Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 19980626

Dossiers: 95-3085-IT-G; 95-3087-IT-G

ENTRE :

JOHN G. CARABERIS, BONNIE BOND,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Il s’agit d'appels interjetés par John G. Caraberis et Bonnie Bond (les appelants) à l’encontre de cotisations établies pour les années d’imposition 1989, 1990, 1991 et 1992. Avec le consentement de toutes les parties, les appels ont été entendus ensemble sur preuve commune. Quatre questions distinctes ont été soulevées à l’égard desquelles les parties ont déposé un exposé conjoint des faits. De plus, les personnes suivantes ont témoigné pour le compte des appelants : M. Caraberis, Stephen B. Maltby (M. Maltby), comptable agréé qui a agi à titre de vérificateur et de comptable pour les deux appelants et leurs corporations; Craig Thompson (M. Thompson), principal chargé de comptes à la Banque de Nouvelle-Écosse (la Banque); Don Cooper (M. Cooper), contrôleur pendant les périodes pertinentes.

La question des prêts aux actionnaires

[2] En ce qui a trait à la question des prêts aux actionnaires, les parties se sont entendues sur les faits suivants :

[TRADUCTION]

1. Les appelants étaient les deux actionnaires de Seagull Pewter and Silversmiths Ltd. (Seagull Pewter) et Jonathan Bond Fine Gifts Inc. (Jonathan Bond) en 1989, 1990, 1991 et 1992. Le 30 avril 1994, Seagull Pewter et Jonathan Bond ont fusionné sous l’appellation Seagull Pewter and Silversmiths Ltd.

2. Les montants suivants ont été ajoutés au revenu de chaque appelant en application du paragraphe 15(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu à titre de prêts non remboursés consentis par Seagull Pewter et Jonathan Bond :

Année d’imposition

1990

1991

Seagull Pewter

152 614 $

200 012 $

Jonathan Bond

4 116 $

Total

156 730 $

200 012 $

3. Au cours des années en question, Seagull Pewter et Jonathan Bond ont, de temps à autre, avancé de l’argent aux appelants, les actionnaires de ces sociétés. Pendant ces mêmes années, les sociétés ont déclaré des primes ou des dividendes payables aux actionnaires et imposables comme revenus.

4. Chaque société a conservé des registres dans lesquels tous les montants avancés aux actionnaires étaient inscrits de façon à ce que l’utilisation faite des montants puisse être relevée. Par exemple, toutes les avances consenties aux actionnaires pour financer l’exploitation agricole de ginseng ont été inscrites dans un compte séparé. Les avances pour d’autres fins ont également été enregistrées séparément.

5. La fin d’exercice de chaque société était le 30 avril.

6. Les états financiers non vérifiés de Seagull Pewter pour l’exercice se terminant le 30 avril 1990 ne font état d’aucun montant dû par les actionnaires à Seagull Pewter. Ils mentionnent toutefois l’existence d’une prime payable de 506 887 $ et d’un prêt de 65 532 $ payable aux actionnaires.

7. Les états financiers non vérifiés de Jonathan Bond pour l’exercice se terminant le 30 avril 1990 ne révèlent aucun montant dû par les actionnaires à Jonathan Bond, mais ils indiquent qu’une prime de 285 000 $ était payable. Les états financiers renferment également une inscription comptable pour les montants payables aux actionnaires et celle-ci indique « néant » .

8. À compter de l’exercice se terminant le 30 avril 1991, les états financiers de Seagull Pewter et de Jonathan Bond sont des états financiers vérifiés.

9. Les états financiers vérifiés pour l’exercice se terminant le 30 avril 1991 de Seagull Pewter montrent une dette des actionnaires à l’égard de Seagull Pewter de l’ordre de 705 251 $ et ce fait est conforme à la réalité. L’inscription comptable afférente aux prêts aux actionnaires indique « néant » . Les primes payables s’élevaient à 1 993 696 $.

10. Les états financiers vérifiés de Jonathan Bond pour l’exercice se terminant le 30 avril 1991 indiquent que les actionnaires devaient à Jonathan Bond 61 951 $. Les états financiers font état de primes payables de l’ordre de 950 000 $.

11. Les états financiers vérifiés de Seagull Pewter pour l’exercice se terminant le 30 avril 1992 indiquent « néant » pour le montant dû par les actionnaires à Seagull Pewter. L’inscription comptable afférente au prêt payable aux actionnaires révèle un montant dû de 322 622 $. Une autre inscription comptable fait état de primes payables de 922 618 $.

12. Les états financiers vérifiés de Jonathan Bond pour l’exercice se terminant le 30 avril 1992 indiquent « néant » pour le montant dû par les actionnaires à Jonathan Bond. L’inscription comptable afférente au montant payable aux actionnaires indique un montant de 12 371 $. Une inscription comptable indique « néant » au titre des primes payables.

[3] M. Maltby a déclaré dans son témoignage que, pendant toutes les périodes pertinentes, les deux appelants ont touché des salaires périodiquement et que, de plus, Seagull Pewter et Jonathan Bond ont tous deux avancé de l’argent ou effectué des paiements en leur nom. Ces paiements ont été imputés à bon nombre de comptes de prêts aux actionnaires distincts, chacun étant identifié par l’objectif du prélèvement. Cette pratique visait surtout des objectifs de contrôle et de comptabilité. Voici ce qu’il dit à cet égard :

[TRADUCTION]

« Je suppose que la façon la plus simple de l’expliquer serait de fournir un exemple, soit la ferme. La fin d’exercice de la ferme correspondait à la fin de l’année civile. Seagull Pewter était la source de financement de la ferme, de sorte que toutes les dépenses de la ferme étaient payées par Seagull. Notre intention était d’établir des comptes distincts, un compte d’actionnaire distinct, parce que ces dépenses étaient de nature personnelle, puisqu’elles faisaient partie d’une société de personnes. Toutes les dépenses payées par Seagull ont été imputées au compte des actionnaires de la ferme. Nous avons procédé ainsi parce que nous avions beaucoup de difficulté à nous assurer que nous assumions toutes les dépenses personnelles. Nous avons passé des heures à examiner les livres pour tenter de trouver les retraits personnels liés à la ferme. Ainsi, dans notre sagesse, nous avons pensé établir un compte distinct pour les deux éléments particuliers, soit Northwood Springs et Northwood Farms, de façon à pouvoir surveiller facilement ces comptes. Par conséquent, lorsque nous avons préparé les états de la ferme ou effectué notre planification fiscale pour Seagull à la fin de l’année, nous avons relevé les articles associés à ces projets particuliers. Le motif accessoire consistait à expliquer à la banque que nous investissions de l’argent, qu’il ne s’agissait pas seulement de prélèvements personnels pour les actionnaires, ce qui constitue toujours une préoccupation, mais également que, à long terme, nous prenions cet argent que nous investissions dans d’autres projets qui fourniraient à Seagull d’autres sources de revenu à l’avenir. »

[4] Pour indiquer de quelle façon les prêts aux actionnaires ont été comptabilisés, M. Maltby a préparé un rapprochement pour montrer la « continuité du solde du compte des prêts aux actionnaires année après année » du 31 décembre 1987 au 30 juin 1994 (pièce A-10). Dans ce rapprochement, M. Maltby a dressé la liste de tous les comptes de prêts aux actionnaires de Seagull Pewter au cours des années en question et a calculé les soldes de fin d’année des comptes[1]. M. Maltby a déclaré que, au 30 avril 1991, les appelants devaient 706 230,06 $ à Seagull Pewter et qu’au 30 avril 1989, 1990 et 1992, Seagull Pewter devait aux appelants respectivement 215 768,14, $, 65 532,49 $ et 322 621,89 $. Dans tous les cas, ces montants étaient inscrits dans le bilan de Seagull Pewter pour la période pertinente au compte de passif intitulé « payable à l’actionnaire » ou « passif de l’actionnaire » , selon le cas. (Pièces A-3, A-4, A-6, A-8).

