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Date: 19980224

Dossier: 95-4122-IT-G

ENTRE :

STONE CONTAINER (CANADA) INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] L'appelante, Stone Container (Canada) Inc. (la “ Stone ”), porte en appel une nouvelle cotisation d'impôt sur le revenu établie par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour l'année d'imposition 19871. Le ministre a établi une nouvelle cotisation en vertu de l'alinéa 165(3)a) de la Loi : la Stone s'est opposée à une nouvelle cotisation établie après la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour 1987. La question est de savoir si, sur la foi des faits de l'espèce, le ministre a le pouvoir d'établir une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation concernant une question autre que celle qui est expressément décrite dans la renonciation autorisant le ministre à établir une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation.

[2] La preuve présentée au procès se compose des éléments suivants : un exposé conjoint partiel des faits, un recueil conjoint de documents, la déposition orale de M. Claude Pouliot, qui était administrateur fiscal de la Consolidated à l'époque pertinente, et la déposition orale de M. Hubert DeGroot, qui est agent des litiges au bureau de district de Revenu Canada à Montréal.

[3] L'“ exposé conjoint partiel des faits ” se lit comme suit :

[TRADUCTION]

1. Le 4 août 1988, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi, à l'égard de l'appelante pour l'année d'imposition 1987, une première cotisation fixant à 66 465 623 $ le revenu provenant d'opérations forestières et à 56 296 310 $ le revenu imposable (la “ première cotisation ”).

2. En calculant l'impôt de la partie I pour la première cotisation, le ministre a correctement fixé à 5 629 631 $ l'abattement d'impôt fédéral en vertu du paragraphe 124(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada (la “ Loi ”), mais il a incorrectement fixé à 4 431 042 $ le crédit pour impôt sur les opérations forestières en vertu du paragraphe 127(1) de la Loi, alors que ce crédit aurait dû être de 3 753 087 $.

3. Le 22 mai 1991, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante fixant à 66 465 623 $ le revenu provenant d'opérations forestières et à 58 322 537 $ le revenu imposable (la “ première nouvelle cotisation ”).

4. En calculant l'impôt de la partie I pour la première nouvelle cotisation, le ministre a incorrectement déterminé que l'abattement d'impôt fédéral et le crédit pour impôt sur les opérations forestières étaient de 5 832 254 $ et de 4 431 042 $ respectivement, alors que les montants auraient dû être de 5 002 455 $ et de 3 888 169 $ respectivement.

5. L'année d'imposition 1987 de l'appelante aurait normalement été frappée de prescription le 4 août 1992.

6. N'était pas réglée à l'époque de l'établissement de la première nouvelle cotisation une question concernant un avantage prétendument conféré à un actionnaire, soit un avantage que l'appelante aurait reçu durant son année d'imposition 1987 d'une corporation liée, la C.B. Pak Inc. (l'“ avantage prétendument conféré à un actionnaire ”).

7. Le 4 juin 1992, l'appelante a déposé une renonciation (la “ renonciation ”) selon le formulaire réglementaire pour l'année d'imposition 1987 conformément à une demande verbale que Revenu Canada avait faite pour que le dossier relatif à l'année d'imposition 1987 reste ouvert concernant l'avantage prétendument conféré à un actionnaire.

8. La renonciation se lit comme suit :

La période normale de nouvelle cotisation prévue au paragraphe 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu pendant laquelle le Ministre peut établir une nouvelle cotisation ou des cotisations supplémentaires ou fixer des impôts, intérêts ou pénalités, en vertu de la Partie I de la Loi est, par la présente, renoncée (sic) pour l’année d’imposition susmentionnée, à l’égard de:

Montant reçu de C.B. Pak Inc. $8,699,449

9. Le 8 décembre 1992, le ministre a établi une autre nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante, fixant à 67 021 986 $ le revenu imposable. Cette augmentation par rapport à la première nouvelle cotisation est attribuable à l'inclusion, dans le revenu de l'appelante, de l'avantage prétendument conféré à un actionnaire (la “ deuxième nouvelle cotisation ”).

