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Date: 19970123

Dossier: 95-1612-UI

ENTRE :

WILLIAM ROBERT STANLEY,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] Le présent appel porte sur le règlement du ministre, selon lequel l’appelant n’avait pas de rémunération à l’égard de laquelle il devait verser des cotisations d’assurance-chômage, pendant la période où il vendait des produits à Carr’s Lobster Pound Ltd. (l’acheteur), soit du 28 mai au 29 octobre 1990 et du 3 au 31 août 1991, au sens de la Loi sur l’assurance-chômage(la Loi) et conformément au Règlement sur l’assurance-chômage, partie V,Règlement à l’intention des pêcheurs(le Règlement à l’intention des pêcheurs).

[2] James Russell Gallant a témoigné qu’il connaissait l’appelant et qu’il l’avait aidé à transporter des huîtres, des palourdes américaines et des moules. “ Je l’ai aidé à les apporter de son domicile à sa voiture et à les y placer ”, a déclaré M. Gallant, qui a apporté son aide trois ou quatre fois à l’automne de 1990-1991.

[3] Les produits se trouvaient dans des boîtes de quatre quarts comportant des poignées. Ces boîtes étaient lourdes. Cependant, le témoin pouvait les transporter lui-même. Il a chargé cinq ou six boîtes d’huîtres. Il se rendait à West River et les ramassait pour l’appelant. Il a dit avoir également ramassé des palourdes américaines, puis il a déclaré qu’il n’en était pas certain.

[4] Il a également mentionné Governor’s Island et a affirmé qu’il était allé à Nine Mile Creek afin de charger des huîtres dans sa familiale. Il accompagnait l’appelant chez Carr’s Lobster Pound, à Stanley Bridge. C’était en 1989, 1990, 1991 ou peut-être en 1992. Il y a apporté les produits pour les vendre, mais le témoin n’a assisté à aucune remise d’argent. Le témoin a aidé l’appelant à décharger le produit, puis les employés de Carr’s Lobster Pound ont déversé les huîtres dans l’étang. Il n’a jamais été question de la transaction et l’appelant n’a pas indiqué combien il avait reçu pour ses huîtres. M. Gallant n’a vu aucun document. Cependant, il a vu “ Billy sortir avec un bordereau ”.

[5] En contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il n’avait jamais pêché avec l’appelant ni ramassé de myes avec lui. Il ne savait pas si l’appelant en ramassait.

[6] Florian Bryan a témoigné qu’il travaillait auparavant à Pêches et Océans Canada comme agent chargé de l’application des règlements, comme agent sur le terrain et comme coordonnateur de la statistique. Il avait rencontré l’appelant et l’avait soumis à des vérifications environ deux fois l’an depuis les années 1970. Il l’avait également vu travailler comme membre d’équipage d’un homardier, ramasser des palourdes sur les battures et participer à la pêche de mactres d’Amérique à proximité de Governor’s Island.

[7] L’appelant avait toujours possédé un permis valide pour la pêche du homard au printemps. M. Bryan n’a jamais constaté d’illégalités de sa part.

[8] Il a affirmé que tous les “ acheteurs ” doivent fournir un rapport véridique au ministère des Pêches et Océans (MPO). Ils reçoivent des “ carnets de bordereaux d’achat ” du MPO. Carr’s Lobster Pound s’en servait sur une base régulière.

[9] La pièce A-1 a été déposée en preuve sur consentement des parties. Il s’agissait de 17 pages non numérotées de documents décrits comme “ des genres de bordereaux d’achat de poissons fournis aux acheteurs par le MPO ”. En règle générale, on y inscrivait le nom du pêcheur et de l’acheteur, la date de mise à terre du poisson, la quantité et le genre de produit, le prix net ainsi que la valeur totale du produit.

[10] On a mentionné au témoin le bordereau C216203. Il a affirmé que ce document était inhabituel, car il s’agissait d’un bordereau de pêche se rapportant à des homards vendus par l’appelant, alors que ce dernier ne détenait pas de permis de vente de homard. Ce genre de bordereau pourrait être rempli par le préposé au pesage ou par le bureau. La copie blanche est remise au pêcheur, la deuxième copie va à l’usine de transformation pour le MPO et les copies 3 et 4 sont destinées à l’acheteur. Les copies jaunes déposées en preuve sont normalement remises au MPO.