[5] Selon M. Maltby, à toutes les époques pertinentes, les comptes d’actionnaires étaient traités comme un seul compte dans les feuilles de travail, dans les états financiers et aux fins fiscales. Toutefois, ces comptes de prêts aux actionnaires n’étaient pas consolidés mensuellement sur les états financiers intermédiaires parce qu’ils étaient essentiellement préparés afin d’être présentés à la banque qui voulait connaître le détail de l’investissement des fonds et voulait être assurée que les appelants conservaient un registre détaillé des diverses dépenses. Les comptes des actionnaires étaient examinés à la fin des exercices des sociétés « au total, sur une base nette, pour voir où elles en étaient » et les résultats étaient analysés avec les appelants et leur directeur financier, M. Cooper. Ils envisageaient ensuite les prélèvements qui seraient requis à l’avenir pour les projets de l’année suivante et examinaient la situation fiscale des appelants et de leurs corporations.

[6] La pratique habituelle de Seagull Pewter et Jonathan Bond consistait, à ces fins, à déclarer un revenu suffisant aux actionnaires au moyen de dividendes ou de primes à la fin de leur exercice respectif. Cette mesure visait à couvrir le montant des avances faites aux actionnaires pendant l’exercice et à faire en sorte que les actionnaires ne soient pas imposés deux fois sur le revenu, une fois à titre de dividende ou de prime et une fois au titre de prêt aux actionnaires impayé en application du paragraphe 15(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi). Selon M. Maltby, la compensation véritable était effectuée non pas au moment de la déclaration des primes à la fin de l’exercice mais plutôt lorsque les primes étaient réellement payées aux appelants ce qui, normalement, survenait dans les 180 jours de la fin de l’exercice des corporations. Si une prime était déclarée, le montant d’impôt approprié était versé à Revenu Canada et le montant net après impôt était crédité au compte de prêt de l’actionnaire. Selon M. Maltby, cette pratique a été appliquée chaque année depuis 1988.

[7] En ce qui a trait aux conventions de concession de priorité, les parties ont convenu des faits suivants :

[TRADUCTION]

13. Dans le cadre des accords financiers intervenus entre Seagull Pewter et sa banque, les appelants ont signé des conventions de concession de priorité (aussi appelées « conventions de subordination » ) avec la Banque de Nouvelle-Écosse au regard des montants qui leur étaient dus par les sociétés.

14. Entre le 28 juin 1988 et le 23 octobre 1990, la convention de subordination entre John Caraberis, Bonnie Bond et la banque était pour un montant de 600 000 $. Entre le 24 octobre 1990 et le 21 octobre 1991, il n’y avait pas de convention de subordination entre les appelants et la banque. Le 21 octobre 1991, les appelants ont signé une convention de subordination avec la banque pour un montant de 729 500 $.

[8] Il ressort clairement des témoignages de MM. Maltby et Thompson que la banque a toujours été au courant du système en place en ce qui a trait à la comptabilisation des prêts aux actionnaires, qu’elle a été tenue informée mensuellement du montant de ces prêts et que, en toute connaissance de cause, elle a choisi de ne pas se prévaloir des dispositions de la convention de concession de priorité.

[9] M. Thompson a fait ressortir que la banque se préoccupait beaucoup plus du ratio de la valeur corporelle nette qui ne devait pas dépasser 4:1 que du montant de la concession de priorité. La banque était satisfaite dans la mesure où le ratio de la dette par rapport à la valeur corporelle nette demeurait relativement constant et ne s’inquiétait pas de la réduction du montant de la concession de priorité.

Position des appelants

[10] Les appelants soutiennent que, pendant toutes les années d’imposition, les montants qu’ils devaient aux corporations étaient compensés par les montants que les corporations leur devaient, et que les résultats de cette compensation étaient reflétés dans les états financiers non vérifiés et vérifiés des corporations. Ainsi, toutes les avances reçues de Seagull Pewter et de Jonathan Bond étaient remboursées en moins d’un an de la fin de l’année d’imposition de chaque corporation au cours de laquelle de telles avances avaient été reçues.

[11] Les appelants soutiennent que le droit de compensation prend naissance lorsque des parties ont un rapport de réciprocité et qu'il existe un lien entre les demandes faites par chacune d’elles[2]. Ce droit a été décrit par le juge Middleton dans les termes suivants[3] :

[TRADUCTION]

Il existe, toutefois, un autre droit en equity qui a parfois été appelé « compensation » , mais qui ne s’appuie d’aucune façon sur la loi, qui prend naissance lorsque les demandes portent sur le même contrat ou qu’elles sont tellement entremêlées par les transactions entre les parties que la Cour peut conclure qu’un crédit mutuel a été établi ou qu’il existe une entente, expresse ou tacite, selon laquelle les créances devraient être compensées l’une par l’autre. Dans de tels cas, le défendeur peut effectuer une compensation et défalquer du montant qu’il doit au demandeur le montant que ce dernier lui doit...

L’avocat fait valoir que les transactions entre les deux corporations et les appelants étaient tellement entremêlées qu’il serait injuste de permettre à une partie de poursuivre l’autre pour le plein montant de sa créance sans permettre la compensation ou la défalcation de la créance de l’autre partie.

[12] L’avocat des appelants soutient que, contrairement à la situation qui existe dans Gannon v. M.N.R.[4], la preuve présentée établit clairement l’intention d’effectuer la compensation des montants. De plus, les corporations et les appelants ont toujours compensé annuellement leurs créances mutuelles dans les registres financiers des corporations et dans les états financiers préparés par les vérificateurs, états qui, en dépit de l’assertion faite pour le compte de l’intimée, font partie intégrante des livres et dossiers des corporations. Par conséquent, tout comme dans l’affaire Docherty v. M.N.R.[5], la compensation entre les montants dus par les appelants et les montants dus aux appelants devrait être reconnue aux fins de la Loi.

[13] En ce qui a trait à l’argument de l’intimée relatif à la convention de concession de priorité, l’avocat des appelants a fait valoir que Revenu Canada n’est pas partie à l’entente entre les actionnaires et la banque. Par conséquent, Revenu Canada n’a pas le droit d’en retirer un avantage ou d’exiger l’application de quelque disposition que ce soit de cette convention. L’avocat a soutenu ce qui suit :

[TRADUCTION]

« ... il n’y a aucun doute que la House of Lords a soutenu clairement et péremptoirement la position selon laquelle il doit exister une connexité contractuelle entre les parties pour que l’une d’elles puisse rendre l’autre responsable aux termes du contrat ou autrement exiger les prestations qui lui reviendraient aux termes d’un tel contrat. Cette doctrine a indubitablement été reconnue et adoptée par les tribunaux canadiens[6]. »

Position de l’intimée

[14] L’intimée soutient que l’unification de tous les comptes n’a jamais eu lieu et que les livres et registres internes des corporations ne renferment aucune mention d’une compensation au regard des divers comptes de prêts aux actionnaires. En ce qui a trait au rapprochement par année des soldes des prêts aux actionnaires dont M. Maltby a fait état, l’avocat a soutenu, à titre d’exemple, qu’il n’y a jamais eu de compensation effectuée entre le compte 2610, un « compte de prélèvement » et le compte numéro 2615 dans les livres de la corporation. Il n’existe non plus aucune écriture de journal qui réduit l’un ou l’autre de ces comptes. Selon l’avocat, le rapprochement n’est rien de plus qu’une énumération des divers comptes et ne constitue pas la preuve d’une compensation. Au mieux, il établit seulement que les comptes ont été combinés aux fins de la présentation.

[15] Selon l’intimée, aucun texte faisant autorité ne soutient la proposition selon laquelle une compensation est automatiquement effectuée lorsque des dettes mutuelles coexistent[7], et les appelants ont tort d’affirmer que les comptes de leurs corporations devraient être examinés sur une base nette comme s’ils avaient été compensés et non de façon individuelle comme l’a fait le Ministre.

