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Date: 19990507

Dossier: 97-953-IT-G

ENTRE :

CINTAS CANADA LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance ont été entendus à Toronto (Ontario) les 4 et 5 février 1999. Seul Arnold Gedmintas, qui a travaillé pour l'appelante ou les compagnies que l'appelante remplace (l' « appelante » ) à différents titres pendant toutes les années en question, a témoigné. En outre, un recueil conjoint des documents — deux volumes contenant 58 pièces — a été produit, mais quelques-unes seulement des pièces ont été mentionnées par les avocats.

Questions en litige

[2] Les questions en litige sont les suivantes :

L'appelante avait-elle droit aux déductions demandées en vertu de l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) dans le calcul de l'impôt payable?

L'appelante pouvait-elle se prévaloir de la déduction pour amortissement dans le calcul de son revenu relativement à des biens inclus dans les catégories 29 et 39 de l'annexe II du Règlement de l'impôt sur le revenu (le « Règlement » )?

L'appelante pouvait-elle demander les déductions faites dans le calcul de l'impôt payable en vertu du paragraphe 127(5) de la Loi à titre de crédits d'impôt à l'investissement relativement à des biens utilisés dans la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location?

Dans chaque cas, pour pouvoir faire la déduction demandée, l'appelante et les compagnies que l'appelante remplace doivent avoir fabriqué ou transformé des marchandises en vue de la vente ou de la location au Canada pendant la période concernée. L'appelante admet que ses activités de location d'uniformes n'étaient pas des activités de fabrication, mais elle soutient qu'elles étaient des activités de transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location au Canada.

Faits

[3] La preuve a permis d'établir les faits suivants :

1. Pendant les années d'imposition en cause, l'appelante exploitait deux entreprises, l'une de location d'uniformes et d'autres marchandises (l' « entreprise de location d'uniformes » ) et l'autre, de nettoyage à sec. En 1979, le revenu brut de l'appelante provenant de l'entreprise de location d'uniformes représentait approximativement 22 p. 100 de son revenu total et, en 1990, il était passé à environ 58 p. 100. Les deux entreprises fonctionnaient indépendamment l'une de l'autre et chacune avait ses propres états financiers.

2. L'entreprise de location d'uniformes était une entreprise exploitée activement au Canada.

3. Entre 1979 et 1983, les deux entreprises étaient exploitées dans une usine située chemin Old Weston à Toronto. En 1983, l'appelante s'est installée dans une nouvelle usine rue Dundas ouest, et elle a cessé d'utiliser l'usine du chemin Old Weston pour son entreprise de location d'uniformes. Depuis 1983, la nouvelle usine sert uniquement et continuellement à l'entreprise de location d'uniformes. En 1989, l'appelante a ouvert dans le croissant Torlake à Etobicoke une deuxième usine réservée à l'entreprise de location d'uniformes. Pendant toutes les périodes pertinentes, la majorité des employés de l'appelante travaillaient dans les usines, et de 25 à 30 p. 100 d'entre eux étaient affectés aux activités d' « apprêtage » et de réparation.

4. Dans le cadre de son entreprise de location d'uniformes, l'appelante devait déterminer les exigences de ses clients en prenant en considération le type d'entreprise exploitée, les exigences particulières quant au type d'uniformes, le nombre d'employés et leurs mensurations, ainsi que toute exigence particulière du client. Les activités des clients variaient. M. Gedmintas a donné à titre d'exemple « une usine IBM, une usine de transformation d'aliments, une usine pharmaceutique, une usine de haute technologie, un garage de l'endroit et toute une gamme d'entreprises allant jusqu'au café-restaurant et aux beigneries » . Il a mentionné également les compagnies de services d'entretien comme celles qui offrent des services d'installation de systèmes de climatisation et de chauffage dans les résidences privées. L'entreprise comptait environ 1 200 clients en 1979, 2 300 en 1984, 2 800 en 1990 et 10 000 en 1999. Par conséquent, sur le plan des uniformes, les exigences variaient énormément d'un client à l'autre. L'appelante et le client concluaient une entente en vertu de laquelle l'appelante garantissait au client un approvisionnement suffisant de vêtements « finis » , retouchés et adaptés à ses besoins spécifiques. L'adaptation des vêtements aux besoins spécifiques de chaque client représentait un élément crucial de la commercialisation du produit de l'appelante. M. Gedmintas a déclaré que, si l'entreprise n'avait posé aucun écusson et qu'elle n'avait fait aucune réparation ni aucune autre adaptation, comme l'ajout de passants de ceinture ou l'ajout ou le retrait de poches, elle n'aurait conclu aucune entente avec les clients potentiels qui exigent de telles modifications. Il a déclaré en outre que le simple fait de faire l'ourlet des pantalons, par exemple, ne rendrait pas le vêtement commercialisable. L'entente prévoyait également le nettoyage et la réparation des vêtements à l'occasion, selon les besoins.

