enregistré en 1987 lorsque monsieur Jacques Lamy, un administrateur et un ancien ingénieur du Canadien Pacifique Ltée, fut mis au courant de la possibilité que cet organisme puisse recevoir des dons de bienfaisance et émettre des reçus. L'Univers du Rail Inc. pourrait ainsi avoir une plus grande envergure. D'après monsieur Carignan, bien qu'il fut administrateur à l'époque pertinente, c'est monsieur Alain St-Amand, le président de l'Univers du Rail Inc., qui s'est occupé de la demande d'enregistrement auprès des autorités fiscales.

[59] Monsieur Carignan a rencontré monsieur Levert en 1988 lors d'une visite de ce dernier à la résidence de monsieur St-Amand. C'est monsieur Levert qui les a informés que lui-même pouvait obtenir des dons pour l'Univers du Rail Inc. Monsieur Carignan a affirmé qu'une entente verbale fut conclue selon laquelle monsieur Levert solliciterait des dons pour l'Univers du Rail Inc. et que cet organisme recevrait dix pour cent de la valeur des tableaux. C'est monsieur Jacques Lamy qui avait pris l'initiative de communiquer avec monsieur Levert. Monsieur Levert vendait des tableaux à des donateurs et non à l'Univers du Rail Inc. C'est monsieur Levert qui procédait à l'évaluation des tableaux.

[60] Monsieur Carignan a témoigné qu'il faisait entièrement confiance à monsieur Levert et se fiait à la brochure de Revenu Canada qui traitait de la légalité de faire des dons de bienfaisance. Personne à l'Univers du Rail Inc. n'avait des raisons de croire qu'il était illégal ou frauduleux de faire des dons jusqu'au moment où Revenu Canada informe la direction de l'Univers du Rail Inc. que cet organisme devrait normalement recevoir 90 pour cent du produit de la vente des tableaux. Monsieur Carignan a informé Revenu Canada que l'Univers du Rail Inc. ne recevait que dix pour cent de ce produit. Comme personne à l'Univers du Rail Inc. ne connaissait le domaine de l'art, les dirigeants de cet organisme avaient confié à monsieur Levert le côté financement des opérations relatives à l'acquisition d'oeuvres d'art. Monsieur Levert leur avait expliqué que le Guide Vallée était un répertoire de la juste valeur marchande des tableaux. Monsieur Carignan a affirmé qu'il croyait que les montants indiqués sur les reçus représentaient la juste valeur marchande des tableaux.

[61] Monsieur Carignan a témoigné que les dirigeants de l'Univers du Rail Inc. auraient pu voir les tableaux qui étaient donnés à cet organisme s'ils l'avaient voulu. Monsieur Carignan s'est rendu à plusieurs reprises à la Galerie des Maîtres Anciens et n'aurait pas cependant pu identifier les tableaux qui ont été donnés à cet organisme. Ces tableaux étaient entreposés à la Galerie des Maîtres Anciens parce que l'Univers du Rail Inc. n'avait pas de locaux adéquats pour les remiser. Il a ajouté que la Galerie des Maîtres Anciens faisait des ventes à l'encan à l'automne et une partie du produit de ces ventes à l'encan était acheminée à l'Univers du Rail Inc. Le nombre des dons de tableaux à cet organisme s'élevait à cinq ou six en 1987 pour augmenter à une trentaine quelques années plus tard.

[62] En janvier 1992, Revenu Canada a reproché aux dirigeants de l'Univers du Rail Inc. de ne pas avoir de contrôle sur leurs dons. Ces dirigeants ont alors décidé de louer un entrepôt chauffé où ils devaient entreposer toutes les peintures avant de les retourner à monsieur Levert à l'automne pour qu'elles soient vendues à l'encan. Ce plan de l'Univers du Rail Inc. ne s'est jamais concrétisé parce que Revenu Canada est venu prendre possession des peintures en février 1992 et les a remisées à la Gare maritime Champlain. Monsieur Carignan n'était plus alors président de l'Univers du Rail Inc. Les peintures ont été finalement retournées à l'Univers du Rail Inc. et ont été vendues au marché aux puces pour un prix dérisoire.

[63] Monsieur Carignan mentionne que pendant les années où il était l'un des dirigeants de l'Univers du Rail Inc., un policier a communiqué avec lui pour s'enquérir au sujet de la légalité des dons. Monsieur Carignan lui a alors indiqué que, d'après lui, tout était conforme à la loi. L'Univers du Rail Inc. n'a jamais émis de reçus frauduleux. Monsieur Carignan a admis avoir fait de la publicité à la télévision en novembre 1991 pour l'Univers du Rail Inc. et ainsi avoir sollicité avec succès des dons d'oeuvres d'art pour cet organisme. La révocation par Revenu Canada de l'enregistrement de l'Univers du Rail Inc. s'est faite en 1992.

[64] Monsieur Carignan déclare aussi que monsieur Levert lui indiquait ce qui devait être inscrit sur les reçus, à qui les reçus devaient être faits et à l'égard de quelles oeuvres d'art ces reçus se rapportaient. Durant une certaine période, les évaluations furent remises à l'Univers du Rail Inc. en même temps que certains autres documents relatifs à ces transactions. Plus tard, l'Univers du Rail Inc. devait demander qu'on lui remette les évaluations.

[65] Monsieur Carignan indique que l'Univers du Rail Inc. faisait entièrement confiance à monsieur Levert. Pendant deux ou trois ans, l'Univers du Rail Inc. a obtenu dix pour cent du produit de la vente des tableaux, comme il avait été convenu. Par la suite, la situation s'est détériorée.

[66] En s'appuyant sur les états financiers de l'Univers du Rail Inc., pour les années indiquées ci-après, le total des montants figurant sur les reçus, selon monsieur Carignan, s'établissait ainsi :

Années d'imposition    Reçus

1988    100 000 $

1989    250 000 $

1990    500 000 $

1991 1 000 000 $

Monsieur Carignan informe le tribunal que la vente des tableaux que l'Univers du Rail Inc. avait reçus en dons avait rapporté les sommes suivantes pour les années ci-après mentionnées :

Années d'imposition Sommes

1989 10 020 $

1989 5 000 $

1990 23 500 $

1991 15 400 $

Les reçus émis par l'Univers du Rail Inc. étaient habituellement remis à monsieur Levert. Monsieur Carignan a aussi déclaré qu'il ne connaissait pas les deux appelants.

[67] La déposition de monsieur Jacques Demers jette un éclairage sur la nature de l'enquête conduite par Revenu Canada et sur les éléments d'ordre factuel et juridique qui sous-tendent les cotisations émises à l'égard des appelants pour les années en cause.

[68] Monsieur Demers est agent des appels à Revenu Canada depuis avril 1994. Son poste précédent était celui d'enquêteur à la Section des enquêtes spéciales au même Ministère. Monsieur Demers s'est familiarisé avec les dossiers des appelants pour les années d'imposition 1986, 1987, 1988, 1989 et 1990.

[69] L'enquête qui fut menée par Revenu Canada a comporté trois phases. La phase I, visait les années d'imposition 1986 et 1987, la phase II, les années d'imposition 1988, 1989 et 1990 et la phase III, les années d'imposition 1991 et 1992.

[70] Dans le cadre de la phase I, l'enquête visait les organismes de bienfaisance comme la Société protectrice des animaux, le Musée Louis-Hémon de Péribonka et le Musée Pierre-Boucher de Trois-Rivières. Le Ministère procéda à une enquête après qu'il se fut rendu compte qu'un stratagème fiscal avait été mis en place par des promoteurs, stratagème qui consistait à vendre des oeuvres d'art dont la valeur était gonflée aux fins de donations à des organismes de bienfaisance. Selon Revenu Canada, ce stratagème comportait spécifiquement la vente de reçus de charité à 20 ou 25 pour cent des montants qui figuraient sur ces reçus. Les experts retenus par Revenu Canada ont établi que les évaluations des oeuvres d'art étaient démesurées.

[71] En ce qui concerne les cotisations pour les années d'imposition 1986 et 1987 à l'égard de contribuables qui avaient fait des dons pour ces deux années et qui avaient participé à la sorte d'arrangements prévus au paragraphe précédent, Revenu Canada a réduit la valeur des dons tout en reconnaissant qu'il y avait eu de véritables dons.

[72] Quant aux cotisations pour les années d'imposition 1988, 1989 et 1990 à l'égard des contribuables qui ont fait des dons pour ces années et qui ont été visés par cette enquête, Revenu Canada a adopté la position qu'il y avait absence d'intention libérale au moment des dons en s'appuyant sur les décisions de cette Cour dans les affaires Guy Dutil c. R. et Réjean Gagnon c. R., toutes deux datées du 25 juillet 1991.

[73] Selon monsieur Demers, monsieur Levert était l'un des promoteurs qui étaient visés dans l'enquête. D'après lui, monsieur Levert vendait des oeuvres d'art à des prix qui représentaient généralement 20 pour cent des montants inscrits sur les reçus. Monsieur Demers croyait que les organismes de bienfaisance en question n'agissaient pas en pleine connaissance de cause et se faisaient manipuler par monsieur Levert. Le fait que monsieur Levert soit à la fois le vendeur des oeuvres d'art et l'évaluateur de ces mêmes oeuvres a fortement influencé monsieur Demers. Les noms des appelants ont été découverts dans le cadre de la phase I de cette enquête car ils avaient fait des dons aux Musées Louis Hémon et Pierre Boucher.

[74] Dans le cas de la phase II de l'enquête, Revenu Canada a ciblé les organismes de bienfaisance et a monté des dossiers sur des contribuables pour constituer une banque de données où devaient être consignés les reçus, les preuves d'achat, les factures, les preuves de paiement et les chèques. Cette cueillette de données avait comme but de déterminer ceux qui faisaient partie du stratagème de vente de reçus pour fins fiscales et ceux qui étaient de véritables donateurs, c'est-à-dire ceux qui possédaient les oeuvres d'art depuis un certain nombre d'années. Dans le cas des véritables donateurs, Revenu Canada ne contesterait que la valeur des oeuvres d'art tandis que dans le cas des autres contribuables, Revenu Canada ne reconnaîtrait pas qu'il avait eu de véritables dons.

[75] D'après monsieur Demers, en s'appuyant sur les décisions Dutil et Gagnon précitées, une distinction devait être faite entre les contribuables qui possédaient les oeuvres pendant un certain temps et en étaient donc les véritables propriétaires et les contribuables qui achetaient ces oeuvres pour fins de dons. Monsieur Demers a fait valoir le point de vue que pour faire une donation, il faut être propriétaire du bien, le détenir et avoir une intention libérale. Les cotisations dont appel s'appuient sur deux éléments, l'absence d'intention libérale et le fait que l'organisme ne devenait pas propriétaire des tableaux aux fins d'en disposer à sa guise. Revenu Canada mettait en doute l'opération selon laquelle monsieur Levert vendait les tableaux, était mandataire pour la consignation des tableaux aux fins de la revente et les donateurs ne choisissaient pas les organismes de beinfaisance. Monsieur Demers a souligné qu'au cours de son enquête à partir de 1987 il n'est jamais arrivé qu'un donateur ait payé une oeuvre le montant qui était inscrit sur le reçu obtenu pour fins fiscales.

[76] Monsieur Demers a mentionné qu'il y a eu enquête dans le cas de dons faits à la Fondation Amérindienne Tecumseh, la Société protectrice des animaux et l'Univers du Rail Inc.

[77] L'enquête impliquant la Fondation Amérindienne Tecumseh a pris fin à la suite du décès de monsieur Alain St-Laurent, son président. Quant à l'enquête portant sur l'Univers du Rail Inc., elle s'est terminée par la révocation de son enregistrement comme organisme de bienfaisance. Aucune poursuite pénale ne fut prise contre l'un ou l'autre de ces trois organismes. Aucun organisme de bienfaisance ne fut cotisé en vertu de la Partie V de la Loi qui établit un impôt dans certaines circonstances à l'égard d'un organisme de bienfaisance dont l'enregistrement est révoqué.

