Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980601

Dossiers: 95-1267-IT-G; 95-1268-IT-G; 95-1270-IT-G; 95-1272-IT-G; 95-1279-IT-G; 95-1280-IT-G; 95-1281-IT-G; 95-1282-IT-G; 95-1283-IT-G; 95-1284-IT-G; 95-1285-IT-G; 95-1288-IT-G; 95-1289-IT-G; 95-1290-IT-G; 95-2135-IT-G

ENTRE :

JOHNSON BELL, DE HARRY BELL, DE ROBERT WALKUS PÈRE, DE PATRICK CHARLIE, DE CORRINE WALKUS, DE BRIAN WALKUS, DE DOREEN WALKUS, DE ROBERT E. CHARLIE, D'ALVIN WALKUS, DE RAYMOND E. CLAIR, DE JOYE WALKUS, D'HENRY WALKUS, DE LLOYD J. WALKUS, JAMES WALKUS ET CHANTAL CHARLIE,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] D'un commun accord entre les parties, les appels de ces 15 appelants ont été entendus ensemble sur preuve commune. Il s'agit d'appels interjetés à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu pour les années 1986, 1987, 1988 et 19891. La description suivante expose les faits tels qu'ils existaient durant les années en cause. Certains de ces faits ont changé depuis 1989, mais, dans la mesure où tel est le cas, cela n'est pas pertinent aux fins du règlement des appels.

[2] Au cours des années en cause, chacun des appelants a exercé un emploi pour la James Walkus Fishing Co. Ltd. (la « compagnie » ), et chacun d'eux prétend que son revenu provenant de la compagnie n'est pas imposable en raison de l'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu2 et de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens3.

Loi de l'impôt sur le revenu

81(1) Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition:

a) une somme exonérée de l'impôt sur le revenu par toute autre loi du Parlement du Canada, autre qu'un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d'une disposition d'une convention ou d'un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada;

Loi sur les Indiens

87(1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

Les appelants

[3] Tous les appelants sont des Indiens inscrits au sens de la définition de cette expression figurant dans la Loi sur les Indiens4. Ils sont membres de la bande Gwa'Sala-Nakwaxda'xw (la « Bande » ), qui se trouve dans une réserve située à Port Hardy (la « Réserve » ), dans la partie nord-est de l'île de Vancouver. La Bande compte quelque 565 membres, vivant dans 106 maisons, et fait partie de la nation Kwakiutl. C'est l'une des trois bandes qui sont situées à Port Hardy, et chacune d'elles a sa propre réserve. Depuis de nombreuses années, la principale activité de la plupart des membres de la Bande est la pêche. Toutefois, aucun élément de preuve ne fait état de l'existence d'une pêche commerciale dans la région, sauf pour ce qui est de la compagnie.

[4] L'appelant James Walkus est le fondateur et le président de la compagnie, dont il est le seul actionnaire et le seul administrateur. Il pêche depuis 1955, c'est-à-dire depuis qu'il a 16 ans. En 1974, il avait constitué la compagnie pour l'exploitation d'une entreprise de pêche commerciale sur la côte ouest du Canada. Il a connu un succès exceptionnel, faisant progressivement de son entreprise l'une des plus importantes et des plus prospères compagnies de pêche de la Colombie-Britannique. Outre qu'il gère les affaires commerciales de la compagnie et qu'il surveille l'entretien des navires et des filets, il est capitaine du bateau de pêche Pacific Joye et, à ce titre, participe activement aux activités de pêche de la compagnie. Son revenu provient de sa participation dans la compagnie et de sa part des prises du Pacific Joye. On ne conteste pas le fait que James Walkus est un membre influent de la Bande, un des citoyens les plus importants de la région et un généreux donateur pour de nombreuses causes louables.

[5] Doreen Walkus est l'épouse de James Walkus. Ils se sont mariés en 1962 et, depuis, elle pêche avec lui tous les ans. Elle achète des provisions pour le Pacific Joye, fait la cuisine pour l'équipage lorsque le bateau est en mer et travaille comme ouvrière sur le bateau lorsque cela est nécessaire. Entre les saisons de pêche, elle aide aussi au raccommodage des filets. Son revenu provient de sa part des prises du Pacific Joye et d'honoraires de gestion qui lui sont payés par la compagnie. La preuve ne révélait pas la nature de ses activités de gestion. Au cours de la période allant de 1986 à 1989, ils avaient une maison à Nanoose Bay, près de Nanaimo, et une à Port Hardy, sise rue Peel. Ni l'une ni l'autre de ces maisons n'était située dans une réserve indienne.

[6] Tous les autres appelants exercent un emploi pour la compagnie ou exerçaient un emploi pour elle au cours des années en cause, certains comme capitaines de navires de pêche, et les autres comme ouvriers à bord des navires. Bon nombre d'entre eux travaillaient au raccommodage des filets de la compagnie lorsque la flotte n'était pas en mer. Leurs revenus provenaient de leurs pourcentages de la part revenant aux équipages sur les prises des bateaux à bord desquels ils travaillaient et du salaire horaire qu'ils recevaient pour des travaux supplémentaires comme le raccommodage des filets.

