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Date: 20000708

Dossiers: 1999-3241-EI; 1999-3242-CPP

ENTRE :

HERITAGE REALTY LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

DANIEL VERMETTE,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance ont été entendus sur preuve commune, du consentement des parties, à Winnipeg (Manitoba), le 12 mai 2000.

[2] L'appelante interjette appel des décisions du ministre du Revenu national (ci-après appelé le “ ministre ”) datées du 23 avril 1999 selon lesquelles l'emploi exercé par Daniel Vermette (“ M. Vermette ”) pour Heritage Realty Ltd. (ci-après appelée la “ société ”) du 1er janvier au 31 décembre 1997 était un emploi assurable aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi et un emploi ouvrant droit à pension aux termes du Régime de pensions du Canada (le “ Régime ” ) pour les motifs suivants :

[TRADUCTION]

[...] Daniel Vermette était employé en vertu d'un contrat de louage de services et il était donc votre employé.

[3] On a dit que ces décisions avaient respectivement été rendues en vertu du paragraphe 93(3) le la Loi sur l'assurance-emploi et du paragraphe 27.2(3) du Régime et qu'elles étaient fondées sur les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi et l'alinéa 6(1)a) du Régime.

[4] M.Vermette, sur l'emploi duquel portait les décisions, est intervenu dans le cadre de l'appel en l'instance pour le compte de l'appelante. Les faits établis révèlent que M. Vermette et son beau-père, un certain Clarence Recksiedler (“ M. Recksiedler ”) ont fait le nécessaire pour constituer la société. Leurs épouses en détenaient chacune 50 % des actions émises pendant la totalité de la période pertinente. La société exploitait une agence immobilière et MM. Vermette et Recksiedler travaillaient avec la société pour vendre des biens immobiliers. La société et M. Vermette, appuyés par M. Recksiedler, ont soutenu que leurs contrats de travail respectifs avec la société étaient des contrats d'entreprise car ils étaient eux-mêmes des entrepreneurs indépendants. Le ministre a conclu qu'il étaient des employés travaillant en vertu de contrats de louage de services et s'est en outre dit convaincu qu'il était raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. Il y a donc deux questions à trancher en l'espèce; premièrement, il faut déterminer si les contrats de travail étaient des contrats d'entreprise ou des contrats de louage de services. Deuxièmement, s'il s'agissait de contrats de louage de services, les emplois seraient exclus des emplois assurables aux termes de l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi du fait que les contrats se trouveraient à avoir été conclus par des personnes liées aux termes du paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, à moins que le ministre n'exerce son pouvoir discrétionnaire aux termes de l'alinéa 5(3)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, ce qu'il a censément fait. Il ne m'est pas nécessaire de trancher la seconde question si l'appelante obtient gain de cause relativement à la première.

Le droit

[5] La façon dont la Cour doit déterminer si les modalités particulières de travail constituent un contrat de louage de services, qui correspond à une relation employeur-employé, ou un contrat d'entreprise, qui correspond à une relation entre entrepreneurs indépendants, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 55 (87 DTC 5025). Le critère devant être appliqué a également été expliqué par cette cour dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., C.A.F., no A-531-87, 15 janvier 1988 (88 DTC 6099). Par la suite, la Cour canadienne de l'impôt a rendu de nombreuses décisions, dont certaines ont été citées par les avocats, qui montrent comment ces lignes directrices ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale disait :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] "examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties". Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] "l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations" et ce même si je reconnais l'utilitédes quatre critères subordonnés.

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : "Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents".

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[6] Les critères auxquels la Cour se reportait peuvent être résumés comme suit :

a) le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur;

b) la propriété des instruments de travail;

c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l'intégration des travaux effectués par les prétendus employés dans l'entreprise du prétendu employeur.