[78] Monsieur Demers témoigne qu'à la suite de son enquête relative à la Fondation Amérindienne Tecumseh, il était venu à la conclusion que les prix des oeuvres d'art étaient basés sur des reçus non officiels, numérotés (qu'on avait pu obtenir dans une papeterie), où étaient indiqués « le numéro du dossier, le genre de système qui avait été vendu et le prix de vente » . Les évaluations sur la base desquelles les reçus étaient émis pour fins fiscales avaient été obtenues à la suite d'une rencontre ultérieure de monsieur Demers avec monsieur St-Laurent.

[79] Monsieur Demers relate qu'à la suite de sa demande, monsieur St-Laurent de la Fondation Amérindienne Tecumseh lui avait fourni 50 reçus, le livre de procès-verbaux de cet organisme, les dossiers des donateurs qui ne contenaient pas cependant les évaluations. Les oeuvres d'art n'étaient plus disponibles chez la Fondation lors de sa vérification. En août 1991, monsieur Demers a examiné les livres comptables de la Fondation et a noté qu'en 1988, 50 reçus avaient été donnés pour une valeur globale de 373 984 $, qu'en 1989, 108 reçus avaient été émis pour une valeur de 731 158 $ et qu'en 1990 290 reçus avaient été fournis pour une valeur totale de 1 728 593,57 $.

[80] Monsieur Demers a obtenu des renseignements de monsieur Guy Drolet, de la section des Enquêtes spéciales de Revenu Canada, qui avait été mandaté par son ministère de mener une enquête qui a porté sur la Galerie des Maîtres Anciens, six mois après la vérification qui avait été faite à l'Univers du Rail Inc. Ces renseignements lui ont permis de constater qu'il y avait un lien entre la Galerie des Maîtres Anciens et la Fondation Amérindienne Tecumseh. Monsieur Demers a en effet associé certaines factures de vente de la Galerie des Maîtres Anciens à des reçus de la Fondation Amérindienne Tecumseh. Les factures de ventes de la Galerie des Maîtres Anciens pour l'année 1988 visaient des oeuvres qui avaient fait l'objet de dons à la Fondation Amérindienne Tecumseh et avaient été vendues à des prix représentant 25 pour cent des montants indiqués sur les reçus. Monsieur Demers n'a pu obtenir les factures de la Galerie des Maîtres Anciens pour les années 1989 et 1990. Monsieur Demers ajoute à ce sujet que les démarches pour obtenir de la documentation concernant la vente d'oeuvres d'art de la Galerie des Maîtres Anciens n'ont pas porté fruit. Des demandes péremptoires de production de documents ont été faites par Revenu Canada mais elles n'ont pas eu de succès. Des accusations ont été portées par la suite contre les entités propriétaires de la Galerie des Maîtres Anciens, et de la Tourelle, Maison d'encans, et monsieur Levert en sa qualité d'administrateur de ces entités. Des condamnations pour destruction de documents ont été prononcées par le tribunal.

[81] Quant à l'enquête relative à l'Univers du Rail Inc., elle a débuté à l'automne 1989. Dans le cadre de cette enquête, monsieur Demers a rencontré messieurs Alain St-Amand et Julien Carignan respectivement président et gérant de cet organisme. L'état des résultats de cet organisme pour l'année se terminant le 31 décembre 1988 montre un revenu de 10 000 $ au poste de ventes à l'encan. Monsieur St-Amand informe monsieur Demers qu'il existait une entente verbale selon laquelle les oeuvres d'art données à l'Univers du Rail Inc. devaient être vendues à des prix qui ne devaient pas être inférieurs à dix pour cent des montants indiqués sur les reçus. Cet arrangement constituait une source de financement pour l'Univers du Rail Inc. C'est monsieur Levert qui recrutait les donateurs d'oeuvres d'art à l'Univers du Rail Inc. et les dirigeants de cette dernière société ne les rencontraient pas. Monsieur Levert fournissait les reçus et les évaluations au nom de la Galerie des Maîtres Anciens.

[82] Monsieur Demers a aussi fait état du fait qu'une demande péremptoire et certaines autres démarches furent faites auprès de l'Univers du Rail Inc. Malgré ces initiatives, il a obtenu peu de renseignements de cet organisme. En particulier, monsieur Demers n'a pu voir aucun des tableaux qui furent donnés à l'Univers du Rail Inc. lorsqu'il a fait une visite des lieux.

[83] Monsieur Demers a aussi établi un lien entre les factures de la Galerie des Maîtres Anciens et l'Univers du Rail Inc. Ce dernier organisme a émis 14 reçus le même jour, soit le 7 décembre 1988. Les évaluations étaient également datées du 7 décembre 1988. Les montants sur toutes les factures de biens acquis par les appelants, y compris celles concernant plusieurs autres contribuables, représen- taient le même pourcentage de 25 pour cent des montants figurant sur les reçus.

[84] Durant le mois d'août 1991, monsieur Demers a rencontré de nouveau monsieur Julien Carignan et ce dernier lui a remis les états financiers des années 1989, 1990 et 1991 de l'Univers du Rail Inc. Monsieur Demers a fait le bilan au niveau des reçus émis par cet organisme. Il a conclu qu'en 1988, 34 reçus ont été émis pour une valeur globale de 207 200 $ et que la contrepartie figurant aux états financiers de cet organisme à l'époque était de 10 000 $, montant qui représente quatre pour cent des montants reçus. Quant à l'année 1989, monsieur Demers a constaté que 39 reçus avaient été émis pour une valeur globale de 215 895 $ et que la contrepartie mentionnée aux états financiers était de 10 020 $, soit quatre pour cent des montants figurant sur les reçus. Finalement, pour l'année 1990, monsieur Demers a noté que 59 reçus avaient été émis pour une valeur totale de 621 394 $ et que la contrepartie obtenue par l'organisme en question était de 23 500 $, ce qui représente trois pour cent des montants des reçus.

[85] Monsieur Demers a ensuite fait état des calculs de l'avantage fiscal pour les deux appelants qui a résulté de leur participation aux transactions dont il est ici question.

[86] Quant à l'appelant Côté, il a bénéficié d'un crédit d'impôt de 3 160 $ en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour chacune des trois années en cause. Au niveau provincial, le montant de la déduction fiscale a été établi à 2 809 $. Le gain total provenant de la transaction en 1988 réalisée par l'appelant Côté fut de 3 021 $. Pour l'année 1989, l'appelant Côté a bénéficié d'une déduction de 2 640 $ en vertu de la loi provinciale avec un impact total de 5 800 $ et un gain total (résultant de l'application des lois fédérales et provinciales) de 2 937 $, compte tenu du coût d'acquisition des biens donnés par l'appelant Côté. Pour l'année 1990, la déduction au niveau provincial fut de 2 640 $ avec un impact total de 5 800 $ et un gain net de 2 960 $, en procédant au calcul fait sur la même base que pour les années antérieures. En calculant le rendement provenant de l'abri fiscal, il a tenu compte à la fois du crédit d'impôt pour dons de bienfaisance et de l'exonération des gains en capital.

[87] Dans le cadre de son enquête, monsieur Demers ne s'est pas préoccupé d'établir la juste valeur marchande des oeuvres d'art, qui ont été l'objet de dons à des organismes de bienfaisance, selon le point de vue des contribuables concernés, au motif que Revenu Canada ne reconnaissait pas la validité de ces dons d'oeuvres d'art. Selon le Ministère, les contribuables n'achetaient pas des oeuvres d'art mais plutôt des reçus. Il y avait absence d'intention libérale de la part des appelants. Revenu Canada n'a pas fait une contre-expertise à l'égard des valeurs des oeuvres d'art établies par monsieur Levert. Ainsi, la valeur des oeuvres d'art n'a pas été déterminée par Revenu Canada aux époques pertinentes au cours de l'enquête en question.

[88] Finalement, au cours de son témoignage, monsieur Demers a fait état des éléments d'information les plus importants sur lesquels Revenu Canada s'est appuyé en cotisant des pénalités à l'égard des appelants.

[89] Il a d'abord mentionné que les faits qui ont été retenus découlaient de données recueillies au cours de la vérification effectuée au niveau des organismes de bienfaisance. Le stratagème mis sur pied par monsieur Levert l'a porté à croire qu'il avait négligence flagrante de la part des appelants d'avoir participé à des transactions dans le cadre desquelles ils obtenaient un reçu portant un montant quatre fois supérieur au prix d'acquisition du bien alors que le montant du reçu devait refléter la valeur marchande du bien en question. Entre autres éléments du stratagème, le contribuable ne choisissait pas l'organisme de bienfaisance et bien souvent le contribuable ne voyait même pas les oeuvres d'art qu'il était censé avoir données. Il n'y avait pas remise de l'oeuvre par les appelants aux organismes de bienfaisance. De plus, dans le cas de l'appelant Côté, Revenu Canada avait réduit la valeur de l'oeuvre d'art qu'il avait donnée de 78 pour cent pour l'année d'imposition 1986. Comme autre facteur supplémentaire, l'évaluateur, qui était le promoteur du stratagème, était également engagé dans le commerce des oeuvres d'art. L'appelant Côté connaissait la position de Revenu Canada après une rencontre qu'il avait eue en 1987 avec les représentants de ce Ministère. Monsieur Demers a aussi fait état de la cotisation émise en 1989 et des dons faits subséquemment. Du point de vue de monsieur Demers, l'appelant Côté a continué, nonobstant la position de Revenu Canada, à faire des dons dans le même contexte factuel, les yeux fermés.

[90] Le travail de l'enquêteur, monsieur Réjean Juneau, de la section des enquêtes spéciales de Revenu Canada, complète l'enquête de monsieur Demers. Elle a porté sur les dessins de Fielding Downes. À Revenu Canada, on avait noté les montants élevés des reçus relatifs aux dons de bienfaisance portant sur ces dessins. Monsieur Juneau a été le seul à mener l'enquête sur cette question. En ce qui concerne la détermination de la valeur des tableaux de Fielding Downes, ses recherches se sont limitées au Guide Vallée. Il a déterminé que le total des montants inscrits sur les reçus relatifs aux dons de tableaux de l'artiste Fielding Downes pour les années d'imposition 1989, 1990 et 1991 s'établissait à 1 058 050 $. Les organismes de bienfaisance qui ont bénéficié de ces dons étaient l'Univers du Rail Inc., la Fondation Amérindienne Tecumseh, la Société protectrice des animaux et la Fondation Artrix.

[91] Toutes les évaluations de ces tableaux faisaient référence au Guide Vallée et il était fait mention de la Galerie, l'Oeuvre, dont le propriétaire était monsieur John Sanchez. Lors d'une visite à cette galerie, monsieur Juneau a remarqué qu'il y avait quatre tableaux de Fielding Downes qui étaient en vente, que le plus grand tableau mesurait 14 po x 18 po et que le prix demandé était 325 $. Le prix affiché pour cette aquarelle était légèrement en bas du prix mentionné dans le Guide Vallée. Monsieur Sanchez l'a informé que le prix indiqué dans le Guide Vallée devait être réduit de 20 pour cent pour en arriver au « bon prix » . Monsieur Juneau n'est pas allé dans d'autres galeries pour vérifier la justesse des prix de tableaux établis de la façon indiquée par monsieur Sanchez. Monsieur Juneau ne s'était pas présenté lors de cette visite comme agent de Revenu Canada.

[92] Par la suite, monsieur Juneau a rencontré monsieur Félix Vallée, l'éditeur du Guide Vallée, et lui a dévoilé qu'il était agent de Revenu Canada. Monsieur Vallée était accompagné de son avocat. Monsieur Vallée a refusé de montrer ses dossiers.

[93] Quelques semaines plus tard, monsieur Juneau a rencontré monsieur Jacques Morin, agent de Fielding Downes, selon le Guide Vallée. Monsieur Morin l'a informé qu'il avait accepté de vendre, avec l'aide de monsieur John Sanchez, des tableaux de Fielding Downes pour le compte de madame Suzanne Moisan et que la majorité d'entre eux avait été vendus à monsieur Levert. Monsieur Morin ne lui a pas fourni de listes de ventes des tableaux de Fielding Downes mais un document indiquait que monsieur Morin avait vendu des tableaux pour 7 519 $ et que sa commission représentait 20 pour cent de ce montant, sans fournir de détails.