[11] Le témoin a affirmé que le bordereau C216183 établissait que le nom du pêcheur qui est indiqué est celui de l’appelant mais que celui-ci n’avait pas de homardier. Il a mentionné trois autres bordereaux faisant partie de la pièce A-1, qui contiennent le nom de l’appelant en tant que vendeur à Carr’s Lobster Pound. Il a ajouté que les bordereaux avaient été bien remplis. Il s’agissait de bordereaux établis pour la vente de palourdes américaines.

[12] En contre-interrogatoire, il a prétendu qu’il ne tenait pas de statistiques sur chacun des pêcheurs. Le MPO se fiait à l’acheteur pour l’inscription des données correctes sur les “ bordereaux de mise à terre ”. Le témoin a reconnu que le MPO ne vérifie pas chaque bordereau. Cependant, le MPO rencontre chaque année les acheteurs et leur indique que si un bordereau renferme une erreur, il devrait être annulé, puis renvoyé au ministère.

[13] Il ne pouvait pas affirmer que les bordereaux de la pièce A-1 étaient les bordereaux établis pour l’appelant. Il ne pouvait pas garantir l’exactitude du contenu des bordereaux ni dire qui les avait remplis.

[14] En réinterrogatoire, il a soutenu qu’il n’avait aucun motif de ne pas se fier aux renseignements contenus dans les bordereaux.

[15] Christine Paynter a fait la tenue de livre de Carr’s Lobster Pound au cours de la période pertinente. Elle était en contact quotidien avec les fournisseurs de poisson et avait accès aux livres de la compagnie.

[16] Elle a affirmé qu’un certain M. Lou Stevenson s’était présenté à son bureau en juillet ou en août pour obtenir les livres de la compagnie et qu’elle avait par la suite appris qu’une enquête était en cours.

[17] Elle a décrit le déroulement d’une transaction type chez Carr’s Lobster Pound. Les huîtres étaient livrées dans des boîtes, étiquetées à des fins d’identification, puis mises dans des caisses. On lui remettait la carte d’identification des caisses et un chèque était émis en paiement du produit. Elle n’exerçait pas de contrôle sur les paiements en argent comptant.

[18] Elle a indiqué que M. Stevenson l’avait menacée d’une peine d’emprisonnement et qu’il avait refusé de répondre à ses questions.

[19] Il existait des relevés concernant l’appelant. Cependant, elle ne pouvait pas l’identifier en cour. Elle a affirmé que M. Stevenson acceptait uniquement des chèques oblitérés comme preuve de paiement aux pêcheurs. Il avait soutenu que les relevés d’emploi (RE) émis aux pêcheurs étaient incorrects. Elle les avait modifiés pour donner satisfaction à M. Stevenson.

[20] Elle a dit savoir que les pêcheurs avaient reçu de l’argent comptant. Trente pour cent des achats étaient payés comptant, tandis que les soixante-dix pour cent restants étaient payés par chèque.

[21] Elle n’était pas prête à affirmer que les RE originaux délivrés étaient incorrects. Elle a affirmé que les modifications apportées étaient mineures. Elle croyait que les relevés ne posaient pas de problèmes. M. Stevenson exerçait des pressions sur elle. Sa déclaration écrite a été acceptée en preuve sous la cote R-2.

[22] Ce document renfermait des déclarations selon lesquelles les RE délivrés ne correspondaient pas totalement aux montants des chèques et aux dates de livraison. De plus, la déclaration indiquait que le pêcheur pouvait se présenter et demander que l’on garde le produit jusqu’à ce qu’il ait accumulé assez de semaines d’emploi assurable. Ils ont insisté pour qu’elle garde le produit et elle l’a fait, car si elle ne le faisait pas, le produit serait vendu à d’autres acheteurs.

[23] L’avocat de l’appelant a demandé d’avoir le droit de contre-interroger son propre témoin en faisant valoir que celle-ci avait fait une déclaration écrite incompatible avec les propos qu’elle avait tenus en cour. La Cour a rejeté la requête parce qu’elle n’était pas convaincue que l’avocat de l’appelant avait bien fait son travail préliminaire.

[24] L’avocat de l’appelant a présenté une requête visant à obtenir un procès nul. La requête a été rejetée pour le motif qu’elle n’était pas fondée.