[7] Mentionnons aussi les propos suivants tenus par le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe, précité, pour approuver l'approche utilisée dans les tribunaux anglais :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739)::

[TRADUCTION] Les remarques de LORD Wright, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[8] J'ajouterai à ces propos ceux du juge Décary, dans l'arrêt Charbonneau c. Canada (M.R.N.) [1996] A.C.F. no 1337, où, s'exprimant pour la Cour d'appel fédérale, il a dit ceci :

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utiles de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail [...] ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service [...]. En d'autres termes, il ne faut pas [...] examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

Les faits

[9] Dans les réponses aux avis d'appel déposés en son nom par le sous-procureur général du Canada, il est dit que le ministre, pour rendre ses décisions, s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes, qui sont les mêmes dans chaque appel :

[TRADUCTION]

a) les actions de l'appelante étaient réparties de la manière suivante :

(i) Darcy Vermette 50 % (fille)

(ii) Audrey Recksiedler 50 % (mère)

b) Darcy Vermette est la fille d'Audrey Recksiedler;

c) le travailleur est l'époux de Darcy Vermette;

d) l'appelante exploitait une agence immobilière;

e) le travailleur est un agent immobilier inscrit;

f) le travailleur a été embauché pour obtenir des mandats de vente et pour vendre des biens immobiliers;

g) le travailleur et l'appelante ont signé un contrat qui prévoyait ce qui suit :

(i) le travailleur a droit au plein montant de la commission touchée;

(ii) le travailleur doit verser à l'appelante un montant correspondant à 20 % de ses commission brutes au titre des frais d'administration et de fonctionnement suivants :

a) l'utilisation des locaux et de la salle de réunion,

b) le traitement des mandats de vente et l'établissement des rapports,

c) la préparation des fiches descriptives et des feuillets d'information,

d) les services de secrétariat dont le service de dactylographie,

e) les services d'accueil,

f) les formulaires du service interagences et d'offre d'achat,

g) l'utilisation du tableau d'affichage des biens immeubles à vendre,

h) l'utilisation du télécopieur,

i) les réunions hebdomadaires du personnel de vente,

j) les services internes de comptabilité et de paie,

k) le traitement des transactions;

(iii) le travailleur assume les frais suivants :

a) la publicité, l'affranchissement et les cartes d'affaires,

b) les appels interurbains, la photocopie,

c) les écriteaux,

d) les documents de promotion,

e) les catalogues interagences et les frais exigés par la chambre immobilière,

f) les appareils photos et caméras, les films et le développement des films;

(iv) le travailleur fixe lui-même le taux des commissions exigées pour la vente des immeubles relativement auxquels il a obtenu un mandat de vente;

h) l'appelante déterminait le pourcentage qu'elle retenait sur les commissions brutes du travailleur au titre des frais d'administration et de fonctionnement;

i) l'appelante recevait la totalité de la commission, retenait un certain pourcentage au titre des frais et versait le solde au travailleur;

j) l'appelante prélevait un pourcentage de 20 % sur la première tranche de 90 000 $ des commissions brutes du travailleur et un pourcentage de 10 % sur le solde;

k) le montant des commissions sur lesquelles l'appelante retient un pourcentage au titre des frais n'est pas limité;

l) le travailleur a rendu les services personnellement;

m) le travailleur n'était pas assujetti à une supervision directe; cependant, l'appelante devait approuver les documents de vente remplis par le travailleur;

n) le travailleur n'était pas libre de travailler pour d'autres;

o) l'appelante tenait habituellement des réunions une fois par semaine;

p) le travailleur appliquait les règles et les lignes directrices établies par la chambre immobilière;

q) l'appelante a délivré un T4 au travailleur pour l'année 1997;

[10] L'appelant a admis toutes les hypothèses, à l'exception des alinéas h), i) (qui nécessitent d'autres explications), m) et n).

[11] MM. Vermette et Recksiedler ont tous deux témoigné. Ils m'ont semblé être des personnes tout à fait honnêtes et intègres. J'accepte sans difficulté leur témoignage car ils étaient totalement dignes de foi. Le règlement des appels en l'instance dépend de l'interprétation de la preuve et non pas de la nature de cette preuve.