[94] Un peu plus tard, monsieur Juneau est retourné à la Galerie l'Oeuvre en s'identifiant cette fois comme enquêteur de Revenu Canada. Monsieur Sanchez lui a fourni des factures de ventes mais aucune de ces factures n'avait trait aux tableaux de l'artiste Fielding Downes. Monsieur Juneau a conclu qu'étant donné qu'il n'a pas reçu de factures ni de monsieur Morin ni de monsieur Sanchez concernant les tableaux de Fielding Downes qu'il n'y avait pas eu de ventes. Monsieur Juneau a reconnu qu'il n'avait pas fait une enquête approfondie concernant les ventes de monsieur Morin et de monsieur Sanchez. Il a aussi reconnu qu'il n'avait pas fait de vérification aux fins de déterminer si les prix des peintures dans d'autres galeries se comparaient à ceux figurant dans le Guide Vallée. Aucun autre enquêteur à Revenu Canada a fait une étude plus poussée que la sienne sur les tableaux de l'artiste Fielding Downes. Il mentionne que le testament de Fielding Downes fait voir que les biens de ce dernier en grande partie ont été légués à madame Suzanne Moisan.

[95] En sus des témoignages des principaux acteurs dans ces dossiers, donnés par les appelants, messieurs Levert, Carignan, Demers et Juneau, il y a lieu, dans le but de compléter la preuve, de résumer de façon succincte les dépositions de certains autres témoins.

[96] Du témoignage de monsieur Pierre L'Allier, un conservateur au Musée du Québec, il y a lieu de noter qu'un tableau de Ludger Larose a été offert à la fin de 1986 par monsieur Kramer au Musée de Québec à un prix de 5 000 $. Aucune évaluation n'avait été fournie. Le Musée de Québec n'était pas intéressé à acquérir ce tableau. Selon un document qui fut mis en preuve, monsieur Levert aurait offert de vendre le même tableau de Ludger Larose au Musée de Québec pour 14 000 $.

[97] Le témoignage de monsieur Philippe George, un fervent collectionneur, a révélé que sa femme a acquis en avril 1989 la même peinture que l'une de celles dont il a été question devant cette Cour. Le prix d'acquisition fut établi à 300 $, une commission de dix pour cent et la taxe provinciale en sus.

[98] Du témoin Thomas Kramer, la Cour a appris notamment qu'il a acheté en mars 1983 pour 1 200 $ d'une voisine, madame Dorothée Lefrançois, qui connaissait alors des difficultés financières, une peinture de Ludger Larose « Funérailles d'une jeune fille à Venise » . Il a offert de vendre ce tableau au Musée de Québec mais ce dernier n'était pas intéressé. Par la suite, ce tableau fut mis en consignation aux encans Pinney's et fut vendu pour 2 200 $ moins dix pour cent pour frais de commission.

[99] Du témoignage de monsieur Charles Rinfret, à titre de témoin expert, il y a lieu de retenir les éléments suivants :

a) dans le cas de l'artiste Fielding Downes, les ventes de ses tableaux se faisaient plutôt dans les maisons d'encans. Les tableaux de cet artiste représentant des personnages se vendaient moins chers que ceux qui représentent des payages;

b) les huiles sont généralement plus chères que les aquarelles. Les pastels et les aquarelles ont des valeurs semblables;

c) il admet qu'avant la fermeture de la Galerie Zanettin, les artistes qui étaient représentés par cette galerie mettaient des annonces dans le Guide Vallée. Parfois l'artiste consultait cette galerie avant de fixer son prix;

d) il affirme qu'il y a des écarts entre les prix indiqués dans le Guide Vallée et les prix réels;

e) il mentionne que le marché d'un artiste peut être soit celui des galeries ou des encans. Le marché approprié est celui où l'on peut se procurer le plus grand nombre de tableaux d'un artiste donné.

[100] La Cour a aussi eu l'avantage d'entendre la déposition de monsieur David Kelsey un encanteur chez Pinney's. Monsieur Kelsey a indiqué que cette maison fait des ventes par catalogue deux fois par année. La liste de prix qui est utilisée fait état des prix des ventes aux encans. Pour ces objets, il s'agit d'un marché de revente alors que le prix dans une galerie d'art est un prix de détail. Il est possible que les prix dans les galeries soient plus élevés que les prix aux encans. La pratique courante dans cette industrie est d'établir le prix minimum d'un tableau à 15 pour cent ou 20 pour cent plus bas que le prix auquel on estime pouvoir vendre le tableau en question. Monsieur Kelsey a ajouté que le prix minimum n'est pas toujours connu et que certains objets d'art n'ont même pas un prix minimum.

[101] Monsieur Kelsey a reconnu deux tableaux qui ont été l'objet de discussions à l'audience. C'est lui qui avait préparé le catalogue où figuraient ces deux peintures. L'une de ces peintures, « Funérailles d'une jeune fille à Venise » de Ludger Larose dont le consignateur était monsieur Kramer et le prix minimum était de 2 000 $. Le prix indiqué dans le catalogue se situait entre 2 500 $ et 3 500 $. Il a confirmé que le prix de vente qui fut obtenu s'est élevé à 2 200 $ auquel il faut ajouter dix pour cent de commission et la taxe de vente provinciale. L'acheteur fut la Galerie des Maîtres Anciens.

[102] Quant au tableau de l'artiste Albert Edouard Cloutier, « Watching the Harbour Traffic » qui figurait au catalogue de Pinney's, monsieur Kelsey a estimé que son prix se situait entre 500 $ et 700 $. Ce tableau fut vendu au prix de 300 $. Le consignateur était madame Denise Boily, l'épouse de monsieur Levert.

[103] Le témoignage de monsieur Jules Harvey, propriétaire d'une galerie d'art depuis 25 ans, a fourni certains éléments d'information sur le marché d'art. Il a donné sa déposition à titre de témoin expert. Pour déterminer la valeur des tableaux, il s'appuie sur des guides qui dans bien des cas reflètent les prix déterminés par l'artiste. Il affirme que le prix vendu en galerie détermine la valeur marchande d'un tableau.

[104] À la demande de monsieur Levert, le 22 avril 1992, il a évalué à 2 800 $ et 2 500 $ respectivement deux tableaux de Fielding Downes. Il s'est appuyé sur le Guide Vallée pour en arriver à ces évaluations. Il affirme catégoriquement que le prix de vente à l'encan n'est pas déterminant pour l'établissement de la valeur marchande d'une peinture. Il a ajouté que la plupart des peintures dans le marché du Québec se vendent dans les galeries d'art. Il a aussi mentionné qu'il vend les tableaux des artistes inscrits dans un guide, comme le Guide Vallée, au prix inscrit dans le guide.

[105] Monsieur Guy Gagnon a aussi témoigné à titre d'expert.

[106] Monsieur Guy Gagnon, qui a été pompier au ministère de la Défense nationale depuis 1966, a commencé à collectionner des tableaux en 1972. En 1985 il a ouvert une galerie d'art, la Galerie Feuille d'Érable, qu'il a exploitée jusqu'en juin 1995. Cette galerie était ouverte sept jours par semaine. Monsieur Guy Gagnon travaillait lui-même à la galerie les soirs et les fins de semaine. Sa galerie vendait dans une proportion à peu près égale des oeuvres de deux types d'artistes, c'est-à-dire ceux qui étaient peu connus, des débutants aussi bien qu'à ceux qui étaient bien connus, des artistes contemporains. Lors de l'ouverture de sa galerie, l'inventaire de la galerie de monsieur Guy Gagnon comprenait environ 150 tableaux de sa collection personnelle. La plus grande partie de l'inventaire de sa galerie provenait des galeries d'art et le tiers de l'inventaire provenait des achats à l'encan effectués à Québec ou à Montréal. Entre 1987 et 1992, monsieur Guy Gagnon était actif dans le marché de l'art au Québec. Il visitait notamment des galeries et se rendait aux ventes aux enchères à Québec et à Montréal. Il était souvent l'un des acheteurs. Il fréquentait aussi deux marchés aux puces dans la région de la ville de Québec.

[107] Monsieur Guy Gagnon indique que sa galerie était une petite galerie. Durant les années 1987 à 1993, monsieur Gagnon estime qu'il avait vendu environ 35 tableaux par année, soit à sa galerie, aux maisons d'encans ou par l'entremise d'autres galeries. Les recettes de ses ventes s'établissaient à environ 20 000 $ sur une base annuelle.

[108] Il affirme que les prix auxquels il avait vendu des tableaux à sa galerie étaient généralement le double des prix payés lors d'encans. Donc, s'il payait 1 000 $ à l'encan pour un tableau, il essayait de le revendre à sa galerie pour 2 000 $. Cependant, dans certains cas, la marge pouvait avoir triplé ou même moins que doublé selon le prix payé pour la peinture. Selon lui, deux tiers des ventes à l'encan étaient faites à des propriétaires de galeries.

[109] Monsieur Guy Gagnon mentionne qu'il établissait le prix de ses peintures en galerie en considérant les prix indiqués à la demande des artistes dans le Guide Vallée. Le guide n'était pas toujours à jour et il se tenait au courant de l'évolution des prix en consultant une revue comme « Le Collectionneur » ou en visitant des galeries d'art. En ce qui concerne les artistes hors cote, par exemple, ceux qui sont décédés, il se fondait sur la qualité du tableau et sur son expérience pour établir le prix.

[110] Monsieur Guy Gagnon a aussi évalué une peinture de Jean-Paul Lemieux et de Ludger Larose en utilisant les mêmes critères que les dessins de Fielding Downes. Monsieur Guy Gagnon s'est rendu à la galerie des Maîtres Anciens pour faire ces évaluations. La peinture de Jean-Paul Lemieux a été évaluée le 20 janvier 1989. Il affirme ne pas avoir vu l'évaluation faite par monsieur Levert de la peinture de Jean-Paul Lemieux. L'évaluation de monsieur Levert était plus élevée que celle de monsieur Guy Gagnon. Quant à la peinture de Ludger Larose, monsieur Guy Gagnon l'a évaluée le 17 juin 1989.

[111] Monsieur Guy Gagnon a fait une évaluation d'un cartable pour monsieur Levert d'une série dessins exécutés par Lionel Fielding Downes. Monsieur Levert pourrait ainsi avoir une évaluation certifiée d'une autre galerie. Monsieur Levert s'est rendu chez monsieur Guy Gagnon pour obtenir cette évaluation. Après un examen d'une heure, monsieur Guy Gagnon a procédé à une évaluation générale, basée sur son expertise, le Guide Vallée, le prix établi aux encans et le regain d'intérêt pour les tableaux Fielding Downes au début des années 1990. Il n'a pas facturé monsieur Levert pour cette évaluation et il n'a pas pris de photographie des tableaux. Selon monsieur Guy Gagnon, il y avait de tout dans ce cartable de tableaux. La grandeur moyenne des tableaux se situait entre 18 po et 24 po. C'étaient des oeuvres sur papier et non sur toile. Certains dessins étaient des dessins préparatoires. Il est possible que le papier de certains dessins ait été jauni.

[112] Monsieur Guy Gagnon a eu la visite des représentants de Revenu Canada à deux reprises au sujet des évaluations qu'il a faites. Il a fourni toutes ses évaluations aux enquêteurs qui lui furent remises par la suite.

[113] Il a aussi été mis en preuve que monsieur Guy Gagnon a fait environ 35 évaluations pour monsieur St-Laurent de la Fondation Amérindienne Tecumseh. Les factures étaient au nom de ce dernier organisme. Cette organisme lui a fait un chèque de 875 $ pour son travail relatif aux évaluations, soit 25 $ par évaluation. À la suggestion de monsieur St-Laurent, monsieur Guy Gagnon a annulé son chèque moyennant un reçu pour fins fiscales du même montant. En outre, monsieur Guy Gagnon a acheté des tableaux de la Fondation Amérindienne Tecumseh.

[114] Monsieur Guy Gagnon a aussi mentionné qu'il ne savait pas que l'évaluation des dessins du cartable de Fielding Downes intéressait le groupe ADOC. Il témoigne qu'il n'a jamais rencontré monsieur Robert Wright ou monsieur Jacques Morin. Il était aussi au courant que certaines personnes achetaient des tableaux pour fins de dons mais quant à lui il n'a fait que vendre des tableaux qui faisaient partie de son inventaire.