[7] Brian Walkus et Henry Walkus sont les deux plus vieux enfants de James et de Doreen Walkus. À l'époque pertinente, chacun d'eux était capitaine d'un des navires de la compagnie, et ils vivaient tous les deux à Nanaimo. Les deux enfants plus jeunes, Lloyd Walkus et Joye Walkus, allaient tous les deux à l'école en Alberta durant les années en cause, mais travaillaient sur les bateaux de la compagnie durant leurs vacances d'été. Les quatre enfants ont commencé à travailler à bord des bateaux très jeunes et y travaillent depuis. Ni Lloyd ni Joye ne vivaient dans la Réserve. Les quatre recevaient leurs chèques de paye de la compagnie au bureau de celle-ci situé dans la Réserve, comme l'indique la description qui sera donnée ultérieurement.

[8] Robert Charlie a pêché presque toute sa vie. Au cours des années en cause, il était capitaine d'un des navires de la compagnie, l'Eliza Joye, et était chargé aussi de surveiller les activités de la compagnie touchant la réparation des filets. Il ne vivait pas dans la Réserve, mais allait bel et bien chercher ses chèques au bureau de la compagnie situé dans la Réserve.

[9] Chantal Charlie est née en France et est devenue une Indienne inscrite en épousant Robert Charlie, en 1974. Elle a commencé à travailler pour la compagnie comme cuisinière à bord de l'Eliza Joye vers 1980. Par la suite, elle est également devenue secrétaire de James Walkus et, à ce titre, elle devait notamment aller chercher le courrier, recevoir les messages téléphoniques, examiner les factures de certains des fournisseurs et libeller et poster des chèques en règlement de ces factures. Au cours des années en cause, elle établissait la paye des employés de la compagnie qui étaient des Indiens inscrits, comme l'indique la description donnée ultérieurement. Elle passait en outre plusieurs semaines par année à travailler à bord du bateau dont son époux était le capitaine, et, pendant ce temps, quelqu'un d'autre remplissait les fonctions de secrétariat. Elle recevait 15 $ l'heure pour son travail de bureau, en plus de sa part des prises de l'Eliza Joye. Elle ne vivait pas dans la Réserve durant la période pertinente, mais elle recevait bel et bien ses chèques de paye au bureau de la compagnie situé dans la Réserve.

[10] Patrick Charlie a travaillé pour la compagnie comme matelot et skiffeur de 1983 à 1994. Il travaillait en outre une ou deux semaines par année à réparer des filets pour la compagnie, à l'atelier à filets. Il vivait dans la Réserve durant la période pertinente et recevait ses chèques de paye au bureau situé dans la Réserve.

[11] Alvin Walkus a travaillé pour la compagnie comme matelot au cours des années 1988 et 1989. Il s'est également occupé jusqu'à un certain point de réparation de filets, à l'atelier à filets. Il vit dans la Réserve depuis 1963 et allait chercher ses chèques de paye au bureau de la compagnie situé dans la Réserve.

[12] Raymond Clair a travaillé pour la compagnie comme préposé à la plage entre 1988 et 1995. Il vivait également dans la Réserve et allait chercher ses chèques au bureau situé dans la Réserve.

[13] Harry Bell a commencé à travailler pour la compagnie en 1989, comme matelot et réparateur de filets. Il vivait dans la Réserve durant la période pertinente et allait chercher ses chèques de paye au bureau situé dans la Réserve.

[14] Johnson Bell a travaillé pour la compagnie comme matelot au cours de la période allant de 1986 à 1989. Il s'est en outre occupé jusqu'à un certain point de réparation de filets. Il vivait dans la Réserve et allait chercher ses chèques de paye au bureau de la compagnie situé dans la Réserve.

[15] Ni Robert Walkus père ni Corrine Walkus n'étaient disponibles pour témoigner au procès. Toutefois, il est convenu entre les parties que chacun d'eux travaillait pour la compagnie durant les années en cause comme membre d'équipage sur l'un des navires et que les deux recevaient leurs chèques de paye en allant les chercher au bureau de la compagnie situé dans la Réserve. Robert Walkus père vivait dans la Réserve, mais pas Corrine Walkus.

La compagnie

[16] La compagnie a connu un succès considérable. En 1986, elle était propriétaire de six bateaux; en 1989, elle en avait 15. Au cours de ces années-là, elle pêchait du saumon, du hareng et du flétan. En 1986, elle avait en tout 6 permis de pêche au saumon et 10 permis de pêche au hareng et, en 1989, elle en avait 22 et 14 respectivement. À l'époque du procès, en 1997, elle avait 14 navires, soit des bateaux de 34 à 80 pieds. Le Pacific Joye est un navire de 75 pieds qui compte six membres d'équipage. Les autres navires ont également un capitaine permanent et un équipage comprenant entre cinq et huit ouvriers supplémentaires. Les équipages sont engagés par les capitaines des navires, mais James Walkus encourage les capitaines à engager des membres de la Bande, ainsi que des étudiants, dans la mesure du possible. Durant les années en cause, la compagnie avait environ 100 employés au total, y compris deux mécaniciens à temps plein. Au cours de l'ensemble de la période considérée en l'espèce, entre 12 et 18 de ces employés étaient des Indiens inscrits; les autres n'en étaient pas. Aucun élément de preuve n'indiquait que les fonctions des membres d'équipage autochtones et non autochtones étaient différentes de quelque manière ou étaient exercées différemment.

