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Date: 19990902

Dossier: 98-1797-IT-I

ENTRE :

LA SUCCESSION DE FREEMAN MILES,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Représentante de l'appelante : Carol A. Miles

Avocate de l'intimée : Me Susan Wong

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Calgary (Alberta), le 29 mars 1999.)

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] Il s'agit d'une affaire assurément très intéressante. À un moment donné, on inclura dans la Loi de l'impôt sur le revenu les définitions des expressions “ maison de santé ou de repos ”, “ préposé à plein temps ” et “ soins de préposé ”, mais, dans l'intervalle, la Cour doit interpréter cette loi selon ce qu'elle dit actuellement, et chaque cas doit être tranché sur la foi des éléments de preuve présentés.

[2] L'affaire dont la Cour est maintenant saisie — qui oppose la succession de feu M. Freeman Miles, représentée par l'exécutrice testamentaire et fiduciaire de la succession, c'est-à-dire la fille de M. Miles, et Sa Majesté la Reine — est l'affaire 98-1797(IT)I, soit une affaire d'impôt sur le revenu régie par la procédure informelle.

[3] La seule question que la Cour est appelée à trancher est celle de savoir si la succession appelante est en droit de déduire, pour l'année d'imposition 1995, les 21 635 $ au titre des frais médicaux.

[4] La disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu applicable en l'espèce est l'article 118.2, ou plus précisément l'alinéa 118.2(2)b).

[5] Pour l'essentiel, il faut déterminer dans ce cas particulier si la somme que l'on cherche à déduire représente des frais médicaux et si ces frais ont été payés :

b) à titre de rémunération d'un préposé à plein temps (sauf une personne qui, au moment où la rémunération est versée, est le conjoint du particulier ou est âgée de moins de 18 ans) aux soins du particulier, de son conjoint ou d'une personne à charge visée à l'alinéa a) — pour qui un montant serait, sans l'alinéa 118.3(1)c), déductible en application de l'article 118.3 [...] ou à titre de frais dans une maison de santé ou de repos pour le séjour à plein temps d'une de ces personnes;

[6] Il faut déterminer si les frais ont été payés à titre de rémunération d'un préposé à plein temps ou à titre de frais dans une maison de santé ou de repos pour le séjour à plein temps, ou encore :

b.1) à titre de rémunération pour les soins de préposé fournis au Canada au particulier, à son conjoint ou à une personne à charge visée à l'alinéa a) [...] si les conditions suivantes sont réunies :

(i) le particulier, le conjoint ou la personne à charge est quelqu'un pour qui un montant est déductible en application de l'article 118.3 [...]

Preuve

[7] Dans cette affaire particulière, on a produit sous forme de documents certains éléments de preuve quant à la nature de l'endroit où feu M. Freeman Miles avait été résident avant d'aller à l'hôpital.

[8] Il a été reconnu que nous traitons de l'année d'imposition 1995 et non 1996.

[9] La pièce A-1 est une lettre du Dr Brennan, admise sous réserve du poids devant y être accordé et du contre-interrogatoire devant avoir lieu.

[10] La lettre elle-même, révélatrice dans une certaine mesure puisqu'elle est adressée à Carol Miles, dit ceci :

[TRADUCTION]

Je réponds à votre lettre du 25 janvier 1999 et vous envoie des copies du tableau pour votre père.

[11] Il est indubitable que le médecin était d'avis que M. Miles avait besoin d'autres soins, qu'il aurait besoin, après avoir eu son congé de l'hôpital, de soins dispensés dans un endroit comme Melville Heights. Cette lettre indique certains des problèmes qu'avait M. Miles : diabète de type II, amyotrophie diabétique, accident ischémique transitoire et cardiopathie ischémique. Le médecin précisait en outre que l'établissement susmentionné offrait aux résidents une assistance 24 heures sur 24 qui aiderait le père de Carol Miles à consigner les relevés de taux de glycémie et de tension artérielle.

[12] Cette lettre mentionne également que M. Miles avait certains problèmes d'équilibre et certains problèmes ambulatoires, bien qu'il ne fût pas cloué au lit. Le témoignage de sa fille confirmait qu'il était incapable de préparer les repas ou de s'occuper de sa lessive et que ces tâches étaient accomplies pour lui. Par la suite, il avait eu des problèmes de mémoire ainsi que des difficultés à se nourrir et à s'habiller, d'où une dépendance accrue à l'égard d'un établissement comme Melville Heights.