[115] Du témoignage de madame Nicole Moisan, le tribunal a appris qu'une entente avait été conclue entre sa soeur, madame Suzanne Moisan, qui demeurait en Floride après le décès de l'artiste Fielding Downes, le conjoint de cette dernière, que monsieur Morin et monsieur Sanchez étaient chargés de vendre les toiles de Fielding Downes pour le compte de madame Suzanne Moisan à laquelle elles avaient été léguées. Madame Nicole Moisan mentionne que messieurs Morin et Sanchez ont travaillé ensemble jusqu'en 1991. Monsieur Sanchez était celui qui s'occupait des tableaux. Madame Nicole Moisan a témoigné qu'elle a reçu de la vente des tableaux les sommes suivantes : 4 300 $, 1 670 $ et 1484 $. Ni elle ni sa soeur, madame Suzanne Moisan, n'a su à qui les tableaux ont été vendus. Madame Nicole Moisan a aussi mentionné qu'elle a recouvré certaines oeuvres lorsqu'elle et madame Suzanne Moisan ont mis fin à l'entente avec monsieur Sanchez. Certaines oeuvres n'ont pu être récupérées et monsieur Sanchez leur a expliqué qu'il faisait face à des problèmes financiers et à des saisies. Il ne pouvait donc pas lui remettre les autres tableaux. Madame Nicole Moisan a dit qu'elle était au courant que d'autres peintures de Fielding Downes ont été vendues par une galerie mais elle n'a pu vérifier ce qui en était au sujet des transactions en question.

[116] Le témoignage de monsieur Jacques Morin apporte certains éléments factuels relatifs aux tableaux de Fielding Downes. Monsieur Morin après avoir été agent immobilier puis écrivain et journaliste fut un consultant en art de 1989 à 1991 ou 1992. Monsieur Morin est devenu gestionnaire de certaines galeries pendant un certain temps.

[117] Selon l'édition 1989 du Guide Vallée, monsieur Morin est indiqué comme étant l'agent de l'artiste Fielding Downes, ce dernier étant décédé en 1992. Monsieur Morin, selon son témoignage, a reçu un appel téléphonique de madame Suzanne Moisan à la suite d'une annonce publicitaire qu'il avait fait paraître dans un journal pour la vente d'un tableau. À cette époque, monsieur Morin n'avait pas de galerie d'art; il était simplement collectionneur de peintures.

[118] Monsieur Morin affirme que madame Suzanne Moisan l'a autorisé à mettre en vente les tableaux appartenant à la succession de l'artiste Fielding Downes. De fait, madame Suzanne Moisan lui a laissé une cinquantaine de tableaux en consignation qui ont été entreposés par lui à la galerie l'Oeuvre, propriété de monsieur Sanchez. L'entente conclue entre madame Suzanne Moisan, monsieur Sanchez et monsieur Morin portait sur le partage du prix de vente de ces tableaux dans la proportion suivante : messieurs Morin et Sanchez auraient chacun 20 pour cent et la succession 60 pour cent. Monsieur Morin mentionne que les prix qu'il proposait étaient inscrits dans le Guide Vallée et représentaient, selon lui, la juste valeur marchande des tableaux. Il ajoute qu'il s'était informé auprès des gens qui étaient dans le milieu des oeuvres d'art pour établir cette juste valeur marchande mais il ne pouvait se souvenir de leurs noms.

[119] Monsieur Morin s'est référé à deux documents en sa possession; l'un montre que l'entente ci-dessus mentionnée a été respectée quant à madame Suzanne Moisan qui a reçu une partie du produit des ventes des tableaux et l'autre document fait état des ventes de tableaux du cartable Fielding Downes. Il a semblé que monsieur Morin fut le seul à recevoir sa commission de 20 pour cent. Il n'y a pas d'indication que monsieur Sanchez ait obtenu sa commission au taux de 20 pour cent du produit des ventes. Monsieur Morin ne se souvient pas précisément à qui les ventes ont été faites; il affirme toutefois que la majorité des tableaux ont été achetés par monsieur Levert. Il ajoute que les prix de vente mentionnés dans le Guide Vallée étaient plus élevés que les prix de vente réellement payés par monsieur Levert pour ces tableaux.

[120] Monsieur Morin a aussi indiqué qu'il n'avait plus en mars 1991, ou peut-être avant, le mandat de s'occuper de vendre les tableaux du cartable de Fielding Downes. Il mentionne que le prix indiqué pour chaque tableau était d'environ dix pour cent par rapport au prix indiqué dans l'édition 1989 du Guide Vallée. Les prix de la deuxième édition du Guide Vallée ne reflétaient plus le marché, la troisième édition n'ayant pas encore été publiée. Monsieur Morin indique aussi qu'il avait informé madame Suzanne Moisan qu'il ne s'occupait plus de vendre le cartable Fielding Downes.

[121] Monsieur Sanchez, qui était à l'époque pertinente, un encadreur à son propre compte et propriétaire de la galerie d'art, l'Oeuvre, confirme que ses relations avec monsieur Morin se limitaient à la fourniture de locaux de façon à permettre à ce dernier d'exposer les tableaux de Fielding Downes. Il a reconnu que durant les années 1989 et 1990, il a vendu des tableaux du cartable Fielding Downes mais la majorité des clients communiquaient avec monsieur Morin pour faire les transactions. Sa commission sur ces ventes était d'environ 20 pour cent du prix de vente. Il a mentionné que monsieur Morin et lui-même décidaient conjointement des prix de vente des tableaux de Fielding Downes. Lorsque monsieur Morin a décidé de ne plus vendre les tableaux de Fielding Downes, il a retourné les tableaux à madame Suzanne Moisan.

Prétentions des appelants

[122] Dans leurs actes de procédure, les appelants allèguent qu’ils ont effectué des donations d’oeuvres d’art durant les années d’imposition en question. Ils prétendent notamment qu’un reçu pour fins d’impôt pour chacun des dons, a été émis par des organismes de bienfaisance en leur faveur. Ces organismes de bienfaisance étaient détenteurs d’un numéro d’enregistrement officiel et étaient habilités à émettre des reçus pour les fins de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[123] Dans les mêmes actes de procédure, on a fait valoir que l’évaluation des oeuvres d’art en question faite par les experts des appelants reflète leur juste valeur marchande. Les appelants soumettent que la valeur déterminée par l’intimée ne tient pas compte de la valeur patrimoniale des oeuvres ainsi que d’autres critères, tels que la réputation, la crédibilité, la notoriété des artistes qui les ont réalisées, la qualité artistique des oeuvres ainsi que la nature de l’offre et de la demande dans le marché québécois et canadien de l'art.

[124] Les appelants s’opposent notamment dans les mêmes actes de procédure à ce que leur soient imposées des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu puisqu’ils n’ont, en aucune façon ni aucune circonstance fait sciemment ou dans des circonstances qui jsutifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans leurs déclarations de revenu et dans tout autre écrit qui est mentionné.

[125] Dans la plaidoirie de l'un des avocats des appelants, il a été souligné au sujet du marché des oeuvres d’art qu'il est différent parce qu’on peut s’approvisionner de différentes manières, à différents endroits et à différents prix. On a soutenu que les appelants ont profité d’un avantage fiscal parce qu’ils ont transigé avec des vendeurs de peintures qui étaient prêts à renoncer à une partie substantielle de leur profit pour créer un volume de transactions qui leur permettrait de trouver leur compte. Les commerçants de tableaux, comme monsieur Levert, ont tout simplement passé leur escompte de professionnels à leurs clients. Donc, quand les clients donnaient des peintures à des organismes de bienfaisance, ils faisaient alors un profit. On a ajouté, pour le compte des appelants, qu’ils achetaient des biens de consommation au prix du gros, presque au prix coûtant et quand ils faisaient des dons ils utilisaient le prix du marché.

[126] Pour les appelants, on a aussi fait valoir que les peintures ont d'abord été identifiés par monsieur Levert qui les a vendus aux appelants. Il y a alors eu transfert du droit de propriété d'un bien pour un prix en argent. Par la suite, est intervenu un contrat de donation. Dans le cas des appelants, il y eu contrat entre deux personnes, le donateur, c’est-à-dire chaque appelant et le donataire, c’est-à-dire l’organisme de bienfaisance en question. Entre ces parties, il y a eu transfert du droit de propriété d’un bien et il n’y a eu aucune contrepartie versée par l’organisme qui a reçu le bien.

[127] L’un des avocats des appelants s’est référé à ce sujet à la décision de The Queen v. Lagueux & Frères Inc.,74 DTC 6569. Cette décision enseigne que pour déterminer les conséquences fiscales qui s’appliquent à une transaction, il faut déterminer sa nature, sous l’angle du droit civil. Le fait que les donateurs aient pu retirer de ces transactions un avantage pécuniaire accessoirement est sans conséquence parce que les donataires n’ont pas versé de contrepartie.

[128] On s'est référé aussi aux décisions de cette Cour dans l’affaire The Queen v. Construction Bérou Inc., 96 DTC 6177 et R. Francoeur c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 2440. Pour le compte des appelants on s'est appuyé particulièrement sur le passage suivant de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’espèce The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031, à la page 6033 :

It is clear that it is possible to make a "profitable" gift in the case of certain cultural property. Where the actual cost of acquiring the gift is low, and the fair market value is high, it is possible that the tax benefits of the gift will be greater than the cost of acquisition. A substantial incentive for giving property of cultural and national importance is thus created through these benefits. But not every gift will be found to benefit from these provisions.

[129] La Cour d’appel fédérale, souligne l’un des avocats des appelants, mentionne que le système de donations de biens culturels « est conçu pour produire un avantage fiscal plus grand que celui qui existe pour la simple donation » mais ce sont les circonstances qui produisent l’avantage.

[130] Il a été indiqué qu’en vertu de l’article 69 de la Loi, il y a disposition à la juste valeur marchande des biens qui sont donnés. Ainsi les appelants auraient réalisé un gain en capital provenant de leurs dons, lequel gain pourrait être exonéré.

[131] Il a été également souligné qu’en ce qui concerne le marché de l’art, contrairement à d’autres marchés, il a une source d’approvisionnement assez stable d’oeuvres d’art pour des prix inférieurs à leur juste valeur marchande et les appelants ont bénéficié de cette circonstance.

[132] Dans le cas des appelants, Monsieur Levert connaissait bien le marché et savait comment s’approvisionner en oeuvres d’art. Il les achetait à bon marché et les vendait rapidement à un bas prix et les acheteurs effectuaient des dons. Monsieur Levert y trouvait son compte même s’il vendait à un prix qui comportait une marge bénéficiaire inférieure.

[133] Le présent cas, selon les avocats des appelants, ressemble à celui de l’arrêt Freidberg, précité, en ce que les donateurs pouvaient réaliser un avantage pécuniaire découlant de leurs dons de tableaux à des organismes de bienfaisance.

[134] Selon les appelants, il y a une intention mixte dans ces donations mais en ce qui concerne chaque donateur et donataire, l’intention est pure et elle respecte les dispositions de l’article 1806 du Code civil du Québec.

[135] En ce qui a trait au caractère factuel des transactions, on a porté à l’attention de la Cour que les appelants comprenaient ce qu’ils faisaient. Les appelants savaient qu’ils achetaient des peintures pour un prix moins élevé que leur valeur marchande car monsieur Levert leur avait fourni des explications à ce sujet. Les appelants avaient vérifié les prix dans le Guide Vallée. Ils connaissaient la provenance de leurs peintures. Ils se rendaient compte qu’ils profitaient d’une aubaine. Les appelants ne pouvaient croire qu’il était illégal de participer aux transactions dont il est ici question.

[136] L'un des avocats des appelants a fait état de la décision du juge Mogan de cette Cour dans l’affaire Whent v. R., [1996] 3 C.T.C. 2542 où il s'agissait d'avocats qui avaient acheté un inventaire assez considérable de peintures.

[137] Au sujet de la juste valeur marchande des tableaux, les appelants ont pris la précaution de s’assurer que les reçus qu’on leur émettait n’étaient pas émis pour un montant supérieur à la juste valeur marchande des oeuvres d’art en question. Ils ont obtenu des évaluations des peintures qui confirmaient le principe des transactions dans lesquelles ils s’étaient engagés. De plus, la question d’évaluation indépendante est tout simplement une affaire d’appréciation. On a argué qu’il n’est écrit nulle part dans la Loi de l'impôt sur le revenu qu’il faut que l’évaluateur n’ait aucun intérêt d’aucune manière dans l’évaluation d’un bien.