[25] Le témoin a affirmé : “ Je dirais que les premiers RE délivrés étaient exacts. ”

[26] En contre-interrogatoire, le témoin a prétendu qu’elle ne tenait pas de journal de caisse. Son père s’occupait de tous les paiements en argent comptant et ceux-ci n’étaient consignés nulle part.

[27] Elle ne pouvait pas dire si des chèques avaient été émis à l’appelant en 1990. Elle a reconnu la pièce R-1, un bordereau de mise à terre du poisson au nom de M. Lloyd MacDougall, selon lequel 640 $ avaient été attribués à l’appelant le 5 juin 1990. Elle affirme avoir cru le capitaine (Lloyd MacDougall) sur cette question.

[28] Elle a déclaré que les bordereaux du MPO avaient été bien remplis. Cependant, elle a admis avoir déclaré le contraire. Elle a reconnu sa déclaration solennelle du 29 novembre, qui n’a pas été faite devant M. Stevenson.

[29] Elle a admis que les renseignements contenus dans certains des bordereaux du MPO étaient faux.

[30] Elle ne se souvenait pas d’avoir déclaré que M. Stanley n’avait pas livré de produits en 1991 et qu’il n’avait pas touché de rémunération assurable. Elle a ensuite soutenu que c’était faux et qu’elle avait dit cela seulement parce que c’est ce que M. Stevenson voulait. Elle a reconnu que les bordereaux du MPO ainsi que certains RE étaient remplis de façon à refléter ce que les pêcheurs voulaient.

[31] En réinterrogatoire, elle a dit qu’elle croyait que les relevés de M. Stanley étaient “ assez explicites ”.

[32] L’appelant a témoigné qu’il est maintenant un pêcheur à la retraite. Il a affirmé : “ Je pêchais et je vendais le produit de ma pêche. ” Vers la fin des années 1970, il a commencé à vendre du homard, des huîtres, des palourdes américaines et des mactres d’Amérique. Au cours de cette période, il a pêché à Hillsborough, Mount Stewart, Nine Mile Creek et Pamel. Il avait besoin de dix semaines d’emploi assurable. Il vendait le produit de sa pêche à Carr’s Lobster Pound.

[33] Quelqu’un l’aidait à sortir le produit de la pêche du porche arrière. Russell Gallant en a transporté une partie chez Carr’s Lobster Pound. Il l’a entré. Il était payé si quelqu’un se trouvait sur place. Sinon, il était payé la semaine suivante.

[34] Il a dit qu’il pêchait seul les huîtres et les palourdes d’Amérique et qu’il pêchait le homard avec Lloyd MacDougall.

[35] En 1990 et en 1991, il a procédé à huit livraisons chez Carr’s Lobster Pound. Il avait accumulé 13 ou 14 semaines d’emploi assurable en 1990. Il ne se souvient pas combien il en avait accumulé en 1991. Il croit qu’il en avait quelques-unes de plus. Il a vérifié ses bordereaux à la maison.

[36] Il connaissait bien les bordereaux de mise à terre du poisson qui faisaient partie de la pièce A-1. Ils représentaient des livraisons qu’il avait faites en 1990 et en 1991. Quatre avaient été effectuées en 1991 et le reste en 1990.

[37] En ce qui concerne le bordereau J216207, de la pièce A-1, il a soutenu avoir reçu les 734,20 $ en argent comptant. Il a ensuite affirmé avoir reçu des montants égaux en argent comptant et par chèque.

[38] Pour ce qui est du bordereau J216059, il a dit :

[TRADUCTION]

Je crois me rappeler que j’ai reçu 649,60 $ en argent comptant.

Il a reçu en argent comptant la somme de 620,55 $ qui figure sur le bordereau J216209, ainsi que la somme de 674,47 $ mentionnée sur le bordereau J216060.

[39] On lui a mentionné le bordereau T149356, où les mots “ 43 paquets d’huîtres ” ont été rayés et remplacés par la mention “ 645 livres ”. Il ne savait pas qui avait apporté les changements. Il a affirmé :

[TRADUCTION]

Pour autant que je me souvienne, cette mention avait déjà été rayée quand j’ai obtenu le bordereau.

Il ne savait pas pourquoi les mots “ cueillis à la main ” y figuraient.