[17] Le port d'attache de la flotte est Port Hardy, où les navires accostent au quai municipal, situé non loin de la Réserve, près des locaux de la Seafood Products Company (la « SPC » ), soit l'entreprise à laquelle presque toutes les prises de la flotte sont vendues. Le port d'immatriculation des navires est, en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, Nanaimo, qui, bien que situé à plusieurs centaines de kilomètres au sud de Port Hardy, est le port le plus près où les navires peuvent être immatriculés5.

[18] Outre les navires et les filets, le principal autre actif corporel de la compagnie est sa part de l'atelier où les filets sont vérifiés, réparés et entreposés lorsqu'ils ne sont pas utilisés. Les filets peuvent mesurer jusqu'à 225 toises sur 45, ce qui fait qu'une très grande superficie est nécessaire pour travailler aux filets et les entreposer. La compagnie avait, avec les trois bandes indiennes de Port Hardy, acheté un ancien magasin de Beaver Lumber pour s'en servir comme atelier à filets. La compagnie avait payé 300 000 $ pour sa part. L'atelier à filets est situé à Port Hardy, mais pas sur l'une des réserves.

Mode de rémunération

[19] La rémunération des équipages et de la compagnie dépend évidemment de la vente des prises. La pêche est strictement réglementée par le gouvernement fédéral, qui délivre les permis et détermine, selon la montaison du poisson, quand et où les détenteurs de permis peuvent pêcher. Dans les eaux situées au large de la côte ouest du Canada, il y a cinq espèces différentes de saumon. On peut en faire la pêche à des époques différentes, mais, de façon générale, la pêche au saumon commence chaque année vers le milieu de juillet et se poursuit jusqu'à la fin de novembre. La saison de pêche au hareng se situe entre la fin de février et la mi-avril. La pêche peut être ouverte et fermée par voie de directive du ministère des Pêches et des Océans (le « MPO » ); il est important que les bateaux soient en position pour tirer profit d'une ouverture dès qu'elle est annoncée et il importe de rester en contact avec les usines de transformation, car c'est par leur entremise que le MPO diffuse l'information relative à l'ouverture de la pêche.

[20] La compagnie vend ses prises de hareng et de saumon presque exclusivement à la SPC; ses prises de flétan sont généralement vendues au plus offrant. Non seulement la SPC achète les prises, mais, à bien des égards, elle agit comme représentant et comme banquier pour la compagnie. Lorsque les bateaux retournent à Port Hardy, les prises sont déchargées au quai de la SPC, où les employés de la SPC mesurent et pèsent le poisson, calculent la valeur des prises selon le prix en cours, puis calculent les parts respectives des prises qui doivent être payées à la compagnie et aux membres d'équipage. L'équipage, y compris le capitaine, se partage 7/11 de la valeur totale des prises; la compagnie a droit, en tant que propriétaire du bateau et du filet, aux 4/11 restants. La part de la compagnie est portée à son crédit dans les livres de la SPC. Avant les années en cause, les parts des membres d'équipage leur étaient payées directement par la SPC, par chèques distribués au bureau de la SPC. Au début de 1986 ou juste avant, ce système a été modifié, de sorte que les parts de membres d'équipage qui sont des Indiens inscrits sont payées en une somme forfaitaire à la compagnie, qui émet alors ses propres chèques, nets de déductions, en faveur de ces membres d'équipage. J'en dirai plus à ce sujet ultérieurement. Dans le cadre de cette fonction relative à la paye, la SPC effectuait les retenues et versements nécessaires concernant l'impôt sur le revenu, l'assurance-chômage et le Régime de pensions du Canada.

[21] La SPC faisait en outre des paiements directement à divers fournisseurs au nom de la compagnie pour des choses comme les primes d'assurance, les permis, le carburant et les approvisionnements nécessaires aux navires. Au moins une fois, elle a effectué un paiement au nom de la compagnie au titre d'un nouveau navire. Quand on le lui demandait, elle télégraphiait de l'argent aux banques de la compagnie à Nanaimo et à Port Hardy. La SPC tient pour la compagnie (et ses autres fournisseurs) un registre de pêche dans lequel les diverses opérations sont consignées, ainsi que le solde créditeur ou débiteur de la compagnie. D'une manière générale, la compagnie est en situation débitrice par rapport à la SPC au début de l'année, jusqu'au débarquement des prises de saumon dans la seconde moitié de l'année, époque à laquelle la situation est inversée.

Pêche alimentaire

[22] Tous les appelants ou presque prenaient part chaque année à la pêche alimentaire autochtone. Par l'entremise de la compagnie, James Walkus fournissait gratuitement les navires et les filets et prenait en charge les frais d'exploitation y afférents. Lui et les autres appelants donnaient de leur temps comme membres d'équipage et pour débarquer les prises. La pêche alimentaire au saumon sockeye a lieu deux, trois ou quatre fois chaque été, et la pêche alimentaire au saumon kéta a lieu deux, trois ou quatre fois chaque automne. Cette pêche a lieu lorsque la saison de pêche commerciale est fermée et part du principe que les prises ne seront utilisées par les autochtones qu'à des fins alimentaires et cérémoniales. Aucune partie des prises ne peut être vendue commercialement. À chaque occasion, cette pêche s'étale sur plusieurs jours. Au retour des bateaux à Port Hardy, les prises sont amenées au quai de la SPC, puis débarquées. Tous les membres de la Bande sont libres de prendre suffisamment de poisson pour répondre à leurs besoins alimentaires. Tout poisson restant, après que l'on a répondu aux besoins des membres de la Bande pour fins alimentaires et cérémoniales, est donné aux membres des bandes voisines.