[138] Concernant la juste valeur marchande des oeuvres d’art, les appelants soutiennent que l’intimée a offert peu de preuve sur la question. Certains témoins de l’intimée ont retenu, comme une indication de la juste valeur marchande, les ventes aux encans. À ce sujet, les parties ont des divergences fondamentales. Les appelants prétendent que le marché dans les galeries est celui qui est le plus habituel et c’est celui qui doit être retenu comme marché représentant la juste valeur marchande d'une oeuvre d'art. Le marché le plus important, c’est celui des galeries. On ajoute que très peu de personnes « possèdent l’assurance, le temps ou l’intérêt de suivre » les encans. C’est un marché très marginal. Tous les témoins sont unanimes sur ce point. Le Guide Vallée est un répertoire de prix en galerie avant tout. C’est le marché en galerie qui représente le plus fidèlement la définition de la juste valeur marchande.

[139] Les appelants ont soutenu que le ministre du Revenu national par son comportement a donné aux appelants toutes les raisons de croire qu’ils étaient justifiés de faire des dons dans la mesure où ils s’assuraient que la valeur des biens était exacte pour les fins du reçu. Tout le litige, selon eux, est une question d’évaluation. À ce sujet, selon les appelants, quand l’appelant Côté a rencontré les vérificateurs de Revenu Canada la preuve est claire qu’il n’était question que d’évaluation.

[140] À l’égard de la question des pénalités, les appelants font valoir que le ministre du Revenu national a eu un comportement inacceptable. On a fait état de la correspondance de monsieur Levert et cela a créé un lien indirect entre les clients de monsieur Levert et le ministre du Revenu national. La situation n’est pas différente de celle d’un autre promoteur d’abris fiscaux qui aurait obtenu une décision anticipée avant de mettre en exécution ses transactions. Les appelants n’acceptent pas la position de l’intimée qui a vu un stratagème dans ces transactions à savoir l’achat de reçus. Cette prétention du ministre du Revenu national implique que les appelants n’ont pas acheté des peintures. Selon les appelants, il a été démontré hors de tout doute qu’il y avait achat des biens donnés et qu’il y avait donation de ces mêmes biens. Personne n’a acheté des reçus pour fins fiscales et les appelants n’ont pas obtenu de contrepartie ou quoi que ce soit des organismes accrédités.

[141] Dans le cas de l’appelant Côté, il a donné en 1988 un Ludger Larose et l’intimée n’a fait aucune preuve directe sur l’évaluation de ce tableau. Le même commentaire s’applique au pastel par Iacurto en 1989 une huile par K.M. Hamilton en 1989, une huile sur métal par J. Hilpert, une aquarelle de Madeleine Laliberté, et en 1990 une huile de Marie Claire et une huile de Adrien Hébert. Dans le cas de l’appelante Marcoux aucune preuve ne fut apportée concernant la valeur du tableau d’Albert Cloutier en 1988, et en 1989 d'une huile par Graham ainsi que sur le Jean-Paul Lemieux. En conclusion, sur la question de la pénalité, le comportement des appelants n’est pas le comportement des gens qui ont été grossièrement négligents ou ont tenté d’éluder l’impôt. La conduite des appelants n'est pas différente de celle de milliers de contribuables qui utilisent toutes sortes d’abris fiscaux.

Prétentions de l'intimée

[142] Pour le compte de l’intimée, on a tout d’abord soutenu qu’il n’y a pas eu de la part des appelants de véritables dons à l'égard des trois années d'imposition en litige.

[143] Après s’être référée aux éléments essentiels à l’existence d’un don, l’une des avocates de l’intimée a plaidé, comme il appert des notes soumises au tribunal, à l'appui de sa plaidoirie, que le premier élément essentiel à la donation, l’intention libérale de la part du donateur n’existait pas au motif que les appelants dans le cas actuel n’ont acquis les biens et n'ont accepté de payer pour ces biens que conditionnellement à ce que ces biens soient immédiatement ou quasi-simultanément l’objet d’une donation à un organisme de bienfaisance pour un montant quatre fois supérieur au prix payé, dans l’unique but d’obtenir un avantage fiscal. Sur ce point, l’intimée s’est appuyée sur les décisions du juge Dussault de cette Cour dans les affaires Guy Dutil c. R., et Réjean Gagnon c. R., toutes deux datées du 25 juillet 1991, et de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031. La décision du juge Mogan de cette Cour dans la cause Whent v. The Queen, [1996] 3 C.T.C. 2542, de même que celle du juge Archambault, également de cette Cour, dans l’espèce Paradis c. R., [1997] 2 C.T.C. 2557 ont été aussi mentionnées.

[144] De l’examen de la preuve relative à l’absence d’intention libérale, les faits démontrent, selon l’intimée, que la seule intention de l’appelant Côté et de l’appelante Marcoux était de réduire leurs impôts grâce à des reçus pour dons de bienfaisance et qu’ils n’avaient aucune intention de nature philanthropique liée à cette intention de réduire leurs impôts. Selon l’intimée, le supposé don est assujetti à l’obtention d’un avantage fiscal. Pour le compte de l’intimée, on a mis l’accent sur les éléments suivants qui sont déduits de la preuve:

1. les tableaux en cause n’étaient pas choisis par les appelants mais par monsieur Levert. Les appelants n’ont jamais eu en leur possession les tableaux sauf peut-être le Ludger Larose.

2. Les appelants n’ont pas choisi les organismes présumés donataires et n’ont fait aucune démarche auprès de ces organismes.

3. Sans les reçus, l’appelant Côté n’était pas prêt à conclure les transactions avec monsieur Levert.

4. Monsieur Levert, par l’entremise de madame Tremblay, était le vendeur, l’évaluateur et le fournisseur de reçus émis pour fins fiscales.

[145] L’intimée a aussi soutenu que la délivrance de choses mobilières, qui constitue un autre élément essentiel au don manuel, lorsque la donation n’est pas constatée par acte notarié, n’a pas eu lieu parce qu’il n’y a pas eu ici remise physique du bien au donataire, lequel donataire doit être mis en possession de façon non équivoque.

[146] Au sujet de la délivrance et de la possession des tableaux, l’intimée s’appuie notamment sur les éléments suivants de la preuve :

1. Les appelants Côté et Marcoux ne sont pas allés livrer les tableaux à l’Univers du Rail Inc. et l’Univers du Rail Inc. n’a jamais eu physiquement les tableaux. Le représentant de l’Univers du Rail Inc., monsieur Carignan, n’a jamais vu les tableaux.

2. « L’Univers du Rail Inc. avait conclu une entente verbale avec monsieur Levert selon laquelle ce dernier sollicitait des donateurs, avec des tableaux, et selon laquelle l’Univers du Rail aurait un minimum de dix pour cent du montant des reçus » . Monsieur Levert avait, selon monsieur Carignan, « le mandat pour cet aspect des activités de financement de l’Univers du Rail. Monsieur Levert disait quoi mettre sur les reçus et remettait son évaluation à l’Univers du Rail parfois en même temps que ses instructions, parfois plus tard » . Les reçus étaient ensuite remis à monsieur Levert. À l’époque, les tableaux n’allaient pas à l’Univers du Rail. « Ils étaient à la Galerie des Maîtres Anciens avant l’achat, l’étaient encore après l’achat et y demeuraient après les supposés dons » .

3. « Il n’y avait pas de liste des tableaux mis en consignation par l’Univers du Rail chez monsieur Levert ou sa galerie » . « L’Univers du Rail n’avait aucun contrôle sur les tableaux » .

4. L’Univers du Rail Inc. « ne recevait que quelques chèques de temps à autre qui ne correspondaient même pas à 10 pour cent du total des montants figurant sur les reçus » .

[147] De ces éléments, l’intimée a conclu qu’il n’y a eu aucune délivrance des biens en cause à l’Univers du Rail Inc. et la possession des biens que monsieur Levert aurait pu avoir pour le compte de l’Univers du Rail Inc. était une possession équivoque dans les circonstances.

[148] Quant aux biens qui ont été prétendument donnés à la Fondation Amérindienne Tecumseh, la preuve démontre, selon l’intimée, que lorsque monsieur Jacques Demers est allé vérifier sur place en mars 1989, il n’a trouvé qu’un local vide. Les reçus étaient gardés chez le comptable et il n’y avait aucune évaluation disponible lorsque monsieur Demers est allé voir le comptable en mars 1989. Monsieur Saint-Laurent n’a fourni ensuite que des dossiers ne contenant aucun élément d'information et a prétendu que tous les biens avaient été revendus. « Les seules ventes identifiées ne correspondaient alors qu’à 11 pour cent du montant des reçus » . Les acheteurs n’étaient pas non plus identifiés. Dans ses notes à l'appui de sa plaidoirie pour l'intimée, on a ajouté ce qui suit :

Monsieur Demers a fait une nouvelle vérification en août 1991. Très peu d’évaluations étaient disponibles et, selon monsieur Saint-Laurent, tous les biens avaient été revendus. Le total des ventes indiquées aux états financiers, ne représentait que deux à trois pour cent du montant indiqué sur les reçus.

[149] Pour le compte de l’intimée, on a attiré l’attention de la Cour sur le paragraphe 118.1(2) de la Loi qui prévoit qu’aucun don ne peut être réclamé s’il n’est pas attesté par un reçu contenant les renseignements prescrits, présenté au ministre du Revenu national. Les renseignements prescrits sont énoncés au paragraphe 3501(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu et le paragraphe 3501(6) du même Règlement ajoute que tout reçu dans lequel la date de réception du don, l’année du don ou le montant du don est inexact doit être considéré comme gâché. L’intimée a fait valoir que l’existence d’un reçu ne confère pas un droit au crédit d’impôt pour dons, si le contenu du reçu est inexact ou incomplet. À cet égard, l’avocate de l’intimée a formulé les remarques suivantes, que je reproduis, sans les notes infrapaginales :

1. Les reçus numéros 53458 et 53466 de l’Univers du Rail du 7 décembre 1988[1] ne donnent pas l’adresse de l’organisme, ni celle de monsieur Alain Côté et de madame Louise Côté. De plus, ils n’indiquent pas le nom et l’adresse de l’évaluateur, alors même qu'il en avait un : Marc Levert. Ils n’indiquent pas quand les oeuvres ont été reçues.

2. Les reçus numéros 98 et 101 du 4 décembre 1989 de la Fondation Amérindienne Tecumseh ne donnent pas le nom et l’adresse de l’évaluateur (bien que dans le cas du reçu numéro 101, il soit fait mention d’un certificat), et n’indiquent pas quand les oeuvres ont été reçues.

3. Les reçus no 277 du 24 novembre 1990 et numéro 272 du 21 novembre 1990 de la Fondation Amérindienne Tecumseh ne donnent pas le nom et l’adresse de l’évaluateur, bien qu’ils mentionnent l’existence d’un certificat d’évaluation. Ils n’indiquent pas quand les oeuvres ont été reçues.

[150] De ce qui précède, l’intimée a tiré la conclusion que comme les reçus ne contiennent pas tous les renseignements prescrits, à supposer qu’il s’agisse de véritables dons, ceux-ci ne peuvent pas être inclus dans le total des dons en application du paragraphe 118.1(2) de la Loi.

[151] Comme l'un des moyens principaux, l’intimée a prétendu aussi que les montants inscrits sur les reçus ne reflétaient pas les valeurs des biens en cause.

[152] L’intimée s’est référée à la décision de la Cour fédérale du Canada dans l’affaire Henderson Estate and Bank of New York c. M.R.N., 73 DTC 5471, quant à la définition de la juste valeur marchande. À la lumière de cette décision, on s'est appuyé particulièrement sur la méthode de la parité. Aux fins de la détermination de la valeur d'un bien, on a aussi commenté sur le prix d’achat payé par le propriétaire du bien.

[153] Au sujet du Guide Vallée, l’intimée, dans ses notes soumises lors de la plaidoirie, s’est exprimée ainsi :

174. Les prix affichés dans des guides comme le Guide Vallée, ne constituent pas nécessairement des prix de ventes réels.

