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Date: 19980720

Dossier: 97-2104-IT-I

ENTRE :

PATRICK NG,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(rendus oralement à l'audience Toronto (Ontario) le 4 juin 1998)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]     [ Cet appel interjeté en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu se rapporte aux années d'imposition 1991 et 1992 de l'appelant. Ce dernier a demandé que la procédure informelle régisse son appel. La cotisation portée en appel pour 1991 a été établie après le délai de trois ans prévu au paragraphe 152(4) de la Loi, et l'intimée admet qu'il incombe au ministre du Revenu national de prouver qu'il est en droit de rouvrir l'année d'imposition 1991 en vertu de ce paragraphe de la Loi. Le ministre avait imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi pour 1991 et pour 1992 et, conformément au paragraphe 163(3), il a la charge de prouver que ces pénalités sont justifiées.

[2] [Les rajustements du revenu déclaré de l'appelant qui sont faits dans les cotisations portées en appel ne sont pas en litige. Donc, les seules questions soumises à la Cour sont de savoir si le ministre était fondé à imposer les pénalités pour 1991 et 1992 et s'il était en droit de rouvrir l'année d'imposition 1991. Comme je l'ai dit, l'intimée a reconnu qu'il lui incombait de prouver les faits nécessaires relativement à ces deux questions, et le seul témoignage qui ait été présenté dans le cadre de cet appel a été celui de Rita Benko, une vérificatrice à Revenu Canada.

[3] [Durant les années en cause, l'appelant était le directeur des ventes chez Rowland Lincoln Mercury, un concessionnaire Ford franchisé de la communauté urbaine de Toronto. Le plus gros du revenu de l'appelant provenait de commissions sur les ventes d'automobiles. C'étaient des commissions généreuses en ce sens que, en 1991, son revenu de commissions a dépassé 110 000 $ et, en 1992, il a dépassé 80 000 $. L'appelant oeuvre dans un domaine très concurrentiel, soit la vente au détail d'un produit à coût élevé. La preuve indiquait que l'appelant avait huit vendeurs sous ses ordres.

[4] [Dans sa déclaration de revenus pour 1991, l'appelant a déduit des dépenses de 44 600 $ de son revenu de commissions et, pour 1992, il a déduit des dépenses de 41 328 $. En effectuant une vérification pour Revenu Canada, Mme Benko a déterminé que, pour 1991, elle admettrait seulement 4 907 $ de dépenses et qu'elle en refuserait 39 693 $, et elle a établi pour 1991 une nouvelle cotisation en conséquence. De même, pour 1992, elle a déterminé qu'elle admettrait seulement 4 904 $ de dépenses et qu'elle en refuserait 36 424 $, et elle a établi pour 1992 une nouvelle cotisation en conséquence. Ces deux nouvelles cotisations sont l'objet des appels en l'espèce.

[5] [LL'appelant ne conteste pas le refus d'admettre des dépenses de 39 693 $ pour 1991 ou de 36 424 $ pour 1992. Ce qu'il conteste c'est plutôt l'imposition de pénalités pour 1991 et 1992 en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ainsi que le fait que le ministre a ouvert l'année d'imposition 1991 après le délai de trois ans. L'année d'imposition 1991 est donc plus complexe, car deux points litigieux sont soulevés à son égard. Je me propose de traiter d'abord de l'année d'imposition 1992 parce que la seule question en ce qui la concerne est de savoir si le ministre était fondé à imposer une pénalité en vertu du paragraphe 163(2). Le début du paragraphe 163(2) se lit comme suit :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente loi ou à son règlement, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse — appelé “ déclaration ” au présent article — rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition conformément à la présente loi ou à son règlement, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants [...]

