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Date: 20000114

Dossier: 98-1970-IT-I

ENTRE :

MADELEINE ST-JACQUES,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Montréal (Québec) le 3 décembre 1999 et révisés le 14 janvier 2000)

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] L’appelante conteste des cotisations pour ses années d’imposition 1994, 1995 et 1996. Par ces cotisations le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) a ajouté au revenu de l’appelante les sommes de 5 370,00 $, 5 859,00 $ et 5 993,00 $ au titre de prestations de retraite provenant de la Mutuelle-Vie des Fonctionnaires du Québec (la “ Mutuelle-Vie ”) pour chacune de ces années respectivement.

[2] Pour établir ces cotisations, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits énoncés aux alinéas a) à g) du paragraphe 16 de la Réponse à l’avis d’appel. Ces alinéas se lisent :

l’appelante et monsieur Guy Roberge se sont mariés le 1er juillet 1953;

l’appelante et monsieur Guy Roberge ont contracté leur mariage selon le régime de la séparation de biens;

le 26 et 28 mars 1992, une convention de séparation et de règlement quant aux mesures accessoires fut signée par l’appelante et monsieur Guy Roberge par laquelle il a été convenu, entre autres, d’une répartition égale des prestations de retraite que monsieur Roberge retirera de la Mutuelle-Vie des Fonctionnaires du Québec;

le jugement de divorce prononcé le 21 octobre 1992 entérinait les clauses de la convention de séparation datée du 26 et 28 mars 1992;

l’administrateur du régime de pension de la Mutuelle-Vie des Fonctionnaires du Québec a versé à monsieur Roberge, au cours des années en litige, le plein montant de la pension;

monsieur Roberge remettait à l’appelante, au cours des années d’imposition 1994 et 1995, selon pièces justificatives soumises, les sommes suivantes au titre de partage de la prestation de retraite de la Mutuelle-Vie des Fonctionnaires du Québec :

i) 1994 5 370 $,

ii) 1995 5 859 $;

pour l’année d’imposition 1996, le ministre considéra que l’appelante avait reçu la moitié de la prestation de retraite que monsieur Roberge encaissa de la Mutuelle-Vie des Fonctionnaires du Québec

[3] Essentiellement, l’intimée invoque l’application du sous-alinéa 56(1)a)(i) de la Loi sur l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”). Cette disposition prévoit l’inclusion dans le calcul du revenu de “ toute somme reçue par le contribuable au cours de l’année au titre ou en paiement intégral ou partiel d’une prestation de retraite ou de pension y compris sans préjudice de la portée générale de ce qui précède ”, certaines pensions, prestations ou paiements spécifiquement énumérés.

[4] Dans une convention de séparation et de règlement quant aux mesures accessoires signée le 26 et le 28 mars 1992 et entérinée par un jugement de divorce prononcé le 21 octobre 1992, l’appelante et monsieur Guy Roberge ont fait certaines ententes financières que l’on retrouve notamment aux articles 2., 3., 4., 5., 6., 15., 16. et 17. Ces articles se lisent ainsi :

2. Les actifs susceptibles de partage sont les suivants :

la pension de Guy provenant de la Mutuelle-Vie des Fonctionnaires du Québec;

les prestations de la Régie des rentes du Québec de Guy;

les prestations de la Régie des rentes du Québec de Mado;

un véhicule de marque Honda Accord EXR 1992;

les meubles garnissant et ornant le domicile familial sis au 58, chemin Rivière à Simon, St-Sauveur;

la résidence sis au 58, chemin Rivière à Simon à St-Sauveur.

3. Au moment de la signature des présentes, les biens ci-haut mentionnés sont affectés d’une dette de 155 413,00 $ répartie comme suit :

69 000,00 $ quant à l’acquisition de la résidence sis au 58, chemin Rivière à Simon;

10 700,00 $ balance de financement d’une automobile antérieure;

44 466,00 $ relatif à l’acquisition de capital-actions et/ou d’un terrain sis à St-Lazare et propriété de Guy;

31 247,00 $ relatif à un commerce sis à la Place Versailles, propriété entière de Société de Gestion GMR dont 100% du capital-actions sont propriété de Guy;

4. En considération de leur vie commune et en exécution de tout droit et obligation pouvant résulter ou découlant de leur mariage ou de sa rupture, du régime matrimonial, du contrat de mariage ou de tout contrat passé entre eux et pour valoir compensation à toute contribution et/ou avance, prêt et/ou apport, Guy et Mado procèdent au partage ci-après :