[40] En ce qui concerne le bordereau T198401, qui montre des paiements de 637,50 $, il a dit qu’il s’était fait payer par chèque les huîtres livrées. Ce renseignement figurait cependant sur un bordereau de livraison de homards. De même, il a dit avoir reçu un chèque de 660 $ comme il est indiqué sur le bordereau T198403, daté du 15 septembre 1990, pour une livraison d’huîtres.

[41] On lui a mentionné le bordereau T198402, censé représenter un paiement de 645 $ pour des huîtres livrées le 8 septembre 1990, qui renvoyait au même chèque no 9593 du bordereau T198403, daté du 15 septembre 1990. Il a expliqué qu’il avait reçu un seul chèque en paiement de trois commandes.

[42] Pour ce qui est du bordereau T149269, qui comportait des modifications apportées à l’encre rouge, l’appelant ne pouvait pas expliquer ces changements. Il a ensuite affirmé ne pas avoir livré de palourdes américaines à ce moment-là et avoir reçu les 643 $ en argent comptant.

[43] L’appelant ne pouvait pas expliquer les changements effectués à l’encre verte sur les bordereaux. Il a affirmé que les bordereaux lui avaient été envoyés par le MPO et que les données avaient déjà été effacées au correcteur liquide.

[44] On lui a mentionné le bordereau T149825. Il a affirmé ne pas pouvoir dire à quoi le paiement se rapportait. Cependant, il a ajouté : “ Je dirais des huîtres. ” Il n’avait pas rayé les chiffres et il avait reçu 644 $ en argent comptant.

[45] En ce qui touche le bordereau T198463, il ne pouvait pas expliquer les changements apportés aux chiffres et les renseignements qui s’y trouvaient. Il a dit que les 640 $ reçus de Lloyd MacDougall fils représentaient sa part du produit mentionné dans le bordereau T149915.

[46] Le bordereau C216239 était un bordereau établi par MacCormock’s Seafood pour un montant de 325 $ et le bordereau C216156 était un bordereau établi par le même payeur relativement à une livraison de 248 livres de homard. Ce dernier bordereau n’indiquait pas de valeur en argent. L’appelant ne pouvait pas expliquer les renseignements inscrits à l’encre verte. Il a prétendu que le bordereau avait été rempli différemment.

[47] La valeur en argent des homards ne figurait pas sur le bordereau C216183. Toutefois, l’appelant a affirmé que la copie blanche qu’il possédait indiquait la valeur du produit livré.

[48] Au sujet du bordereau C216203, encore une fois, il ne pouvait pas expliquer les inscriptions à l’encre verte et aucune valeur en argent n’était attribuée au produit.

[49] L’appelant a affirmé qu’il n’avait exercé de pression sur personne pour obtenir des semaines d’emploi assurable. Il s’était présenté chez Carr’s pour obtenir un bon prix et il y avait apporté les homards.

[50] Il ne comprenait pas cette remise en question. Il ne s’est jamais fait poser de questions en 1989 ou au cours des années précédentes. On lui demande maintenant de rembourser 48 000 $.

[51] Il n’avait pas fait affaire avec Carr’s Lobster Pound avant les périodes visées, mais il n’avait rien fait de différent auparavant. Il a été interrogé par Lou Stevenson en 1993 et en 1994. Il s’est présenté à son bureau en croyant qu’il s’agissait d’un travail. Il n’a rien signé. Il ne pensait pas avoir fait quelque chose de mal.

[52] En contre-interrogatoire, il a affirmé avoir conservé ses bordereaux de mise à terre du poisson, à savoir les copies blanches. Il ne savait pas qui les avait, lui ou son avocat. Il les avait vus quelques jours ou quelques semaines auparavant. Il pensait que les bordereaux de la pièce A-1 étaient des copies de tous les bordereaux qu’il avait reçus en 1990 et en 1991. Il a prétendu qu’il avait été rétribué moitié en argent comptant et moitié par chèque.

[53] On lui a mentionné qu’il avait reçu seulement un chèque en 1994. Il a dit ne pas s’en souvenir. On lui a montré la pièce R-3, qu’il a reconnue. Cette pièce a été admise en preuve malgré l’objection de l’avocat de l’appelant, qui a été jugée non valable.