[6] [Les éléments refusés dans la nouvelle cotisation pour 1992 sont énoncés dans la pièce R-4 ainsi qu'à l'annexe “ A ” de la réponse de l'intimée à l'avis d'appel. En portant cette affaire en appel, l'appelant savait exactement de quelles dépenses il avait demandé la déduction, quelle partie de ces dépenses avait été admise, s'il en est, et quel montant avait été refusé. Je passerai en revue certains des éléments énumérés dans la pièce R-4, ainsi que les montants des déductions demandées et les montants qui ont été admis ou refusés, à savoir :

Élément

Indiqué

Admis

Refusé

Frais d'automobile/frais de déplacement

5 962 $

0 $

5 962 $

Cadeaux

4 984 $

0 $

4 984 $

Frais de repas/frais de représentation

5 941 $

3 600 $

2 341 $

Téléphone

3 617 $

600 $

3 017 $

Frais de bureau/frais généraux

3 482 $

175 $

3 307 $

Publicité/promotion

3 168 $

0 $

3 168 $

Frais de bureau à domicile

4 200 $

0 $

4 200 $

Aide occasionnelle

4 945 $

0 $

4 945 $

Amortissement — voiture

4 500 $

0 $

4 500 $

En ce qui a trait aux éléments énumérés ci-dessus, le montant dont l'appelant a demandé la déduction au titre des frais de repas et des frais de représentation était de 3 617 $ selon la pièce R-4, alors que, en fait, il aurait dû être de 5 941 $. Ce montant corrigé a été vérifié et accepté par l'avocate de l'intimée et par le représentant de l'appelant. La pièce R-4 indiquait aussi un montant erroné au titre des frais téléphoniques, et les deux parties ont confirmé que le montant exact était de 3 617 $.

[7] [Je n'ai pas relevé tous les éléments pour 1992, mais j'ai choisi les montants les plus élevés qui ont été refusés en totalité ou en grande partie. L'élément à l'égard duquel la preuve était la plus précise était les frais de publicité et de promotion de 3 168 $. L'appelant avait remis à Mme Benko un état manuscrit (pièce R-8) énumérant quatre montants: 4 473,81 $, 3 097 $, 320 $ et 2 363,25 $. Il avait indiqué ce dernier montant comme “ pub-promo ”, c'est-à-dire publicité et promotion.

[8] [Concernant un bon nombre de ces dépenses dont la déduction a été demandée, l'appelant avait fourni une espèce quelconque de reçu. Fréquemment, d'après Mme Benko, il avait fourni la “ copie du client ” de bordereaux d'achat par carte de crédit Visa ou American Express ou autre. Lorsque Mme Benko l'avait interrogé sur les frais de publicité et de promotion de 2 363,25 $ figurant dans la pièce R-8, il avait produit un bordereau d'achat par carte de crédit American Express correspondant exactement à ce montant. Il lui avait dit que ces frais se rapportaient à une réception qu'il avait donnée pour des clients. Mme Benko a expliqué que, bien que les quatre montants ainsi que la désignation figurant à la gauche de chacun dans la pièce R-8 aient été écrits à la main par l'appelant, le titre [TRADUCTION] “ Résumé de reçus fournis par le contribuable pour 1992 ”, avait été écrit à la main par elle.

[9] [En poussant plus avant l'examen des documents de l'appelant, Mme Benko a découvert une facture à l'intention de l'appelant en date du 14 avril 1992 du magasin de détail “ Cerruti 1881 ” à Hazelton Lanes, qui semble être une boutique de vêtements pour hommes. Cette facture indiquait exactement le même montant, soit 2 363,25 $, et indiquait en outre qu'elle avait été payée avec la carte de crédit American Express de l'appelant. La copie du client de la facture de carte de crédit American Express ainsi que la facture du magasin Cerruti 1881 figurent toutes deux dans la pièce R-9. La facture de Cerruti 1881 fait état d'une veste de sport vendue 695 $ et de deux complets vendus 660 $ et 630 $, pour un total d'environ 2 000 $, ce qui donne avec les taxes de vente 2 363,25 $.