10. À la demande expresse de l'appelante, le ministre a, dans la deuxième nouvelle cotisation, modifié le revenu de l'appelante provenant d'opérations forestières, qui est passé de 66 465 623 $ à 71 269 005 $.

11. En calculant l'impôt de la partie I pour la deuxième nouvelle cotisation, le ministre a correctement déterminé que l'abattement d'impôt fédéral et le crédit pour impôt sur les opérations forestières étaient de 5 748 626 $ et de 4 468 132 $ respectivement.

12. L'appelante a déposé un avis d'opposition à la deuxième nouvelle cotisation, en date du 5 mars 1993, et le ministre a admis l'opposition de l'appelante.

13. En admettant l'opposition de l'appelante, le ministre a établi une autre nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante le 29 décembre 1993, fixant à 71 269 005 $ le revenu provenant d'opérations forestières et à 58 322 537 $ le revenu imposable (la “ troisième nouvelle cotisation ”). Cette diminution du revenu imposable par rapport à la deuxième nouvelle cotisation est attribuable à la suppression de l'avantage prétendument conféré à un actionnaire.

14. En calculant l'impôt de la partie I pour la troisième nouvelle cotisation, le ministre a correctement déterminé que l'abattement d'impôt fédéral et le crédit pour impôt sur les opérations forestières étaient de 5 002 455 $ et de 3 888 169 $ respectivement, comme cela aurait dû être dans la première nouvelle cotisation.

15. Par un avis d'opposition en date du 25 mars 1994, l'appelante s'est dûment opposée à la troisième nouvelle cotisation concernant les ajustements faits par le ministre à l'abattement d'impôt fédéral et au crédit pour impôt sur les opérations forestières.

16. Par voie de notification de ratification en date du 28 septembre 1995, le ministre a ratifié la troisième nouvelle cotisation.

17. Par conséquent, l'appelante a interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt pour que la troisième nouvelle cotisation soit modifiée conformément aux conclusions de son avis d'appel en date du 22 décembre 1995.

18. L'annexe A est un résumé de la première cotisation, de la première nouvelle cotisation, de la deuxième nouvelle cotisation et de la troisième nouvelle cotisation2.

[4] M. Pouliot a confirmé que la renonciation qu'il avait signée le 4 juin 1992 avait été établie par Revenu Canada.

[5] M. Pouliot a dit qu'il avait commencé à travailler pour la Consolidated en 1957, mais que la première année d'imposition pour laquelle il avait établi des déclarations de revenus pour la corporation était l'année d'imposition 1987. La personne qui avait été chargée de l'établissement de la déclaration de revenus de la Consolidated était malade et est décédée par la suite. En établissant les déclarations de revenus pour 1987, M. Pouliot ne savait pas que la compagnie avait un revenu d'entreprise provenant du Royaume-Uni. Ainsi, il avait déclaré que tous les revenus avaient été gagnés au Canada.

[6] En contre-interrogatoire, M. Pouliot a affirmé que, lorsqu'il avait examiné la première cotisation, il pensait que tous les montants étaient exacts. Puis, en examinant l'avis de la première nouvelle cotisation, soit l'avis de nouvelle cotisation en date du 22 mai 1991, il s'était rendu compte que la Consolidated avait reçu un avantage en ce que les montants de l'abattement d'impôt fédéral et du crédit pour impôt sur les opérations forestières étaient excessifs.

[7] Plus tôt, soit en octobre 1990, M. Pouliot avait demandé que Revenu Canada accorde au contribuable la déduction pour amortissement maximale et les crédits d'impôt à l'investissement maximaux dans le calcul du revenu de la Consolidated pour 1986 et 1987. Revenu Canada avait accédé à cette demande en établissant la première nouvelle cotisation. Dans l'établissement de la deuxième nouvelle cotisation (8 décembre 1992), Revenu Canada semble avoir augmenté le report rétrospectif du crédit d'impôt à l'investissement pour 1988. Par une lettre à Revenu Canada en date du 2 avril 1993, M. Pouliot avait demandé que la nouvelle cotisation pour 1987 rétablisse au montant indiqué dans la première nouvelle cotisation le montant du report rétrospectif du crédit d'impôt à l'investissement.