175. Le Guide Vallée est un instrument de publicité, dans lequel n’importe qui peut acheter une pleine page couleur, contre une somme de 300 $ (selon M. Guy Gagnon) à 400-500 $ (selon M. Jules Harvey).

176. Ce guide ne tient pas compte de la période à laquelle les oeuvres ont été exécutées, ni du sujet traité par l’artiste, ni de la qualité intrinsèque des oeuvres, ni de leur état de conservation. Les prix sont basés sur un calcul au pouce carré, qui ne fait pas les distinctions qui s’imposent (témoignage de M. Rinfret).

177. De plus, ce genre de guide n’est pas fiable, car les renseignements qui y sont contenus ne sont pas contrôlés. Il arrive que des artistes, ou des agents d’artistes, surévaluent le prix affiché des oeuvres, avec l’espoir que le marché suivra. Le cas de Lionel Fielding Downes en est la meilleure illustration. Les faits prouvés relatifs à cet artiste montrent combien les prix réels de vente ne correspondent pas aux prix indiqués dans le Guide Vallée. Il faut donc vérifier, dans chaque cas, si l’information est ou non exacte, comme l’a indiqué à plusieurs reprises M. Rinfret.

[154] La plaidoirie pour le compte de l'intimée a aussi touché à l’importance à accorder pour fins d’évaluation aux ventes en galerie et aux ventes aux enchères.

[155] Au sujet des ventes en galerie, l’intimée a mis de l’avant ce qui suit : « si le marché identifié par l’expert est celui en galerie pour un artiste donné, encore faut-il que l’expert identifie clairement les galeries en question, les tableaux comparables dans ces galeries, et que l’expert ait vérifié si ces galeries ont vendu réellement aux prix qu’elles affichaient des tableaux comparables. Il est possible que les tableaux récents ou nouveaux d’un artiste vivant se vendent plus chers en galerie, si l’artiste est représenté par cette galerie (témoignage de M. Kelsey) » .

[156] Concernant les ventes aux enchères, on lit notamment ce qui suit dans les notes soumises par l’intimée :

179. Si le marché identifié par l’expert est celui des enchères pour un artiste donné (marché de revente), les index qui répertorient les ventes (tels le Canadian Art Sales Index ou l’Annuaire des Cotes International Bordas) ainsi que les factures de vente des salles de vente constituent une preuve objective de ces ventes.

180. À supposer qu’il y ait, dans ces index, des ventes aux enchères fictives pour mousser les ventes d’un artiste, comme l’a laissé entendre M. Levert, encore faut-il prouver que ce soit le cas pour les artistes en cause. Il semble en fait douteux que ce le soit, car les prix des enchères seraient alors beaucoup plus élevés (témoignage de M. Rinfret). M. Kelsey a indiqué, lors de son témoignage le 22 mai 1997, que les Encans Pinney’s ne permettaient pas aux vendeurs d’enchérir sur leurs propres tableaux, c’était contraire à la loi.

[157] L’intimée a tenu pour acquis lors de l'émission des cotisations que la valeur des oeuvres d’art déclarée par les appelants ne reflétaient pas leur juste valeur marchande. L’intimée a aussi retenu lors des cotisations dont appel que monsieur Levert, dans la mesure où il avait évalué les tableaux en cause, n’était pas un expert indépendant. Cette conclusion, selon l’intimée, se fonde sur la façon d’agir de monsieur Levert durant les années 1985, 1986 et 1987 « où un barème systématique de 20 ou 25 pour cent entre le montant payé par les contribuables et le montant des évaluations à la base des reçus de dons pour fins fiscales avait été constaté » . Une surévaluation systématique des biens décrits dans les reçus utilisés pour fins fiscales avait été notée par Revenu Canada par des experts indépendants.

[158] Au sujet de monsieur Levert, il a été fait mention que ce dernier a plaidé coupable après un long procès à des accusations d’avoir volontairement éludé le paiement de l’impôt sur le revenu pour les années 1986 et 1987 en permettant à un certain nombre de contribuables, dont les appelants, de déduire de leurs déclarations de revenu des dons d’oeuvres d’art surévalués. Monsieur Levert a été aussi reconnu coupable de ne pas avoir déclaré les revenus provenant de ses transactions avec des « donateurs » pour les années 1985, 1986 et 1987. L’intimée a aussi souligné que monsieur Levert manquait d’objectivité. « Selon monsieur Levert, le montant à payer par ses clients était déterminé à l’avance : 25 pour cent de la valeur du Guide Vallée ou de la valeur en galerie » . Monsieur Levert oppose le marché en galerie au marché aux enchères. Il tient pour acquis que les tableaux de n'importe lequel artiste pourraient se vendre en galerie. Il considère aussi que les prix suggérés par le Guide Vallée constituent, sans autre vérification, des prix de vente réels en galerie. Selon l'intimée, « ce faisant, il propose des valeurs complètement artificielles qui n’ont rien à voir avec le marché réel » . L'intimée fait sien le commentaire de monsieur Rinfret, un témoin expert pour le compte de l'intimée, qui indique qu'il s’agit plutôt de situer le marché pour un artiste donné et pour une oeuvre donnée : est-ce en galerie, ou est-ce aux enchères, aux marchés aux puces, ou ailleurs? À l’intérieur de ce marché-là, il faut voir s’il y a des ventes réelles comparables, ce que monsieur Levert n’a pas fait. On a aussi fait mention pour le compte de l'intimée que monsieur Levert et la Galerie des Maîtres Anciens Inc. « ont été reconnus coupables de destruction volontaire de documents pour les années d'imposition de la galerie se terminant le 31 mars 1989, le 31 mars 1990, le 31 mars 1991 et le 31 mars 1992 » .

[159] À la base de la prétention de l’intimée que monsieur Levert n’était pas un expert indépendant, on a fait état du fait que monsieur Levert était partie à toutes les opérations en ce qui concerne particulièrement les appelants en tant que vendeur, évaluateur aux fins de l’établissement des reçus et fournisseur de reçus.

[160] Au sujet de l'affirmation de monsieur Levert, selon laquelle le prix de vente à l’encan ne se rapprocherait de la juste valeur marchande, ou ne la dépasserait qu’occasionnellement l'intimée a fait le commentaire suivant : « cette affirmation est fondée sur une prémisse fausse, voulant que le prix de vente aux enchères n'est jamais la juste valeur marchande. C’est ignorer complètement le marché de la revente, dans un but qui n’est que trop évident : justifier des surévaluations systématiques » .

[161] Concernant la question des pénalités, l’intimée a conclu que les appelants « ont commis une faute lourde ou, à tout le moins, ont fait preuve d’aveuglement volontaire, pendant cinq ans en concluant le même type de transaction d’achat conditionnel à l’obtention d’un reçu d’environ quatre fois supérieur, dans l’unique but d’obtenir un avantage fiscal et en sachant que leur vendeur, évaluateur et fournisseur de reçus était la même personne » . L’intimée, à l’appui de cette conclusion, a retenu notamment que la rencontre de septembre 1987 de l’appelant Côté avec les enquêteurs de Revenu Canada aurait dû alerter l’appelant Côté. Malgré cela, il continue de demander des reçus pour lui et pour l’appelante Marcoux, même après la révision à la baisse des montants des dons mentionnés par les deux appelants dans leurs déclarations de revenu pour l’année 1986. Les deux appelants persistent à réclamer un crédit d’impôt pour les dons d’oeuvres d’art même s’ils ne choisissent pas les biens donnés, ni l’organisme bénéficiaire, même s’ils n’ont aucun intérêt pour l’organisme et n’ont pas à remettre les biens donnés. Ils n’ont pas non plus, selon l’intimée, coopéré lorsqu’on leur a demandé de fournir des preuves d’achat et de paiement des oeuvres en question. Ils n’ont fait aucune démarche en vue de fournir des explications ou des observations à Revenu Canada.

Analyse

[162] Des prétentions des appelants et de l’intimée, il est manifeste qu’il y a trois questions principales en litige :

1. Est-ce que les appelants ont fait ou non des donations des biens en cause ou encore s’il s’agit d’un trompe-l’oeil?

2. À supposer qu’il s’agisse de véritables dons, est-ce que la valeur déclarée attribuée par les appelants relativement à chacun des biens qui furent donnés représente sa juste valeur marchande?

3. Est-ce que le ministre du Revenu national a, en application du paragraphe 163(2) de la Loi, validement imposé les pénalités aux appelants pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990?

[163] Il faut d’abord considérer la première question, à savoir si les appelants dans les circonstances ont fait don des biens en question à l'Univers du Rail Inc. et à la Fondation Amérindienne Tecumseh.

[164] Comme il a été nettement établi dans la décision Lagueux & Frères, il faut en premier lieu déterminer, à la lumière du Code civil du Bas-Canada, la nature des opérations intervenues entre les appelants et l'Univers du Rail Inc. et la Fondation Amérindienne Tecumseh. Il faut se référer alors aux articles 755 et 776 du Code civil du Bas-Canada qui se lisaient ainsi :

Art. 755. La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille à titre gratuit de la propriété d'une chose, en faveur du donataire dont l'acceptation est requise et rend le contrat parfait. Cette acceptation la rend irrévocable, sauf les cas prévus par la loi, ou une condition résolutoire valable.

[...]

Art. 776. Les actes portant donations entre vifs doivent être notariés et porter minute, à peine de nullité. L'acceptation doit avoir lieu en la même forme.

Cependant la donation de choses mobilières, accompagnées de délivrance, peut être faite et acceptée par acte sous seing privé, ou par convention verbale.

Sont exemptées de la forme notariée les donations validement faites hors du Québec.

Comme cette Cour l’a indiqué dans l’affaire Paradis, précitée, trois conditions essentielles sont requises pour l’existence d’une donation, à savoir l’intention libérale, la remise du bien et l’acceptation par le donateur.

[165] Quant à la première condition, je partage entièrement le point de vue du juge Archambault dans l’affaire Paradis selon lequel cette question doit se décider strictement dans le cadre de la relation juridique établie entre chacun des appelants et l’organisme qui devait bénéficier des dons en question. La preuve est claire ici que chacun des appelants n’a pas reçu de contrepartie sous quelque forme que ce soit de l’organisme à qui les biens devaient être donnés. Il n’importe pas, selon moi, que la motivation principale de chacun des appelants ait été l’obtention d’un avantage fiscal. Cette approche a été confirmée dans une certaine mesure, au moins, par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031. Le passage suivant de ce jugement à la page 6032 est particulièrement intéressant :

Thus, a gift is a voluntary transfer of property owned by a donor to a donee, in return for which no benefit or consideration flows to the donor (see Heald, J. in The Queen v. Zandstra [74 DTC 6416] [1974] 2 F.C. 254, at p. 261.) The tax advantage which is received from gifts is not normally considered a "benefit" within this definition, for to do so would render the charitable donations deductions unavailable to many donors.

L’obtention du reçu de la part de l’organisme bénéficiaire ne peut être considéré comme une contrepartie bien que la production du reçu soit nécessaire pour avoir droit au crédit d’impôt pour les dons. Le reçu est simplement, dans les circonstances, l'attestation d'un fait matériel, la réception du bien qui y est désigné par l'organisme en question. Je suis donc d’avis que les appelants possédaient l’intention libérale requise à l’égard des oeuvres d’art destinées aux organismes concernés. En effet, les appelants étaient propriétaires des oeuvres d'art avant de les donner. Cette question n’a pas été contestée. La preuve établit que les appelants ont laissé à monsieur Levert la faculté de choisir l’organisme de bienfaisance qui bénéficierait des dons en question.

[166] Après un examen soigneux de la preuve, j'ai conclu que les objets d'art dont il est question ici dans ces appels ont été suffisamment déterminés et qu'ils sont devenus en la possession des organismes de bienfaisance, par l'intermédiaire de monsieur Levert. La preuve établit que monsieur Levert détenait un double mandat. Il agissait à la fois pour les appelants qui, comme donateurs, acceptaient de transférer les biens en cause aux organismes de bienfaisance choisis par monsieur Levert et pour les donataires qui confiaient à monsieur Levert la possession des biens donnés. En tirant ces conclusions de fait, je m'appuie particulièrement sur le témoignage de monsieur Carignan, qui m'a paru un témoin tout à fait crédible, quant aux biens donnés à l'Univers du Rail Inc. La même façon de procéder a été adoptée quant aux biens donnés à la Fondation Amérindienne Tecumseh et j'en arrive aux mêmes conclusions quant au rôle de monsieur Levert et à l'identification des biens en cause. Les biens donnés étaient bien identifiés dans les reçus fournis aux donateurs.