[13] Cette lettre très générale du médecin fait état de certains des problèmes qu'avait M. Miles, mais elle ne satisfait assurément pas aux exigences de l'alinéa 118.2(2)b) ou b.1), et il faut se tourner vers d'autres éléments de preuve pour voir s'il est satisfait à ces exigences. La lettre ne parle pas de soins de préposé ni d'une maison de santé ou de repos; elle mentionne simplement le nom de l'endroit.

[14] Puis nous avons la pièce A-2, soit une lettre de l'établissement Melville Heights disant :

[TRADUCTION]

En réponse à votre demande concernant le montant du loyer payé par feu votre père en 1996

[15] Cette lettre dit ensuite :

[TRADUCTION]

veuillez noter que, pour la période allant de janvier à mars, le montant était de 5 376 $ (appartement no 304) et, pour la période allant d'avril à septembre, le montant était de 12 048 $ (appartement no 410, avec vue), soit au total 17 424 $ pour l'année.

[16] Il s'agit clairement du montant du loyer, puis la lettre dit :

[TRADUCTION]

Comme vous le savez, lorsque votre père est venu habiter ici, il arrivait directement de l'hôpital et, tout au long de son séjour dans notre établissement, nous lui avons assuré un soutien quotidien 24 heures sur 24, nous avons contrôlé son taux de glycémie, nous lui avons administré ses médicaments et, évidemment, nous lui avons quotidiennement servi son repas du soir.

[17] Voilà une autre indication que M. Miles a profité de certains des services offerts à cet établissement de soins, mais cela ne satisfait assurément pas aux exigences de l'alinéa 118.2(2)b) ou b.1).

[18] Le rapport d'autopsie préliminaire n'aide aucunement la Cour, non plus que le rapport final. Ces documents établis après l'époque pertinente n'aident pas la Cour à interpréter quel type de soins M. Miles recevait de son vivant.

[19] La pièce A-5 est un sommaire de congé du Halifax Infirmary Building. Ce document décrit en détail la nature du traitement reçu par le patient pendant son séjour dans cet établissement et se termine par un renvoi au rapport d'autopsie.

[20] La pièce A-6 est le rapport de congé en date du 10 mai 1994 envoyé au Dr Brennan. On y fait l'historique des problèmes de ce patient particulier, tout comme dans la pièce A-7, soit un document du Queen Elizabeth Sciences Centre.

[21] La pièce A-8 est pour ainsi dire une liste de prix de l'établissement lui-même où l'on traite d'appartements, à la manière d'un immeuble de résidence. Ce document mentionne le coût de différents types d'appartements et énumère les services inclus dans le loyer mensuel. Tout se rapporte au loyer mensuel; il n'y a aucune répartition du montant par rapport à des soins de préposé ou à des soins à plein temps, ou à la disponibilité de services médicaux d'urgence 24 heures sur 24.

[22] La pièce R-1 est une brochure en couleur décrivant l'établissement Melville Heights. Cette brochure très attrayante est manifestement destinée à attirer des clients. L'établissement ne s'y décrit pas comme étant une maison de santé ou de repos ou un centre de soins médicaux ou de soins de préposé. Il s'y décrit comme suit :

[TRADUCTION]

Résidence de retraite de Halifax, donnant sur le bras Northwest, qui assure confort, sécurité et paix de l'esprit dans un cadre décontracté.

[23] Encore là, on y expose la nature de l'établissement, ainsi que les services offerts : personnel sur place 24 heures sur 24, transport, activités récréatives, services de coordinateur, aménagement paysager, repas du midi et brunch du dimanche, entretien ménager, changement de la literie, services d'utilité publique et services de conciergerie. On y décrit l'immeuble en détail. Ce qui nous importe, c'est que l'établissement s'y décrit comme étant une résidence de retraite plutôt qu'un établissement de soins de santé.

[24] La pièce R-2 est une lettre de 1996 à M. Freeman Miles concernant les paiements faits en 1995, soit l'année qui intéresse la Cour en l'espèce. On peut y lire ceci :

[TRADUCTION]

En réponse à votre demande concernant le montant du loyer que vous avez payé en 1995 [...]

[25] Cette lettre fait état d'une somme totale de 21 244 $ pour l'année, et c'est tout ce qu'elle dit. Telle est la somme en cause dans la présente affaire

[26] La fille de M. Miles, qui a témoigné pour la succession, a dit que son père avait besoin de ces soins en raison de sa santé défaillante. L'épouse de M. Miles était décédée, et M. Miles avait de sérieux problèmes. En mai 1994, alors qu'elle était à Calgary, la fille de M. Miles avait reçu un appel de son père. Ce dernier vivait seul dans sa maison. Il était âgé de 76 ans. Il était allé au Victoria General Hospital. Lorsque sa fille était retournée à la maison, “ il était mal en point ”. Il était incapable de marcher. Elle voulait l'aider à se rétablir. Le travailleur social de l'hôpital s'était entretenu avec elle, et ils avaient convenu qu'il ne pouvait s'occuper de lui-même. Ils anticipaient une attente de un à deux ans pour une place dans une maison de santé ou de repos.