[8] À la demande de M. Chalifoux, de Revenu Canada, M. Pouliot avait écrit à M. Chalifoux le 13 août 1992, l'avisant que, par suite des vérifications relatives à la Consolidated que Revenu Canada avait effectuées pour les années 1986, 1987 et 1988, Revenu Québec avait augmenté le montant de l'impôt du Québec sur les opérations forestières de la Consolidated pour ces années-là. Le revenu provenant d'opérations forestières en 1987 était de 71 269 005 $3. En annexe à la lettre figuraient des copies d'avis de cotisation de Revenu Québec4. M. Pouliot avait demandé que l'on fasse un nouveau calcul de l'impôt fédéral pour les années d'imposition 1986, 1987 et 1988 de manière à tenir compte des augmentations d'impôt provincial. L'appelante s'était précédemment opposée à la cotisation provinciale pour son année d'imposition 1987. M. Pouliot a déclaré que, lorsqu'il avait écrit à M. Chalifoux, il était d'avis que l'année d'imposition 1987 était frappée de prescription pour le fisc fédéral, sauf, je présume, concernant le point spécifié dans la renonciation.

[9] M. Hubert DeGroot travaille comme agent des litiges au bureau de district de Revenu Canada à Montréal depuis le 6 juin 1997. Précédemment, il avait travaillé comme vérificateur en Colombie-Britannique, ainsi qu'au bureau de district de Montréal; il avait également travaillé au Bureau principal de Revenu Canada. En tout, il y a 17 ans qu'il travaille pour Revenu Canada. Il a expliqué que, lorsque, le 4 août 1988, la première cotisation avait été établie, Revenu Canada avait également présumé que le revenu imposable total de 56 296 310 $ de la Consolidated provenait d'un établissement stable situé au Canada5. La première nouvelle cotisation corrigeait cette erreur de manière à tenir compte du revenu tiré d'un établissement stable situé au Royaume-Uni. De l'avis de M. DeGroot, seul un vérificateur d'expérience aurait pu constater qu'il existait un établissement stable à l’étranger.

[10] Revenu Canada, a affirmé M. DeGroot, avait considéré la lettre de M. Pouliot en date du 2 avril 1993 comme une demande de réaffectation de crédits d'impôt. M. DeGroot a reconnu qu'il croyait comprendre que le contribuable ne prévoyait pas d'autres nouvelles cotisations.

[11] M. DeGroot a également affirmé que, par suite de la demande de l'appelante en date du 13 août 1992, alors que l'année d'imposition 1987 était frappée de prescription, le ministre avait considéré que le dossier était encore ouvert et avait accédé à la demande. Cependant, a dit M. DeGroot, en raison de la formule prévue dans la loi pour le calcul du crédit pour impôt sur les opérations forestières6, le crédit pour impôt sur les opérations forestières n'avait pas été modifié.

[12] M. DeGroot a expliqué que la première cotisation, en date du 4 août 1988, était une cotisation immédiate qu'on avait établie sans effectuer de vérification. La première nouvelle cotisation (22 mai 1991) contenait des erreurs7. La vérification n'était pas complète. Le vérificateur de Revenu Canada aurait dû remplir un formulaire approprié (formule T99) précisant l'impôt provincial et l'impôt fédéral. Comme la vérification n'était pas complète, Revenu Canada avait demandé à l'appelante un formulaire de renonciation à l'égard d'un avantage que la Consolidated prétendait avoir reçu de la C.B. Pak Inc. Lorsque la deuxième nouvelle cotisation a été établie (8 décembre 1992), tous les calculs étaient exacts. Le vérificateur avait rempli le formulaire approprié. La somme correspondant à l'avantage avait été ajoutée au revenu, et l'abattement d'impôt et le crédit pour impôt sur les opérations forestières avaient été calculés en conséquence. L'appelante a déposé un avis d'opposition à la deuxième nouvelle cotisation.