[10] [Mme Benko a conclu que ce montant de 2 363,25 $ ne représentait manifestement pas des dépenses relatives à une réception donnée pour des clients. L'appelant n'a pas fourni d'autres explications ou de meilleures explications à Mme Benko et n'est pas venu devant la Cour pour en fournir. Donc, Mme Benko a conclu — ce qui était à mon avis raisonnable — que l'appelant n'avait pas dit la vérité, car le montant de la facture de carte de crédit American Express représentait non pas des frais relatifs à une réception donnée pour des clients, mais plutôt un achat de vêtements pour l'appelant lui-même. La preuve claire présentée par Mme Benko à cet égard (pièces R-8 et R-9) indique que l'appelant n'a pas simplement fait erreur mais qu'il a plutôt, à mon avis, carrément menti et qu'il cherchait à tromper Revenu Canada en demandant la déduction de fausses dépenses.

[11] [Un autre élément important en ce qui concerne l'année d'imposition 1992 est l'“ aide occasionnelle ”, élément qui avait aussi été indiqué pour l'année d'imposition 1991. L'appelant avait demandé à cet égard la déduction de 4 945 $ pour 1992 et 5 125 $ pour 1991. Les deux montants ont été refusés. Lorsque Mme Benko lui a demandé ce que représentait l'“ aide occasionnelle ”, il avait dit qu'il engageait des élèves du secondaire pour envoyer à ses clients des cartes d'anniversaire et autres cartes de voeux, de manière à maintenir sa clientèle. D'après Mme Benko, il n'avait aucun reçu concernant cette aide occasionnelle, n'a pu fournir le nom d'un seul des élèves prétendument payés pour accomplir ce travail et n'avait aucune documentation prouvant qu'il a été fait. S'il allait engager des élèves du secondaire pour maintenir ainsi les dispositions favorables de sa clientèle, il aurait dû avoir une liste de ses clients avec leurs adresses actuelles. Il aurait dû pouvoir dire à Mme Benko : “ Je ne peux vous préciser qui sont les élèves, mais voici les personnes dont je leur ai donné le nom et l'adresse, et voici aussi les genres de cartes que j'envoyais ou voici les cartes que j'achetais ”. Il n'y a absolument aucune pièce justificative, et il s'agit pourtant de deux prétendues dépenses importantes de l'ordre de 5 000 $, qui ont toutes les deux été refusées comme déduction. L'appelant ne conteste même pas le fait qu'elles ont été refusées. Cela est à mon avis une preuve de négligence. Je traiterai plus loin de la question de savoir s'il s'agit d'une faute lourde. Fait assurément preuve de négligence un homme qui, s'y connaissant assez en affaires pour être directeur des ventes d'un concessionnaire d'automobiles, demande la déduction de dépenses de l'ordre de 5 000 $ sans avoir rien pour les prouver.

[12] [Je passe maintenant aux frais de 4 984 $ indiqués au titre de cadeaux pour 1992. Ces frais ont été refusés à 100 p. 100. L'appelant ne s'est pas présenté devant la Cour pour dire : “ Oh oui, j'ai fait ces cadeaux, et voici en quoi, ils se rapportent à mon travail. ” Il accepte le fait que les 4 984 $ de cadeaux n'ont pas été admis, mais prétend qu'il ne devrait pas être pénalisé pour avoir cherché à faire accepter ces frais à Revenu Canada. Mme Benko a dit qu'on lui avait fourni de nombreuses copies du client de factures de cartes de crédit mais qu'elle n'arrivait pas à les relier de quelque manière au travail de l'appelant. Sur les copies du client, il n'y avait aucune mention de ce que représentait le montant indiqué. Les cartes de crédit sont d'usage courant au Canada depuis tellement d'années qu'il m'est impossible d'accepter l'idée qu'une personne puisse se servir de cartes de crédit pour acheter des articles importants et qu'elle n'indique pas sur sa copie du client ce que représente la dépense si elle veut la déduire comme frais professionnels. Quand on engage des frais de représentation ou qu'on achète des cadeaux pour des clients, il est maintenant à mon avis de pratique courante de noter sur la copie du client de la facture de carte de crédit la date, le lieu et l'objet de la dépense. Si un homme d'affaires comme l'appelant amenait deux clients dîner au restaurant, je m'attendrais qu'il indique sur le bordereau de carte de crédit qu'il s'agit d'un dîner et qu'il inscrive la date, le lieu et le nom des clients. Il pourrait jeter cette pièce justificative dans une boîte et être quand même en mesure de déterminer par la suite, que ce soit dans deux semaines, dans deux mois ou dans deux ans, exactement où il était à cette date-là, qui il avait amené et combien cela lui avait coûté. Demander la déduction de dépenses aussi importantes que 4 984 $ au titre de cadeaux sans pouvoir présenter de document justifiant ces dépenses comme frais professionnels constitue à tout le moins de la négligence. Encore là, je me pencherai plus loin sur la question de savoir s'il s'agit d'une faute lourde.