[12] Relativement aux hypothèses de fait, M. Recksiedler a dit, au sujet de l'alinéa m), qu'il ne s'agissait pas d'approuver les contrats de vente, mais plutôt de vérifier les documents pour relever les erreurs techniques et obtenir la certitude que les fonds étaient déposés dans le compte de fiducie. Il en était ainsi parce que M. Recksiedler était le dirigeant autorisé aux termes de la loi régissant la chambre immobilière du Manitoba et des règles de cette dernière, et que la société était le courtier agréé. M. Vermette détenait un permis d'agent immobilier. La vérification était effectuée au bureau par la secrétaire pour confirmer que tout était en règle et que les exigences législatives ou les règles et lignes directrices de la chambre immobilière étaient respectées. L'hypothèse formulée par le ministre était juste dans la mesure où il était dit que M. Vermette n'était pas supervisé. Cependant, elle était fausse dans la mesure où il était dit que les documents de vente devaient être approuvés. Ils faisaient simplement l'objet d'une vérification. Ils devaient satisfaire aux normes externes et le bureau veillait à ce que ce soit le cas.

[13] En ce qui concerne l'alinéa n), selon lequel “ M. Vermette n'était pas libre de travailler pour d'autres ”, aux termes des règles immobilières applicables, M. Vermette, en sa qualité d'agent immobilier, n'était pas autorisé à conclure un contrat avec plus d'un courtier à la fois. M. Recksiedler a soutenu que cela n'influait pas sur la question de savoir s'il s'agissait d'un contrat d'entreprise puisque tous les agents immobiliers étaient logés à la même enseigne à cet égard. Ils ne pouvaient exercer leurs activités que par l'entremise d'un courtier à la fois, même s'ils étaient en mesure de vendre des biens immobiliers pour d'autres agences immobilières. Ils ne peuvent conclure de contrat, de louage de services ou d'entreprise, qu'avec un seul courtier agréé à la fois. Cependant, le témoin a-t-il déclaré, dans le cadre de ce contrat, M. Vermette pouvait faire ce qu'il voulait; il pouvait se présenter au travail ou non, fixer ses propres commissions de vente et tisser son propre réseau de personnes-ressources.

[14] Au sujet de l'alinéa o), le témoin a déclaré qu'il tenait les réunions au bureau afin que lui-même et M. Vermette puissent garder contact, mais ces réunions étaient facultatives. Personne n'était obligé d'y assister, mais c'était tout simplement approprié, commercialement parlant, de se réunir de façon régulière.

[15] En ce qui concerne l'alinéa q), le témoin a dit que la secrétaire avait délivré le T4 par erreur à M. Vermette, ce qui avait bien entendu déclenché la série d'événements que l'on sait.

[16] Pour ce qui est de l'alinéa h), le témoin a indiqué que le pourcentage prélevé sur son revenu brut et celui de M. Vermette au titre des frais d'administration et de fonctionnement était un pourcentage sur lequel le travailleur et lui-même s'étaient entendus. Il n'avait pas été imposé par la société.

[17] Relativement à l'alinéa i), le témoin a expliqué que la société était le courtier aux termes des règles de la Loi sur les valeurs mobilières et qu'elle ne pouvait pas elle-même acheter ou vendre des biens immobiliers. Elle faisait office d'entreprise de services pour les deux agents immobiliers et, aux termes des règles externes auxquelles ils étaient assujettis, toutes les sommes devaient transiter par le compte de fiducie de la société.

[18] D'une façon générale, le témoin a déclaré que M. Vermette déterminait ses propres heures de travail, qu'il n'était pas assujetti à un horaire préétabli, qu'il pouvait travailler 60 à 100 heures par semaine ou ne pas travailler du tout selon son bon vouloir. Il devait assumer ses propres dépenses, même quand il ne vendait pas de biens immobiliers.