[54] L’appelant a affirmé que la compagnie a encaissé ce chèque de 1 942,50 $ pour lui. Il a prétendu que c’était en fin de journée, un samedi de 1990, et que la banque était fermée. Le chèque a également été endossé par Christine Paynter. On a fait remarquer à l’appelant que le 18 septembre 1990 était un lundi. Il a dit : “ Je pense que c’était ça. ” Puis il a ajouté : “ Je ne me rappelle pas. Mais je me souviens d’avoir été payé. ”

[55] On a montré à l’appelant la pièce R-1, qui est censée être le bordereau T149907 produit par le MPO. Ce bordereau fait partie de la pièce A-1 et révèle que l’appelant a reçu 640 $ et que Russell Gallant a reçu 640 $. Ni l’un ni l’autre n’a reçu une partie du paiement en argent comptant. Le témoin a prétendu qu’il ne savait pas quel pourcentage il avait reçu.

[56] On lui a mentionné que Russell Gallant avait dit qu’il n’avait jamais pêché avec l’appelant. Ce dernier a affirmé que M. Gallant s’était trompé et qu’il voulait dire qu’il n’avait jamais pêché de palourdes américaines et de myes avec lui.

[57] On lui a montré le bordereau T149915, qui est censé lui allouer le même montant de 640 $. Il a affirmé que les 640 $ représentaient son pourcentage. On lui a souligné que la quantité de produit était différente sur les deux bordereaux bien que le montant alloué fut le même. On lui a demandé si les 640 $ représentaient le montant nécessaire pour obtenir le nombre maximal de semaines d’emploi assurable. Il a affirmé qu’il ne le savait pas, mais il a soutenu qu’il avait droit à une semaine d’emploi assurable pour chaque semaine pour laquelle il recevait un bordereau. C’était également le cas en 1991.

[58] Il a affirmé : [TRADUCTION] “ J’ai mes propres dossiers à la maison, pas ici. Je me fie au dossier que j’ai ici (pièce A-1). Je crois que j’ai reçu un autre chèque. Je ne sais pas si c’était en 1990 ou en 1991. ”

[59] Il n’avait pas en sa possession la lettre de Lou Stevenson, mais celui-ci lui demandait de se présenter à une entrevue. C’était en avril 1993 ou 1994.

Argumentation de l’appelant

[60] L’avocat a fait valoir que l’appelant avait agi “ dans les règles ”. Tout le processus l’a bouleversé.

[61] Il n’y a pas eu d’enquête avant 1993 ou 1994. Le Ministère est retourné rétroactivement aux périodes en question. Cette démarche était “ injuste ” et “ malveillante ”. C’était injuste pour les pêcheurs. M. Stanley a produit des reçus. Ceux-ci n’ont pas été remis en question. Ils doivent être acceptés et ils sont explicites.

[62] Ce serait pure spéculation, de la part de la Cour, que de conclure qu’ils n’étaient pas pertinents.

[63] En 1990 et en 1991, l’appelant a agi de la même façon que les autres années. Les problèmes de Carr’s Lobster Pound ne sont pas ceux de l’appelant. Il n’a exercé de pressions sur personne.

[64] L’appel devrait être accueilli et le règlement du ministre devrait être infirmé.

Argumentation de l’intimé

[65] L’avocat de l’intimé a soutenu que le ministre n’a pas modifié les règles au cours des années en question. L’emploi, s’il est en litige, doit être “ rétroactif ”.

[66] Une enquête a commencé en 1993. Elle portait sur des années antérieures. Cela n’avait rien d’inhabituel.

[67] Carr’s Lobster Pound éprouvait des problèmes. Les livres et registres qu’elle tenait étaient inappropriés. Cependant, les pêcheurs devraient tenir leurs propres registres. Un pêcheur n’est pas un employé. L’appelant aurait dû tenir ses registres et les apporter ici aujourd’hui. Cependant, il affirme qu’ils sont à la maison.

[68] Lors de son témoignage, l’appelant ne pouvait pas dire s’il avait tous ses bordereaux. Il a affirmé qu’il avait accumulé beaucoup plus de semaines d’emploi assurable qu’il ne lui en fallait en 1990 et en 1991, et ce ne sont pas les semaines pour lesquelles il a demandé des prestations.

[69] Les hypothèses contenues dans la réponse n’ont pas été réfutées. L’appelant avait l’obligation d’établir à quel moment il avait réalisé ses ventes, quels étaient ses clients et quelle était la valeur des ventes.

[70] Christine Paynter a affirmé que certains pêcheurs “ épargnent ” leurs semaines et demandent une semaine d’emploi assurable.