[13] [Il en va de même des montants indiqués par l'appelant comme frais d'automobile et frais de déplacement. L'appelant prétendait qu'il était propriétaire d'une voiture qu'il mettait gratuitement à la disposition de clients lorsque ceux-ci faisaient réparer ou entretenir leur automobile. Il n'a toutefois pas prouvé à Mme Benko qu'il en était propriétaire, et cette dernière a dû se donner la peine de faire des recherches au bureau des véhicules automobiles. L'appelant disait qu'il était propriétaire d'une Porsche et que son employeur lui fournissait une Lincoln. Mme Benko a produit en preuve les résultats de ses recherches, qui ont été déposés sous la cote R-7. D'après elle, les recherches avaient révélé que la Porsche était enregistrée au nom de l'épouse de l'appelant. Mme Benko avait également déterminé que les frais de fonctionnement relatifs à la voiture utilisée par l'appelant étaient entièrement pris en charge par son employeur, soit le concessionnaire d'automobiles. Donc, les frais d'automobile et de déplacement de 5 962 $ que l'appelant avait déduits pour 1992 ont été refusés en totalité. Néanmoins, l'appelant ne vient pas devant la Cour faire valoir que ne fût-ce qu'un cent de ces frais est justifiable. Il aurait pu comparaître pour dire: “ Il devrait m'être permis d'en déduire une partie. ” Au contraire, il accepte que ces frais aient été refusés à 100 p. 100 et prétend en même temps qu'il ne devrait pas être pénalisé.

[14] [On a porté à mon attention deux jugements, sur lesquels je me fonderai. Le jugement Venne v. The Queen, 84 DTC 6247, est une décision de la section de première instance de la Cour fédérale dans une affaire où étaient en cause la réouverture d'une année frappée de prescription et l'imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Le juge Strayer, alors juge de la section de première instance, a formulé des observations sur les deux dispositions en cause de la Loi. À la page 6251, il a dit :

Je suis convaincu qu'il suffit au Ministre, pour invoquer son pouvoir en vertu de l'alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, de démontrer la négligence du contribuable, à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus au titre d'une année donnée. Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable. C'est sûrement là le sens des termes "présentation erronée des faits, par négligence", en particulier avec d'autres motifs comme l'inattention ou l'omission volontaire qui font référence à un degré de négligence plus élevé ou à une mauvaise conduite délibérée. Sauf si ces termes étaient superflus dans cet article, hypothèse que je ne puis accepter, le terme “ négligence ” impose un critère moins strict de faute, semblable à celui qui est utilisé dans les autres domaines du droit, comme la responsabilité délictuelle.

Le passage précité traite seulement de négligence ou du fait de ne pas faire preuve de diligence raisonnable dans le contexte de la réouverture d'une année frappée de prescription. À la page 6256, le juge Strayer a poursuivi en disant au sujet de la “ faute lourde ” visée au paragraphe 163(2) :

[...] La "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. [...]

[15] [Je considère que la conduite de l'appelant concernant l'année 1992 répond au critère susmentionné, en ce sens qu'il a été indifférent au respect de la loi. Il a simplement mis ensemble une foule de dépenses et, eu égard au fait qu'il n'en a défendu aucune devant la Cour, leur total est scandaleusement élevé à 41 328 $. Bien que 36 424 $ de ce montant ont été refusés et que seules des dépenses de 4 904 $ ont été admises, il ne conteste pas le refus d'admettre les 36 424 $. Il n'a même pas comparu devant la Cour. Autrement dit, pratiquement 90 p. 100 des dépenses qu'il avait déduites ont été refusées, mais il ne conteste pas ce refus. En soi, cela dénote une indifférence au respect de la loi.