[16] L’intimée soutient également que, dans les présents appels, les appelants, pour des motifs financiers, ont cédé à la banque leur priorité à l’égard de leurs créances envers la corporation ce qui indique clairement qu’ils ont jamais eu l’intention d’effectuer la compensation des comptes.

Conclusion

[17] Les règles sur les prêts aux actionnaires contenues dans la Loi ont été conçues pour empêcher les corporations d’utiliser des prêts (ou toute autre forme d’endettement) comme façon indirecte de conférer aux actionnaires un avantage économique non imposable. Ce type de prêt était considéré comme une méthode indirecte de prélever des fonds de la corporation et, par conséquent, est assujetti à l’impôt. Le paragraphe 15(2) de la Loi précise les circonstances requises pour que le prêt de la corporation soit imposable entre les mains de l’actionnaire individuel. Trois facteurs déterminent si un prêt est inclus dans le revenu de l’actionnaire : la relation entre l’emprunteur et le prêteur; l’objet du prêt; les modalités de remboursement. Dans les appels qui nous occupent, il s’agit de déterminer si les appelants ont raison de soutenir que les montants dus par eux aux corporations ont été compensés par les montants que leur devaient les corporations, de sorte que les montants avancés par les corporations ont été remboursés dans l’année qui a suivi la fin de l’exercice des corporations au cours de laquelle les avances ont été effectuées.

[18] Dans Docherty[8], le contribuable a été autorisé à effectuer la compensation des montants dus par la société et des montants dus à la société lorsqu’il était en mesure d’établir, au moyen des documents de travail du comptable, que cela avait été son intention. Lorsqu’il a admis l’appel du contribuable, le juge Brûlé a formulé les commentaires suivants :

Dans l’affaire Gannon (précitée), le principe général selon lequel les dettes mutuelles ne peuvent pas coexister et donnent automatiquement lieu à un droit de compensation semble avoir été rejeté. Il est indispensable qu’il y ait un accord ou un contrat qui demande la liquidation de la dette. À l’appui de cette énonciation du droit, citons la décision rendue dans l’affaire Bank of Montreal v. Tudhope, Anderson & Company (1911) 21 MR 380.

Le litige, par conséquent, consiste à définir le mode de preuve de l’existence d’un tel contrat visant à liquider une dette grâce à une autre dette. Comme il a été dit dans l’affaire Gannon, une compensation automatique entre les deux parties n’aura lieu que dans le cas de comptes liés de débit et de crédit. Sans ce lien, le droit de compenser ne sera pas nécessairement reconnu, et il faudra déceler une intention de liquider une dette grâce à une autre dette (voir section 130 Canadian Encyclopaedic Digest (Western) 3e édition, Debtor and Creditor). Ce sujet a été discuté dans l’affaire Bank of Montreal (précitée). Un renvoi y est fait, à la page 387, à l’affaire Lundy v. McCulla, 11 Gr. 368 dans laquelle la Cour a déclaré :

[TRADUCTION]

À la lumière de l’équité, la compensation d’une réclamation par une autre, entre les deux mêmes parties, est extrêmement juste et, lorsqu’il existe une difficulté technique dans la manière dont la compensation s’opère sans convention, la Cour accepte une preuve moins forte de l’existence de cette convention que celle qui est habituellement exigée pour établir des faits contestés.

(Les caractères gras sont de moi)

Dans l’administration d’une petite société, il arrive souvent que des décisions soient prises sans être inscrites dans les livres. De plus, souvent dans les affaires, il n’existe aucune convention écrite entre les parties, comme l’a souligné le juge Urie dans l’affaire Massey-Ferguson Limited c. Sa Majesté La Reine, 77 DTC 5013, à la page 5017, de la façon suivante :

Au cours des siècles, l’évolution du droit commercial est remplie d’exemples où les cours reconnaissent que les hommes d’affaires ne comptent pas toujours sur une documentation technique pour prouver le véritable caractère de leurs transactions. Ils cherchent plutôt à arriver à leurs fins; surtout lorsque leurs relations sont intimes, par des procédés rapides et non formalistes, que les hommes de loi abhorrent peut-être. Ce faisant, ils prennent les risques que de telles pratiques comportent pour la détermination de leurs droits respectifs. Souvent, il n’y a aucune difficulté, mais lorsqu’il s’en produit, en l’absence de contrats ou autres documents, les cours doivent, à partir d’autres éléments de preuve dignes de foi, établir l’intention des parties et la nature des obligations qui leur incombent.

(Les caractères gras sont de moi)

[19] Dans l’arrêt Docherty[9], la Cour a d’abord cherché une preuve de compensation dans les états financiers et n’en a pas trouvé. Le juge Brûlé, toutefois, a conclu que le seul fait que les états financiers ne reflétaient pas la compensation ne suffisait pas pour rejeter cet appel. Par conséquent, pour régler la question, il s’est appuyé sur d’autres éléments de preuve, notamment les documents de travail et les registres comptables.

[20] Dans le présent appel, la même méthode s’impose. La preuve nécessaire pour établir l’existence d’une compensation entre les appelants et les corporations se trouve dans les registres financiers de la corporation et dans le témoignage cohérent des témoins. Plus précisément, la pratique comptable établie par M. Maltby en 1988 a fourni un mécanisme de repérage et de contrôle des prêts aux actionnaires. Ce dernier a aussi signalé que les primes déclarées par les corporations en fin d’exercice étaient spécifiquement structurées de façon à ce que les montants avancés par les corporations au cours de l’exercice antérieur puissent être compensés. Il est également vrai que le résultat net de la compensation est le montant qui, chaque année, a été reporté sur les états financiers non vérifiés et vérifiés de la corporation. À mon avis, ces faits confirment l’intention des parties d’effectuer une compensation des montants.

[21] L’intimée a accordé beaucoup d’importance au fait que les comptes n’avaient jamais été unifiés. Cette assertion ne tient pas compte du fait que même si les comptes de prêts aux actionnaires étaient séparés sur les états mensuels en fonction de leur utilisation, les états financiers vérifiés ou de mission d’examen les montraient comme un seul compte, payable à (ou par) l’actionnaire.

[22] En dépit de sa valeur probante restreinte, je dois aussi faire remarquer que la position soutenue par l’intimée est, dans une certaine mesure, incohérente compte tenu de son admission selon laquelle :

[TRADUCTION]

« Pendant les années en question, Seagull Pewter et Jonathan Bond ont, à l’occasion, avancé de l’argent aux appelants, les actionnaires de ces sociétés. Au cours de ces mêmes années, ces sociétés ont déclaré des primes ou des dividendes payables aux actionnaires et imposables entre les mains de ces derniers et qui étaient compensés par les montants dus par les actionnaires à la société[10]. »

[23] L’intimée soutient également que la concession de priorité accordée par les appelants à la banque à l’égard de leurs créances contre les corporations indique l’absence d’intention d’effectuer une compensation des comptes.

[24] En ce qui a trait à la convention de concession de priorité, je suis porté à endosser l’argument présenté au nom des appelants selon lequel le Ministre du Revenu national ne peut exiger l’exécution des dispositions de la convention de concession de priorité intervenue entre les actionnaires et la banque puisqu’il s’agit d’une affaire entre ces deux parties. Quoiqu’il en soit, il n’est pas contesté que la banque, aux termes de ses lettres d’engagement avec les corporations et de sa convention de concession de priorité avec les appelants, avait le droit d’intenter tout recours qu’il lui était reconnu en cas de violation de la convention visant à subordonner les prêts. Toutefois, il ressort clairement du témoignage de M. Thompson que la banque avait décidé de ne pas mettre à exécution les dispositions de la convention de concession de priorité, qu’elle était « prête à tolérer une réduction du montant des fonds subordonnés » et qu’elle ne s’opposait pas à ce que les appelants effectuent une compensation entre les montants dus par Seagull Pewter et Jonathan Bond à chacun d’eux et les montants qui étaient dus par les appelants aux corporations même si cela devait réduire le solde créditeur du compte de prêt aux actionnaires à un montant inférieur à celui de la dette subordonnée[11]. Cela semble très étrange que le Ministre veuille invoquer une convention de concession de priorité pour soutenir l’argument selon lequel il ne peut y avoir de compensation entre les montants dus par une corporation à un actionnaire et les montants dus par l’actionnaire à la corporation même lorsque la banque ne s’y oppose pas.