5. L'appelante louait — elle ne vendait pas — les vêtements à ses clients, à de très rares exceptions près (1 p. 100 des revenus).

6. Après avoir déterminé les exigences des clients, l'appelante achetait des vêtements comme des pantalons, des combinaisons, des chemises, des blouses de laboratoire et des blouses de travail auprès de tiers fournisseurs. Ces vêtements étaient ensuite acheminés au service d' « apprêtage » de l'usine où :

· Toutes les retouches nécessaires étaient apportées aux vêtements; notamment, on raccourcissait ou rallongeait les manches et les pantalons, on faisait les ourlets des pantalons et on ajustait la taille. M. Gedmintas a déclaré que tous les vêtements étaient plus ou moins retouchés et qu'il fallait faire l'ourlet de tous les pantalons.

· En 1989, un code à barres lisible par un ordinateur et une fiche d'identification ont été créés et apposés sur certains vêtements. Le code à barres indiquait que le vêtement était loué à un client donné pour un employé donné. Avant 1989, l'appelante apposait sur tous les vêtements des étiquettes d'identification semblables qui n'étaient pas lisibles par une machine.

· Des poches fonctionnelles (pour cartes de sécurité, outils, crayons ou autres choses semblables), des passants de ceinture supplémentaires ou des rubans réflecteurs étaient ajoutés ou des modifications semblables étaient faites à environ 5 p. 100 des vêtements.

· Sur 99 p. 100 de tous les vêtements étaient cousus des écussons de compagnie (dont certains étaient créés par l'appelante à partir de gabarits vierges) ainsi que des écussons portant le nom des employés faits à partir de gabarits vierges.

· Tous les nouveaux vêtements étaient lavés et séchés afin d'en éliminer l'encollage et de les assouplir. Cela était nécessaire pour ne pas causer d'éruptions cutanées aux personnes qui les portaient.

7. Après la première livraison des uniformes au client, les représentants du service à la clientèle de l'appelante retournaient chez le client à des dates fixées à l'avance (en général chaque semaine) pour recueillir les vêtements sales et abîmés qu'ils envoyaient à l'usine ou aux usines pour les faire nettoyer et réparer. Après avoir été triés, les vêtements nettoyés et réparés ou modifiés étaient retournés au client. Les vêtements usés ou abîmés étaient marqués à l'étape du tri, du nettoyage et du séchage. Les vêtements abîmés étaient acheminés au service des réparations pour qu'y soient effectuées des réparations comme le remplacement des boutons et des fermetures éclairs, le rapiéçage des trous et le remplacement des revers de pantalons et des poches déchirés. De 7 à 10 p. 100 de tous les vêtements soumis quotidiennement au procédé devaient être réparés.

Au cours de son témoignage, dont voici un extrait, M. Gedmintas a décrit succinctement la totalité du procédé, dont le mode de détermination du prix (de location) pour chaque client :

[TRADUCTION]

En contrepartie du prix payé, nous fournissons le vêtement que nous nous sommes engagés à fournir, c'est-à-dire que nous effectuons les adaptations nécessaires. Cela inclut la pose des écussons et des plaques d'identification ainsi que du code à barres. Une fois la première livraison effectuée, nous assurons un service hebdomadaire, c'est-à-dire que nous ramassons tous les uniformes sales, les envoyons à l'usine où ils sont nettoyés, séchés et réparés au service concerné, faisons les changements de tailles et apportons toutes les améliorations nécessaires; essentiellement, nous respectons la totalité de nos engagements pendant la durée de l'entente, qui est habituellement de cinq ans.