[23] La compagnie ne recevait aucune rémunération de quelque sorte que ce soit pour l'utilisation de ses navires et filets, et les capitaines et membres d'équipage ne recevaient aucune rémunération pour leur travail. Les membres de la Bande ne payaient rien pour le poisson qu'ils obtenaient. L'utilisation des navires et filets, le coût d'exploitation de ceux-ci et les efforts des capitaines et membres d'équipage correspondaient à un don à l'ensemble de la collectivité pour lequel aucune rétribution n'était demandée ou accordée. La valeur des prises variait d'année en année selon l'importance des prises et selon le prix en cours du saumon, mais, durant les années en cause, la valeur des prises était de l'ordre de 75 000 $ à 125 000 $.

Le bureau situé dans la Réserve

[24] Avant 1986, la compagnie n'avait pas de bureau permanent en propre. Le bureau enregistré en vertu de la Company Act de la Colombie-Britannique a été, à diverses époques, inscrit comme étant le bureau des avocats de la compagnie à Nanaimo ou comme étant situé au domicile de James et Doreen Walkus, à Nanaimo ou à Port Hardy. Nul doute que, à divers moments, James Walkus s'est occupé de l'entreprise de la compagnie, en personne ou par téléphone, à partir de son domicile, au bureau de son avocat, au bureau de son comptable, aux bureaux de la SPC, sur le Pacific Joye, dans sa voiture, au quai de Port Hardy, à l'atelier à filets et, occasionnellement, à Vancouver et à Victoria. Les fonctions comptables de la compagnie étaient en partie remplies par la SPC aux bureaux de cette dernière et en partie au bureau de M. Braithwaite, le comptable dont la compagnie retenait les services depuis 1977. M. Braithwaite tenait les livres comptables et établissait des états financiers, ainsi que des déclarations de revenu, notamment les déclarations de revenu de la société. Une pièce de la maison de Nanoose Bay était utilisée comme bureau par James Walkus; certains registres de la compagnie s'y trouvaient, et d'autres étaient à la maison de la rue Peel de Port Hardy.

[25] Vers 1984, M. Braithwaite a avisé M. Walkus de la possibilité d'obtenir un avantage fiscal si la compagnie établissait un bureau dans la Réserve et qu'elle y payait les employés qui étaient des Indiens inscrits. Le seul bureau disponible dans la Réserve était une pièce inutilisée d'environ 10 pieds carrés dans l'immeuble où se trouvent les bureaux du Conseil de la Bande. James Walkus avait loué ce bureau à partir de décembre 1995 pour 175 $ par mois, montant qu'il avait négocié avec le Conseil de la Bande dans le cadre de négociations entre parties sans lien de dépendance. Chantal Charlie avait été engagée comme secrétaire pour travailler à cet endroit6. Le local comprenait un bureau et un fauteuil, un classeur, une photocopieuse et un téléphone. Un ordinateur avait été acheté à Radio Shack, mais il semble qu'il n'ait jamais été utilisé durant les années en cause et qu'il soit simplement resté là dans sa boîte originale. Certains registres du bureau de M. Braithwaite à Nanaimo y avaient été transportés, mais il semble qu'il s'agissait principalement de dossiers historiques qu'on gardait simplement là parce qu'il était commode de les y remiser. Chantal Charlie travaillait au bureau à temps partiel, soit environ 12 heures par semaine, c'est-à-dire lorsqu'elle n'était pas partie pêcher avec le reste de l'équipage de l'Eliza Joye. Durant la saison de pêche, elle était remplacée au bureau par une secrétaire temporaire. Elle recevait un salaire horaire pour son travail de bureau, outre sa part des prises de poisson.

[26] Le mode de paiement des parts d'équipage aux employés qui étaient des Indiens inscrits a été modifié en 1986. Je conclus que cela a été fait par suite de l'avis donné par M. Braithwaite. La SPC continuait comme avant d'émettre des chèques individuels à l'intention des employés qui n'étaient pas des Indiens inscrits, mais, au lieu d'émettre des chèques individuels à l'intention des employés qui étaient des Indiens inscrits, elle émettait un seul chèque en faveur de la compagnie au titre de l'ensemble des parts de ces employés. Ce chèque était déposé à la banque par Chantal Charlie, qui établissait ensuite des chèques individuels tirés sur le compte de la compagnie pour les employés qui étaient des Indiens inscrits. Ces derniers allaient la voir pour prendre leurs chèques au bureau situé dans la Réserve. La preuve n'indiquait pas clairement comment ces chèques étaient encaissés; assurément, aucun élément de preuve n'indiquait que les employés pouvaient les encaisser dans la Réserve, et je crois que, probablement, ils les déposaient dans leurs propres comptes ou les présentaient pour paiement à la banque. La succursale bancaire de Port Hardy n'est pas située dans l'une quelconque des réserves de cette région.