[25] J’ai conclu que la preuve révèle clairement l’existence d’une entente entre les parties visant à compenser les montants dus par les corporations aux appelants et les montants dus par ceux-ci aux corporations au cours des années d’imposition en question. Par l’action des compensations, les prêts aux actionnaires ont été remboursés dans le délai prescrit au paragraphe 15(2) de la Loi. Par conséquent, le montant des prêts aux actionnaires n’aurait pas dû être inclus dans le revenu des appelants pour les années d’imposition en question.

Avantage au titre des intérêts du paragraphe 80.4

[26] Le Ministre a établi une nouvelle cotisation pour chaque appelant en application du paragraphe 80.4 de la Loi en incluant à leur revenu l’avantage au titre des intérêts suivant :

Année

Seagull Pewter

Jonathan Bond

1990

3 925,00 $

1991

6 526,00 $

1 947,00 $

1992

8 920,00 $

[27] Ce problème concerne les montants ajoutés aux revenus de chaque appelant pour les années d’imposition 1990, 1991 et 1992 en application du paragraphe 80.4 de la Loi comme avantage au titre des intérêts découlant de prêts non remboursés consentis par Seagull Pewter et Jonathan Bond. Eu égard à ma conclusion en ce qui a trait à l’inclusion des prêts aux actionnaires dans le revenu de chaque appelant, l’appel concernant l’avantage au titre des intérêts sur ces montants est également admis.

Pertes agricoles

[28] En établissant la cotisation des appelants, le Ministre a calculé les pertes agricoles conformément au paragraphe 31(1) de la Loi (pertes agricoles restreintes) et par conséquent a rejeté les pertes suivantes :

Année

Pertes déclarées

Pertes admises

Pertes rejetées

1990

74 890 $

8 750 $

66 140 $

1991

167 463 $

8 750 $

158 713 $

1992

148 584 $

8 750 $

139 834 $

[29] En ce qui a trait à cette question, les faits suivants ne sont pas contestés :

[TRADUCTION]

15. Les appelants exploitent une ferme de ginseng en société de personnes sous le nom de Northwood Farms. L’exploitation de la ferme a débuté en 1988. En 1990, 4 acres de ginseng ont été plantées au début de l’année et un autre 5 acres ont été plantées dans le courant de l’année. En 1991, 7,5 acres de ginseng ont été plantées et une acre a été récoltée. À la fin de 1991, 15,5 acres de ginseng étaient plantées mais non récoltées. En 1992, une acre a été récoltée et 8,5 autres acres de ginseng ont été plantées.

16. L’appelant, John Caraberis, a visité la ferme souvent au cours de la période 1990 à 1992 et, à l’exception des périodes où il était absent de Pugwash, il a visité la ferme quotidiennement pendant la saison de croissance. Il a également réglé les diverses questions administratives associées à la ferme à partir de son bureau de Seagull Pewter.

17. Le capital engagé dans la ferme est considérable. Le total du capital investi par les partenaires (tel que reflété par la valeur nette des partenaires figurant au bilan de la ferme) pour le matériel, les bâtiments, l’amélioration de la terre et les dépenses s’élevait à 1 228 813 $ au 31 décembre 1992. Le montant investi dans la ferme à cette époque dépassait le montant de l’investissement des appelants dans Seagull Pewter.

18. Un gestionnaire à plein temps et 10 à 19 employés saisonniers travaillent à la ferme. Au cours des années qui font l’objet de l’appel, il s’agissait de l’une des plus importantes fermes de ginseng en Nouvelle-Écosse.

19. Le document numéro 17 du recueil des documents est un tableau des revenus nets projetés de la ferme jusqu’à l’an 2000. Les revenus projetés établis dans ce tableau constituaient des projections de revenus raisonnables lorsqu’elles ont été effectuées en 1992. Le tableau indique un revenu projeté de 76 000 $ à 77 000 $ pour 1993, d’environ 278 000 $ pour 1994, d’environ 530 000 $ pour 1995 et de plus de 700 000 $ pour chacune des quatre années suivantes. En 1994, le revenu net réel de chacun des appelants au regard de la ferme s’élevait à 173 861 $. Le total des salaires et dividendes réellement reçus des sociétés par chacun des appelants se chiffrait aux environs de 164 185 $.

20. Pour chacune des années 1990, 1991 et 1992, les pertes associées à l’exploitation de la ferme de ginseng ont été traitées comme des pertes agricoles restreintes à la suite de l’établissement de la nouvelle cotisation.

S'ajoutent aux faits admis les témoignages de M. Caraberis et de M. Hak-Yoon Ju (M. Ju) à l’égard de cette question.

[30] M. Ju est professeur au Département de sciences végétales au Collège d’agriculture de la Nouvelle-Écosse. Il a obtenu son doctorat de l’Université McGill (Département des sciences végétales) en 1980 avec spécialisation en nutrition, toxine végétale. Le domaine spécialisé qu’il enseigne comprend les petits fruits, les chilis et les cultures telles que le ginseng et les champignons. Depuis 1982, il a mené des recherches sur la gestion du ginseng (pratiques de culture; contrôle biologique des maladies, des insectes et des mauvaises herbes, besoins nutritionnels). Il mène également des études sur la physiologie du ginseng et le développement embryonnaire des graines de ginseng pendant la germination et la stratification.

[31] Le ginseng est utilisé dans les produits de phytothérapie et les aliments de santé, et il existe un bon nombre de produits différents dans les deux catégories. Le ginseng sert également dans la production de savons spéciaux, de bonbons, d’extraits, de thés et de breuvages. Hong Kong et les autres pays asiatiques constituent les principaux marchés car le ginseng y est utilisé depuis plus de 1 000 ans. M. Ju a expliqué dans son témoignage que la racine est la principale partie de la plante de ginseng qui est récoltée et vendue. Il n’existe pas de marché pour la racine de deux ans qui est très petite. La racine de trois ans, quoique, beaucoup plus grosse n’est habituellement pas récoltée à moins qu’il n’existe un problème de maladie. La racine de quatre ans est celle qui est généralement récoltée mais, dans les pays asiatiques, on y cultive des racines de cinq et même de six ou sept ans afin d’obtenir un meilleur prix.

[32] Au début des années 80, M. Caraberis a suivi des cours au Florida Institute of Traditional Chinese Medicine et a découvert que le ginseng joue un rôle fondamental dans les « préparations créées par les Chinois pour soigner les problèmes de santé » . Il a également appris que l’utilisation du ginseng augmentait, que la demande prévue était importante, et il a conclu que la culture du ginseng présentait une occasion rentable. En 1983, alors que M. Ju donnait un cours abrégé sur le ginseng au collège, M. Caraberis s’est entretenu avec lui au sujet de la culture du ginseng et il a visité les lots d’essais du Collège d’agriculture. Cette rencontre a été suivie de plusieurs autres spécialement pour obtenir les commentaires et les conseils de M. Ju sur la question de l’exploitation d’une ferme de ginseng[12]. Leurs discussions ont convaincu M. Caraberis que les conditions du sol et le climat de la Nouvelle-Écosse étaient adéquats et que le ginseng pourrait y être cultivé avec succès. De son côté, M. Ju s’est intéressé au projet des appelants et, lorsque l’exploitation de Northwood Farm a débuté en 1988, il a commencé à s’en servir comme modèle de recherche. Depuis 1988, il a visité la ferme de cinq à dix fois par année pour en observer de plus près le fonctionnement ainsi que pour faire des photographies et des films vidéos pour sa recherche et ses cours abrégés.

