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Date: 20000427

Dossier: 1999-4130-IT-I

ENTRE :

VERONICA GARTNER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Le présent appel interjeté sous le régime de la procédure informelle a été entendu à Edmonton, (Alberta) le 14 avril 2000. L'appelante a été l'unique témoin. Elle a été complètement digne de foi et son témoignage est accepté en entier.

[2] L'appelante a interjeté appel à l'encontre de nouvelles cotisations pour 1995, 1996 et 1997 dans lesquelles son crédit pour taxe sur les produits et services et sa prestation fiscale canadienne pour enfants ont été calculés de nouveau.

[3] Les paragraphes 2 à 12 inclusivement de l'avis d'appel ont été admis ou prouvés. Ils sont ainsi libellés :

[TRADUCTION]

2. Dans les nouvelles cotisations, l'intimée :

a) a refusé les déductions par l'appelante selon l'alinéa 118(1)b) du “ crédit équivalent pour personne entièrement à charge ” dans le calcul du crédit d'impôt non remboursable;

b) a déterminé que l'appelante n'était pas admissible au crédit pour la TPS/TVH selon l'article 122.5, apparemment parce que son revenu familial net était supérieur au montant déterminant pour recevoir un tel crédit;

c) a réduit la PFCE (prestation fiscale canadienne pour enfants) de l'appelante selon l'article 122.6, apparemment pour le motif que son revenu familial net était supérieur au montant déterminant permis.

3. Par suite des nouvelles cotisations, l'appelante doit :

a) verser à l'intimée à titre d'impôt fédéral et provincial additionnel pour les années d'imposition 1996 et 1997 les montants de 1 358,70 $ et de 1 361,05 $ respectivement, (plus l'intérêt et les pénalités);

b) rembourser à l'intimée les crédits pour la TPS/TVH qui, pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, s'élèvent à 189,50 $, 334,65 $ et 44,95 $ respectivement;

c) rembourser à l'intimée une partie de la PFCE qu'elle a reçue pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, et remettre 2 131,78 $, 1 790,35 $ et 319,34 $ respectivement;

pour un grand total impayé de 7 530,32 $ (plus l'intérêt et les pénalités).

B. EXPOSÉ DES FAITS

4. L'appelante, qui est un particulier, est née à Manning, en Alberta, et, en tout temps pertinent, a résidé au 1904 de la 151e avenue, dans la ville d'Edmonton, dans la province d'Alberta (la “ résidence ”). L'appelante et M. Gartner sont propriétaires conjoints de la résidence.

5. L'appelante a épousé M. Severin Gartner le 15 mai 1976 à Manning en Alberta. Durant le mariage, l'appelante et M. Gartner ont eu trois enfants nommés Nicholas Patrick Gartner (né le 26 février 1979), Becky Jo Gartner (née le 16 avril 1980) et Jordan Steven Gartner (né le 21 juillet 1982) (ci-après nommés collectivement les “ enfants ”).

Le ou vers le 28 mars 1992, l'appelante et M. Gartner se sont séparés et ont cessé de vivre comme mari et femme par suite de l'échec du mariage. Après la date de la séparation, M. Gartner a résidé ailleurs que dans la résidence pendant deux ans environ. Durant cette période, l'appelante a vécu dans la résidence avec les enfants, et a assumé l'entière responsabilité pour leur soin et leur éducation. Pendant cette période, l'appelante et M. Gartner ont vécu chacun de leur côté, et se sont très rarement rencontrés.

7. Après la séparation, l'appelante a vu un avocat pour se renseigner sur le processus et les coûts associés à l'obtention d'un jugement de divorce officiel et d'une ordonnance de partage des biens matrimoniaux. L'avocat a expliqué à l'appelante que, si elle entamait des procédures, elle se retrouverait dans l'obligation d'acheter l'intérêt conjoint de M. Gartner dans la résidence (étant donné que l'appelante voulait continuer à demeurer dans la résidence avec les enfants). De plus, l'appelante était consciente que M. Gartner s'opposerait à toute demande visant à l'obliger à verser des aliments pour les enfants. Étant donné ces faits, et sa situation financière (elle gagnait 1 800 $ par mois environ après impôt, dont 550 $ étaient affectés au remboursement d'un prêt auto), l'appelante n'avait pas les moyens d'intenter les procédures nécessaires pour dissoudre légalement et officiellement le mariage et obtenir la propriété et la possession exclusive de la résidence.

8. Au cours de 1994, M. Gartner a réintégré la résidence et s'est installé dans une des chambres. L'appelante ne voulait pas que M. Gartner revienne habiter la résidence, mais elle ne voyait pas comment elle aurait pu s'y opposer puisque M. Gartner était propriétaire de la résidence à 50 p. 100. M. Gartner occupe toujours sa chambre dans la résidence.