[167] Ainsi, dans le cas de l’appelant Côté, les oeuvres d’art en question sont identifiées dans le paragraphe 8 de la Réponse modifiée à l’avis d’appel pour chacune des années en litige comme suit :

dans le cas de l’année d’imposition 1988, une peinture à l’huile sur toile de Ludger Larose donnée à l'Univers du Rail Inc.;

relativement à l’année d’imposition 1989, les quatre tableaux suivants donnés à la Fondation Amérindienne Tecumseh : un pastel par F. Iacurto; une huile par W. Hamilton; une huile sur métal par J. Hilpert; une aquarelle par Madeleine Laliberté;

quant à l’année d’imposition 1990, les deux tableaux suivants donnés à la Fondation Amérindienne Tecumseh : une huile par Marie-Claire; une huile par Adrien Hébert.

Dans le cas de l’appelante Marcoux, les oeuvres d’art en question sont désignées dans le paragraphe 8 de la Réponse à l’avis d’appel. Il s’agit des oeuvres d’art suivantes :

pour l’année d’imposition 1988 ¾ une huile sur panneaux par Albert Cloutier donnée à l'Univers du Rail Inc.;

en ce qui concerne l’année d’imposition 1989 ¾ une huile par Graham donnée à la Fondation Amérindienne Tecumseh;

quant à l’année d’imposition 1990 ¾ une huile par Fielding Downes donnée à la Fondation Amérindienne Tecumseh.

Les organismes de bienfaisance par leurs représentants, ont accepté ces tableaux et ont reconnu qu’ils n’ont jamais versé aux appelants de contrepartie pour leurs dons.

[168] Même si je suis d'avis, comme je l'expliquerai plus loin dans ces motifs, que les appelants ont fait preuve d'une négligence marquée à l'égard de leurs obligations fiscales, je ne crois pas que la doctrine du trompe-l'oeil s'applique ici. Les appelants avaient réellement l'intention de faire des dons à des organismes de bienfaisance et ils ont réellement fait des dons même si, en ce faisant, ils ont pu faire preuve de négligence en utilisant des reçus portant sur des évaluations démesurées aux fins d'obtenir le crédit d'impôt pour dons de bienfaisance.

[169] J’aborde maintenant la deuxième question relative à la juste valeur marchande des biens donnés aux organismes, l'Univers du Rail Inc. et la Fondation Amérindienne Tecumseh, dans les années en cause.

[170] Cette notion de la juste valeur marchande a été considérée par les tribunaux, notamment dans l’arrêt Henderson Estate and Bank of New York v. M.N.R., 73 DTC 5471. Le passage qui suit à la page 3476 me paraît bien pertinent :

[Traduction] La Loi ne donne aucune définition de l'expression « juste valeur marchande » . Je ne pense pas qu'il faille chercher à définir exactement l'expression employée dans la Loi. Dans son sens courant, me semble-t-il, cette expression désigne le prix le plus élevé que le propriétaire d'un bien peut raisonnablement s'attendre à en tirer s'il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n'étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d'acheteurs disposés à acheter et de vendeurs disposés à vendre, qui n'ont pas entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d'acheter ou de vendre. J'ajouterais que cette interprétation, exprimée de façon générale, comprend ce que j'estime être l'élément essentiel, soit un marché libre de toutes restrictions où le prix est établi par le jeu de la loi de l'offre et de la demande entre des acheteurs et des vendeurs avertis et désireux d'acheter et de vendre. [je souligne]

[171] Tout d’abord, j’attache peu de poids aux évaluations de monsieur Levert. Il était partie à ces transactions et il avait un intérêt marqué à ce que les ventes soient conclues. Il était à la fois vendeur et évaluateur.

[172] Dans sa déclaration de revenu pour l’année 1988, l’appelant Côté a attribué une valeur de 11 000 $ aux fins du crédit pour dons de bienfaisance à un tableau décrit comme une peinture à l’huile sur toile de Ludger Larose donnée à l'Univers du Rail Inc.

[173] Ce tableau s’est vendu par téléphone à un prix de 2 200 $ lors de la vente aux enchères du 15 décembre 1987, le prix minimum était de 2 000 $. Il a été acheté par la Galerie des Maîtres Anciens. L’examen de l’ensemble de la preuve relative à ce tableau me persuade que sa valeur doit être établie à 2 200 $. L’évaluation de ce tableau établie par monsieur Levert à 11 000 $ ne repose sur aucun fondement sérieux.

[174] Dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 1989, l’appelant Côté a, aux fins du crédit d’impôt pour dons de bienfaisance, établi à 11 000 $ la valeur de quatre tableaux donnés à la Fondation Amérindienne Tecumseh, à savoir : un pastel par F. Iacurto, une huile par W. Hamilton, une huile sur métal par J. Hilpert et une aquarelle par Madeleine Laliberté.

[175] Le pastel de F. Iacurto a été évalué à 6 000 $. Son évaluation est fondée sur le Guide Vallée, qui était de 5 500 $ auquel montant monsieur Levert a ajouté 500 $ pour frais d’encadrement.

[176] Trois ventes aux enchères de portraits exécutés par Iacurto sont répertoriées dans le « Canadian Art Sales Index » et donnent une bonne idée de la valeur des portraits d’inconnus exécutés par cet artiste, sur le marché de la revente :

¾ portrait d’homme, pastel 23 1/4 po x 18 po, vendu à 380 $ à l'hôtel des Encans de Montréal le 16 octobre 1990 (une huile aurait été le double, selon monsieur Levert);

¾ portrait du Dr. Adrien Sarens, pastel 25 po x 19 po, vendu à 400 $, à l’Hôtel des Encans de Montréal le 7 avril 1992;

¾ portrait d’homme, 14 po x 10 po, crayon couleur, vendu à 175 $ chez Fraser-Pinney’s, le 24 novembre 1993;

[177] Monsieur Levert a reconnu avoir acheté aux enchères le 14 février 1989, aux Encans Pinney’s, un portrait d’homme, 17 3/4 po x 13 3/4 po, exécuté par Iacurto, pour 500 $; il s’agissait d’une huile, et non d’un pastel[2].

[178] À l’examen de la preuve relative à la valeur de ce tableau et à la question de l’encadrement, j’en suis venu à la conclusion qu’une valeur de 800 $ pouvait être attribuée à ce tableau.

[179] Quant au tableau de W. Hamilton, la preuve démontre qu’il aurait été acheté par l’appelant Côté à un prix de 475 $. Monsieur Levert a évalué ce tableau à 1 900 $. Aucun autre renseignement n’a été fourni à l’appui de cette évaluation. J’établirais sa valeur à 500 $ à l’époque pertinente.

[180] Quant à l’aquarelle par Madeleine Laliberté, l’évaluation de monsieur Levert à 2 000 $ n’est pas datée et n’est pas bien documentée. En effet, il fonde son évaluation sur une vente aux enchères d’une huile représentant un verger qui a eu lieu chez Sotheby’s à Toronto pour 2 000 $ le 12 novembre 1987. Le médium n’est pas le même. Je conclus qu’il est probable que la valeur de ce tableau ne dépasse pas 500 $.

[181] Quant à l’huile sur métal par J. Hilpert de 8 po x 10 po, on n’indique pas de qui est le portrait en cause. Aucune photographie n’a été soumise par l’appelant Côté ni par monsieur Levert. Ce dernier a estimé le prix normal en galerie à 1 100 $ et a soutenu s'être fondé sur les ventes aux enchères. Il a procédé à certains rajustements au prix normal auquel les portraits de Hilpert devaient se vendre en galerie.

[182] Monsieur Levert dit s’être fié sur des livres de références. En fait, le seul document fourni consiste en des textes de 1935 et 1957 sur Josef Hilpert qui était directeur de la Saisset Art Gallery à l’Université de Santa Clara, en Californie, où se trouvait une série de portraits peints par lui. Il s’agit en plus d’un ancien document publicitaire de l’artiste, dans lequel il n’est question d’aucune valeur. Pour monsieur Levert, ce document montre que Josef Hilpert n’est pas un artiste local. Rien ne prouve toutefois que cela ait eu une quelconque influence sur la valeur de ces portraits au Québec.

[183] Monsieur Levert confirme par contre que les ventes ont eu lieu majoritairement dans des encans. Les ventes répertoriées des tableaux de Hilpert (y compris les miniatures et les tableaux représentant des paysages) ne dépassent pas 325 $, contrairement à ce que monsieur Levert semble soutenir. Une huile de l'artiste Hilpert a été achetée par monsieur Levert le 8 septembre 1992 chez Fraser-Pinney’s pour 50 $[3]. Monsieur Levert admet que les tableaux les plus grands ne sont pas nécessairement plus chers que les miniatures et que les miniatures ne sont pas vraiment des comparables, surtout s’il ne s’agit pas de portraits. Or, la miniature qu’il a évoquée comme base à ses évaluations, représente les Chutes du Niagara, et non pas un portrait.

[184] J’établirais la valeur de ce tableau à l’époque pertinente à 300 $.

[185] Dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 1990, l’appelant Côté a attribué aux fins du crédit d’impôt pour dons de bienfaisance un montant de 11 000 $ ayant trait aux deux tableaux suivants donnés à la Fondation Amérindienne Tecumseh : une huile de Marie Claire et une huile d'Adrien Hébert.

[186] Quant au tableau de Marie-Claire, l'évaluation de 6 000 $ faite par monsieur Levert s'appuie uniquement sur le Guide Vallée. C'est une huile sur toile de 24 po x 30 po. Le prix du tableau payé par l'appelant Côté à monsieur Levert fut de 500 $. J'en suis venu à la conclusion que la valeur de ce tableau ne dépassait pas 1 000 $ au moment du don.

[187] En ce qui a trait au tableau d'Adrien Hébert, il s'agit d'une scène portuaire. Monsieur Levert a reconnu que deux huiles portant sur des sujets comparables se sont vendues selon l'Annuaire des cotes international Bordas de 1990, dans un cas à 375 $ et dans l'autre cas à 2 000 $. Sur la base de la preuve qui m'a été présentée, j'établis la valeur de ce tableau à 1 000 $.

[188] L’appelante Marcoux dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 1988 a utilisé aux fins du crédit d’impôt pour les dons, la valeur de 2 750 $ pour une huile sur panneau d'Albert Cloutier donnée à l'Univers du Rail Inc. Le montant indiqué sur la facture de la Galerie des Maîtres Anciens pour ce tableau est de 450 $. Monsieur David Kelsey des Encans Pinney’s a estimé le tableau entre 500 $ et 700 $. Le tableau a été vendu aux enchères pour 300 $ le 4 avril 1989. J’estime que la valeur de ce tableau, eu égard à la preuve, est de 500 $.

[189] L’appelante Marcoux dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 1989 a mentionné aux fins du crédit d’impôt pour les dons une valeur de 2 750 $ pour une “huile par Graham” donnée à la Fondation Amérindienne Tecumseh. Le prix d’acquisition de ce tableau par l’appelante Marcoux fut de 387,50 $. Le tableau est décrit comme étant une huile sur panneau 10 po x 12 po « Pâturage » par James Lillie Graham.

[190] Cette évaluation est fondée sur le fait qu’une huile de l’artiste 10,5 po x 14,25 po, représentant une scène d’hiver (“Winter at La Malbaie”) s’est vendue 2 100 $ chez Sotheby’s à Toronto (Canadian Art Sales Index 1987-88, p. 83)[4], et que le prix en galerie devrait être plus élevé, selon monsieur Levert.

[191] Monsieur Levert admet qu’il n’a jamais vu d’oeuvres de James Lillie Graham en galerie. Il admet aussi que le sujet du tableau en cause est une scène pastorale et que des huiles représentant des scènes pastorales se sont vendues aux enchères au Québec chez Fraser Bros. aux prix suivants :

¾ en décembre 1979, « Cattle in a field » , 11 po x 9 po, 375 $[5];

¾ le 12 mars 1987, « Pastoral Scene » , 18 po x 24 po, 650 $[6].