[19] Il est évident que, même si les actions de la société étaient au nom des épouses respectives, M. Vermette et son beau-père étaient en fait les mandants et les exploitants de la société, qu'ils ont créée afin d'“ unir leurs efforts ”. Ils étaient déjà tous deux des agents immobiliers établis. Ils ont chacun investi 3 500 $ dans la société, au moyen de prêts des actionnaires. En outre, selon l'entente verbale conclue entre eux, ils devaient verser individuellement à la société un montant minimal de 300 $ par mois, qu'ils aient touché ou non des commissions au cours du mois. Si leurs commissions étaient à ce point élevées que le calcul du pourcentage que devait prélever la société donnait un montant égal ou supérieur, ils n'avaient pas à verser les 300 $, mais si le montant prélevé était moindre, ils devaient combler la différence. Cela n'est pas mentionné dans l'entente écrite officielle, mais je suis convaincu que c'était ce sur quoi ils s'étaient entendus verbalement. Le ministre n'a pas tenu compte de ce fait.

[20] L'autre aspect lié aux dépenses était que M. Vermette engageait des frais dont il s'acquittait personnellement. L'avocat du ministre a soutenu que ces frais devraient être considérés comme des dépenses tombant sous le coup du paragraphe 8(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cependant, il s'agit ici de déterminer si ce sont des dépenses qu'un employé assumerait normalement ou des frais qu'engagerait une personne en affaires pour elle-même. M. Vermette devait payer tous ses frais de publicité, l'affranchissement, ses cartes d'affaires, ses frais d'interurbain, de téléphone cellulaire, d'automobile et d'essence, les photocopies faites en nombre, les écriteaux qu'il utilisait, les documents de promotion, les inscriptions dans le catalogue interagences, les frais exigés par la chambre immobilière, les appareils photos et caméras, ainsi que le développement des films. Il a dû faire l'acquisition d'une voiture, d'un télécopieur pour la maison, d'un ruban à mesurer, d'un appareil photo ou d'une caméra, d'une boîte postale scellée, d'un ordinateur portatif et d'un téléphone cellulaire. Il a donc engagé toutes ces dépenses, auxquelles il faut ajouter le montant de 300 $ qu'il versait chaque mois à la société, qu'il eût réalisé ou non des ventes ou touché ou non des commissions. Tous les documents publicitaires étaient établis au nom de Heritage Realty Ltd. M. Vermette ne pouvait pas, du fait des règles de la chambre immobilière, inscrire des biens immeubles à son nom en vue de les vendre. Il devait utiliser la raison sociale de la société. De même, tous les écriteaux devaient indiquer la raison sociale de la société. Le témoin a expliqué à nouveau que cela tenait au fait que c'est la société qui était le courtier agréé.

[21] Le contrat signé entre M. Vermette et la société a été produit en preuve. Le document, intitulé “ Contrat de Heritage Realty Ltd. avec les préposés aux ventes à commission travaillant à leur compte ” est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

1. L'agent immobilier a droit au plein montant de la commission touchée.

2. L'agent immobilier doit verser à Heritage Realty Ltd. un montant correspondant à 20 % de ses commissions brutes au titre des frais d'administration et de fonctionnement énumérés ci-après.

Frais d'administration et de fonctionnement

- utilisation des locaux et de la salle de réunion

- traitement des mandats de vente et préparation des rapports

- préparation des fiches descriptives et des feuillets d'information sur les biens immobiliers à vendre

- services de secrétariat et de dactylographie

- service d'accueil

- utilisation des installations du bureau

- formulaires de service interagences et d'offre d'achat

- utilisation du tableau d'affichage des biens immobiliers à vendre

- utilisation du télécopieur

- réunions hebdomadaires du personnel des ventes

- services internes de comptabilité et de paie

- traitement des transactions

Dépenses à la charge de l'agent

- publicité, affranchissement, cartes d'affaires

- appels interurbains, photocopies (0,05 $ la copie)

- écriteaux

- documents de promotion

- catalogue interagences et frais exigés par la chambre immobilière

- appareils photos et caméras, films et développement des films

3. L'agent immobilier fixe le taux de la commission qu'il touchera sur les biens immobiliers qu'il vend.

[22] Même si le titre de ce document n'est pas nécessairement un facteur déterminant, je constate qu'il s'agit censément d'un contrat avec un entrepreneur indépendant travaillant à son compte. Le contrat ne mentionne pas le montant minimal versé chaque mois à la société, mais j'accepte le témoignage selon lequel les parties s'étaient entendues verbalement pour verser ce montant.