[33] M. Ju a également visité la plupart des fermes de ginseng en Nouvelle-Écosse, une grande ferme au Nouveau-Brunswick et bon nombre de fermes en Ontario. Il a remarqué que les grandes fermes pouvaient réduire les coûts de production par une utilisation plus efficace de l’équipement. Bien que Northwood Farm ne soit pas considérée comme une ferme de dimension importante, elle était, selon M. Ju, la seule ferme en Nouvelle-Écosse :

[TRADUCTION]

« qui fonctionnait convenablement et qui utilisait l’équipement approprié, et de plus, cette ferme était de dimension idéale pour une meilleure réussite de cette exploitation de ginseng. »

[34] En 1987, les appelants ont acheté, spécialement pour la production de ginseng, une parcelle de terre de 220 acres dont environ 100 acres étaient dégagés. Au cours de cette période, M. Caraberis a entretenu une relation continue avec un des plus importants producteurs de ginseng en Ontario, David Huffman (M. Huffman), afin d’apprendre tout ce qu’il pouvait sur la culture du ginseng. Au printemps de 1988, plusieurs acres ont été préparées pour le ginseng par le labourage, les analyses du sol et l’épandage d’engrais. Suivant le conseil de M. Huffman, les appelants ont décidé d’utiliser le premier ensemencement à des fins d’essai et d’apprentissage. Par conséquent, une seule acre a été ensemencée de ginseng cette année-là. Pour cette même raison, il n’y a pas eu d’ensemencement en 1989. Toutefois, lorsque les pousses du premier ensemencement sont apparues, les programmes d’arrosage et de sarclage ont débuté, et puisque l’habitat naturel du ginseng est la forêt, des abris ont été construits pour protéger la culture du soleil. Satisfaits des premiers résultats, les appelants ont ensemencé quatre acres au début de 1990 et cinq autres acres au cours de l’année. Sept acres et demie ont été ajoutées en 1991 et huit acres et demie en 1992. Actuellement, environ 45 acres sont ensemencées de ginseng.

[35] Au cours des premières années de l’exploitation, M. Caraberis a souvent consulté M. Huffman sur diverses questions et lui a fait visiter Northwood Farm à plusieurs occasions. De plus, M. Caraberis a délibérément exécuté lui-même toutes les tâches essentielles de la ferme afin de comprendre concrètement tous les problèmes et en découvrir les solutions. À mesure que le nombre d’acres ensemencées augmentait, il est devenu nécessaire d’engager un gestionnaire à plein temps (Gary Brumwell) pour veiller à ce que toutes les étapes nécessaires du processus soient exécutées en temps opportun. En 1992, 26 acres ont été ensemencées et M. Caraberis a remplacé sa participation directe par une surveillance consistant, généralement, en rencontres plus ou moins quotidiennes avec M. Brumwell pendant la saison de croissance (avril-novembre), en inspections des champs, en dépistage de problèmes de maladie et en « veillant à ce que tout se déroule comme il faut » . Depuis, d’autres employés ont été embauchés et la ferme emploie actuellement environ 15 travailleurs permanents pendant la saison de croissance, une aide supplémentaire étant embauchée pendant les périodes à haute densité de main-d’oeuvre, soit les périodes de sarclage et de récoltes. Au cours des dernières années, l’expertise de M. Brumwell a atteint un niveau tel que la participation directe de M. Caraberis est devenue de moins en moins fréquente et a porté principalement sur la planification et la stratégie globales de la ferme.

[36] L’engagement de capital était considérable et, au 31 décembre 1992, les appelants avaient investi 1 228 813 $ pour du matériel, des bâtiments et l’amélioration des terres. Il est également reconnu que les montants investis dans l’exploitation de la ferme ont dépassé le montant des investissements des appelants dans Seagull Pewter à cette date. Le capital investi provenait d’épargnes personnelles, des primes et des dividendes de Seagull et de prêts consentis par la BFD, la Banque Royale du Canada et la Farm Loan Board de la Nouvelle-Écosse. Les appelants ont personnellement garanti tous les prêts.

[37]Lorsque l’exploitation de ginseng a débuté, les appelants prévoyaient que la vente des racines de ginseng mûres avec, en complément, la vente de graines de ginseng à d’autres exploitants constituerait leur principale source de revenu. En 1990, le prix de la racine de ginseng était, selon M. Ju, établi à 40 $ la livre, les prix variant dans une certaine mesure en fonction de la qualité. Les appelants savaient que la production agricole dépendrait en grande partie de la qualité du sol et que, comme l’a fait remarquer M. Ju, le ginseng cultivé dans un sol pauvre pourrait produire 2 000 livres par acre tandis que dans un bon limon sableux, 3 000 livres par acre correspondaient à une récolte très moyenne. Les appelants savaient également que, compte tenu du temps requis pour produire une récolte de racines mûres, ils devaient prévoir, comme l’a décrit M. Caraberis, quatre ou cinq ans de décaissements initiaux sans revenu.

[38] En 1991, une petite surface cultivée a été récoltée mais aucune vente n’a été enregistrée. En 1992, les ventes de ginseng s’élevaient à 104 080 $ et les dépenses se chiffraient à 405 407 $[13]. Cette année-là, les appelants ont examiné leur exploitation agricole avec le contrôleur, M. Cooper, et ont effectué des projections en ce qui a trait à la superficie, au rendement, aux ventes et aux dépenses (pièce A-22). Une annexe préparée par M. Cooper révèle que les revenus nets projetés pour les années 1993, 1994 et 1995 étaient respectivement de 77 000 $, 278 000 $ et 530 000 $. Pour les quatre années suivantes, les revenus annuels nets devaient dépasser 700 000 $. Les revenus nets réels de l’exploitation agricole pour les années 1992 et 1993 étaient respectivement de 91 934 $ et 42 325 $[14]. De plus, il a été reconnu que chaque appelant a réalisé en 1994 un revenu net réel découlant de la ferme de 173 861 $[15].

Conclusion

[39] La question consiste à déterminer si le revenu de l’entreprise agricole des appelants était une principale source de revenu au sens du paragraphe 31(1) de la Loi, ce que leur permettait de déduire de leur revenu le plein montant des pertes agricoles admissibles subies au cours des années d’imposition 1990, 1991 et 1992.

[40] L’intimée reconnaît que les appelants avaient une expectative raisonnable de profit, et il a été établi que les appelants étaient engagés dans des activités agricoles qui constituaient une source de revenu aux fins de la Loi. Le paragraphe 31(1) de la Loi limite à 8 750 $ le montant de la déduction pour de telles pertes dans des circonstances où la principale source de revenu d’un contribuable n’est pas l’agriculture ni une combinaison d’agriculture et d’autres sources de revenu. La position de base de l’intimée est que la ferme n’était pas et qu’elle ne pouvait être une principale source de revenu au sens de cette disposition.

[41] La cause qui fait jurisprudence en matière d’interprétation à donner au paragraphe 31(1) de la Loi est l’arrêt Moldowan c. La Reine[16]. Le juge Dickson (tel était alors son titre) a laissé entendre que le critère pour déterminer si une source de revenu constituait la principale source de revenu d’un contribuable est à la fois relatif et objectif. Voici ce qu’il dit à cet égard :

... Ce qui distingue la principale source de revenu du contribuable, c’est l’expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analyser ces éléments, notamment à l’égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future. Un changement dans les habitudes ou la façon de travailler d’un contribuable ou dans ses expectatives raisonnables peut indiquer une modification de la principale source de revenu, mais cela demeure une question de fait dans chaque cas.

Conservant ces principes à l’esprit, j’examine maintenant la preuve devant la Cour.

[42] L’intimée a soutenu que les appelants, en dépit du fait qu’ils aient investi d’importantes ressources financières dans la ferme de ginseng, n’ont pas modifié leur façon coutumière de travailler qui consistait à consacrer la plus grande partie de leur temps à Seagull Pewter et à Jonathan Bond. Eu égard à la preuve devant moi, cela ne semble pas avoir été le cas.