[192] Selon monsieur Levert, l’écart entre les prix obtenus au Québec et ceux obtenus en Ontario s’explique par le fait qu’il s’agit d’un artiste de l’Ontario, plus apprécié en Ontario qu’au Québec.

[193] Eu égard à cette preuve, j’établirais la valeur de ce tableau à 600 $.

[194] Finalement, l’appelante Marcoux dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 1990 a mentionné, dans sa déclaration de revenu, un montant de 2 750 $ pour une huile par Fielding Downes donnée à la Fondation Amérindienne Tecumseh.

[195] L’appelante Marcoux a payé 250 $ pour ce tableau dont le sujet est décrit par monsieur Levert comme étant « Les draveurs » . L’évaluation de monsieur Levert n’est pas datée mais serait fondée sur le prix de 3 000 $ suggéré dans le Guide Vallée pour une huile de 16 po x 20 po. Cette évaluation a été quelque peu diminuée pour tenir compte qu’il s’agit d’une huile de 12 po x 16 po.

[196] Cette évaluation ne correspond pas au marché qui montre, en s’appuyant sur les liste de ventes de monsieur Morin, que le prix de vente moyen de 12 po x 16 po était de 204 $, cadre compris.

[197] Monsieur Guy Gagnon de la Galerie Feuille d’Érable a acheté, le 12 décembre 1989, à l’Hôtel des Encans de Montréal une huile de l’artiste de mêmes dimensions (12 po x 16 po) et de sujet similaire « Les avironneurs » pour 180 $. Il l’a mise en vente à sa galerie, mais n’a pas réussi à la vendre.

[198] Monsieur Charles Rinfret a montré que le marché pertinent, en 1989 et 1990, dans le cas des paysages exécutés par l’artiste Lionel Fielding Downes était le marché des enchères, et non celui des galeries, puisque c’est dans les salles de vente que l’on retrouve majoritairement les oeuvres de l’artiste.

[199] Le prix des huiles représentant des paysages n’a guère évolué entre 1985 et 1995 dans le cas de cet artiste. Monsieur Rinfret a témoigné que les prix des huiles de cet artiste à la Galerie Zanettin oscillaient entre 100 $ et 400 $.

[200] De la preuve, je déduis qu’une valeur de 250 $ doit être attribuée à ce tableau.

[201] L'intimée, dans ses notes à l'appui de sa plaidoirie dans le cadre de la deuxième question telle que libellée par elle, a aussi soulevé la question de la non-conformité des reçus avec la Loi de l'impôt sur le revenu et le Règlement de l'impôt sur le revenu. Ce moyen n'a toutefois pas été soulevé dans les Réponses aux avis d'appel dans les deux dossiers en litige.

[202] Je ne ferai que quelques observations.

[203] Tout d'abord, le paragraphe 118.1(2) de la Loi édicte la non-inclusion de dons qui ne sont pas attestés par un reçu (présenté au ministre) qui contient les renseignements prescrits. C'est le paragraphe 3501(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu qui précise les renseignements qui doivent figurer sur le reçu. Ce paragraphe mentionne notamment que tout reçu officiel doit indiquer des renseignements sous dix rubriques distinctes. D'autre part, le paragraphe 3501(4) du même Règlement prévoit le cas où un reçu officiel est délivré pour remplacer un reçu officiel délivré antérieurement. Finalement, le paragraphe 3501(6) de ce décret dispose qu'une formule de reçu officiel qui contient des mentions inexactes ou illisibles à l'égard de trois types de renseignements seulement doit être considérée comme gâchée.

[204] Il semble que les dispositions précitées du Règlement de l'impôt sur le revenu permettent, du moins dans certains cas, de remplacer un reçu qui est inexact, illisible ou peut-être même incomplet.

[205] À tout événement, je ne me crois pas tenu de me prononcer sur cette question.

[206] Il me reste à considérer la question des pénalités imposées par le ministre du Revenu national aux deux appelants par les cotisations pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990.

[207] Pour le compte des appelants, on a notamment souligné les faits suivants :

a) les appelants ont été informés qu’ils pouvaient réduire leur impôt en faisant des dons d’objets d’art à des organismes de bienfaisance enregistrés par l’intermédiaire d’une conseillère financière de leur banque, madame Aline Tremblay, en qui ils avaient confiance. Madame Tremblay a mis les appelants en contact avec monsieur Levert, une personne qu’elle disait associée au Musée de Québec. Il a été expliqué aux appelants que monsieur Levert pouvait acheter des peintures lors de ventes à l’encan ou de ventes privées à des prix très avantageux. Madame Tremblay a aussi expliqué aux appelants que les évaluations sur lesquelles les reçus étaient fondés avaient été préparées par des personnes compétentes, selon des critères professionnels et en se référant à des livres spécialisés;

b) les appelants, nonobstant la révision à la baisse par le ministre du Revenu national des dons effectués en 1986 et 1987, ont continué à faire des dons en 1989 et 1990 parce qu'ils ont été rassurés par monsieur Levert que toutes les évaluations étaient bien justifiées;

c) on a aussi fait valoir pour le compte des appelants que madame Tremblay était une personne digne de confiance, que monsieur Levert se présentait comme une personne compétente et que les organismes de bienfaisance en question étaient accrédités par le ministre du Revenu national.

[208] Du côté de l’intimée, on a fait valoir notamment les éléments suivants de la preuve :

a) l’appelant Côté prétend avoir lu à l’époque une brochure de 1986 de Revenu Canada mais ne se souvenait pas que le guide indiquait qu’il fallait transiger avec des évaluateurs indépendants;

b) l’appelant Côté a reconnu que monsieur Levert est à la fois son vendeur, son évaluateur et son fournisseur de reçus. Les deux appelants ont utilisé des abris fiscaux pendant cinq années de suite;

c) malgré la rencontre de l’appelant Côté en septembre 1987 avec les enquêteurs de Revenu Canada, ce qui aurait dû l’alerter, l’appelant Côté continue de demander des reçus, pour lui et son épouse, par l’entremise de madame Aline Tremblay, pour l’année d’imposition 1987. Ainsi, madame Tremblay a fourni à l'appelant Côté un reçu de la Société protectrice des animaux et l’évaluation à la base du reçu était celle de monsieur Levert;

d) La seule communication de l'appelant Côté avec Revenu Canada a été un vague appel téléphonique par lui, par madame Tremblay ou par monsieur Levert au numéro général de Revenu Canada après les transactions et après les cotisations. L'appelant Côté n'a pu fournir aucun renseignement précis à ce sujet. L'appelante Marcoux n’a fait aucune démarche. L'appelant Côté s’est par la suite désisté de ses appels devant la Cour canadienne de l’impôt des cotisations concernant les années d'imposition 1986 et 1987;

e) l'appelant Côté continue de demander à madame Tremblay de lui fournir des reçus pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990, pour le même montant : 11 000 $ pour lui et 2 750 $ pour son épouse, chaque année, à raison d’un paiement correspondant, à part la taxe sur les tableaux, à 25 pour cent des reçus, sous forme de deux versements : l’un au 1er mars et l’autre au 1er juin de l’année suivante;

f) le tout sans choisir les biens, sans les voir, sans choisir l’organisme, sans faire une vérification quelconque auprès de l’organisme, sans le moindre intérêt pour l’organisme, sans se rendre sur les lieux où se trouvaient les bureaux de l’organisme pour remettre les biens, sans s’occuper de rien, sauf d’avoir un reçu officiel pour dons de bienfaisance;

g) lorsque les deux appelants reçoivent un projet de cotisation pour l'année d'imposition 1986, cela ne les empêche pas de continuer pour 1989 et 1990, tout en convenant avec monsieur Levert de ne pas payer au complet le montant prévu pour l’année d’imposition 1988;

h) lorsque les deux appelants ont reçu une lettre du ministère du Revenu leur demandant des preuves d’achat et de paiement, ils ont prétendu ne pas pouvoir les fournir. Lorsque le ministère du Revenu leur a envoyé un projet de cotisation pour les années d'imposition 1988, 1989 et 1990, ils n’ont fait aucune démarche auprès du ministère du Revenu pour faire des observations ou expliquer la situation. Les deux appelants ont commis une faute lourde ou, à tout le moins, ont fait preuve d’aveuglement volontaire, pendant cinq ans en concluant le même type de transaction d’achat conditionnel, selon l’intimée, à l’obtention d’un reçu pour un montant d’environ quatre fois supérieur à la valeur de l’oeuvre en question, dans l’unique but d’obtenir un avantage fiscal et en sachant que leur vendeur, évaluateur et fournisseur de reçu était la même personne.

[209] Après un examen attentif de la preuve relative à l’imposition des pénalités, j’en suis venu à la conclusion que l’intimée s’est déchargée du fardeau qui lui incombait vu les dispositions du paragraphe 163(2) de la Loi.

[210] De l'ensemble de la preuve, le comportement des appelants m’a persuadé qu’ils ont fait preuve d’une insouciance marquée ou tout au moins d’une négligence grave à l’égard de leurs obligations fiscales. Il me semble qu’en particulier après la rencontre de l’appelant Côté avec les enquêteurs de Revenu Canada les appelants auraient dû réexaminer leur position à l’égard des autorités fiscales. Ils auraient dû s'interroger sur la véritable nature des arrangements en vertu desquels ils obtenaient des reçus pour fins fiscales pour des montants quatre fois supérieurs aux prix des oeuvres d’art en question qu’ils venaient tout juste d’acquérir. Cet élément, à lui seul, de l’écart si considérable entre les prix des tableaux payés par les appelants et les montants figurant sur les reçus émis pour fins fiscales, prétendument représentant la valeur marchande au même moment de ces tableaux, me porte à croire que les appelants savaient ou auraient dû savoir s’ils avaient été attentifs à leurs obligations fiscales, que les montants inscrits sur les reçus étaient gonflés ou démesurés de façon significative et ne représentaient pas la valeur marchande des tableaux en question. Le rôle que monsieur Levert jouait à toutes les étapes de ces transactions aurait du créer des soupçons sérieux de leur part. Le rôle à peu près passif des organismes de bienfaisance auxquels les oeuvres d’art étaient données aurait dû inciter les appelants à la prudence. Le choix des organismes de bienfaisance à toutes fins pratiques par monsieur Levert et l’absence totale d’intérêt de la part des appelants comme donateurs aux organismes bénéficiaires de leurs dons constituent d'autres éléments étranges et inusités reliés aux transactions dont il s'agit. De façon générale, le manque de collaboration avec les autorités fiscales lorsqu’on leur a demandé de fournir des preuves d’achat et de paiement relatifs aux oeuvres d’art en question me persuade aussi que les appelants pouvaient croire que leur conduite n’était pas sans reproche.

[211] Je conclus donc que l’imposition de pénalités par le ministre du Revenu national était bien fondée. Les montants de ces pénalités doivent être rajustés pour tenir compte des valeurs des dons que j’ai retenues.

[212] Pour ces motifs, les appels des cotisations pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations sur la base que les appelants ont droit à la déduction prévue par l’article 118.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu au titre de dons en tenant compte de la valeur des dons retenue dans ces motifs. L'exonération des gains en capital doit être prise en compte, le cas échéant.

[213] Les dépens seront adjugés plus tard à la suite d’une audition commune aux présents appels et aux appels dans les dossiers Amédée Duguay (94-1081(IT)G), Diane L. Duguay (94-1084(IT)G) et François Langlois (94-3007(IT)G et 92- 1124(IT)G). Le mode et la date d’audition commune portant sur la question des dépens seront déterminés en consultation avec les avocats des parties.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de novembre 1998.

« Alban Garon »

J.C.C.I.



[1] Onglets 3 de a-1 et 5 de A-2, dans Côté.

[2] Onglet 4 de I-24 dans Langlois; no A-137 sur la facture.

[3] Onglet 9 de I-3 dans Langlois et onglet 16 de I-24 dans Langlois.

[4] Onglet 9 de A-3 dans Langlois.

[5] Onglet 7 de I-24 dans Langlois.

[6] Onglet 8 de I-24 dans Langlois.

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