[23] M. Vermette a lui aussi témoigné et il a confirmé le témoignage de son beau-père. Il a surtout insisté sur le fait qu'il pouvait fixer lui-même son taux de commission; par exemple, pour la vente de la propriété d'un parent ou d'un ami, il pouvait demander une commission de 2 % s'il le voulait et la société ne pouvait absolument rien faire ou dire.

[24] Cela constitue donc l'élément crucial de la preuve devant moi, et je m'appliquerai maintenant à déterminer de quelle manière le critère composé de quatre parties s'applique à cette preuve.

Application du critère composé de quatre parties à la preuve

[25] Je précise d'abord que ce n'est pas le titre que les parties ont donné au contrat qui revêt de l'importance aux yeux de la Cour, mais plutôt le contenu de ce contrat. Il n'appartient pas au ministre ni à la Cour de récrire le contrat conclu par les parties, mais si le contenu de ce contrat ne concorde pas avec le titre qu'on lui a attribué, c'est le contenu qui doit alors l'emporter. Cependant, si la prépondérance de la preuve confirme le titre du document, il faut alors faire preuve d'une certaine retenue à l'égard du contrat choisi par les parties.

[26] Contrôle : Il est clair, en ce qui concerne cet aspect du critère, que ce n'est pas tant le contrôle réellement exercé qui importe, mais le droit d'exercer ce contrôle. En l'espèce, M. Vermette jouissait d'une grande liberté pour effectuer son travail comme bon lui semblait. Il n'obéissait à personne et agissait de manière totalement indépendante. Les contraintes auxquelles il était assujetti semblent être d'origine externe et tenir aux règles régissant les agents immobiliers à Winnipeg. La société étant le courtier agréé, les ventes devaient être effectuées en son nom, et toutes les sommes devaient être déposées dans son compte de fiducie. Cela avait certainement pour but d'assurer la protection du public. Ce n'était pas une fonction de supervision de la société; c'était plutôt la raison pour laquelle la société avait été créée pour respecter les règles externes. Aucun agent immobilier ne pouvait faire son travail autrement, et je ne prétends aucunement que, sur la foi de ce seul élément, aucun agent immobilier ne se trouve donc à exploiter sa propre entreprise indépendante.

[27] Le contrat portait essentiellement sur les services que la société assurait à M. Vermette dans le cadre de son travail, et non pas l'inverse. M. Vermette n'était d'aucune manière supervisé par la société, si ce n'est qu'il était assujetti aux contraintes externes que j'ai mentionnées. Cet aspect du critère fait fortement pencher la balance en faveur d'un contrat d'entreprise avec un entrepreneur indépendant.

[28] Les instruments de travail : Même si la société avait un bureau et fournissait des services de secrétariat, et, partant, du matériel, M. Vermette lui-même a fourni tous les instruments dont il avait besoin au quotidien, que j'ai mentionnés précédemment. Les dépenses liées à l'utilisation de son automobile, d'un ordinateur portatif, d'un téléphone cellulaire, de boîtes postales scellées et d'autres articles n'étaient certainement pas négligeables. Même si les instruments se rapportant aux aspects administratifs du travail étaient fournis par la société, il est manifeste que les instruments nécessaires pour faire la promotion et la vente des biens immobiliers étaient fournis par M. Vermette lui-même. En conséquence, même si la société fournissait certains instruments, ils servaient en réalité à des fins administratives seulement, et la majeure partie des instruments utilisés pour effectuer le travail à proprement dit a été fournie par M. Vermette lui-même. En conséquence, cet aspect du critère fait aussi pencher la balance en faveur d'une relation d'entrepreneur indépendant.