[13] Lorsque la troisième et dernière nouvelle cotisation a été établie, de manière à admettre l'opposition à la deuxième nouvelle cotisation, le ministre avait supprimé du revenu l'avantage et avait correctement calculé à nouveau l'abattement d'impôt fédéral et les crédits pour impôt sur les opérations forestières8. Le revenu imposable de la Consolidated était le même dans la première nouvelle cotisation et dans la troisième. Le ministre avait calculé à nouveau les montants de l'abattement d'impôt fédéral et du crédit pour impôt sur les opérations forestières en établissant la troisième nouvelle cotisation. Il n'avait pas simplement adopté les montants utilisés dans la première nouvelle cotisation, montants qu'il savait être erronés. Il est indéniable que les calculs du crédit pour impôt sur les opérations forestières et de l'abattement d'impôt fédéral dans la troisième nouvelle cotisation sont exacts.

Thèses des parties

[14] L'appelante a avancé cinq propositions, qui peuvent être résumées comme suit :

i) le ministre n'est pas autorisé à établir une cotisation après la période normale de nouvelle cotisation à moins qu’il ne trouve une disposition législative lui permettant de le faire;

ii) il y a des exceptions à la règle énoncée en i). Par exemple, lorsqu'une renonciation a été déposée ou qu'un contribuable a agi frauduleusement, la Loi autorise le ministre à établir une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation;

iii) il incombe au ministre d'établir la disposition législative l’autorisant à procéder à une nouvelle cotisation;

iv) il incombe au ministre de démontrer qu'un point auquel s’applique une cotisation faisait l’objet d'une renonciation, lorsqu'une renonciation a été déposée;

v) une conduite subséquente ne peut être invoquée que dans la détermination des intentions des parties. Une renonciation ne peut conférer plus de pouvoir que le ministre n'en a en vertu de la loi. Donc, la lettre du 13 août 1992 que M. Pouliot a adressée au ministre ne peut être utilisée pour interpréter la renonciation ou pour ajouter aux pouvoirs du ministre. L'appelante soutient que ni la loi ni la renonciation n'accordaient au ministre le pouvoir de rajuster les chiffres relatifs au crédit pour impôt sur les opérations forestières et à l'abattement d'impôt fédéral dans la cotisation du 29 décembre 1993.

[15] L'avocat de l'appelante soutient que le ministre aurait dû procéder à une nouvelle cotisation en se fondant sur les montants qui avaient été indiqués dans une nouvelle cotisation avant que l'année d'imposition 1987 ne soit frappée de prescription. Autrement dit, de la manière dont je comprends la thèse de l'appelante, la première nouvelle cotisation, en date du 22 mai 1991, devrait en fait être la seule et unique cotisation valide pour 1987. Une fois que le ministre a reconnu que la deuxième nouvelle cotisation n'était pas bonne, il est tenu d'adopter la dernière nouvelle cotisation établie au cours de la période normale de nouvelle cotisation. Le ministre n'a pas le droit d'apporter des modifications non spécifiées dans le formulaire de renonciation.

[16] La thèse de l'intimée est que les erreurs que le ministre a commises en calculant les montants du crédit pour impôt sur les opérations forestières et de l'abattement fédéral découlaient d'une erreur de la part de l'employé de l'appelante, de sorte que le ministre est libre de procéder à une nouvelle cotisation. Le ministre n'allègue toutefois pas qu'il y a eu présentation erronée des faits ou fraude. Il soutient qu'il a le pouvoir de corriger de telles erreurs. Il soutient également que les changements par rapport au montant du crédit pour impôt sur les opérations forestières découlaient de la lettre du 13 août 1992 que M. Pouliot lui avait écrite. Enfin, subsidiairement, le ministre soutient que le nouveau calcul du crédit pour impôt sur les opérations forestières et de l'abattement d'impôt fédéral découlait de changements apportés aux montants des revenus en raison de l'inclusion de l'avantage conféré à un actionnaire; lorsque le ministre a supprimé du revenu l'avantage conféré à un actionnaire et qu'il a procédé à une nouvelle cotisation, il a simplement suivi les dispositions de la Loi en calculant l'impôt dû par l'appelante.