[43] Pour déterminer l’expectative raisonnable de revenu des appelants en provenance des diverses sources, il est nécessaire d’envisager la nature et l’envergure de toutes leurs entreprises. En ce qui a trait au temps et à l’effort consacrés, plus particulièrement par M. Caraberis, nous pouvons examiner à titre indicatif la façon dont Seagull Pewter a commencé, s’est développé et a été exploité au cours des années d’imposition en question. À leur arrivée au Canada en 1974, les appelants ont gagné leur vie en fabriquant et en vendant des articles d’artisanat. Ils sont ensuite passés à la fabrication de bijoux en argent sterling et ont acquis de l’expérience en matière d’oeuvres artisanales techniques. En 1978, ils ont fait l’acquisition de matériel de production pour une gamme d’articles d’étain et ont commencé à exploiter une entreprise sous le nom de Seagull Pewter. Cette entreprise a été construite « un pas à la fois, un employé à la fois, un nouveau compte à la fois, un nouveau produit à la fois » au point où Seagull Pewter, aujourd’hui une société de grande envergure, compte 350 employés et cinq magasins de détail, dont deux à Halifax, un à Pugwash, un à Philadelphie et un à Banff. L’usine de fabrication est située à Pugwash et une plus petite usine a été établie à Sainte-Lucie, dans les Caraïbes. Jonathan Bond a ensuite été constitué à titre de société parapluie pour les magasins de détail. Comme les états financiers déposés en preuve permettent de le constater, cette entreprise a été profitable, et les appelants en ont tiré des revenus considérables pendant les années en question et les années subséquentes. Il importe de signaler que la même méthode du « pas à pas » a été adoptée par les appelants à l’égard du développement de la ferme de ginseng.

[44] Dans les appels qui nous occupent, une simple comparaison du temps consacré aux diverses entreprises pour tenter de quantifier les habitudes ou la façon de travailler des contribuables n’aide guère à déterminer quelle source de revenu constitue leur principale source de revenu. Il est évident que, au moment de l’achat de Northwood Farm les opérations quotidiennes de Seagull Pewter et les décisions de gestion relevaient d’un directeur général, Carol Faulise. En 1991, la gestion des corporations a été confiée à un chef des opérations puis, quelques années plus tard, à un chef de la direction. M. Caraberis a expliqué dans son témoignage qu’il avait, depuis environ dix ans, cessé de s’occuper concrètement de l’administration quotidienne des « corporations Seagull » et qu’il était surtout intéressé à des projets relatifs à des marchés hors frontière, « pour en établir l’orientation, examiner de nouveaux débouchés et de nouvelles possibilités » et à l’examen périodique des données financières avec la direction générale. Eu égard à ces faits, il est raisonnable de conclure que M. Caraberis, plus particulièrement, avait consacré beaucoup de temps à l’exploitation agricole. À mon avis, soutenir énergiquement qu’il n’y a pas eu de changement dans l’orientation professionnelle équivaut à ne pas tenir compte des faits.

[45] L’intimée a également fait valoir que, selon toute attente, Northwood Farm ne deviendrait jamais une source importante de profit comparativement à l’envergure, solidement établie, des autres sources de revenu des appelants. À ce titre, la ferme doit être considérée comme une entreprise secondaire.

[46]Les appelants ne prétendent pas qu’au moment d’entreprendre l’exploitation de la ferme leur objectif consistait à remplacer Seagull Pewter comme source de revenu. Northwood Farm a plutôt été considérée comme une occasion profitable et une autre source de revenu raisonnable pour les appelants. Il est juste de dire que, en tout temps, les appelants visaient la coexistence des deux flux de revenu.

[47] En ce qui a trait à la rentabilité, voici ce qu’a fait observer le juge Strayer dans l’affaire Godfrey Mohl c. La Reine[17] :

... J’emploie l’expression « bénéfices appréciables » parce qu’il ressort de l’arrêt Morrissey qu’on ne peut ignorer l’ampleur des bénéfices anticipés et que cela signifie selon moi que l’on doit tenir compte des montants relatifs que le contribuable compte tirer de l’agriculture et d’autres sources. À moins que le montant que le contribuable s’attend raisonnablement à tirer de l’agriculture soit important par rapport aux autres sources de revenu, l’entreprise agricole sera au mieux considérée comme une « entreprise secondaire » à laquelle la restriction imposée aux pertes s’appliquera, en vertu du paragraphe 31(1).

La preuve dans les présents appels révèle que, en 1994, le revenu net de la ferme pour chaque appelant était de 173 861 $, soit un montant supérieur au salaire et aux dividendes reçus de Seagull Pewter et Jonathan Bond par chacun des appelants cette année-là. À mon avis, les appelants ont établi que les montants qu’ils espéraient raisonnablement tirer de leur ferme sont considérables par rapport à leurs autres sources de revenu. De plus, comme l’a observé le juge Bowman dans l’affaire Hover c. M.R.N.[18]:

La Loi ne stipule pas expressément que l'autre source de revenu doit être secondaire ou accessoire. Il semble que, si l'agriculture peut être combinée à une autre source de revenu, avec laquelle elle a ou non un rapport, elle peut tout aussi bien être combinée à un emploi ou à une entreprise important qu'à un emploi ou à une entreprise secondaire. De fait, si l'autre source de revenu n'était que secondaire ou accessoire, elle n'empêcherait pas que l'agriculture soit considérée à elle seule comme la principale source de revenu du contribuable, sans que celle-ci ne soit combinée à quelque autre source secondaire avec laquelle elle n'a aucun rapport.

Ces commentaires sont très appropriés en l'occurrence.

[48] Les plans initiaux des appelants consistaient à produire à la fois des racines et des graines de ginseng en vue de la vente. Avec le temps, M. Caraberis a remarqué que, dans toute récolte de ginseng « il y a toujours une racine qui ne réussira pas à obtenir une pleine valeur sur le marché de l’exportation... à cause de problèmes mineurs de maladie, de couleur, de forme ou parce qu’elle a été cassée au cours du traitement » . Une telle racine est maintenant vendue à une entreprise qu’ils ont établie en 1995 et qui l’utilise dans la production de produits à valeur ajoutée auxquels du ginseng a été additionné, par exemple, des élixirs, des thés, des bonbons, des barres granola, etc. Ce produit peut être ensuite vendu sur le marché à un prix plus élevé et générer une plus grande marge de profit. Il est manifeste qu’en créant un marché pour un produit qui autrement aurait constitué un déchet, les appelants ont pris des mesures pour maximiser la rentabilité à la fois réelle et potentielle de la ferme de ginseng.

[49] La mise en exploitation et le développement de Northwood Farm ont été précédés d’importantes consultations, d’une considération des risques en jeu et suivis de l’investissement de montants raisonnables de capital. Dans l’évaluation du risque, il a été tenu compte du fait qu’aucune récolte vendable ne pourrait être produite avant la quatrième année d’exploitation et qu’il faudrait plusieurs autres années avant d’avoir une superficie de production suffisante pour produire un revenu important. De laisser entendre que les années d’imposition en question n’étaient rien de plus qu’une étape expérimentale correspond à ne pas tenir compte à la fois de la planification et du temps requis pour faire en sorte qu’une ferme de ginseng atteigne un certain niveau de production. Je suis convaincu que cette exploitation agricole n’était pas une entreprise secondaire au sens du paragraphe 31(1) de la Loi et, par conséquent, les appelants ont droit de déduire le plein montant de leurs pertes.

Disposition des biens immobiliers

[50] Les faits suivants ne sont pas contestés :

[TRADUCTION]

21. En 1989 et 1990, un montant a été ajouté au revenu de chacun des appelants à la suite d’une nouvelle cotisation établie en fonction des profits réputés avoir été réalisés au moment du transfert de certaines propriétés à Seagull Pewter. Cette nouvelle cotisation concerne les transferts à Seagull Pewter de terres que les appelants avaient antérieurement acquis en leurs propres noms.