[71] Les livres et les registres sont importants. Carr’s Lobster Pound ne gardait pas de registres de l’argent versé comptant. Le témoignage de Christine Paynter était inacceptable. Il contredisait ses déclarations, qui, elles, appuyaient la thèse du ministre, selon laquelle les bordereaux du MPO n’étaient pas fiables.

[72] Christine Paynter a affirmé qu’elle avait agi sous la contrainte. Elle n’en a pas moins communiqué avec un avocat le jour où M. Stevenson l’a contactée pour la première fois. En outre, son père, le propriétaire du payeur, lui a dit de collaborer avec l’enquêteur.

[73] Elle a reconnu avoir déclaré que M. Stanley, l’appelant, n’avait pas touché de rémunération assurable en 1990 et 1991. La Cour devrait accepter ces déclarations.

[74] En fin de compte, il n’existe pas d’élément de preuve acceptable dont le ministre peut se servir pour établir les semaines d’emploi assurable aux termes de l’article 80 du Règlement à l’intention des pêcheurs.

[75] Les registres de Carr’s Lobster Pound n’ont pas été produits. Les registres produits en l’espèce ont été jugés non fiables.

[76] Le ministre est à la merci des pêcheurs et des acheteurs. Nous devons consulter les registres de l’acheteur pour appuyer la thèse de l’appelant, telle qu’elle est illustrée par les bordereaux du MPO. Aucun registre du genre n’a été produit. Le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 80 du Règlement à l’intention des pêcheurs. Il ne suffit pas à l’appelant de dire : “ J’ai pêché et j’ai droit aux prestations. ”

[77] L’appel devrait être rejeté et le règlement du ministre, confirmé.

Réfutation

[78] En réfutation, l’avocat de l’appelant a fait valoir que M. Lou Stevenson n’avait pas été appelé à témoigner pour expliquer les accusations selon lesquelles il aurait exercé des pressions sur les témoins ou pour dire ce que représentent les documents.

[79] M. Stanley a affirmé : “ J’ai touché une rémunération assurable de 1990 à 1991. ” Mme Paynter a fait un volte-face. L’appelant a produit des bordereaux en preuve à l’appui de sa thèse.

[80] Les bordereaux montrent huit semaines en 1989 et en 1991.

[81] L’appel devrait être accueilli.

Analyse et décision

[82] C’est un truisme que d’affirmer que la charge de la preuve incombe à l’appelant. L’appelant ne s’acquitte pas de la charge de la preuve du simple fait qu’il témoigne sous serment avoir touché une rémunération assurable.

[83] L’avocat de l’appelant a soutenu que ce dernier avait agi dans les règles et qu’il était injuste de remettre en question rétroactivement la rémunération assurable d’un pêcheur.

[84] Il est évident que la question qui consiste à déterminer si la rémunération est assurable ou non doit être soulevée une fois écoulée la période où la rémunération a censément été gagnée et une fois que le pêcheur a demandé des prestations. Tel est le processus courant.

[85] La Cour n’en vient pas à la conclusion qu’il était inhabituel que la question soit soulevée en 1993 et en 1994 concernant la rémunération gagnée en 1990 et 1991. Il serait raisonnable que ce délai ou un délai plus long soit nécessaire pour déterminer si la rémunération du travailleur est assurable, qu’il ait reçu ou non des prestations avant que la question soit soulevée. La question doit être tranchée sans tenir compte du fait que le travailleur pourrait être tenu de rembourser un petit montant ou un montant considérable si sa rémunération est jugée non assurable.

[86] Lors de son argumentation, l’avocat de l’appelant a adopté comme point de vue, par mégarde ou à dessein, ou encore en raison de l’absence de preuve corroborante appuyant la thèse de l’appelant, que la Cour ne pouvait pas raisonnablement en venir à une conclusion autre que celle selon laquelle il s’agissait d’un “ emploi assurable ”. De fait, il a affirmé que ce serait “ pure spéculation de la part de la Cour ” que de conclure autrement. Il a soutenu que l’appelant avait produit des bordereaux pour établir sa thèse et que ceux-ci n’avaient pas été remis en question.

[87] Ces arguments sont pour le moins irréalistes compte tenu de la thèse exposée dans la réponse du ministre, selon laquelle l’appelant n’avait pas touché de rémunération assurable au cours des périodes en question et au vu du témoignage complet de Christine Paynter, y compris les allégations faites à la pièce R-2 sur ce qui se passait entre Carr’s Lobster Pound et les pêcheurs qui faisaient affaire avec elle.

