Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19971029

Dossier: 96-4168-IT-I

ENTRE :

BERNARD LUC CHARRON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge G. Tremblay, C.C.I.

Point en litige

[1] Il s’agit de savoir si le contribuable est bien fondé, dans le calcul de son revenu net des années d’imposition 1992 et 1994, de soutenir que la fraction non amortie du coût en capital (FNACC) d’un immeuble localisé sur la rue St-Jean à Québec est de 53 488 $ et non de 32 481 $ comme le prétend l’intimée. L’appelant aurait acquis l’immeuble en 1992 pour la somme de 50 504 $. L’appelant soutient que l’intimée ne tient pas compte des améliorations faites en 1982 et 1983.

[2] L’appelant, qui est avocat, réclame aussi des frais de vêtements de 1 000 $ en 1992 et de 2 000 $ en 1994. Les Règles de la Cour exigent en effet une tenue vestimentaire obligatoire et spécifique pour l’exercice de sa profession.

[3] Selon l’intimée, l’appelant savait qu’il n’avait pas droit aux dépenses de vêtements. Il s’agit d’un faux énoncé : une pénalité de 217,13 $ est imposée selon le paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi).

Encore selon l’intimée, l’appelant n’aurait pas acquis l’immeuble en 1982 au coût de 40 042 $. L’appelant n’aurait pas démontré les améliorations supportant un prétendu FNACC de 81 538 $.

Fardeau de la preuve

[4] L'appelant a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimée sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. Le ministre du Revenu national[1].

[5] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimé pour appuyer les cotisations ou les nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a) à g) du paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

6. Pour établir les nouvelles cotisations du 4 janvier 1996, pour les années d’imposition 1992 et 1994, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a) l’appelant était co-propriétaire d’un immeuble de location sis au 260-280, rue St-Jean à Québec; [admis]

b) lors de l’acquisition en 1982, le coût de la bâtisse a été établi à 40 042 $; [nié]

c) l’appelant n’a pu démontrer les améliorations apportées à la bâtisse et supportant le prétendu FNACC de 81 538 $ au 1/1/92; [nié]

d) les dépenses pour les vêtements de 1 000 $ et 2 000 $ que l’appelant a réclamées pour les années d’imposition 1992 et 1994 respectivement étaient des dépenses personnelles; [nié]

e) l’appelant savait qu’en 1994 les dépenses pour ses vêtements n’étaient pas déductibles; [nié]

f) en déclarant les dépenses pour les vêtements de 2 000 $ pour l’année d’imposition 1994, l’appelant a fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l’imputation d’une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans la déclaration d’impôt sur le revenu produite pour l’année d’imposition 1994, ou a participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, d’où il résulte que l’impôt qu’il aurait été tenu de payer d’après les renseignements fournis dans la déclaration d’impôt déposée pour cette année-là était inférieur au montant d’impôt à payer pour cette année-là; [nié]

g) par suite à la réclamation par l’appelant pour une déduction de son revenu pour les dépenses de vêtements de 2 000 $, le Ministre a imposé à l’appelant, lors d’avis de nouvelle cotisation en date du 4 janvier 1996, la pénalité de 217,13 $ pour l’année d’imposition 1994 conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”). [nié]

Faits mis en preuve

[6] Suite aux admissions ci-dessus, la preuve a été complétée par les témoignages de l’appelant, de M. Jean-Pierre Fiset, technicien comptable, et de M. Marc Fournier, vérificateur à Revenu Canada, et par la production des pièces A-1 à A-8 suivantes :

A-1 Cédule d’amortissement de l’édifice en litige de 1985 à 1992 et états de revenus et dépenses;

A-2 Cédule d’amortissement de l’édifice en litige de 1982 à 1996;

A-3 Article concernant l’immeuble impliqué et construit en 1897;

A-4 Évaluation de la bâtisse au 14 août 1997 = 245 000 $;

A-5 Promesse d’achat passée le 8 septembre 1981 entre Léonce Bruneau et Bernard Luc Charron;

A-6 Jugement du 13 novembre 1981 de la Cour supérieure, District de Québec, #200-05-003857-815 accordant à Léonce Bruneau, demandeur, la reprise de l’immeuble en litige contre Claude et Diane Bechade, défendeurs, pour non paiement des versements en retard suite à l’avis de 60 jours dûment enregistré et signifié aux défendeurs;

A-7 Contrat d’achat de l’immeuble en litige le 12 février 1982 entre M. Bernard Luc Charron, acheteur, et M. Léonce Bruneau, vendeur, au prix de 50 503,93 $;

A-8 Deux demandes de financement de la part de Bernard Luc Charron de prêts de 10 000 $ de la Caisse populaire, Caisse d’économie Desjardins, datées le 29/06/90 et le 20/08/90. Les prêts furent acceptés le 12/07/90 et le 28/08/90.