[27] À part cela, Chantal Charlie ne s'occupait guère des finances de la compagnie, si ce n'est qu'elle tenait un registre synoptique pour consigner les opérations dont elle assurait le traitement, conformément aux instructions qu'elle avait reçues de M. Braithwaite à l'époque où ce dernier avait établi le système. De temps à autre, elle consultait par téléphone M. Braithwaite ou un des membres de son personnel si elle avait besoin de conseils. M. Braithwaite se rendait à Port Hardy trois ou quatre fois par année et, à ces occasions, il s'entretenait avec Chantal Charlie, au bureau, aux fins de l'examen de la tenue de la comptabilité.

[28] Chantal Charlie et James Walkus étaient, ensemble, signataires autorisés pour ce qui est des chèques. La preuve n'indiquait pas clairement la fréquence à laquelle James Walkus se rendait au bureau, mais, assurément, il y allait de temps à autre pour signer des chèques et, à l'occasion, pour s'entretenir avec M. Braithwaite. Souvent, il allait chercher à la SPC la copie de l'état de rapprochement du registre de pêche qui était destinée à la compagnie et l'apportait au bureau pour l'examiner. Il y examinait aussi des factures de fournisseurs, tout comme Robert Charlie, qui était chargé de vérifier les factures relatives à des articles nécessaires pour la réparation de filets.

Le droit

[29] Il convient que j'établisse clairement à ce stade-ci que le seul différend en l'espèce tient à la question de savoir si les revenus tirés par les appelants du travail qu'ils accomplissaient pour la compagnie et tirés par James Walkus de sa participation dans la compagnie sont « situés sur une réserve » au sens de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens.

[30] L'application de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens de manière que le revenu d'Indiens inscrits ne soit pas imposable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu est apparue avec l'arrêt de la Cour suprême du Canada Nowegijick c. La Reine7. Elle a connu son plein épanouissement avec l'arrêt de la Cour suprême Williams c. La Reine8, soit une affaire dans laquelle il s'agissait de savoir si des prestations d'assurance-chômage reçues par le contribuable étaient admissibles à cette exonération. Dans cette affaire-là, la Cour avait rejeté l'idée selon laquelle on pouvait répondre à la question simplement en appliquant les règles en matière de conflit de lois qui déterminent le situs d'une dette. La Cour avait plutôt conclu que l'approche à suivre consiste pour le tribunal à relever tous les « facteurs de rattachement » pouvant être pertinents aux fins de la détermination du lieu de l'opération génératrice du revenu que le ministre cherche à imposer, puis à analyser ces facteurs pour établir quel poids accorder à chacun compte tenu de l'objet de l'exonération prévue à l'alinéa 87(1)b), du type de bien en cause et de la nature de l'imposition de ce bien. Cette analyse doit être effectuée conformément à la directive suivante énoncée dans l'arrêt de la Cour suprême Williams9 :

Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

[31] Cette formulation de l'approche appropriée de l'analyse a sa source dans les motifs du jugement que le juge La Forest, appuyé sur ce point par cinq autres membres de la Cour, a rendus dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis10, dans lequel il conclut, après un examen approfondi de l'historique des articles 87 à 90 de la Loi sur les Indiens et de la jurisprudence y afférente, que l'objet des exonérations qui y sont prévues consiste, pour reprendre la paraphrase du juge Gonthier dans l'arrêt Williams11 :

[...] à préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d'imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l'utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées. La conséquence de cette conclusion était que les articles en question ne visent pas à conférer un avantage économique général aux Indiens [...]

Les facteurs de rattachement

[32] Je passe maintenant à l'examen des divers facteurs de rattachement en l'espèce. Me Little soutenait qu'un poids important devrait être accordé en l'espèce à la nature de l'activité productive de revenu, en raison de la tradition de pêche comme mode de vie parmi les Indiens de la côte de la Colombie-Britannique. Il disait dans sa description que la pêche faite par les appelants en l'espèce est intimement liée à la Réserve et au mode de vie traditionnel de la Bande. Toutefois, comme je l'ai mentionné précédemment, aucun des éléments de preuve qui m'ont été présentés ne faisait état d'une tradition ou histoire de pêche commerciale avant 1974, année où James Walkus a constitué la compagnie. La pêche faite par la compagnie n'est pas non plus particulièrement une activité autochtone; la grande majorité des employés de la compagnie ne sont pas des autochtones.

[33] Les autres facteurs auxquels Me Little voudrait que j'accorde un poids important sont la résidence du débiteur, soit la compagnie pour laquelle travaillent les appelants, et le lieu du versement de la rémunération, qu'il dit être le bureau situé dans la Réserve où les appelants ou du moins les appelants autres que James et Doreen Walkus allaient chercher les chèques relatifs à leurs parts des prises. La preuve était muette quant à savoir exactement où et comment James Walkus et Doreen Walkus recevaient leurs revenus de la compagnie et quant à savoir où et comment les autres négociaient leurs chèques.

[34] Pour ce qui est de la résidence de la compagnie, une grande partie de la preuve présentée pour les appelants était destinée à établir que la compagnie résidait dans la Réserve. Le contre-interrogatoire de l'avocat de l'intimée était destiné à établir que tel n'était pas le cas. La thèse des appelants est que la compagnie devrait être considérée comme étant située dans la Réserve parce que ses bateaux sont mis à quai le plus près possible de la Réserve (aucun quai n'étant disponible dans la Réserve elle-même), que la pêche a lieu à partir d'un port situé près de la Réserve et que la compagnie a un bureau dans la Réserve, où elle tient au moins certains des registres de la société et où elle fait une partie de ses affaires.