Observations de l'appelante

[4] L'avocat de l'appelante a présenté les principales observations suivantes :

1. L'article 125.1 de la Loi permet à une corporation de déduire, dans chaque année d'imposition pertinente, dans le calcul de l'impôt payable, un pourcentage déterminé des « bénéfices de fabrication et de transformation au Canada » réalisés pour l'année d'imposition. L'expression « bénéfices de fabrication et de transformation au Canada » est définie au paragraphe 125.1(3) comme étant le pourcentage de tous les montants dont chacun est le revenu que la corporation a tiré d'une entreprise exploitée activement au Canada, déterminé en vertu des règles prescrites à cette fin par voie de règlement, qui doit s'appliquer à la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location. À ces fins, l'article 5200 du Règlement énonce une formule pour calculer les « bénéfices de fabrication et de transformation au Canada » dans le cas des corporations autres que les petits fabricants. L'article 5202 du Règlement définit « activités admissibles » , une expression qui est utilisée dans la formule.

2. L'effet de la formule en question est de limiter les avantages découlant de l'article 125.1 aux aspects d'une entreprise qui se rapportent à la « fabrication ou la transformation » . Une corporation dont les frais généraux ou les coûts de vente ou de traitement des données sont très élevés aurait donc droit à la déduction, mais le montant s'en trouverait réduit.

3. Les termes « fabrication » et « transformation » ne sont définis ni dans la Loi ni dans le Règlement. Le paragraphe 125.1(3) énumère les activités qui sont exclues de la fabrication et de la transformation, ce qui ne permet pas cependant de déterminer si une activité donnée constitue une activité de fabrication ou de transformation.

4. L'alinéa 20(1)a) de la Loi permet au contribuable de faire, dans le calcul de son revenu, la déduction pour amortissement permise par le Règlement. Pendant les années d'imposition pertinentes, les alinéas 1100(1)y), ta) et ze) permettaient des déductions pour amortissement supplémentaires à l'égard des biens utilisés au Canada principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer.

5. Le paragraphe 127(5) de la Loi permettait, au cours de chacune des années d'imposition en cause, une déduction, dans le calcul de l'impôt payable de l'appelante, de la totalité ou d'une partie de son « crédit d'impôt à l'investissement » à la fin de l'année d'imposition. Aux termes du paragraphe 127(9), le « crédit d'impôt à l'investissement » inclut une proportion du coût pour le contribuable des « biens admissibles » . Défini au paragraphe 127(9), le « bien admissible » s'entend d'une machine prescrite ou du matériel prescrit que le contribuable a acquis après le 23 juin 1975 et qu'il utilise au Canada principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer. [...] L'alinéa 4600(2)k) du Règlement inclut, pour l'application de cette définition, les biens qui sont compris dans les catégories 29 ou 39. Pour les biens du type de ceux qui sont en cause dans le présent appel, il s'agissait de 7 p. 100 du coût des biens acquis après le 16 novembre 1978 et avant 1987, de 5 p. 100 du coût des biens acquis en 1987, de 3 p. 100 du coût des biens acquis en 1988; la proportion était nulle par la suite.

6. La déduction des bénéfices de fabrication ou de transformation, la déduction pour amortissement supplémentaire à l'égard de biens compris dans les catégories 29 ou 39 et les crédits d'impôt à l'investissement à l'égard de biens admissibles que l'appelante a demandés ont ceci de commun que, pour y avoir droit, l'appelante doit fabriquer ou transformer des marchandises en vue de la vente ou de la location dans une entreprise exploitée activement principalement au Canada. Personne ne conteste que l'appelante exploitait une entreprise uniquement au Canada. Il est admis également que l'entreprise de location d'uniformes de l'appelante était une entreprise exploitée activement. M. Gedmintas a aussi déclaré dans son témoignage que la location d'uniformes était l'entreprise principale de l'appelante. L'appelante ne prétend pas qu'elle « fabriquait » des marchandises pour ensuite les louer. La question centrale est par conséquent de savoir si les activités de l'appelante constituaient des activités de « transformation » .

7. L'arrêt de principe sur le sens à donner au terme « transformation » aux fins des appels en l'instance est la décision que la Cour de l'Échiquier du Canada a rendue dans Federal Farms Ltd. v. M.N.R., 66 DTC 5068, et qui a été confirmée par la Cour suprême du Canada, qui n'a pas rédigé de motifs (67 DTC 5311). Dans cette affaire, la contribuable exploitait une entreprise de nettoyage, de préparation et d'emballage de carottes et de pommes de terre pour leur mise en marché. La question était de savoir si la corporation était une « corporation de fabrication et de transformation » pour l'application de l'article 40A de la Loi de 1962 (ce serait le cas si au moins 50 p. 100 de son revenu brut était tiré de la vente de marchandises « transformées ou fabriquées au Canada » par la corporation). Le juge Cattanach a statué qu'il fallait donner au terme « transformé » son sens courant; il a écrit ceci à la page 5071 :