[16] [Dans son argumentation, le représentant de l'appelant a soutenu que le fait de ne pas déclarer un revenu constituait une présentation erronée des faits ou une faute lourde beaucoup plus grave que le fait de ne pas préciser des dépenses ou de ne pas produire de pièces justificatives y relatives. C'est un argument intéressant. Cet argument pourrait avoir une certaine valeur dans le cas d'un propriétaire d'entreprise qui omet d'inscrire des revenus. Il s'agit là d'un acte très grave de la part d'un contribuable, acte qui constitue une faute lourde, voire de la fraude. Cependant, l'appelant est nécessairement un employé et reçoit donc un feuillet T4. Il n'a aucun contrôle sur la détermination du revenu qu'il doit déclarer, car son employeur est tenu de consigner le salaire et les commissions de l'appelant. La seule manière dont il peut tricher, pour ainsi dire, pour réduire son revenu afin de payer moins d'impôt, est de déduire des dépenses scandaleusement élevées en faisant preuve d'indifférence au respect de la loi. Je conclus que c'est ainsi que l'appelant a agi. Pour ces motifs, je maintiendrai la pénalité pour 1992.

[17] [Pour ce qui est de 1991, le ministre a rouvert une année frappée de prescription. S'applique donc un critère différent. Curieusement, ce critère est moins exigeant. Mon collègue le juge Bowman en a traité dans l'affaire Farm Business Consultants Inc. v. The Queen, 95 DTC 200, dans laquelle il avait à se pencher sur la question de la réouverture d'une année frappée de prescription et sur celle de l'imposition de pénalités. À la page 205, le juge Bowman a dit :

Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller. Une conduite du genre de celle qui est envisagée au sous-alinéa 152(4)a)(i) peut, dans certaines circonstances, servir aussi de fondement à l'imposition d'une pénalité prévue au paragraphe 163(2), qui implique la pénalisation d'une conduite plus répréhensible. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien-fondé d'allégations moins sérieuses. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité. [...]

[18] [Le représentant de l'appelant a soutenu qu'il y avait deux hypothèses viables et raisonnables. Il a fait valoir en effet que l'appelant croyait de bonne foi que les dépenses en question étaient liées à son travail. En les soumettant à Revenu Canada, il pourrait être considéré comme ayant satisfait au critère du caractère raisonnable, parce que, pour reprendre les termes du représentant de l'appelant : “ l'appelant ne connaissait pas les complexités de la Loi de l'impôt sur le revenu ”. C'est la première fois qu'il est pénalisé. À mon avis, un contribuable n'a pas à connaître les complexités de la Loi de l'impôt sur le revenu. Tout ce qu'il doit savoir, c'est si un montant qu'il veut déduire comme dépense est lié à son entreprise, et le fait qu'il n'a jamais été pénalisé auparavant n'est pas une raison de ne pas maintenir la pénalité dans la présente espèce.

[19] [Quant à savoir si une certaine conduite est négligente au point de justifier la réouverture d'une année frappée de prescription, cela dépend de la connaissance qu'a le contribuable des affaires, de la façon dont ce dernier produit sa déclaration de revenus, de la façon dont son revenu est calculé et de la façon dont ses dépenses sont déduites. Il semble y avoir concernant les dépenses un point de vue général selon lequel on peut les “ déduire ” ou ils sont “ déductibles ”. À mon avis, certains particuliers ont poussé ces notions à l'extrême, au point où ils déduisent simplement toutes sortes de dépenses sans égard à la question de savoir si elles peuvent être reliées à une entreprise. Comme je l'ai dit au sujet de l'année d'imposition 1992, l'appelant doit être une personne avertie. Nous ne le savons toutefois pas pertinemment parce qu'il ne s'est pas présenté devant la Cour. Eu égard au poste qu'il occupait durant les années en cause, je ne peux croire qu'il n'aurait pas pu noter sur chaque reçu de carte de crédit l'objet de la dépense, de sorte que, à une date ultérieure, il puisse s'y reporter et déterminer l'endroit et la date de la dépense ainsi que le client pour qui elle avait été engagée, si elle avait effectivement été engagée pour un client, pour peu qu'elle ait été engagée.