Mado demeure seule et unique propriétaire de la résidence sis au 58, chemin Rivière à Simon à St-Sauveur et en assumera toutes les charges l’affectant;

Mado conserve également la pleine propriété de tous les meubles garnissant et ornant le domicile sis au 58, chemin Rivière à Simon à l’exception d’une liste jointe à la présente en annexe A et initialée par les parties afin de reconnaître son exactitude. Ladite liste constituera les meubles dont Guy sera seul et unique propriétaire à la signature des présentes;

Guy conservera en pleine propriété le véhicule automobile de marque Honda Accord EXR 1992;

Tous les revenus provenant d’un fonds de pension de Guy à la Mutuelle-Vie des Fonctionnaires du Québec et/ou de la Régie des rentes du Québec au profit de Guy et/ou de Mado seront partagés en parts égales;

En acquittant auprès de la Caisse Populaire Anjou toutes les sommes relatives à l’utilisation d’une marge de crédit par Société de Gestion GMR et le solde jusqu’à concurrence de 20 000,00 $ par un chèque à l’ordre de Guy Roberge;

6. Guy s’engage à compléter tous les documents nécessaires afin que Mado devienne la seule et unique bénéficiaire irrévocable du régime de pension détenu auprès de la Mutuelle-Vie des Fonctionnaires du Québec, et en fournira la preuve dans les 60 jours de la signature de la présente à défaut de quoi, il reconnaît à Mado le droit d’entreprendre toutes les procédures auprès de la Mutuelle-Vie des Fonctionnaires du Québec afin de se faire reconnaître seule et unique bénéficiaire irrévocable dudit régime de pension;

...

15. Sous réserve des ententes intervenues ci-dessus quant au partage des biens entre autres, quant à la résidence et aux meubles, et quant aux droits détenus dans des régimes de pension privé et/ou public, Mado et Guy renoncent à leur droit dans le patrimoine familial demandant au Tribunal d’entériner cette renonciation et de leur en donner acte par le jugement de divorce et/ou de séparation de corps à intervenir le cas échéant;

16. Mado et Guy reconnaissent et déclarent que cette convention n’est pas faite dans le but d’obtenir la dissolution de leur mariage. Il est toutefois expressément convenu que cette convention sera jointe à une demande de divorce et/ou de séparation de corps comme convention sur les mesures accessoires dans le cas ou l’un ou l’autre intenterait de pareilles procédures;

17. Ainsi, Mado et Guy s’engagent alors à demander au Tribunal d’entériner intégralement la présente convention et de l’incorporer au jugement le cas échéant.

[5] En rapport avec l’article 15 ci-dessus, il importe de mentionner que le jugement de divorce du 21 octobre 1992 donne spécifiquement acte à la renonciation des parties au patrimoine familial.

[6] Lors de son témoignage, l’appelante a expliqué qu’elle avait emprunté la somme de 155 413,00 $, mentionné à l’article 3 de la convention, dans le but de faire une consolidation des dettes dont la majeure partie était attribuable à monsieur Roberge. L’emprunt a été garanti par hypothèque et l’appelante s’engageait à faire seule les paiements en remboursement de l’emprunt tel qu’indiqué à l’article 4. a) de la convention. L’appelante avait également accepté de verser une somme de 20 000,00 $ pour réduire la marge de crédit de monsieur Roberge et lui assurer ainsi certaines liquidités tel qu’il est prévu à l’article 5. a) de la même convention. Toutefois, en considération de ces engagements, l’appelante comptait recevoir la moitié de la pension de monsieur Roberge auprès de la Mutuelle-Vie tel que prévu à l’article 4. d) de la convention.

[7] Selon l’appelante, comme monsieur Roberge tardait souvent à lui remettre la moitié des sommes reçues par lui de la Mutuelle-Vie de façon à ce quelle puisse rencontrer les paiements mensuels en capital et intérêts relativement à l’emprunt hypothécaire qu’elle s’était engagée à rembourser, elle fit, par l’intermédiaire de son avocat, Me Benoît Roberge, une demande à la Mutuelle-Vie afin de pouvoir recevoir directement de celle-ci la moitié de la pension de monsieur Roberge à laquelle elle prétendait avoir droit.