22. Au cours des 20 dernières années, les appelants ont acquis 53 fonds de terre.

23. Le vérificateur de Revenu Canada - Impôt a préparé un résumé des transactions foncières qui concernent les appelants. Le résumé indique qu’il n’y a eu que 13 transferts depuis 1977. Le résumé révèle également que, sur les 13 transactions, dans sept cas il s’agissait de transferts de biens soit à Seagull Pewter, soit à Seagull Foundation.

La présente affaire concerne la disposition de quatre propriétés distinctes.

[51] Bayhead : En 1987, les appelants ont acquis un entrepôt vide et un terrain (Bayhead). M. Caraberis a décrit la propriété de la façon suivante :

[TRADUCTION]

« quelques acres de terre ... donnant sur un bras de mer et comprenant un bâtiment entièrement isolé, de 6 000 pieds carrés ayant des plafonds d’une hauteur de 16 pieds, un plancher de ciment, une fournaise, de la plomberie et deux grandes portes de chaque côté. Il est construit en acier avec quelques panneaux légers sur le toit et il a été conçu à l’origine pour la construction de bateaux.

Bayhead a été transféré à Seagull Pewter en 1989 pour un montant de 130 000 $ établi en fonction d’une opinion reçue d’un évaluateur de biens fonciers[19]. Selon M. Caraberis, la propriété Bayhead avait été achetée pour une somme d’environ 60 000 $. Depuis son acquisition par Seagull Pewter, l’immeuble sert d’entrepôt.

[52] Northport : La propriété Northport est située à environ 12 milles de Pugwash; elle comprend 1 700 acres de terre et quatre grandes granges. Elle a été acquise par les appelants en 1988 pour 177 000 $. En 1990, 300 acres (sur lesquelles se trouvaient les granges) ont été transférées à Seagull Pewter pour 359 000 $. Comme dans le cas de Bayhead, le prix a subséquemment été rajusté à la baisse à 185 000 $ qui a été accepté comme étant la juste valeur marchande de la propriété au moment de sa disposition[20]. Deux des bâtiments achetés par Seagull Pewter sont entièrement consacrés à l’entreposage de matériel et de matériaux tels que des moules de caoutchouc servant au moulage de l’étain et d’autres éléments devenus inutiles. Le reste de la terre que les appelants ont conservé à titre personnel sert à des activités de la Northwood Farm. Ainsi, environ 150 acres sont utilisées à divers stades de développement de la production de ginseng.

[53] Propriété Allen : En 1988, les appelants ont acquis pour 61 000 $ deux fonds de terre désignés comme étant la propriété Allen. Selon M. Caraberis, la propriété compte de 30 à 40 acres de terre boisée adjacentes à l’usine Seagull Pewter. La propriété Allen a été vendue à Seagull Pewter en 1990 pour 70 000 $. Le prix a été établi de la façon suivante :

[TRADUCTION]

« Tout d’abord, il s’agit d’un prix assez près du prix de vente et j’ai trouvé que j’avais fait une bonne affaire et qu’elle valait un peu plus que sa juste valeur – que celle-ci serait légèrement supérieure à ce que j’ai déboursé. »

M. Caraberis a également mentionné que cette propriété avait fait l’objet d’une évaluation effectuée à leur demande, mais aucune preuve à cet égard n’a été présentée.

[54] Propriété MacEwan : En 1992, les appelants ont vendu 158 acres de bien-fonds à Seagull Pewter pour 50 500 $. Située le long de la rivière Pugwash, la propriété compte 130 acres dont une vingtaine en bordure de la rivière. D'après ce que M. Caraberis se souvient, la propriété a été achetée à la fin des années 80 au prix de 40 400 $ en partie pour la « préservation des terres » et parce que « je voulais posséder un terrain boisé » . Il a également ajouté que, à titre de motif accessoire, il voulait venir en aide à un ami qui cherchait à vendre la propriété afin de passer à autre chose. Même si M. Caraberis a affirmé que cette propriété n’avait aucune véritable utilité pour Seagull Pewter, lorsqu’on lui a demandé pourquoi la propriété avait été transférée à cette société, il a répondu que c’était pour renforcer le bilan de Seagull Pewter. Voici ce qu’il a dit :

[TRADUCTION]

« En réalité, vous savez que votre société doit conserver une bonne valeur de réalisation nette et que c’est cette valeur nette de la société qui engendre des bonnes relations avec les banques. C’est donc pour renforcer le bilan de la société que je l’ai fait. »

Conclusion

[55] Les appelants soutiennent que les gains réalisés dans chacune des ventes en question ont été ajoutés au compte de capital. Ceci étant dit, les appelants doivent présenter une preuve suffisante pour établir que chacune des propriétés a été achetée pour être détenue à titre d’investissement aux fins de gagner ou de produire un revenu. Il s’agit donc d’établir l’intention des appelants au moment de l’acquisition des propriétés et, plus particulièrement, d’établir s’il existait une intention primaire ou secondaire de les revendre. De façon générale, une telle intention doit être établie en fonction de la façon d’agir des appelants et des circonstances pertinentes et des inférences qui en découlent : Gairdner Securities Ltd. v. M.N.R.[21]et Racine et autres c. M.R.N.[22] Dans l’arrêt Racine, le juge Noël a formulé des observations suivantes :

En examinant cette question de savoir si les appelants avaient, au moment de l’acquisition, ce que l'on a parfois appelé une « intention secondaire » de revendre cette entreprise commerciale si les circonstances s'y prêtaient, il est important de considérer ce que cette notion doit comporter. Il n'est pas, en effet, suffisant de trouver seulement que si un acquéreur s'était au moment de l'acquisition arrêté pour y penser, il serait obligé d'admettre que si à la suite de son acquisition une offre attrayante lui était faite il revendrait car toute personne achetant une maison pour sa famille, une peinture pour sa maison, de la machinerie pour son commerce ou un bâtiment pour sa manufacture serait obligée d'admettre, si cette personne était honnête et que la transaction n'était pas exclusivement basée sur une question de sentiment, que si on lui offrait un prix suffisamment élevé à un moment quelconque après l'acquisition, elle revendrait. Il appert donc que le seul fait qu'une personne achetant une propriété dans le but de l'utiliser à titre de capital pourrait être induite à la revendre si un prix suffisamment élevé lui était offert n'est pas suffisant pour changer une acquisition de capital en une initiative d'une nature ou caractère commercial. Ce n'est pas en effet ce que l'on doit entendre par une « intention secondaire » si l'on veut utiliser cette phraséologie.

Pour donner à une transaction qui comporte l’acquisition d’un capital le double caractère d’être aussi en même temps une initiative d'une nature commerciale, l’acquéreur doit avoir, au moment de l’acquisition, dans son esprit, la possibilité de revendre comme motif qui le pousse à faire cette acquisition; c'est-à-dire qu'il doit avoir dans son esprit l’idée que si certaines circonstances surviennent il a des espoirs de pouvoir la revendre à profit au lieu d’utiliser la chose acquise pour des fins de capital. D'une façon générale, une décision qu’une telle motivation existe devrait être basée sur des inférences découlant des circonstances qui entourent la transaction plutôt que d’une preuve directe de ce que l’acquéreur avait en tête...

(Les caractères gras sont de moi.)

[56] Je suis convaincu que les appelants devaient avoir eu à l’esprit que chacune des propriétés en question pourrait bien, à un moment donné, être vendue à profit en totalité ou en partie à Seagull Pewter qui, dans le contexte actuel, constitue un acheteur captif. C’est la seule inférence logique qui peut être tirée des circonstances entourant les transactions. Dans le cas de chacune des propriétés (à l’exception peut-être de la propriété MacEwan), le motif principal donné par M. Caraberis pour l’acquisition était l’utilisation possible par l’entreprise. Dans le cas de Bayhead, l’entrepôt vide a été utilisé pour de l’entreposage lorsque M. Caraberis a appris qu’il était disponible. Pour lui il s’agissait :

[TRADUCTION]

« d’un actif potentiel pour la croissance future de notre société. Je ne savais pas si nous en aurions besoin ou non pour notre société, mais j’ai pensé qu’il serait sage d’en profiter.