Depuis qu'il a réintégré la résidence, M. Gartner a acheté une partie des produits d'épicerie qui sont consommés par les personnes qui habitent la résidence et il a payé les factures de services publics. Il mange les mets préparés par l'appelante et se sert une portion quand le repas est prêt ou prend les aliments au réfrigérateur, mais il mange seul dans sa chambre. En dehors de circonstances particulières (par exemple, les anniversaires des enfants) l'appelante ne prend aucun repas avec M. Gartner.

10. Abstraction faite de ce qui est mentionné ci-dessus, l'appelante et M. Gartner avaient l'intention de vivre séparés l'un de l'autre et ils ont effectivement vécu séparés l'un de l'autre durant les périodes visées par les nouvelles cotisations. Tout particulièrement :

a) ils n'ont pas eu de rapports sexuels ensemble;

b) ils ne s'adonnaient à aucune activité sociale ensemble, ils ne prenaient aucun repas ensemble, ils n'allaient pas en vacances ensemble et ils ne voyageaient pas à bord du même véhicule. (Durant la période couverte par les nouvelles cotisations, l'appelante a été propriétaire et conductrice d'une Toyota Camry 1991, et M. Gartner a été propriétaire et conducteur de plusieurs véhicules);

c) ils n'assistaient à aucune réunion de famille ensemble. Plus particulièrement, l'appelante n'allait pas aux réunions organisées par la famille de M. Gartner et ce dernier n'assistait pas à celles organisées par la famille de l'appelante;

d) l'appelante n'exécutait pas de travaux domestiques (c'est-à-dire, le ménage, le lavage ou le repassage) pour M. Gartner;

e) l'appelante payait personnellement tous les frais de garde d'enfants et M. Gartner ne lui versait pas d'aliments pour les enfants. L'appelante payait aussi la majeure partie des taxes foncières, la prime de toutes les assurances sur la résidence ainsi que les coûts du service de câblodistribution;

f) l'appelante n'a présenté aucune demande de règlement aux régimes collectifs d'assurance-maladie en vigueur chez l'employeur de M. Gartner et ces régimes ne lui ont versé aucune prestation;

g) l'appelante et M. Gartner produisaient chacun leur déclaration de revenus personnelle et, sur le plan de l'état civil, ils indiquaient qu'ils étaient “ séparés ”.

11. Ayant reçu plusieurs augmentations de salaire au cours des quelques dernières années, l'appelante estime qu'elle a maintenant les moyens de demander qu'il soit mis fin légalement au mariage et que les biens matrimoniaux soient partagés. Par conséquent, l'appelante a produit une requête en divorce et en partage des biens matrimoniaux (la “ requête ”) auprès de la cour du banc de la Reine de l'Alberta le ou vers le 23 juillet 1999. Dans la requête, l'appelante allègue que les parties se sont séparées le 28 mars 1992 et qu'il y a échec du mariage pour le motif que les parties vivent séparées l'une de l'autre depuis plus d'une année.

12. Dans les avis de nouvelles cotisations datés du 23 novembre 1998, l'intimée a refusé d'admettre les déductions par l'appelante de l'“ équivalent pour personne entièrement à charge ” dans le calcul des crédits d'impôt non remboursables pour les années d'imposition 1996 et 1997. L'intimée a aussi déterminé que l'appelante avait reçu un paiement en trop au titre des crédits pour la TPS/TVH (selon des avis de nouvelle détermination datés du 20 novembre 1998) et des PFCE (selon des avis de prestation fiscale pour enfants) pour les années d'imposition 1995 à 1997. Les nouvelles cotisations étaient, semble-t-il, fondées sur la position de l'intimée selon laquelle l'appelante et M. Gartner ne vivaient pas séparés durant la période pertinente.

La preuve fournie en faveur de l'appelante a été beaucoup plus convaincante que celle qui est énoncée dans l'avis d'appel.

[4] La situation financière de l'appelante, le nom et la date de naissance des enfants et la position adoptée par l'intimée sont très bien résumés aux paragraphes 18(a) à (d) inclusivement de la réponse à l'avis d'appel. Les hypothèses énoncées aux paragraphes (b) et (c) n'ont pas été réfutées par la preuve, mais les hypothèses énoncées aux paragraphes (a) et (d) l'ont été.