[TRADUCTION]

L'article 40A de la Loi de l'impôt sur le revenu traite de matières touchant les corporations de fabrication et de transformation en général. L'article n'a pas été adopté pour s'appliquer seulement à une industrie ou à un commerce déterminés; il s'ensuit donc que les mots en question doivent être entendus par leur sens habituel, et non pas comme ayant un sens particulier pour des personnes versées dans le vocabulaire d'une industrie ou d'un commerce donnés. C'est pourquoi je n'accepte pas la définition proposée par M. Long [le témoin du ministre], lorsqu'il dit que la transformation suppose un changement important dans la texture et la structure du produit.

Après avoir examiné différentes définitions lexicographiques du terme « transformer » dans le but d'en déterminer le sens ordinaire, le juge Cattanach a conclu ceci à la page 5072 :

[TRADUCTION]

La preuve produite par l'appelante relativement à ses opérations me convainc que celles-ci étaient un procédé ou une série de procédés visant à préparer le produit pour le marché de détail. Incontestablement, et sans parler de la qualité des légumes, une apparence propre et attrayante est un facteur important de commercialisation des produits végétaux, surtout aujourd'hui si l'on songe aux méthodes actuelles du marché de détail. Bien que le produit vendu demeure un légume, il ne s'agit plus tout à fait du légume tel qu'il a surgi de terre. Il a été nettoyé, ses qualités de conservation ont été améliorées; c'est-à-dire qu'il est devenu plus attrayant et plus commode pour le consommateur.

8. Dans l'arrêt Nova Scotia Sand and Gravel Limited v. The Queen, 80 DTC 6298, la contribuable lavait, criblait et triait du sable et du gravier. Le juge Thurlow, de la Cour d'appel fédérale, a tiré la conclusion suivante à la page 6299 :

[...] Il ne fait également aucun doute pour moi que, dans le sens ordinaire des termes, ce que l'appelante fait dans son opération de lavage, de criblage et de triage est une transformation du matériau brut extrait des carrières [...]

9. La définition du terme « transformation » dans l'arrêt Federal Farms a été approuvée et appliquée également par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Harvey C. Smith Drugs Limited v. The Queen, 95 DTC 5026 (où il a été statué que l'action de fournir des médicaments en comprimés ou en capsules ne constituait pas une transformation). Le juge Desjardins, de la Cour d'appel fédérale, a déclaré ceci à la page 5030 :

De par sa signification, le mot « transformation » employé dans son sens ordinaire ne peut désigner l'action de fournir des médicaments en comprimés ou en capsules lorsque les seuls gestes accomplis par le pharmacien consistent à enlever les comprimés ou les capsules décolorés, brisés, écaillés ou fendus, à compter le nombre de comprimés ou de capsules prescrits par le médecin et à les placer dans une fiole étiquetée et munie d'un bouchon sécuritaire. Les gestes accomplis par le pharmacien ne soumettent pas le produit [TRADUCTION] « à une méthode, à une technique ou à un système particulier de préparation ou de traitement afin d'obtenir un résultat déterminé » . Le produit original ne change pas d'état.

10. Le critère a été de nouveau confirmé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Tenneco Canada Inc. v. The Queen, 91 DTC 5207. Dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'installation et la vente de systèmes d'échappement pour les automobiles n'étaient ni de la fabrication ni de la transformation. Le juge Linden a tenu les propos suivants à la page 5209 :

Il s'agit en deuxième lieu de décider si l'appelante fait de la « transformation » . En dépit du vigoureux plaidoyer de Me Swystun, je ne suis pas convaincu qu'une activité de « transformation » quelconque ait été exercée en l'occurrence. Les pièces ont certainement fait l'objet d'ajustements et de modifications de peu d'importance, au besoin, afin que les pièces s'emboîtent bien et qu'elles soient bien fixées, mais ces opérations ne sont pas assimilables à la transformation. La question de savoir si le contribuable transforme des produits est tranchée selon deux critères: premièrement, les produits assujettis à l'opération doivent subir un changement de forme, d'apparence ou d'autres caractéristiques et, deuxièmement, le produit doit devenir plus commercialisable. [...]

[...] En outre, la transformation implique l'uniformisation; chaque produit traité est soumis au même procédé ou à un procédé très semblable (Vibroplant v. Holland [1982] 1 All E.R. 792 (C.A.)).