[29] Les chances de bénéfice et les risques de perte : M. Vermette risquait manifestement de perdre de l'argent s'il ne concluait pas de ventes. Dès le départ, il devait verser un montant minimal à la société au titre des services administratifs fournis. Cela ne cadre d'aucune manière avec la situation d'un employé assujetti à un contrat de louage de services. Je ne connais aucun employé qui soit tenu de payer à son prétendu employeur un certain montant au titre des frais administratifs, même quand il n'a pas de rentrées d'argent. De façon générale, c'est plutôt le contraire qui s'applique. De plus, M. Vermette devait s'acquitter de ses dépenses courantes qu'il conclue des ventes ou non. Au cours d'un mois donné, M. Vermette pouvait facilement subir des pertes. Qui plus est, le montant des bénéfices réalisés dépendait du contrôle qu'il exerçait sur ses dépenses, des ventes réalisées et des commission exigées. Bref, il avait des chances de réaliser un bénéfice s'il utilisait bien ses talents d'entrepreneur. Le matériel utilisé lui appartenait, il engageait ses propres dépenses, et le bénéfice réalisé était fonction des efforts qu'il déployait et de ses compétences. Il ne se trouvait pas dans une situation où il lui suffisait de travailler davantage pour gagner davantage, comme c'est souvent le cas dans des affaires de ce genre. Le travail nécessitait le type d'esprit d'entreprise qui permet de faire la distinction entre un véritable employé et un entrepreneur indépendant. Ce critère indique clairement, à mon avis, qu'il s'agissait d'un contrat d'entreprise.

[30] Intégration : La question qu'il faut poser en ce qui concerne cet aspect du critère est “ À qui appartenait l'entreprise? ” Pour répondre à cette question, il faut examiner la situation du travailleur. Il est clair que M. Vermette et son beau-père ont créé la société pour pouvoir exercer leur profession respective d'agent immobilier. Ils ont mis les actions au nom de leurs épouses respectives, qui n'ont participé d'aucune manière à l'exploitation ou à la gestion de l'entreprise. MM. Vermette et Reckseidler s'occupaient eux-mêmes de ces aspects. Bien entendu, s'ils avaient mis les actions à leur nom, on ne se demanderait pas si leur travail a valeur d'emploi assurable car ils auraient détenu chacun plus de 40 % des actions de la société. L'objet de la loi est clair : les personnes en affaires pour elles-mêmes ne participent généralement pas au régime d'assurance-emploi. Les personnes qui se lancent en affaires à leur compte le font à leurs propres risques. En réalité, l'arrangement pris équivalait pour eux à détenir eux-mêmes les actions. C'était leur entreprise. Dans les faits, c'était leur alter ego. À mon avis, ils avaient créé l'entreprise dans le but d'obtenir les services administratifs dont ils avaient besoin pour exploiter individuellement leur propre entreprise de vente de biens immobiliers, en joignant leurs efforts. La société, pour sa part, leur assurait des services et leur fournissait un nom ainsi qu'un compte de fiducie, de même que des locaux et un service de secrétariat, ce qui leur permettait d'exploiter leur entreprise en conformité avec les règles externes régissant les activités des agents immobiliers dans la région. À ce qu'il me semble, ils ne travaillaient pas pour la société, c'était plutôt la société qui leur fournissait des services pour lesquels ils payaient des frais minimums et versaient un pourcentage de leurs commissions. S'ils n'exploitaient pas leur propre entreprise, la société n'exploitait elle-même aucune entreprise. À mes yeux, c'était simplement une société de services, et il serait complètement artificiel de dire qu'elle employait les deux agents. La difficulté qui se pose en l'espèce est que les fonds étaient gérés par la société, qui versait les commissions sur lesquelles elle avait prélevé un pourcentage de 20 %. En effet, elle aurait tout aussi bien pu verser le montant intégral et facturer les frais d'administration de 20 %, car cela correspond davantage à la réalité. En d'autres termes, même si elle gérait l'argent, la société ne payait pas les agents, c'était plutôt l'inverse qui se produisait.