[TRADUCTION]

18. Pour établir ces nouvelles cotisations à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1996 et 1997, pour calculer la PFCE de l'appelante pour l'“ année de base ” par rapport à 1995, 1996 et 1997 et pour calculer de nouveau le crédit pour la TPS de l'appelante pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

(a) en tout temps pertinent aux années en appel, l'appelante était mariée au conjoint, elle vivait avec lui et ce dernier subvenait aux besoins de l'appelante;

(b) l'appelante et son conjoint avaient les trois enfants suivants (ci-après les “ enfants ”) :

Nom

Date de naissance

Nicholas Patrick Gartner

26 février 1979

Becky Jo Gartner

16 avril 1980

Jordan Steven Gartner

21 juillet 1982

(c) l'appelante et le conjoint avaient les revenus nets combinés (ci-après le “revenu familial net”) suivants :

1995

1996

1997

Revenu net –Appelante

32 191 $

33 488 $

35 082 $

Revenu net – Conjoint

43 710

52 834

51 025

Revenu familial net

75 901 $

86 322 $

86 107 $

(d) le conjoint de l'appelante est considéré être un “ conjoint visé ” de l'appelante;

[5] L'appelante a finalement eu les moyens de demander le divorce et elle a obtenu un jugement qui est daté du 4 avril 2000 (pièce A-1, onglet 2), dans lequel il est mentionné, entre autres, que les parties “ ont commencé à vivre séparées l'une de l'autre (même si elles résidaient sous le même toit) le 28 mars 1992 ”, et qu'elles ont continué à vivre séparées l'une de l'autre jusqu'à la date du jugement. La preuve présentée devant la présente cour a simplement confirmé ce jugement rendu par une cour du banc de la Reine de l'Alberta qui a compétence dans ce domaine.

[6] En l'absence d'une preuve démontrant que le jugement de la cour du banc de la Reine a été obtenu en fraude, je ne vois pas pourquoi on aurait mis l'appelante au supplice pendant trois heures environ en l'obligeant à raconter ce malheureux épisode de sa vie. De plus, et à juste titre, elle a dû retenir les services d'un avocat compétent pour la représenter. Elle a engagé ces dépenses parce que le processus suivi par le gouvernement selon la Loi de l'impôt sur le revenu pour d'abord prendre de l'argent d'un particulier à très faible revenu, pour ensuite, tout en se targuant de munificence, “ accorder ” des “ crédits ” et des “ prestations ”, est très complexe. Toutes ces mesures ont été prises à grand frais pour le public et l'appelante qui a dû emprunter pour payer les montants réclamés dans les nouvelles cotisations et son avocat pour être en mesure d'interjeter le présent appel.

[7] La présente cour confirme la conclusion de la cour du banc de la Reine selon laquelle, même si les parties vivaient sous le même toit, l'appelante et la personne qui était alors son mari ne cohabitaient pas. Les parties ont toujours vécu séparées l'une de l'autre après le 28 mars 1992. Les dépenses de l'une ou l'autre des parties étaient effectuées dans l'intérêt des enfants issus du mariage et pour subvenir aux besoins de ces derniers et non dans l'intérêt de l'autre conjoint ou pour subvenir aux besoins de ce dernier. Étant donné leurs moyens modestes, c'était la seule manière dont elles pouvaient s'occuper de leurs enfants, bien qu'aucun élément de preuve n'établisse que telle était leur intention à l'époque. Mais, il ressort clairement de la preuve que les enfants étaient très heureux de voir leur père revenir à la maison en 1994, malgré le malaise que ressentait l'appelante par rapport à cette situation.

[8] En conséquence, les appels sont admis.

[9] L'intimée n'a évidemment pas cru les déclarations de l'appelante sur la manière dont elle et son mari partageaient la résidence et l'état du mariage même si l'avis d'appel mentionne les procédures de divorce. L'avocat de l'intimée a même laissé entendre que les cotisations avaient provoqué la requête en divorce (comme si le ministre du Revenu national pouvait s'en féliciter). La Cour est d'avis, compte tenu que les conjoints ont vécu dans des parties séparées de la résidence pendant deux ans, des moyens modestes des deux conjoints, du fait qu'ils avaient trois enfants, de l'état actuel des mariages et du coût de la vie au Canada, qu'il n'aurait pas dû être nécessaire pour l'appelante d'interjeter un appel, particulièrement après le dépôt d'une requête en divorce et certainement après que le jugement du 4 avril 2000 a été rendu. Pour ces motifs, les frais sont adjugés à l'appelante. L'appel a été très bien plaidé et préparé, et les éléments de preuve ont été très bien présentés. La Cour a considéré les faits en l'espèce ainsi que les dispositions législatives sur l'adjudication des frais. J'exerce ma compétence discrétionnaire et je conclus qu'une adjudication de 4 500 $ au titre des frais est raisonnable, et c'est ce qui est ordonné.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d'avril 2000.

“ D. W. Beaubier ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 11e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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