[20] [Je conclus de la preuve présentée par Mme Benko qu'il y avait des dépenses pour lesquelles il n'existait aucun reçu, par exemple dans le cas des frais d'aide occasionnelle de 4 945 $ pour 1992 et de 5 125 $ pour 1991. Il n'y avait simplement aucun reçu, aucune indication de noms de personnes ayant travaillé comme aides occasionnelles, rien. Il en est de même pour les cadeaux. S'il y avait des pièces justificatives, il était impossible d'établir un lien entre ces pièces et un client nommément désigné et, s'il s'agissait de cadeaux personnels, si l'appelant achetait des vêtements pour ses propres enfants ou des cadeaux pour des amis ou des membres de la famille, c'était des cadeaux non liés à son travail. En contre-interrogeant la vérificatrice, le représentant de l'appelant lui a dit qu'une certaine dépense pouvait avoir été engagée pour faire un cadeau, qu'un souper de fin de semaine pouvait avoir eu un objet commercial. Mme Benko a reconnu que tel pouvait être le cas, mais a dit que la charge de le prouver ne lui incombait pas. Une fois qu'elle eut prouvé que l'appelant n'avait pas dit la vérité concernant certaines dépenses et que d'autres sommes importantes n'étaient appuyées d'aucune pièce justificative, c'était à l'appelant qu'il incombait de prouver que les divers reçus de carte de crédit avaient un lien avec son travail. Mme Benko avait constaté une absence de documents justificatifs et, dans bien des cas, une absence totale de reçus, au point où elle a refusé la déduction d'environ 90 p. 100 des dépenses indiquées par l'appelant pour les deux années en question; néanmoins, l'appelant ne s'est pas présenté devant la Cour pour contester ce refus.

[21] [En conclusion, je voudrais rappeler à l'appelant que, bien qu'il incombe au ministre de prouver la faute lourde en ce qui concerne les pénalités et de prouver la négligence en ce qui concerne la réouverture de l'année d'imposition 1991, il ne s'agit là que du fardeau de la preuve applicable en matière civile et non du fardeau de la preuve qui s'applique en matière pénale, soit celui de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable. Je suis convaincu sur la foi du témoignage de Mme Benko et sur la foi des pièces déposées par l'intimée que le ministre s'est acquitté dans les deux cas de la charge qui lui incombait. Il incombait alors à l'appelant (s'il le voulait) de se présenter devant la Cour, d'écouter la preuve présentée contre lui et, si on l'avisait que le ministre s'était acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait, de produire à son tour la preuve nécessaire pour défendre sa propre cause.

[22] [L'appelant semble croire que, comme au criminel, il peut attendre que la Couronne produise une preuve hors de tout doute raisonnable, alors qu'en réalité la charge de la preuve n'est que celle applicable en matière civile et, à mon avis, vu la manière dont l'appelant a déduit les dépenses en cause, vu la proportion dans laquelle les déductions ont été refusées et vu le témoignage de Mme Benko, qui a dit qu'il y avait affreusement peu de reçus pouvant permettre d'établir un lien entre ces dépenses et le travail de l'appelant et que, dans bien des cas (notamment pour ce qui est de l'aide occasionnelle et des frais de bureau), il n'y avait absolument aucun reçu, je conclus que le bien-fondé des nouvelles cotisations a été établi. Les appels sont rejetés. À mon avis, les pénalités sont justifiées, et le ministre s'est acquitté de la charge qui lui incombait de prouver justifiée la réouverture de l'année d'imposition 1991.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de juillet 1998.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de Décembre 1998.

Erich Klein, réviseur

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