[88] Cette thèse était irréaliste étant donné le manque de fiabilité des RE et des bordereaux du MPO qui auraient été établis par Carr’s Lobster Pound et compte tenu du fait que l’appelant et son avocat n’ont pas présenté les registres de l’appelant pour justifier la déclaration générale selon laquelle il avait touché la rémunération assurable nécessaire, bien que l’appelant ait affirmé à cette cour que lui-même ou son avocat possédait les relevés.

[89] Cette thèse est d’autant plus fragile vu les questions soulevées quant à l’exactitude des relevés produits par l’appelant, qui ont vraisemblablement été fournis par le MPO et qui comportaient de nombreux changements que l’appelant était incapable d’expliquer ou de commenter. Certains de ces changements étaient très substantiels et pertinents aux questions examinées par la Cour.

[90] La Cour en vient à la conclusion que Christine Paynter a affirmé, à un moment donné, que l’appelant n’avait pas touché de rémunération assurable en 1991 et que le fait qu’elle a indiqué en cour qu’elle ne se souvenait pas d’avoir fait cette affirmation, n’était rien d’autre qu’une tentative de calmer l’appelant. De plus, ses propos selon lesquels elle a fait cette affirmation parce que Lou Stevenson a exercé des pressions en ce sens ne sont pas crédibles.

[91] Compte tenu de la preuve produite et des présomptions contenues dans la réponse, il incombait à l’appelant de présenter des éléments de preuve corroborant sa déclaration selon laquelle il avait touché la rémunération assurable en question, ce qu’il n’a pas fait.

[92] L’avocat de l’appelant a tenté de contre-interroger son propre témoin aux termes du paragraphe 9(2) de la Loi sur la preuve au Canada, mais la Cour a décidé que ce n’était pas acceptable, car les travaux préliminaires requis pour appliquer cette procédure n’avaient pas été faits[1]. Quoi qu’il en soit, un tel contre-interrogatoire aurait eu pour seul effet d’atténuer l’importance que la Cour pourrait accorder au témoignage de Christine Paynter en faveur de l’appelant, de sorte que dans le meilleur des cas, si le témoignage en question avait été écarté complètement, le témoignage de l’appelant n’aurait toujours pas été corroboré.

[93] La preuve présentée par les autres témoins appelés à témoigner au nom de l’appelant n’a confirmé que les faits suivants : l’appelant était un pêcheur et a effectué des livraisons chez Carr’s Lobster Pound. À certains égards, leur témoignage, examiné à la lumière des renseignements contenus dans les pièces A-1, R-1 et R-3, contredisait le témoignage de l’appelant ou nécessitait à tout le moins une explication solide des contradictions, ce que n’a pu faire l’appelant.

[94] Lors du contre-interrogatoire de l’appelant, il était évident, au mieux, que sa mémoire lui jouait des tours quant aux faits liés à la pièce R-3 ou, au pire, qu’il avait induit les parties en erreur. De même, son témoignage contredisait celui de James Russell Gallant, qui a affirmé qu’il n’avait jamais pêché avec l’appelant. Il a mentionné qu’il avait effectivement pêché avec M. MacDougall et qu’il avait creusé pour trouver des myes à coquille molle, mais qu’il n’était pas avec M. Stanley. De plus, il a affirmé qu’il ne savait pas si ce dernier ramassait des myes. Il a présumé qu’il les vendait. Cependant, il n’a jamais dit combien il recevait ou de qui provenait l’argent.

[95] L’appelant ne s’est pas montré persuasif lorsqu’il a tenté d’expliquer cette contradiction.

[96] Aucun élément de preuve acceptable des prétendus paiements en argent comptant faisant partie de la rémunération servant à établir le nombre de semaines d’emploi assurable n’a été présenté.

[97] L’omission, de la part de l’appelant, de fournir les registres que son avocat ou lui-même possédait mène la Cour à l’une ou l’autre des deux conclusions suivantes : les relevés n’étaient en possession ni de l’appelant ni de son avocat, auquel cas la Cour a été trompée, ou les relevés auraient contredit la thèse de l’appelant. Par conséquent, la Cour devra tirer une conclusion défavorable à l’appelant, parce qu’il n’a pas présenté ces registres.