[35] Il est soutenu pour l'intimée que les plus importants des facteurs de rattachement sont l'endroit où s'effectue le travail, la nature et l'objet de l'emploi donnant lieu au revenu, les circonstances entourant cet emploi et la résidence des employés. Les facteurs suivants sont, dit l'avocat de l'intimée, moins importants : la résidence de l'employeur, l'endroit où les employés vont chercher leurs chèques et l'emplacement de la banque sur laquelle ces chèques sont tirés.

Analyse des facteurs de rattachement

i) la nature de l'emploi

[36] À mon avis, les plus importants facteurs qui influent sur l'issue de l'espèce sont la nature de l'emploi et la manière dont celui-ci est exercé. Aucun élément relatif à ces facteurs ne m'indique que le fait d'imposer le revenu des appelants en l'espèce tendrait à priver les appelants de biens qu'ils détiennent à titre d'Indiens. Aucune preuve n'indique que l'activité de pêche de la compagnie donnant lieu aux revenus des appelants a un rapport étroit avec la Réserve ou un rapport historique, social ou culturel avec la Bande ou la Réserve. En ce qui concerne la compagnie, on ne m'a présenté aucun élément de preuve pour démontrer qu'elle n'exploite pas son entreprise comme des compagnies de pêche détenues et exploitées par des intérêts non indiens. Les appelants ne représentent qu'une faible proportion des effectifs de la compagnie. Sur un total d'environ 100 employés, seulement 12 à 18 étaient des Indiens inscrits au cours de la période pertinente.

[37] L'activité de pêche de la compagnie, abstraction faite de la pêche alimentaire, est purement et simplement une activité commerciale. Les prises sont vendues sur le marché libre à la SPC, soit une société de transformation qui est une filiale d'une grande entreprise nationale de transformation alimentaire. Les prises entrent donc directement dans le cadre ordinaire du commerce et ne peuvent être distinguées des prises de l'une quelconque des autres compagnies de pêche, appartenant ou non à des Indiens, soit des prises qui s'intègrent aux denrées alimentaires canadiennes.

[38] Dans son argumentation, Me Little insistait grandement sur l'activité de pêche alimentaire de la compagnie et de ces divers appelants comme facteur conférant une identité indienne au revenu en cause en l'espèce. Tel n'est pas à mon avis un facteur qui, s'il convient d'y accorder quelque poids, devrait peser lourd dans la balance. La pêche alimentaire a sans aucun doute ses racines dans les traditions des Indiens de la côte, bien que l'on ne m'ait guère présenté de preuves de cela en l'espèce. Si le revenu devait provenir de cette pêche alimentaire, on pourrait peut-être faire valoir avec succès le bien-fondé d'une exonération de ce revenu en vertu de l'alinéa 87(1)b), pourvu qu'une preuve appropriée soit présentée. Tel n'est pas le cas en l'espèce, toutefois. Il ressort clairement de la preuve qu'aucun des revenus auxquels se rapportent les appels en instance ou aucun revenu quelconque n'est tiré par les appelants ou la compagnie de leurs activités de pêche alimentaire. En fait, la pêche alimentaire coûte de l'argent à la compagnie et coûte du temps et de l'énergie aux appelants, ce pour quoi ils ne reçoivent aucune rétribution. La pêche donnant lieu au revenu en cause dans ces appels ne se déroule pas en même temps que la pêche alimentaire et n'est pas liée à celle-ci. Les prises ne servent pas à la subsistance de la Bande mais entrent dans le cadre ordinaire du commerce puisqu'elles sont vendues à la SPC et à d'autres sociétés de transformation.

ii) l'emplacement

[39] En soi, le fait que le travail soit accompli ailleurs que dans la Réserve ne détermine rien. En fait, le travail pouvait seulement être fait ailleurs que dans la Réserve, car c'est là où le poisson se trouve. Dans les affaires Nowegijick12 et Folster13, il avait été statué que le travail accompli par un Indien ailleurs que dans la réserve donnait lieu à un revenu exonéré d'impôt. Le fondement plutôt étroit de la décision rendue dans l'affaire Nowegijick était principalement le situs du payeur et donc de l'obligation en matière salariale. On aurait bien pu parvenir au même résultat dans cette affaire-là en appliquant l'analyse des « facteurs de rattachement » qui a ultérieurement été élaborée dans l'affaire Williams. Dans l'affaire Folster, le travail était effectué près de la réserve, mais non dans la réserve, c'est-à-dire à un hôpital ayant un lien historique et culturel important avec la réserve et la Bande. L'hôpital était initialement situé dans la réserve, mais avait été reconstruit juste à l'extérieur de celle-ci, après avoir été détruit par le feu. La Cour d'appel fédérale avait conclu que l'emplacement précis de l'hôpital était un facteur ayant moins de poids que l'importance historique de l'hôpital dans la vie de la Bande. Aucun lien spécial semblable n'existe en l'espèce. Le travail rémunéré des appelants, par opposition à la pêche alimentaire, ne représente pas un avantage particulier pour la Bande. Il n'y a aucun lien entre le travail rémunéré des appelants et la Réserve ou la Bande. Exonérer leurs revenus serait simplement leur accorder un avantage économique par rapport aux autres employés de la compagnie qui travaillent à leurs côtés.

iii) la résidence des appelants

[40] Le lieu de résidence des appelants n'est pas selon moi un facteur important en l'espèce. Me Little soutenait dans son argumentation que c'est un facteur important pour les appelants autres que James Walkus. Je ne vois pas pourquoi on devrait isoler ce dernier. Lui et son épouse ne vivaient pas dans la Réserve durant les années en cause. Ils avaient deux résidences et partageaient leur temps entre les deux. L'une était à Nanoose Bay, près de Nanaimo, soit loin de la Réserve. Ils y passaient plus de temps qu'à leur maison de la rue Peel de Port Hardy. Cette maison n'est pas située dans la Réserve non plus. Ils passaient en outre 100 nuits ou plus par année à bord du Pacific Joye, pour pêcher ou en prévision de l'ouverture d'une saison de pêche.