[27] Elle avait mis la maison en vente et avait décidé d'essayer de trouver un établissement satisfaisant pour son père. Elle a toujours été bien intentionnée. Elle avait repéré Melville Heights. Cet établissement assurait des “ soins ” 24 heures sur 24. En réponse à une question de la Cour, elle a dit que cela voulait dire des soins dispensés par une infirmière et non par un médecin et que de tels soins étaient toutefois donnés à son père 24 heures sur 24. M. Miles a assurément profité de certains des services ainsi fournis, par exemple le repas du soir et le service de blanchisserie. On contrôlait son taux de glycémie, on lui donnait ses médicaments, et il est resté là jusqu'à son décès.

[28] Il était important pour elle que du personnel médical soit disponible, c'est-à-dire que du personnel infirmier soit disponible 24 heures sur 24. Lorsque M. Miles était tombé malade, la résidence avait appelé le service d'urgence, et on l'avait transporté à l'hôpital. Aucun élément de preuve n'indique que d'autres formes d'attention médicale auraient pu lui être fournies. Il s'agissait essentiellement d'un service de soins infirmiers offert 24 heures sur 24.

[29] En contre-interrogatoire, la fille de M. Miles a dit qu'elle avait envisagé un autre établissement, appelé Argyle, et que ce dernier n'était toutefois pas satisfaisant. Ce qu'elle avait choisi était ce qu'elle appelait un “ établissement de soins moyen ”, se situant quelque part entre le plus coûteux et le moins coûteux, et cet établissement semblait être un endroit approprié pour un homme ayant les problèmes de M. Miles.

[30] M. Miles avait les ressources financières pour rester là. Sa fille avait examiné des brochures, qui ne traitaient pas expressément de la quantité de soins médicaux offerts. Elle ne savait pas que l'établissement offrait un ensemble de services médicaux supplémentaires que les résidents pouvaient acheter s'ils le voulaient.

[31] La fille de M. Miles n'avait aucun reçu autre que la pièce R-2 pour montrer à quoi avait servi la somme dont on cherche ici à obtenir la déduction. Ce reçu traite d'un loyer, mais elle a dit qu'il fallait que son père soit là, pour sa santé.

Arguments de l'intimée

[32] L'avocate de l'intimée a fait valoir que la disposition législative pertinente est le paragraphe 118.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le fait qu'on y emploie les expressions “ préposé à plein temps ”, “ soins de préposé ” et “ maison de santé ou de repos ” permet de conclure que cela désigne quelque chose d'autre que ce qui était fourni par l'établissement en cause. La preuve présentée en l'espèce permet de conclure que l'on s'attendait à une grande autonomie de la part des résidents ou locataires.

[33] La pièce R-2 elle-même traite du loyer. Il n'y a aucune ventilation quant à des services médicaux, aucune ventilation indiquant qu'il s'agissait d'une somme versée pour avoir un préposé à plein temps ou pour avoir des soins de préposé. La preuve est insuffisante pour conclure que l'article 118 de la Loi de l'impôt sur le revenu visait une telle situation.

[34] L'avocate de l'intimée a renvoyé la Cour à une décision du juge Bowie non encore publiée. D'après elle, les faits de cette affaire-là sont fort semblables à ceux de la présente espèce. Dans l'affaire no 97-0477, le juge Bowie n'avait pas admis la demande de déduction de frais médicaux, malgré le fait qu'une résidente de Calgary âgée de 80 ans avait produit en preuve une déclaration de l'établissement indiquant qu'elle y avait dépensé 30 000 $ dans l'année en cause. Le juge avait conclu que l'établissement n'était pas une maison de santé ou de repos. Tout ce qui était examiné dans cette affaire particulière, c'était la question des soins de préposé.

[35] Le reçu lui-même indiquait 15 000 $ pour le loyer et 15 000 $ pour la prestation de soins de préposé. Tous les résidents de l'établissement payaient pour les installations de soins de préposé. Une infirmière autorisée faisait partie du personnel, et il y avait une aide-infirmière le jour et un certain nombre d'aides-infirmières le soir. Des frais étaient en outre exigés à l'égard des médicaments à administrer.