[17] Le sous-alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi prévoit que le ministre peut, à un moment donné, fixer l'impôt pour une année d'imposition ainsi que les intérêts ou pénalités payables par un contribuable et qu'il peut, à un moment donné — si le contribuable produisant la déclaration a adressé au ministre une renonciation, selon le formulaire réglementaire, au cours de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour cette année-là — établir des nouvelles cotisations, des cotisations supplémentaires ou des cotisations d'impôt, d'intérêts ou de pénalités en vertu de la partie I de la Loi, selon les circonstances. En l'absence d'une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire ou en l'absence d'une fraude dans la production d'une déclaration ou le dépôt d'une renonciation, le ministre peut procéder à une nouvelle cotisation uniquement au cours de la “ période normale de nouvelle cotisation ”. Le paragraphe 152(3.1)9 définit l'expression “ période normale de nouvelle cotisation ”; la période normale de nouvelle cotisation applicable à la Consolidated pour son année d'imposition 1987 s'étend sur quatre ans suivant le jour de mise à la poste d'un avis de première cotisation en vertu de la partie I de la Loi concernant un contribuable pour l'année. La période normale de nouvelle cotisation applicable à l'appelante pour son année d'imposition 1987 se terminait le 3 août 1992.

[18] Le paragraphe 152(4) est précis : à moins qu'une renonciation n’ait été déposée, le ministre ne peut procéder à une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation10. Même si l'employé de l'appelante s'est trompé en établissant la déclaration de revenus pour 1987, le ministre ne peut procéder à une nouvelle cotisation après quatre années suivant la date de mise à la poste de l'avis de première cotisation s'il n'y a eu aucune renonciation, présentation erronée des faits ou fraude. Toutefois, ce que le ministre a fait en établissant la troisième nouvelle cotisation, ce n'est pas simplement corriger une erreur.

[19] En outre, je ne conviens pas avec l'avocat de l'intimée que les changements apportés au crédit pour impôt sur les opérations forestières résultaient de la lettre de M. Pouliot en date du 13 août 1992. On ne saurait dire que la lettre est un formulaire de renonciation ou une renonciation; il ne s'agissait pas non plus d'une clarification ou modification de l'intention des parties lorsque la renonciation en question a initialement été signée11.

[20] Le sous-alinéa 152(4)a)(ii) exige le dépôt d'une renonciation, selon le formulaire réglementaire, au cours de la période normale de nouvelle cotisation et il ne permet pas, en l'absence d'une renonciation appropriée déposée dans le délai réglementaire, l'établissement d'une nouvelle cotisation à un moment donné selon les caprices du contribuable. La lettre de M. Pouliot n'était pas un formulaire de renonciation réglementaire et elle porte une date postérieure à l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable. La lettre ne peut donc avoir eu l'effet d'une renonciation au délai prévu par la loi pour l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard du revenu de l'appelante provenant d'opérations forestières : The Queen v. Marconi, 91 DTC 5626 (C.A.F.), le juge Mahoney.

[21] De plus, la lettre de M. Pouliot ne clarifie pas simplement l'intention initiale de l'appelante concernant la portée de la nouvelle cotisation en vertu de la renonciation. Par suite d'une cotisation de Revenu Québec, il y avait de nouvelles circonstances concernant les revenus de l'appelante provenant d'opérations forestières et les impôts sur les opérations forestières. On ne m'a présenté aucun élément de preuve indiquant que, à l'époque où M. Pouliot a signé la renonciation pour l'appelante, cette dernière était au courant de ces circonstances. La lettre ne peut être considérée comme représentant un changement dans les intentions initiales des parties concernant la portée du pouvoir de procéder à une nouvelle cotisation en vertu de la renonciation. L’admission d’un tel argument permettrait aux parties d'obtenir indirectement ce que la loi n'autorise pas directement, soit la renonciation au délai prévu par la loi pour l'établissement d'une nouvelle cotisation après l'expiration de la période réglementaire impartie pour le dépôt d'une renonciation. Un tel résultat irait à l'encontre du jugement rendu par la Cour d'appel dans l'affaire Marconi, précitée.

[22] L'avocat de l'appelante a soutenu que le ministre pouvait établir une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation uniquement à l'égard d'un point expressément énoncé dans la renonciation. S'il y a une ambiguïté dans la renonciation, toute formulation de celle-ci doit être interprétée à l'encontre du ministre : Stanley J. Solberg v. The Queen, [1992] 2 C.T.C. 208 (C.F., 1re inst.), à la page 212. Le formulaire de renonciation est établi par le ministère du Revenu national.