[7] L’appelant a acheté l’édifice en février 1982 au prix de 50 503,93 $ (pièce A-7) de M. Léonce Bruneau qui voulait se libérer de cet édifice. En effet, l’ayant vendu au couple Bechade, ce dernier ne rencontrait plus les conditions de paiement. Les intérêts bancaires s’élevaient alors à plus de 20 p. cent. Suite au jugement du 13 novembre 1981 (pièce A-6), M. Bruneau a été logique avec sa promesse du 8 septembre 1981 (pièce A-5) en vendant l’édifice à l’appelant.

[8] Cet édifice ayant été construit en 1897 et l’appelant désirant en faire une source de revenu (“son fonds de pension”, selon son expression), il a investi, suite à l’achat, la somme de 23 593 $ en améliorations. Ce montant a été obtenu du Ministère du Revenu du Québec par le technicien comptable, M. Jean-Pierre Fiset, lequel montant ajouté au prix d’achat a donné un FNACC de 74 097 $ (pièce A-2). C’est sur cette base que l’amortissement a été calculé au cours des années suivantes.

[9] En 1990, l’appelant soutient avoir fait des rénovations pour 22 728,97 $. Sur la pièce A-2, cependant, cette dépense n’apparaît pas. Le FNACC est alors rendu à 63 101 $ et l’amortissement annuel à 5 p. cent continue à être inscrit chaque année jusqu’en 1996, se terminant avec un FNACC de 47 336 $.

[10] L’appelant n’avait pas le détail en mains de toutes les pièces mais a expliqué en quoi consistaient les réparations. Il s’agissait du sous-sol transformé en logements, de la réfection de l’escalier en fer à l’arrière et aussi de l’installation électrique d’entrées de laveuse et sécheuse. Deux emprunts de 10 000 $ chacun (pièce A-8) ont été obtenus de la Caisse populaire.

[11] Les photos apparaissant au rapport d’évaluation préparé par la firme Drouin, DesRochers & Associés (pièce A-4) montrent clairement les escaliers et les passerelles.

[12] L’intimée, à l’alinéa 6 c) de sa réponse à l’avis d’appel, semble affirmer que l’appelant aurait réclamé la dépréciation pour des dépenses de 22 728,97 $ en 1990 :

c) l’appelant n’a pu démontrer les améliorations apportées à la bâtisse et supportant le prétendu FNACC de 81 538 $ au 1/1/92; [nié]

[13] Il semble donc assez évident que l’appelant aurait considéré la dépense de 22 728,97 $ comme amélioration. Par ailleurs, à première vue, si l’appelant l’avait prise comme dépense, elle aurait été refusée par l’intimée. Aussi, la pièce A-1 qui comprend dix pages laisse voir à l’état des revenus en 1990 une dépense de “rénovation de 22 728,97 $”.

[14] Or, même si elle est inscrite comme “rénovation de 260 St-Jean”, cette dépense est déduite comme courante, chiffrant le total des déboursés à 58 436,11 $. Cette somme, déduite des revenus de 39 920 $, laisse une perte avant amortissement de 18 516,11 $. Aucun amortissement n’est alors pris. En 1991, le profit avant amortissement est de 8 932,43 $ auquel sont soustraits l’amortissement de l’ameublement de 84,60 $ et celui de la bâtisse de 4 291,50 $, laissant un revenu net.

Sur la première page de la pièce A-1, on peut lire ce qui suit :

Cédule de revenu Québec au 31-12-1988.

au 31-12-1988 63 101,00

Rénovations 260 +22 728,97 en 1990

$ 85 829,97 au 31-12-90

5 % Amortissement 91 - 4 291,50

$ 81 538,47 au 31-12-91

[15] Dans son témoignage, à la question de savoir si la dépense de 22 728,97 $ en 1990 avait été déduite comme dépense courante, le technicien comptable, M. Jean-Pierre Fiset, a répondu : “Il faudrait voir les états financiers.” Or, c’est lui-même qui a déposé la pièce A-1 qui contenait dix pages dont la septième montrait l’état de revenus et dépenses de 1990 avec des rénovations de 22 728 $ prises comme dépenses courantes.

[16] Il est bien évident, selon la Cour, que cette somme ne pouvait pas être déduite comme dépense courante. Toutefois, elle a vraisemblablement été acceptée comme telle par l’intimée, par erreur sans doute, et l’appelant en a profité dans cette année 1990. En effet, la part de la perte de 18 516 $ a dû être appliquée contre ses revenus professionnels. En effet, l’appelant ayant un associé dans la propriété de la bâtisse, on peut lire ce qui suit à l’état financier :

Répartition aux copropriétaires

M. BERNARD CHARRON 66.66% ( $12,344.07)

M. JEAN PROVENCHER 33.33 % ( $ 6,172.04)

TOTAL ( $18,516.11)

L’appelant ne peut, maintenant, réclamer l’avantage d’un FNACC plus élevé en 1994 comme si la dépense de rénovation avait servi à augmenter le FNACC en 1990.

[17] Même si la Cour est surprise de l’erreur de l’intimée, elle ne l’est pas moins de celle de l’appelant.