[36] La Cour avait statué que la personne était une personne handicapée aux termes de l'article 118.3 et que bon nombre des résidents avaient des déficiences, mais elle avait conclu que la ventilation présentée dans le reçu lui-même n'était pas suffisante. Aucune partie du montant payé n'était décrite comme se rapportant à des soins de préposé au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il semble que le savant juge présidant le procès ait tiré une conclusion défavorable à l'appelante parce que le bail qui avait été conclu n'avait pas été présenté à la Cour alors qu'il aurait dû l'être.

Analyse et décision

[37] En l'espèce, la Cour est convaincue que l'appelante a produit tous les documents en sa possession pouvant aider la Cour à interpréter l'article de la Loi.

[38] La présente affaire est à certains égards fort semblable à l'affaire précitée, sauf que, en l'espèce, il n'y a absolument aucune ventilation quant au montant payé. Le montant est expressément désigné comme étant un loyer, et toute la correspondance indique qu'il s'agissait effectivement d'un loyer, malgré le fait que certaines des brochures traitent d'installations médicales ou de soins médicaux pouvant être fournis.

[39] L'avocate de l'intimée a présenté une définition de dictionnaire de l'expression anglaise “ attendant care ” (soins de préposé) qui n'aide guère à interpréter l'article. Cette définition dit ceci :

[TRADUCTION]

S'occuper de, servir. Un préposé est une personne engagée pour servir d'autres personnes, pour leur fournir un service. Soins, processus consistant à s'occuper de quelqu'un ou à subvenir à ses besoins; chose, service nécessaire pour aider et protéger une personne âgée qui est malade et dont on s'occupe.

[40] Dans l'affaire précitée ainsi que dans celle qui nous occupe, il était possible de faire en sorte qu'une partie de l'argent soit consacrée à des soins de préposé; de l'argent pouvait être affecté aux services d'un préposé à plein temps ou à d'autres services. Il n'est pas nécessaire que ce soit tout l'un ou tout l'autre, mais, lorsqu'un document indique qu'il s'agit d'un “ loyer ” et ne contient aucune mention de soins de préposé, il est difficile de conclure que la somme qui a été payée l'a manifestement été pour autre chose qu'un loyer.

[41] L'alinéa pertinent dit :

à titre de rémunération d'un préposé à plein temps.

[42] Il ne fait aucun doute pour la Cour que ce qui a été payé dans la présente affaire ne l'a pas été pour un préposé à plein temps. L'alinéa dit ensuite :

ou à titre de frais dans une maison de santé ou de repos pour le séjour à plein temps.

[43] Ce qui a été payé ne l'a pas été à titre de frais dans une maison de santé ou de repos pour le séjour à plein temps. Il est indéniable que la somme ou une partie importante de la somme a été versée à titre de loyer; c'est ce qu'indiquent les documents.

[44] Il est indubitable que l'occupant avait son propre appartement (manifestement un très bel appartement) et qu'il était capable d'aller et venir à sa guise et de prendre soin de lui-même, sauf à certains égards. Certains services étaient fournis par le personnel infirmier. Les repas de M. Miles devaient être préparés pour lui. Rien n'indique qu'on devait le nourrir ou quoi que ce soit du genre; il avait donc manifestement un certain degré d'autonomie.

[45] Dans un cas de ce genre, il incombe à la partie appelante d'établir selon la prépondérance des probabilités à quoi servait le paiement. Il doit donc y avoir dans le reçu une ventilation indiquant quelle partie du paiement était destinée à des soins de préposé.

[46] Si la Cour était convaincue que la preuve établissait selon la prépondérance des probabilités qu'il y avait des soins de préposé, il faudrait une ventilation quant à la partie du paiement servant à de tels soins, car la Cour est convaincue que la somme n'était pas entièrement versée pour des soins de préposé, pour peu qu'une partie ait servi à cela. Nous n'avons aucune ventilation semblable en l'occurrence. La Cour n'est pas convaincue qu'une partie du paiement était destinée à des soins de préposé.

[47] En ce qui a trait à un “ préposé à plein temps ”, la Cour est convaincue que les frais ne visaient pas l'obtention de services d'un préposé à plein temps dans une maison de santé ou de repos. Quant à la question de savoir s'il s'agissait d'une maison de santé ou de repos, la Cour se pose également de réelles questions à ce sujet.

[48] Malheureusement, la Cour doit à contrecoeur conclure que l'appelante ne s'est pas acquittée de la charge qui lui incombait d'établir selon la prépondérance des probabilités que la succession était en droit de déduire la somme dont elle demandait la déduction. En conséquence, la Cour doit confirmer la cotisation du ministre et rejeter l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de septembre 1999.

“ T. E. Margeson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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