[23] S'il y a un doute en ce qui concerne l'interprétation de la renonciation, l'approche appropriée à ce sujet, a déclaré l'avocat, consiste à chercher à déterminer l'intention des parties telle qu'elle est exprimée dans ce document, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes à l'égard desquelles des éléments de preuve sont disponibles : affaire Solberg, précitée, page 213.

[24] L'avocat de l'appelante a soutenu que les inclusions des montants exacts du crédit pour impôt sur les opérations forestières et de l'abattement d'impôt fédéral, dans le calcul de l'impôt de l'appelante pour 1987, n'étaient pas des inclusions “ quant à ” l'avantage conféré à un actionnaire dont il est expressément question dans le formulaire de renonciation et que, par conséquent, aucune cotisation pour 1987 incluant les montants corrigés ne peut être établie à l'égard de l'appelante après la période normale de nouvelle cotisation.

[25] L'avocat de l'intimée a renvoyé aux motifs de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nowegijick v. The Queen, 83 DTC 5041, dans lequel le juge Dickson (titre qu'il portait alors) affirmait, à la page 5045 :

À mon avis, les mots “quant à” ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, “concernant”, “relativement à” ou “par rapport à”. Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression “quant à” qui est la plus large.

[26] De l'avis de l'intimée, les calculs de l'abattement d'impôt fédéral et du crédit pour impôt sur les opérations forestières étaient des calculs “ quant à ” ou “ concernant ” l'inclusion, lors du calcul du revenu, de l'avantage conféré à un actionnaire, dans la deuxième nouvelle cotisation; lorsque l'avantage conféré à un actionnaire a été supprimé du revenu dans la troisième nouvelle cotisation, le ministre a donc été obligé de calculer à nouveau l'abattement d'impôt fédéral et le crédit pour impôt sur les opérations forestières.

[27] Les mots “ à l'égard de ” utilisés dans la renonciation signée par l'appelante ne devraient pas être considérés comme limitant la nouvelle cotisation à un nouveau calcul de l'avantage conféré à un actionnaire, à l'exclusion de tous les autres calculs, ce qui donnerait un résultat absurde, à savoir que, ayant établi une nouvelle cotisation pour inclure ou exclure le montant correspondant à l'avantage conféré à un actionnaire, le ministre ne pourrait rajuster en conséquence le revenu imposable, l'impôt à payer et d'autres montants nécessairement liés. Une interprétation trop étroite des termes “ à l'égard de ” rendrait le processus de nouvelle cotisation futile, soit un résultat qui ne peut avoir été désiré par les parties, vu la signature même de la renonciation, et qui irait à l'encontre de l'objet même d'une nouvelle cotisation12. D'autre part, on ne peut dire non plus que l'intention était d'accorder au ministre le pouvoir illimité de procéder à une nouvelle cotisation — une interprétation trop large des termes “ à l'égard de ” ou de termes équivalents rendrait également futile la spécification d'un élément dans une renonciation.

[28] Sous réserve d'éléments de preuve faisant état d'une intention contraire, les termes “ à l'égard de ” figurant dans le formulaire de renonciation limitent la portée de la nouvelle cotisation possible aux points suivants : (i) l'élément spécifié; (ii) les éléments dont le calcul découle nécessairement d'un nouveau calcul de l'élément spécifié dans la renonciation ou les éléments qui ont un rapport immédiat avec ce nouveau calcul.

Analyse

[29] L'appelante avait déposé un formulaire de renonciation pour son année d'imposition 1987 le 4 juin 1992. En vertu de la renonciation signée par l'appelante, le ministre du Revenu national a établi à l'égard de l'appelante une nouvelle cotisation (la deuxième nouvelle cotisation) le 8 décembre 1992. Il n'y a pas de différend entre les parties quant au fait que, par suite de la renonciation, le ministre avait le droit d'établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante. L'appelante n'était pas satisfaite de la deuxième nouvelle cotisation et avait, en vertu du paragraphe 165(1) de la Loi, déposé un avis d'opposition à la deuxième nouvelle cotisation.