Les activités de l'appelante ne rentraient pas dans ces définitions. Il n'y avait pas de changement véritable de forme, d'apparence ou de caractéristiques des tuyaux et des autres pièces utilisés dans les systèmes d'échappement. Ils étaient l'objet de modifications de peu d'importance, au besoin, pour qu'ils s'emboîtent bien et que le système fonctionne. Si les modifications et ajustements n'étaient pas effectués, les clients ne recevraient pas de système réparé, en état de marche. De plus, les activités de l'appelante ne rendaient pas non plus les articles plus vendables. La convention relative à l'achat et à l'installation des pièces, formant un système en état de fonctionner, est conclue avant que l'installation soit faite. Si ce ne sont pas les bonnes pièces, si elles ne s'emboîtent pas bien, ou si elles ne fonctionnent pas bien, la convention ne sera pas exécutée par l'appelante et le client n'aura pas à verser le paiement.

11. Le critère à appliquer pour déterminer s'il y a eu des activités de transformation, c'est-à-dire s'il y a eu un changement dans la forme, l'apparence ou d'autres caractéristiques des marchandises, et si celles-ci deviennent ainsi plus commercialisables, est par conséquent bien établi. L'application de ces principes dans une affaire donnée dépend des faits qui lui sont propres.

12. La Cour d'appel fédérale a conclu que la transformation suppose que chaque produit est soumis à un procédé uniforme (Tenneco) ou que le produit est soumis à une méthode, à une technique ou à un système particulier de préparation ou de traitement (Harvey C. Smith). La preuve sur vidéocassette et le témoignage de M. Gedmintas montrent que les uniformes dont l'appelante faisait la location étaient soumis à un procédé uniforme et extrêmement organisé de traitement, c'est-à-dire retouches, adaptations et étiquetage à l'étape de l'apprêtage, du tri, du nettoyage et de la réparation des vêtements portés et salis, et, à la fin du procédé, du tri pour la distribution des vêtements. Le caractère systématique du procédé ou le fait qu'il est uniforme et organisé ne peut, à mon avis, être distingué de quelque façon significative que ce soit des procédés qui s'appliquaient aux légumes dans l'affaire Federal Farms [...]

13. La jurisprudence requiert donc qu'il y ait changement dans la forme, l'apparence ou les autres caractéristiques des marchandises soumises au procédé. L'appelante soutient que les procédés auxquels les vêtements sont soumis dans leur ensemble, notamment :

· les retouches,

· la création d'écussons portant le nom de l'employé,

· la création d'écussons pour les compagnies,

· la pose des écussons des compagnies et des employés sur les vêtements,

· la préparation et la pose d'étiquettes d'identification pour le tri automatisé,

· l'ajout de poches, de passants de ceinture, de rubans réflecteurs et d'autres éléments semblables au besoin,

· le lavage et le séchage des vêtements,

· la teinture de serviettes d'ateliers,

· la réparation des vêtements,

· le marquage et le remplacement des vêtements élimés,

· le tri des vêtements pour la livraison,

constituent des changements dans la forme ou l'apparence des vêtements, analogues aux changements dans la forme ou l'apparence ou les caractéristiques apportés aux légumes dans l'affaire Federal Farms [...] ou au sable et au gravier lavé et trié dans l'affaire Nova Scotia Sand and Gravel [...] Lorsqu'un vêtement est transformé par l'appelante, sa forme et son apparence s'en trouvent modifiées, même s'il n'a pas fondamentalement changé; les activités de l'appelante satisfont par conséquent à cette partie du critère.

14. Le deuxième volet du critère consiste à déterminer si le procédé en question rend le produit plus commercialisable. M. Gedmintas a déclaré que les retouches et les adaptations faites aux vêtements loués — ajustement, ajout de passants de ceinture, ajout ou retrait de poches et autres choses semblables — et la pose d'étiquettes d'identification et d'écussons sur les vêtements loués constituaient des éléments essentiels du produit à louer, et que les clients de l'appelante ne loueraient pas les vêtements si ceux-ci n'étaient pas soumis à ce procédé. Il est évident également que les clients ne concluraient pas de contrat de location s'il n'était pas entendu que le nettoyage, les réparations et le remplacement requis des vêtements usés seraient effectués pendant la durée du contrat. La transformation du vêtement est donc un élément essentiel des exigences du client. Il s'ensuit que les activités de transformation de l'appelante rendent les uniformes qu'elle loue plus commercialisables.