[41] Si j'ai bien compris l'argument, le leadership important que James Walkus exerçait dans les affaires de la Bande et les dons généreux qu'il faisait à la Bande et pour de nombreuses causes louables, à Port Hardy et dans la Réserve, compensent le fait que James Walkus ne vivait pas dans la Réserve. Ni son leadership ni sa générosité ne peuvent être mis en question. Pratiquement tous les témoins en ont parlé en termes chaleureux, et leurs dires n'ont pas été contestés. Lui-même dans son témoignage en a parlé avec réticence. Je suis certain qu'il est aussi modeste à propos de ces aspects de sa vie qu'il est généreux de son temps et de son argent. Néanmoins, je ne vois pas comment son leadership dans la collectivité indienne ou sa générosité peuvent faire en sorte que son revenu soit considéré autrement aux fins de l'analyse de l'article 87. En l'espèce, le point en litige est la nature de son revenu et non la manière dont il choisit de dépenser son revenu ou comment il passe ses heures de loisir. De nombreuses personnes, autochtones ou non, donnent généreusement de leur temps et de leur argent à des organismes de charité, mais cela ne permet pas d'exonérer d'impôt leurs revenus. La Loi de l'impôt sur le revenu prévoit expressément des déductions pour dons de charité, et James Walkus et sa compagnie se sont prévalus de ces déductions.

[42] Je ne vois pas non plus de motif rationnel pour faire une distinction entre les appelants qui vivent dans la Réserve et ceux qui n'y vivent pas. La plupart des appelants vivent dans la petite localité de Port Hardy, tout près les uns des autres. Il serait en fait incompréhensible que certains d'entre eux soient assujettis à l'impôt sur le revenu et que d'autres ne le soient pas simplement du fait de la rue où ils habitent. Comme le disait le juge Gonthier dans l'arrêt Williams14 :

Un facteur de rattachement n'est pertinent que dans la mesure où il identifie l'emplacement du bien en question aux fins de la Loi sur les Indiens. Dans des catégories particulières de cas, un facteur de rattachement peut donc avoir beaucoup plus de poids qu'un autre. On pourrait facilement perdre cette réalité de vue en soupesant les facteurs de rattachement cas par cas.

Dans un cas comme celui-ci, ce serait fausser l'analyse que de faire une distinction entre les appelants selon la partie de la ville dans laquelle ils vivent.

iv) la résidence de l'employeur

[43] Cette affaire-ci illustre la raison pour laquelle il est inapproprié d'utiliser un critère de situs élaboré à d'autres fins pour régir l'application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Au procès, les avocats ont beaucoup attiré l'attention sur le lieu de résidence de la compagnie. Ils invoquaient diversement le lieu d'enregistrement du siège social, l'endroit où étaient tenus les registres comptables et autres, le port d'immatriculation des navires, l'endroit où les bateaux sont à quai lorsqu'ils ne sont pas en mer, l'endroit où le poisson est pris, l'endroit où le poisson est vendu, l'endroit où les filets sont réparés et entreposés et l'endroit où, très souvent, on trouvera James Walkus en train d'exercer ses fonctions de gestion et de contrôle. Me Little, évidemment, insistait grandement sur le bureau situé dans l'immeuble à bureaux de la Bande comme facteur établissant un situs dans la Réserve. À mon avis, aucun de ces éléments n'est d'une grande utilité dans la façon de considérer les revenus des appelants.

[44] Me Yoshida faisait valoir pour l'intimée que le situs de cette compagnie est, à quelque moment que ce soit, l'endroit où se trouve M. Walkus, car, d'un point de vue pratique, la compagnie, c'est lui. Cet argument a de la valeur. Les décisions importantes de la compagnie sont assurément prises par M. Walkus. On ne m'a présenté aucun élément de preuve indiquant qu'il prenait bon nombre de ces décisions au bureau de 10 pieds dans 10 situé dans la Réserve. Il n'est pas, selon moi, très utile de considérer d'une manière très détaillée la question de savoir à quel endroit les diverses fonctions de la compagnie sont remplies. Pour peu que ce soit pertinent, cela ne me semble pas aider les appelants. Les seules activités de la compagnie qui sont exercées dans la Réserve sont celles qui sont exercées dans le petit bureau qui y est situé; elles sont peu nombreuses et n'ont pas pour la plupart le caractère d'activités de gestion. Pour des raisons auxquelles je viendrai sous peu, je considère ce bureau et les quelques activités qui y sont exercées comme n'étant pas des facteurs de rattachement auxquels il conviendrait que j'accorde un poids important.

v) l'endroit où sont payés les employés

[45] Me Little insistait grandement sur le fait que les employés ou du moins les employés autres que James et Doreen Walkus allaient chercher leurs chèques à un endroit situé dans la Réserve. Cela, disait-il, était important dans la détermination du situs de leurs revenus dans la Réserve aux fins de l'article 87. Me Yoshida fait valoir qu'il ne convient d'accorder beaucoup de poids ni à ce facteur ni à l'emplacement de la banque sur laquelle sont tirés les chèques.