La Cour ne peut donc tenir compte de la perte de 1990. Toutefois, elle maintient comme faisant partie du FNACC la somme de 23 593 $ investie au moment de l’achat de l’immeuble [par. 8].

[18] Quant au coût des vêtements de cour réclamé par l’appelant, la preuve a démontré que les Règles de pratique de la Cour du Québec (article 12), de la Cour supérieure (article 36) et de la Cour d’appel (article 32), sont claires.

Les avocats ou les avocates, pour s’adresser à la Cour, doivent être revêtus de vêtements appropriés comme il est stipulé dans les articles ci-dessous :

Cour du Québec

12. Dans les affaires contestées au fond, nul avocat n’est admis à s’adresser au Tribunal que s’il est revêtu de l’une des tenues suivantes :

a) toge noire, veston noir et pantalon foncé avec chemise, collet et rabat blancs;

ou

b) toge noire et complet foncé avec chemise blanche et cravate foncée unie.

L’avocate doit aussi revêtir la toge noire sur un vêtement foncé à manches longues, avec ou sans rabat.

Cour supérieure

30. Dans les affaires contestées au fond, aucun membre du Barreau n’est admis à s’adresser au tribunal sans être revêtu soit d’une toge noire avec veston noir, pantalon foncé et chemise, col et rabat blancs, soit d’une toge noire fermée devant, à encolure relevée, manches longues et rabat blanc.

L’avocate peut porter, au lieu de ce qui précède, toge noire et rabat blanc avec robe noire à manches longues ou jupe foncée et chemisier blanc à manches longues.

Cour d'appel

32. À l’audience de la Cour, la tenue suivante est de rigueur :

a) Pour l’avocat, toge, rabat, col blanc, avec costume foncé et chemise blanche dans le cas des hommes, vêtement foncé à manches longues dans le cas des femmes;

...

Donc, le port de vêtements appropriés est requis pour se faire “entendre” par les cours et en conséquence pour représenter ses clients.

[19] La procureure de l’intimée a admis, d’une part, que la pénalité réclamée ne pouvait avoir de fondement dans les circonstances, mais a invoqué, par ailleurs, que les vêtements ne sont pas prévus comme étant déductibles dans le Règlement de l'impôt sur le revenu (le Règlement).

[20] Il y a dans l’article 1100 du Règlement la clause “fourre-tout” prévue à la catégorie 8 avec déduction (20 p. cent) permise pour le coût des “immobilisations matérielles” non énumérées mais utilisées dans le cadre d’un revenu de bien ou d’un revenu d’entreprise.

“Immobilisation matérielle” n’est pas définie dans le Règlement mais en droit québécois et canadien, “immobilisation” signifie, selon Hubert Reid[2], ce qui suit :

Immobilisation n.f.

Fait d’attribuer à un meuble certains caractères juridiques des immeubles. Ex. L’immobilisation des sommes d’argent revenant au mineur du prix de ses immeubles vendus pendant sa minorité.

[21] En droit québécois, les fourchettes dans une hôtellerie, le marteau dans une menuiserie, les trains sur rails sont des immeubles par destination, c’est-à-dire qu’ils sont immobilisés au sens de “immobilisation matérielle”. Entre une fourchette et un train, il y aurait sans doute possibilité d’insérer des vêtements de cour puisqu’ils sont utilisés dans le but de gagner du revenu, autant que la machine à écrire de la secrétaire.

[22] Comme la procureure de l’intimée ne connaissait pas de décision judiciaire spécifique sur le sujet, l’appelant s’est référé à l’affaire M. N. c. Le ministre du Revenu national[3]. Il s’agissait d’un musicien professionnel qui réclamait, entre autres, les dépenses de ses habits utilisés pour paraître sur scène. La Commission d’appel de l’impôt s’exprime ainsi :

[Outlay for Clothing a Capital Expenditure]

While I have no doubt that it is necessary for the appellant to dress in conformity with the custom of his profession, nevertheless the outlay for such clothing and accessories is a capital expenditure and not one that is deductible under the provisions of the Act. He is in somewhat the same position as a barrister purchasing his robe and it is well settled that such an expenditure is of a capital nature – Income Tax Case No. 625 (1946) 14 S.A.T.C.; 528 Gordon’s Digest of Income Tax Cases 1945-47 p. 163.

[23] Comme il s’agit d’une dépense de nature capitale, la Cour accorde la dépréciation de 20 p. cent en vertu de la clause “fourre-tout” de la catégorie 8 de l’article 1100 du Règlement.

Conclusion

[24] L’appel est accordé, avec frais, sur la base que la somme de 23 593 $ doit être considérée dans le calcul du FNACC. Quant aux vêtements de cour, l’appel est accordé par l’application de la catégorie 8 du Règlement 1100.

“Guy Tremblay”

J.C.C.I.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

[2] Hubert Reid, Le Dictionnaire de droit québécois et canadien, p. 283.

[3] 50 DTC 358.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.