15. À cet égard, la situation de l'appelante diffère de celle, par exemple, du marchand de vêtements qui nécessitent des retouches après leur achat par un client. Si certains marchands de vêtements seulement offrent des services de retouche, on peut difficilement affirmer qu'un client donné achète le vêtement parce qu'il sait que les retouches seront faites par le marchand en question. En effet, le client a normalement le choix de l'endroit où les retouches seront faites. Dans le cas des clients de l'appelante, cependant, les retouches, l'étiquetage et autres procédés faisaient partie intégrante, selon le témoignage de M. Gedmintas, du « programme » que le client louait. Il ne fait donc aucun doute que les activités de l'appelante rendaient les uniformes plus commercialisables. En outre, [...] selon la position administrative de Revenu Canada énoncée dans le bulletin IT-145R, l'activité analogue du marchand de vêtements qui consiste à faire des retouches constitue bel et bien une activité de fabrication et de transformation.

16. Dans l'affaire Nettoyeur Shefford Inc. v. M.N.R., 94 DTC 1926, la contribuable exploitait une entreprise qui paraît être très semblable à celle de l'appelante. Elle exploitait une entreprise de nettoyage à sec et une entreprise de location de deux genres de produits : des nappes et des draps d'une part et des vêtements industriels et autres d'autre part. Les activités de nettoyage à sec représentaient 35 p. 100 du chiffre d'affaires de l'entreprise. Les activités de location d'uniformes paraissent avoir été effectuées de façon semblable à celles de l'appelante.

17. Le juge Tremblay, de la Cour canadienne de l'impôt, a conclu que les activités de la contribuable ne constituaient pas des activités de « transformation » , principalement parce que les activités de transformation nécessitaient un changement du produit qui atteignait « la structure du bien de façon substantielle » . Pour le juge Tremblay, le libellé de la loi signifie qu'un processus doit provoquer « un changement au niveau de la forme, de la structure ou encore des propriétés des marchandises qui en font l'objet » pour être admissible. Le juge a dit ceci :

Cette Cour est profondément convaincue qu'un unique changement au niveau de l'apparence d'un bien ne constitue pas une transformation au sens où on l'utilise au sein des déductions recherchées.

Une modification à la forme permettant de relever la présence d'une transformation devra donc atteindre la structure du bien de façon substantielle.

18. Cette interprétation n'est pas compatible avec la décision du juge Cattanach dans l'arrêt Federal Farms, qui a été approuvée par la Cour suprême du Canada et qui a expressément rejeté la notion selon laquelle la transformation « suppose un changement important dans la texture et la structure du produit » (page 5071). Le juge Tremblay a appliqué un critère beaucoup plus restrictif que celui qui est établi dans la jurisprudence.

19. Enfin, le juge Tremblay a conclu que le fait que le contribuable fût propriétaire des uniformes loués n'était qu'une « façade camouflant la véritable nature » de l'entreprise du contribuable, qui était une entreprise de services. L'argument de l'appelante à cet égard a deux volets :

Dans le cas de l'appelante, il n'y a aucun élément de façade ou de camouflage en ce qui concerne la propriété des uniformes loués. M. Gedmintas a déclaré que, pour des raisons économiques, c'est la façon dont l'entreprise était exploitée et il n'y avait rien de factice ou d'artificiel dans le fait que l'appelante était propriétaire des vêtements et qu'elle les louait à ses clients.

La loi prévoit clairement que la transformation de marchandises pour les louer est aussi admissible que la transformation de marchandises pour la vente. Elle n'exige pas que la location soit faite par une personne autre que le contribuable qui effectue la transformation. Elle prévoit donc expressément que le contribuable peut exercer une activité, à savoir la location, qui, dans un contexte différent, pourrait être qualifiée de service. Les dispositions législatives considérées dans leur ensemble règlent la chose en excluant du calcul des avantages conférés le coût des biens ou de la main-d'oeuvre consacrés entièrement aux activités de location. Ainsi, le coût du personnel affecté aux ventes, aux finances, à l'administration des activités de location et à des activités semblables, ainsi que le coût des biens en immobilisation comme le matériel de traitement des données ou le matériel informatique, nécessaires à ces activités, ne donnent droit à aucun avantage lié à la fabrication et à la transformation. Dans le cas de l'appelante, la seule main-d'oeuvre et les seules immobilisations prises en considération dans le calcul des divers avantages liés à la fabrication et à la transformation demandés sont celles qui sont directement liées aux activités de transformation, c'est-à-dire la préparation, les retouches, l'étiquetage, le nettoyage, le tri et la réparation des vêtements loués.