[31] Lorsqu'on examine la situation sous cet éclairage, on peut dire que M. Vermette payait en réalité un montant à la société au titre des services fournis, lesquels englobaient la gestion des fonds. Cet aspect du critère indique clairement que M. Vermette était en affaires pour lui-même. C'était son entreprise, il aurait pu l'exploiter ailleurs et traiter avec un autre courtier disposé à offrir le même genre de service administratif.

[32] En définitive, je suis d'avis que M. Vermette était un entrepreneur qui exploitait sa propre entreprise. Bien entendu, chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres. L'avocat du ministre a invoqué l'affaire Epp c. M.R.N., [1992] A.C.I. no 234, D.R.S. 94-00383, une décision rendue par le juge Sarchuk de la C.C.I. Cette affaire a également été tranchée sur le fondement des faits qui lui étaient propres et je fais observer de façon particulière que le juge s'est dit d'avis que l'accord initial constituait un “ argument fort et convaincant selon lequel la relation envisagée visait et constituait [...] un contrat de louage de services ”. À cet égard, cette affaire diffère en tous points des affaires dont je suis saisi.

[33] Dans les affaires en cause en l'espèce, lorsque j'examine la forêt, ainsi que chacun des arbres, la preuve indique clairement qu'il s'agissait d'un contrat avec un entrepreneur indépendant. En outre, je ne suis pas du tout certain que c'était un contrat dans le cadre duquel M. Vermette devait offrir des services, par opposition à un contrat dans le cadre duquel c'est la société qui devait fournir les services à M. Vermette. La totale liberté d'action dont jouissait M. Vermette, si l'on exclut l'obligation qui lui était faite d'utiliser le nom de la société, de déposer l'argent dans le compte de fiducie et de verser des montants à la société, dont le paiement mensuel minimal, les dépenses qu'il devait engager et la manière dont il générait son revenu, la nature et le titre du contrat lui-même indiquent que M. Vermette était en affaires pour lui-même et qu'il n'était pas employé par Heritage Realty Ltd. en vertu d'un contrat de louage de services.

Examen de la décision du ministre fondée sur l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi

[34] Même si j'ai fait erreur en concluant qu'il ne s'agissait pas d'un contrat de louage de services, et sans entrer dans le détail, j'estime que la décision du ministre fondée sur l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi n'est pas défendable en droit. Même si j'accepte sans hésitation que je dois faire preuve de retenue à l'égard de la décision du ministre, ce dernier n'a manifestement pas tenu compte de l'un des aspects les plus importants du contrat, à savoir que M. Vermette devait payer à la société chaque mois un montant minimal au titre des services fournis. Ce n'est pas là le propre d'un contrat que conclurait normalement un employeur et un employé n'ayant pas entre eux de lien de dépendance. En outre, s'il avait pris cet élément en considération, le ministre n'aurait pas pu, légalement, d'un point de vue raisonnable et objectif, rendre la décision qu'il a rendue. Manifestement, dans le contrat en cause, M. Vermette et son beau-père étaient l'alter ego de la société. Ils la contrôlaient, la géraient et l'utilisaient comme aucun employé n'ayant pas de lien de dépendance ne pourrait véritablement le faire. Si je devais trancher cette question, je n'hésiterais aucunement à conclure que l'emploi était un emploi exclu aux termes de l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas à me prononcer sur cette question car je suis d'avis que ce n'était pas au départ un emploi au sens d'un contrat de louage de services.

Conclusion

[35] Dans les circonstances, les appels sont accueillis et les décisions du ministre sont annulées.

Signé à Calgary (Alberta) ce 8e jour de juillet 2000.

“ Michael H. Porter ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de janvier 2001.

Mario Lagacé, réviseur

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