[98] La Cour en vient à la conclusion que l’appelant ne s’est pas acquitté de la charge d’établir qu’il avait accumulé les semaines d’emploi assurable qui font l’objet du présent litige.

[99] L’appel est rejeté et le règlement du ministre est confirmé.

Commentaire

[100] La Cour ferait preuve de négligence si elle ne commentait pas le comportement inapproprié et agressif de l’avocat de l’appelant au cours de la présente instance.

[101] La présente affaire a été entendue sous le régime de la procédure informelle, conformément aux Règles de la Cour canadienne de l’impôt (assurance-chômage) et notamment les dispositions de l’article 27 des règles.

[102] Cette affaire devait vraisemblablement comporter bon nombre de faits semblables à ceux qui seraient divulgués dans 15 autres affaires dans lesquelles l’avocat et les appelants ou leurs représentants avaient accepté de procéder de manière à permettre à certains témoins de témoigner seulement une fois dans chaque appel, sous réserve du droit de chaque avocat, représentant ou appelant d’interroger séparément le témoin et de procéder à un réinterrogatoire, l’avocat de l’intimé ayant le droit de contre-interroger le témoin dans chaque appel. La même règle s’appliquerait aux témoins devant être appelés à témoigner par l’intimé. On a envisagé la possibilité que certains témoins soient appelés sans suivre l’ordre établi.

[103] L’avocat de l’appelant William Robert Stanley a décidé qu’il voulait que sa cause soit entendue séparément. La Cour a accédé à sa demande.

[104] Il est devenu nécessaire d’établir si la cause de William Robert Stanley serait entendue en premier ou après les 15 autres causes.

[105] La Cour a entendu les observations de tous les avocats sur ce point et, dans sa sagesse, elle a décidé de poursuivre la présente affaire. L’avocat de l’appelant a décidé de contester cette décision et a indiqué à la Cour qu’il ne souhaitait pas que sa cause tienne lieu de “ cause expérimentale ”. Cependant, si tel devait être le cas, ce serait une affaire longue et difficile. De telles indications à la Cour se situaient à la limite du mépris.

[106] La Cour a ordonné que l’on poursuive l’affaire. L’avocat de l’appelant a mentionné que si la Cour entendait cette affaire, il présenterait une requête pour qu’elle n’entende pas les autres affaires, car il était chargé de l’une d’entre elles.

[107] La Cour a décidé qu’elle pouvait être saisie de toutes les affaires.

[108] Tout au long du procès, l’avocat de l’appelant n’a cessé d’argumenter avec la Cour, il n’a pas accepté de son plein gré les décisions de la Cour et il a présenté plusieurs requêtes visant à obtenir un procès nul, requêtes qui ont été jugées tout à fait sans fondement par cette cour.

[109] La Cour a dû insister à plusieurs reprises auprès de l’avocat pour qu’il présente la preuve et cesse de remettre en question les décisions de la Cour.

[110] À un moment donné, l’avocat de l’appelant a “ exigé ” de voir le dossier de la Cour, insinuant à tout le moins que ce dossier renfermait de la correspondance entre l’intimé et la Cour dont il n’avait pas été informé. Une telle thèse remettait à tout le moins en question l’impartialité et l’intégrité de la Cour.

[111] La Cour déclare que le comportement de l’avocat de l’appelant était un comportement inacceptable et inconvenant de la part d’un avocat de la Cour suprême de l’île-du-Prince-Édouard et qu’il était une source d’embarras pour cette cour.

[112] À moins que l’avocat de l’appelant ne prenne une mesure de réparation appropriée à l’égard de cette cour, celle-ci envisagera de rendre une ordonnance interdisant à l’avocat de comparaître devant la Cour canadienne de l’impôt dans l’avenir.

[113] Une copie des présents motifs de jugement sera envoyée au secrétaire de la Law Society of Prince Edward Islandpour qu’il en prenne connaissance.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de janvier 1998.

« T. E. Margeson »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de juillet 1998.

Isabelle Chénard, réviseure



[1] Voir la procédure décrite dans l’affaire R. v. Milgaard (1971), 2 Criminal Cases (2d) 206, relativement à une demande présentée en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi sur la preuve au Canada, Lois révisées, chap. E-10, article premier, qui prévoit qu’une telle demande est généralement présentée dans des affaires pénales.

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