Question : Um-hm, oui et vous l’avez acquis pour les besoins futurs de Seagull?

Réponse : J’ai pensé que nous pourrions en avoir besoin à l’avenir pour Seagull, oui. »

En ce qui a trait à Northport, M. Caraberis a expliqué dans son témoignage que le bien-fonds n’avait pas été acheté initialement par Seagull Pewter parce que « je ne savais pas ce que je voulais faire des bâtiments » . À un autre moment donné, il a mentionné que « ces bâtiments pourraient être utiles à l’avenir pour notre expansion - l’expansion de notre entreprise » . À son avis, la ferme était un actif qui appartenait aux appelants jusqu’à ce que ceux-ci décident ce qu’ils devraient en faire. Comme il l’a précisé :

[TRADUCTION]

« C’était -- mon intention était -- nous avons acheté la terre et les bâtiments et cela nous a donné du temps jusqu’à ce que nous décidions ce que nous voulions en faire ensuite, nous -- elles se trouvent encore sur place, là où elles devraient être. »

Quant à la propriété Allen, M. Caraberis la considérait comme une propriété tampon pour les opérations de production de Seagull Pewter. Selon M. Caraberis :

[TRADUCTION]

« elle nous a donné de l’espace. Elle nous a donné de l’espace pour faire ce que nous devions faire. Si nous avions besoin d’une capacité d’expansion, elle était là pour ça. Elle nous donne de l’intimité. C’est un fonds de terre que nous pouvons contrôler et embellir et faire en sorte qu’il soit comme nous voulons qu’il soit. »

En ce qui a trait à la propriété MacEwan, les motifs de son acquisition semblent imprécis, mais la preuve ne nous permet pas de conclure que son transfert à Seagull Pewter et son utilisation par cette dernière ne constituaient pas un facteur dans l’esprit de M. Caraberis au moment de l’acquisition de la propriété. C’était, comme il a dit : « un actif qui devait servir à renforcer le bilan de Seagull Pewter » . Le fait que cet objectif pouvait être réalisé par la vente à profit de la propriété ne semblerait être que la cerise sur le gâteau.

[57] L’avocat des appelants a soutenu que ceux-ci ne sont pas des marchands de biens immobiliers et a mentionné le fait que, au cours des 20 années précédentes, ils avaient acquis environ 50 propriétés disparates dont seulement 13 ont été cédées, 7 à Seagull Pewter ou Seagull Foundation. Toutefois, cela permettrait aussi de conclure que, compte tenu du nombre de transactions, les appelants et, plus particulièrement, M. Caraberis, sont bien renseignés et assez spécialisés dans le domaine du marché immobilier. Il y aurait peut-être lieu aussi de mentionner que toutes les propriétés ont été achetées avec des fonds empruntés, ce qui est souvent considéré comme étant la caractéristique d’un projet comportant un risque de caractère commercial. Le fait que ces fonds aient été empruntés de Seagull Pewter plutôt que d’un établissement de crédit ne revêt qu’une importance secondaire.

[58] J’ai exprimé précédemment le point de vue selon lequel Seagull Pewter semblait être, à toutes les époques pertinentes, le marché envisagé pour la revente à profit des propriétés en question. À mon avis, ce n’est pas une simple coïncidence que les évaluations commandées par les appelants aient soutenu les prix de revente gonflés.

[59] Si ces appelants soutiennent sérieusement que les propriétés ont été acquises à titre d’investissements de capitaux, cette intention doit être établie au moyen d’une preuve claire et convaincante. Aucune déclaration forte d’une intention d’investissement n’a été formulée par le témoin Caraberis. Il incombait aux appelants d’établir, selon une prépondérance des probabilités, que le Ministre du Revenu national s’est trompé en ajoutant à leur revenu les profits résultant de ces transactions. Les appelants ne se sont pas acquittés de ce fardeau.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juin 1998.

« A.A. Sarchuk »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour d'octobre 1998.

Mario Lagacé, réviseur



[1]            À titre d’exemple, les soldes suivants figurent aux comptes des actionnaires au 30 avril 1991 :

Numéro de compte

Solde

            #2610

                      (1 292 222,95 $)

            #2615

                      1 157 108,24 $

            #2616

            #2617

            #2618

                                666,22 $

                         408 610,56 $

                         432 067,99 $

            #2619

0,00 $

    Total en 1991

706 230,06 $

                Selon M. Maltby, les comptes numéros 2610, 2615 et 2616 étaient des comptes de prélèvements personnels tandis que les comptes 2617 et 2618 reflétaient l’investissement des appelants dans Northwood Farm et Northwood Springs, respectivement. Les montants entre parenthèses correspondent aux montants dus par Seagull Pewter aux actionnaires.

[2]           Halsbury’s Laws of England, 4e édition à la page 248.

[3]           Burman v. Rosin, (1915) 35 O.L.R. 134 à 136.

[4]           88 DTC 1282.

[5]           [1991] 1 C.T.C. 2409, 91 DTC 537 (C.C.I.);

[6]           The Law of Contract in Canada, Fridman, 2e éd., Carswell : Toronto (1986) à la page 172.

[7]           Gannon, précité.

[8]           précité.

[9]           précité.

[10]          Paragraphe 11, Avis d’appel; alinéa 1c) des réponses.

[11]          Une lettre de la Banque de Nouvelle-Écosse datée du 24 février, bien qu’écrite après le fait à la suite d’une demande de Seagull Pewter, documente l’entente existant entre la banque et les appelants pendant un certain nombre d’années au sujet des obligations de ces derniers. (Pièce A-19).

[12]          Les services de M. Ju n’ont jamais été retenus par les appelants à titre de consultant payé.

[13]          Les pertes réelles réclamées par chacun des appelants étaient de l’ordre de 148 584 $.

[14]          Ces données sont extraites d’états financiers vérifiés de la ferme au 31 décembre 1993 (avec états comparatifs de 1992). (Pièce A-21). Dans la réponse à chaque avis d’appel, l’intimée plaide que le Ministre a tenu pour acquis que les pertes nettes de l’exploitation agricole en 1992 et 1993 étaient respectivement de 291 502 $ et 280 140 $ (alinéa 2g)). En outre, les états financiers non vérifiés de l’exploitation agricole de 1992 révèlent également une perte nette de 291 502 $ (pièce A-20). Les déclarations de revenus des appelants pour les années 1992 et 1993 n’ont pas été produites devant la Cour. L’intimée n’a pas contesté les montants de revenus nets figurant dans l’état financier vérifié de 1993 et aucune preuve n’a été produite pour soutenir les hypothèses du Ministre.

[15]          Aucune preuve n’a été présentée sur la question de savoir si l’exploitation agricole a réalisé ses projections pour les années d’imposition 1995 et 1996.

[16]          77 DTC 5213 aux pages 5215-5216.

[17]          89 DTC 5236 à la page 5239.

[18]          93 DTC 98 aux pages 107-108.

[19]          Le prix de vente a par la suite été rajusté à 62 000 $, ce qui correspond à sa juste valeur marchande au moment de sa disposition.

[20]          Les prix de vente à Seagull Pewter, soit 130 000 $ pour Bayhead et 359 000 $ pour Northport, auraient été fondés sur une évaluation commandée par les appelants. Le prix de vente des deux immeubles a été rajusté à la suite d’évaluations exécutées pour le compte de Revenu Canada. Les appelants ont décidé de ne pas contester la position du Ministre et ont accepté les rajustements du prix de vente.

[21]          52 DTC 1171 à la page 1175.

[22]          65 DTC 5106 à la page 5111.

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