[30] En vertu du paragraphe 165(3), le ministre doit, dès réception d'un avis d'opposition, examiner de nouveau la cotisation et annuler, ratifier ou modifier cette dernière ou établir une nouvelle cotisation et en aviser le contribuable par écrit. En l'espèce, le ministre a reçu l'avis d'opposition de l'appelante, a réexaminé la cotisation, supprimant du revenu les 8 699 449 $ correspondant à l'avantage prétendument conféré à un actionnaire, puis a établi à l'égard de l'appelante une nouvelle cotisation en conséquence.

[31] La section E de la partie I de la Loi énonce les règles régissant le calcul de l'impôt par les contribuables. L'impôt est calculé sur le revenu imposable d'un contribuable. La sous-section b de la section E de la partie I, qui s'intitule “ Règles applicables aux corporations ” et qui inclut les articles 123 à 125.4, fait état des taux d'imposition afférents aux corporations.

[32] L'abattement d'impôt fédéral est prévu à l'article 124 de la Loi. Le paragraphe 124(1) énonce qu'il peut être déduit de l'impôt par ailleurs payable par une corporation pour une année d'imposition une somme égale à 10 p. 100 du revenu imposable de la corporation gagné dans l'année dans une province.

[33] La sous-section c de la section E renferme les règles permettant à tous les contribuables de déduire — de l'impôt payable — certaines sommes au titre d'impôts payés au gouvernement d'un autre pays (article 126) et au titre d'impôts sur les opérations forestières payés au gouvernement d'une province (article 127).

[34] Les articles 124 et 127 permettent de déduire des sommes non pas du revenu d'un contribuable, mais de l'impôt payable par ailleurs au fisc fédéral en vertu de la partie I de la Loi. Il s'agit d'une application mécanique du calcul de l'impôt après détermination du revenu imposable du contribuable. C'est ce que le ministre a fait après avoir conclu que l'avantage conféré à un actionnaire ne devait pas être inclus dans le revenu. Il a supprimé le montant du revenu, du revenu calculé et du revenu imposable, puis a calculé l'impôt devant être fixé. Le pouvoir du ministre d'établir la troisième nouvelle cotisation provenait non pas de la renonciation, mais du paragraphe 165(3), ce qui ne veut pas dire que, en établissant la troisième nouvelle cotisation, le ministre aurait pu inclure dans le revenu de l'appelante ou dans son revenu imposable toute somme qui n'avait pas été incluse dans son revenu ou son revenu imposable pour 1987 avant la période normale de nouvelle cotisation. Une telle nouvelle cotisation n'aurait pas été établie en conformité avec le paragraphe 165(3).

[35] En examinant la deuxième nouvelle cotisation, le ministre avait le pouvoir d'annuler la nouvelle cotisation. S'il l'avait fait, le résultat aurait correspondu à ce que désirait la contribuable, soit la renaissance de la première nouvelle cotisation, en date du 22 mai 1991. Ce n'est toutefois pas ce que le ministre a fait, et il n'y a rien qui l'obligeait à le faire13. La cotisation dont je suis saisi est la troisième nouvelle cotisation, qui, à mon avis, est une cotisation valide. Aucun élément de preuve n'indique que le ministre n'a pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire dans la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelante le 29 décembre 1993. L'appel est rejeté, avec adjudication de dépens à l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 1998.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de juin 1998.

Isabelle Chénard, réviseure

ANNEXE A

RÉSUMÉ DE COTISATIONS

Première

cotisation

1re nouvelle

cotisation

2e nouvelle

cotisation

3e nouvelle

cotisation

Dates de cotisation

4 août 88

22 mai 91

8 déc. 92

29 déc. 93

Revenu imposable

56 296 310 $

58 322 537 $

67 021 986 $

58 322 537 $

Impôt de base

25 612 507 $

26 534 358 $

30 492 248 $

26 534 358 $

Abattement fédéral

5 629 631 $

5 832 254 $

5 748 626 $

5 002 455 $

Déduction — F & T

3 539 917 $

2 713 142 $

2 713 142 $

2 716 729 $

Crédit pour impôt sur les opérations forestières

4 431 042 $

4 431 042 $

4 468 132 $

3 888 169 $

Crédit d'impôt pour contributions politiques

500 $

500 $

500 $

500 $

Surtaxe

360 357 $

381 844 $

498 263 $

422 916 $

Impôt payable selon la partie I avant le crédit d'impôt à l'investissement demandé par l'appelante