20. Le volet « services » de l'entreprise en question ne l'exclut pas à lui seul de la catégorie des entreprises de fabrication et de transformation. Le fait que les activités de transformation de marchandises pour la location soient mentionnées dans la loi ne laisse aucun doute à ce sujet. L'existence d'un volet « services » influe simplement sur le calcul du montant de l'avantage. Par conséquent, l'analyse du juge Tremblay ne tient pas correctement compte du régime législatif.

Observations de l'intimée

[5] L'avocate de l'intimée a fait valoir que, dans les faits, l'appelante exploitait une entreprise de nettoyage. Elle ne transformait aucune marchandise : elle offrait plutôt un service à ses clients. L'avocate soutient que la jurisprudence établit qu'il doit exister deux conditions pour qu'il y ait « transformation » . Il doit y avoir un changement de la forme des uniformes, qui doivent devenir ainsi plus commercialisables. L'avocate a ajouté que les principes directeurs sont énoncés dans l'arrêt Tenneco Canada Inc. v. The Queen, précité. Elle a cité les motifs suivants du juge Linden à la page 5209 :

La transformation suppose que les matières premières ou naturelles deviennent vendables. Ces matières premières ou naturelles, non encore transformées, sont invendables, ou vendables à prix plus bas. Ainsi, le gravier traité par lavage, séchage et broyage devient plus vendable (Nova Scotia Sand and Gravel Ltd. c. La Reine 80 D.T.C. 6298 (C.A.F.)), comme les légumes apprêtés par lavage, brossage, pulvérisation et empaquetage (Federal Farms v. M.N.R.). Ces deux activités sont de la transformation. En outre, la transformation implique l'uniformisation; chaque produit traité est soumis au même procédé ou à un procédé très semblable (Vibroplant v. Holland [1982] 1 All. E. R. 792 (C.A.)).

[...]

Cette affaire est différente de l'affaire Admiral Steel Products Ltd. v. M.N.R. (1966), 66 D.T.C. 174, dans laquelle des produits d'acier subissaient d'importantes modifications de forme, ce qui les rendait plus utiles et plus vendables. Elle diffère aussi des affaires Federal Farms et Nova Scotia Sand and Gravel, où les produits étaient transformés de sorte qu'ils fussent vendables. Ce que l'on faisait en l'espèce ressemble davantage à ce que l'on a fait dans Harvey C. Smith Drugs Ltd. c. M.N.R. (1989), 86 D.T.C. 1243 (enrobage de comprimés) et dans Kimel Ltd. c. M.R.N. (1982), 82 D.T.C. 1086 (coupe du tissu). À supposer qu'une personne achète des vêtements de confection dans une boutique et qu'il faille y faire des retouches. Faire une retouche à une tenue de confection ne serait pas considéré, à mon sens, comme assimilable à la fabrication ou à la transformation. Mais commander une tenue faite sur mesure supposerait que le tailleur fabrique les vêtements.

Cette interprétation est compatible avec l'intention du législateur, suivant l'interprétation que lui ont donnée les tribunaux, au moment de l'adoption des encouragements spéciaux prévus à l'al. 125.1(3)c) (Mother's Pizza Parlour (London) Ltd. c. La Reine 85 D.T.C. 5271 (C.F. 1re inst.)). Le monde du commerce étant ce qu'il est aujourd'hui, les marchandises passent par bien des intermédiaires avant de parvenir au consommateur. À chaque étape, des modifications de peu d'importance peuvent être apportées aux produits ou ceux-ci peuvent être assemblés en combinaison avec d'autres produits finis au fur et à mesure de leur cheminement dans le circuit. Chacun des intermédiaires ne saurait se prévaloir des encouragements simplement parce qu'il a modifié les biens d'une manière quelconque. Seules les activités qui modifient d'une manière importante le caractère des marchandises peuvent vraiment être assimilées à la « fabrication » ou à la « transformation » et justifier les encouragements fiscaux particuliers.