[46] L'endroit où la personne est payée ne peut être utile dans l'analyse que dans la mesure où c'est un facteur qui fournit vraiment une certaine indication de la réponse à la question sous-jacente de savoir si « l'imposition de ce revenu aurait une incidence négative sur l'intérêt à l'égard du bien détenu par l'appelant à titre d'Indien ou si cela servirait simplement à conférer un avantage économique non offert aux autres » . Je ne vois pas comment la réponse à cette question peut être différente simplement parce que l'employé va chercher le chèque à un bureau situé dans la Réserve, plutôt qu'au bureau de la SPC situé quelques pâtés de maisons plus loin, comme c'était la pratique auparavant. Rien d'important n'a changé pour ce qui est des intérêts que vise à protéger l'article 87. Conclure autrement serait adopter une approche simpliste, rigide et mécanique d'une question complexe exigeant « une analyse subtile d'une série de facteurs » 15. Comme le disait le juge Gonthier dans l'extrait de l'arrêt Williams que j'ai cité précédemment, « [u]n facteur de rattachement n'est pertinent que dans la mesure où il identifie l'emplacement du bien en question aux fins de la Loi sur les Indiens » (je souligne). La livraison des chèques au bureau situé dans la Réserve plutôt qu'au bureau de la SPC n'aide pas selon moi les appelants en l'espèce.

[47] J'en trouve une confirmation dans le fait que le bureau situé dans l'immeuble à bureaux de la Bande a nettement été créé non pas pour une fin liée à l'application de la Loi sur les Indiens ou à l'identité des appelants à titre d'Indiens, mais — conformément à l'avis de M. Braithwaite — à seule fin d'assurer un avantage fiscal à la compagnie et à ses employés. Cette fin n'a rien à voir avec le bien d'un Indien à titre d'Indien et a tout à voir avec le fait d'assurer un avantage économique. Accepter ce facteur comme un facteur de rattachement important serait permettre les « manipulations » et les « abus » contre lesquels la Cour suprême met en garde dans l'arrêt Williams16.

Le travail de bureau de Chantal Charlie

[48] On m'a avisé que, dans la nouvelle cotisation qu'il a établie à l'égard de l'appelante Chantal Charlie, le ministre a traité le revenu tiré par cette dernière du travail de bureau qu'elle accomplissait dans la Réserve comme étant exonéré d'impôt en vertu de l'alinéa 87(1)b). Il n'y a donc aucun point en litige qui me soit soumis concernant cette partie de son revenu, et je n'exprime donc aucune opinion quant au bien-fondé de la position adoptée par le ministre.

Conclusion

[49] À mon avis, une analyse appropriée des facteurs de rattachement en l'espèce, compte tenu notamment de l'objet de l'article 87 de la Loi sur les Indiens tel qu'il a été expliqué par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Mitchell et Williams, m'amène à conclure que le revenu que les appelants ont reçu de la compagnie au cours des années en cause n'était pas situé dans la Réserve et que les appelants n'ont donc pas droit à l'exonération prévue à l'alinéa 87(1)b). Les appels sont rejetés.

[50] À la conclusion du procès, les avocats des deux parties ont convenu que je ne devrais rendre aucune décision concernant les frais jusqu'à ce qu'ils aient eu l'occasion de lire les présents motifs et de faire valoir leurs points de vue. Si les avocats parviennent à s'entendre quant à l'ordonnance appropriée, ils pourront en aviser le greffier. Sinon, les avocats de l'intimée auront 20 jours à partir de la réception des présents motifs pour communiquer leurs observations écrites, et l'avocat de la partie appelante aura 20 jours pour répondre à ces observations.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de juin 1998.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour d'octobre 1998.

Mario Lagacé, réviseur

ANNEXE A

[omise]



1            Ce ne sont pas tous les appelants qui interjettent appel pour les quatre années d'imposition. Un résumé des années en cause figure à l'annexe A.

2            L.R. 1985, 5e supplément.

3            L.R. 1985, ch. I-5.

4            précitée, art. 2.

5            Les seuls ports de la Colombie-Britannique où peut être immatriculé un navire sont Vancouver, Victoria, Nanaimo et Prince Rupert.

6            Chantal Charlie a déclaré dans le cadre de son témoignage qu'elle avait commencé son travail de secrétaire en 1987. Elle peut s'être trompée quant à la date, ou c'est peut-être quelqu'un d'autre qui remplissait les fonctions de secrétaire avant 1987.

7            [1983] 1 R.C.S. 29.

8            [1992] 1 R.C.S. 877.

9            précité, pages 892 et 893.

10           [1990] 2 R.C.S. 85.

11          précité, page 885.

12           Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29.

13           Canada c. Folster, [1997] 3 C.F. 269.

14           précité, page 892.

15           Southwind v. the Queen, (1998) 222 N.R. 222 (C.A.F.), juge Linden, page 227.

16           précité, page 892.

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