12 371 774 $

13 939 264 $

18 060 111 $

15 349 421 $

Crédit d'impôt à l'investissement

4 927 093 $

7 299 196 $

11 157 022 $

7 310 196 $

Impôt payable selon la partie I

7 444 681 $

6 640 067 $

6 903 089 $

8 039 224 $

CE QUI AURAIT DÛ ÊTRE ADMIS

· Abattement fédéral

Revenu imposable

56 296 310 $

58 322 537 $

67 021 986 $

58 322 537 $

Revenu provincial

56 296 310 $

50 024 549 $

57 486 262 $

50 024 549 $

Abattement

5 629 631 $

5 002 455 $

5 748 626 $

5 002 455 $

· Crédit pour impôt sur les opérations forestières

a) Revenu d'opérations forestières

66 465 623 $

66 465 623 $

71 269 005 $

71 269 005 $

b) Impôt sur les opérations forestières

6 646 562 $

6 646 562 $

7 126 900 $

7 126 900 $

c) Revenu imposable

56 296 310 $

58 322 537 $

67 021 986 $

58 322 537 $

Le moindre des montants suivants :

6 2/3 % de a)

4 431 042 $

4 431 042 $

4 751 267 $

4 751 267 $

2/3 de b)

4 431 042 $

4 431 042 $

4 751 267 $

4 751 267 $

6 2/3 % de c)

3 753 087 $

3 888 169 $

4 468 132 $

3 888 169 $



1                La Stone Container (Canada) Inc., qui s'appelait auparavant Stone - Consolidated Inc., est une corporation issue d'une fusion, et la nouvelle cotisation en cause a été établie relativement à la corporation remplacée, soit la Consolidated - Bathurst Inc. (la “ Consolidated ”).

2                L'annexe A de l'“ exposé conjoint partiel des faits ” est reproduite à l'annexe A des présents motifs.

3                Voir le paragraphe 10 de l'“ exposé conjoint partiel des faits ”.

4                Il n'y avait pas de copies d'avis de cotisation en annexe à la copie de la lettre déposée en preuve, et j'ai donc devant moi un document incomplet.

5                Voir le paragraphe 4 de l'“ exposé conjoint partiel des faits ”.

6                Paragraphe 127(1) de la Loi. Voir aussi le paragraphe 4 de l'“ exposé conjoint partiel des faits ”.

7                Voir le paragraphe 11 de l'“ exposé conjoint partiel des faits ”.

8                Voir les paragraphes 13 et 14 de l'“ exposé conjoint partiel des faits ”.

9                Le paragraphe 152(3.1) est réputé être entré en vigueur le 27 avril 1989 : L.C. 1990, chap. 39, par. 38(1) (modifié par 1991, chap. 49, art. 256).

10              Comme il n'est pas question en l'espèce d'une fraude ou d'une présentation erronée des faits, je traiterai uniquement du dépôt de la renonciation en tant qu'exception par rapport au droit du ministre de procéder à une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation.

11              Le paragraphe 152(4.2) de la Loi, qui permet au ministre, malgré les paragraphes 152(4), (4.1) et (5), d'établir de nouvelles cotisations à certaines fins sur demande d'un “ particulier ”, ne peut être invoqué, car l'appelante est une corporation, et une corporation est, en vertu du paragraphe 248(1), expressément exclue de la définition de “ particulier ”.

12              Une cotisation est un résumé de tous les facteurs correspondant à l'obligation fiscale; c'est la fixation du total après que tous les calculs nécessaires ont été effectués : Pure Spring Co. v. M.N.R., [1946] CTC 169, à la page 198, président Thorson.

13              Si je devais annuler cette troisième nouvelle cotisation, la deuxième nouvelle cotisation serait applicable, ce qui ne semble pas correspondre à un résultat souhaité par l'appelante ou par l'intimée.

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