[6] L'avocate de l'intimée a fait valoir également que, par ses différentes activités, l'appelante ne changeait pas la forme des vêtements; elle ne faisait que promouvoir l'entreprise de services qu'est la location d'uniformes. Elle a renvoyé à l'onglet 57 du recueil de pièces, intitulé « Contrat de services » , et elle a indiqué que le prix de location réclamé au client était un prix global couvrant le nettoyage et les réparations et autres applications faites aux uniformes. L'avocate en a conclu que les activités de l'appelante s'apparentaient davantage à la prestation d'un service qu'à la transformation. Elle a soutenu en outre que le bulletin d'interprétation ne liait pas l'intimée et qu'il ne s'appliquait pas non plus car l'appelante ne faisait l'ourlet que de certaines parties des uniformes, qu'elle obtenait auprès de tiers fabricants, c'est-à-dire qu'elle ne faisait pas les retouches normalement faites par un « établissement de vente de vêtements au détail » . L'ajout d'étiquettes ne change pas la forme des marchandises. Le nettoyage, le séchage, les réparations et la livraison ne constituent pas des activités de transformation. Elle a mentionné les affaires Versa Services Ltd. et al. v. M.N.R., 92 DTC 1769 (C.C.I.), et Nettoyeur Shefford Inc. v. M.N.R., précitée.

Analyse

[7] À mon avis, les activités de l'appelante exécutées à l'étape initiale de la préparation des nouveaux vêtements et les activités exécutées tout au long du terme du contrat de services satisfont aux critères de « transformation » établis par la jurisprudence. Je renvoie particulièrement à la décision de la Cour de l'Échiquier du Canada dans l'arrêt Federal Farms Ltd. v. M.N.R., précité, qui a été confirmé par la Cour suprême du Canada — qui n'a pas rédigé de motifs — et selon lequel le nettoyage, la préparation et l'empaquetage de carottes et de pommes de terre pour la vente constituaient des activités de transformation; à la décision de la Commission d'appel de l'impôt dans W.G. Thompson & Sons, qui a conclu que les activités de nettoyage et de séchage ainsi que les autres modes de préparation de fèves blanches pour la vente étaient des activités de transformation; et à l'arrêt Nova Scotia Sand and Gravel Limited v. The Queen, précité, où la Cour d'appel fédérale a statué que le lavage, le criblage et le tri du sable et du gravier constituaient des activités de transformation. Les activités de l'appelante changeaient la forme des vêtements et les rendaient plus commercialisables, et le procédé était uniforme.

[8] De plus, je ne partage pas les opinions exprimées par le juge Tremblay, de cette cour, dans l'affaire Nettoyeur Shefford Inc., précitée. Son interprétation, bien qu'elle soit donnée dans une affaire portant sur des activités semblables à celles exécutées par l'appelante, n'est pas compatible avec la décision rendue dans Federal Farms, qui a expressément rejeté la notion selon laquelle la transformation « suppose un changement important dans la texture et la structure du produit » . Le juge Tremblay a appliqué un critère beaucoup plus restrictif que celui qui est établi dans l'ensemble de la jurisprudence (comme l'a peut-être fait le juge Linden dans Tenneco lorsqu'il a renvoyé aux « activités qui modifient d'une manière importante le caractère des marchandises » ). En outre, le juge Tremblay a conclu que le fait que la contribuable fût propriétaire des uniformes loués était une « façade camouflant la véritable nature » de son entreprise, qui était une entreprise de services. L'élément de façade ne se retrouve pas dans la présente affaire. De plus, le fait qu'il y a un élément de distribution de « services » n'a pas en soi pour effet d'exclure les activités de l'appelante des activités de transformation. C'est ce que démontre clairement l'inclusion dans la loi de renvois à la transformation de marchandises pour la location. L'existence d'un élément de « services » influe simplement sur le calcul du montant des avantages. Dans l'affaire Versa, le juge Bonner de cette cour a conclu que le simple fait de réchauffer des aliments préparés comme des hot dogs et des tranches de pizza ne constituait pas une activité de « transformation » . Il a également mentionné que le terme « transformation » subissait l'influence du terme « fabrication » , qu'il accompagne, ce qui pourrait mener à la conclusion que la « transformation » suppose l'existence d'activités plus importantes que celles de l'appelante. À mon avis, cette interprétation n'est pas compatible avec les décisions rendues dans les arrêts Federal Farms et Nova Scotia Sand & Gravel, mentionnés précédemment.

[9] En conclusion, pour toutes les raisons susmentionnées, les appels sont admis, avec frais, et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelante transformait des marchandises pour leur location au Canada au cours des années en question.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 1999.

« T. P. O'Connor »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de février 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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