[8] Une première réponse adressée à Me Benoît Roberge par le directeur de l’Actuariat-Assurance Collective de la Mutuelle-Vie en date du 23 mars 1993 est libellée dans les termes suivants :

Tel que discuté lors de notre conversation téléphonique de la semaine dernière, je vous confirme que madame St-Jacques demeure la conjointe de monsieur Roberge aux fins de la réversibilité de la rente en cas de décès. En effet, le texte du régime prévoit que la qualité de conjoint s’établit le jour de l’établissement de la rente. Donc, advenant le décès de monsieur Roberge, madame St-Jacques recevra, sa vie durant, une rente égale à 50% de celle payable à monsieur Roberge la veille de son décès.

Toutefois, il nous est impossible, comme vous le demandez, de verser directement à madame St-Jacques une partie de la rente de monsieur Roberge. En vertu de l’article 264 de la loi sur les régimes complémentaires de retraite, cette rente est incessible et insaisissable. Cette interprétation nous a été confirmée verbalement par la Régie des rentes du Québec.

Je vous joins copie d’une lettre envoyée à monsieur Roberge lui demandant de désigner par écrit madame St-Jacques comme bénéficiaire irrévocable.

Espérant le tout à votre satisfaction, je vous prie, Monsieur, d’accepter nos salutations les meilleures.

[9] Une lettre de confirmation adressée directement à l’appelante en date du 15 novembre 1999 se lit :

Madame,

Tel que mentionné dans ma lettre à Me Benoît Roberge datée du 23 mars 1993, il nous est impossible de vous verser directement le montant de rente que monsieur Roberge vous transfère, compte tenu des documents que nous avons en notre possession. En effet, l’article 264 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite rend la rente incessible et insaisissable.

Quant au partage de droits prévu par l’article 107 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, nous ne pouvons pas l’appliquer puisque le jugement dont nous avons copie stipule un partage des revenus et non un partage de la valeur du régime.

Je vous prie, Madame, d’accepter mes salutations les meilleures.

[10] Le deuxième alinéa de l’article 264 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (Lois refondues du Québec, volume 14 ch. R-15.1) prévoit en effet que, sauf disposition contraire de la Loi, est incessible et insaisissable “ toute somme remboursée ou toute prestation versée en vertu d’un régime de retraite ou de la présente loi et qui provient de cotisations salariales ou patronales. ”

[11] Quant à l’article 107 de la même Loi, au chapitre VIII intitulé “ Cession de droits entre conjoints ”, il se lit :

CHAPITRE VIII

CESSION DE DROITS ENTRE CONJOINTS

Partage des droits

107. En cas de séparation de corps, de divorce ou de nullité du mariage, les droits accumulés par le participant au titre d’un régime sont, sur demande faite par écrit au comité de retraite, partagés avec son conjoint dans la mesure prévue au Code civil du Québec ou par le jugement du tribunal.

Cession au conjoint.

Pareillement, lorsque le tribunal attribue au conjoint d’un participant, en paiement d’une prestation compensatoire, des droits que ce dernier a accumulés au titre d’un régime de retraite, ces droits sont, sur demande faite par écrit au comité de retraite, cédés au conjoint dans la mesure prévue par le jugement du tribunal.

[12] Or, dans le cas présent, les droits accumulés par monsieur Roberge au titre de son régime de retraite auprès de la Mutuelle-Vie n’ont jamais été partagés selon ce qui est prévu à cette disposition. Monsieur Roberge n’a jamais cédé de droits à l’appelante à l’égard de son régime de retraite. Il n’y a pas eu de partage du patrimoine familial entre les parties et cession de droits suite à ce partage. D’ailleurs, le jugement de divorce du 21 octobre 1992 donne, comme je l’ai mentionné plus haut, acte de la renonciation des parties au partage du patrimoine familial.

[13] L’appelante n’a donc jamais acquis de droits au titre du régime de retraite de monsieur Roberge auprès de la Mutuelle-Vie et n’a d’ailleurs jamais reçu une somme quelconque de cette dernière. Aux fins du sous-alinéa 56(1)a)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu, on ne peut donc prétendre qu’elle a reçu au cours de chacune des années en litige une somme “ au titre ou en paiement intégral ou partiel d’une prestation de retraite ou de pension. ”

[14] D’abord, il faut noter ici la locution prépositive “ au titre de ” équivalente de “ à titre de ” et qui signifie “ en tant que ”. De même, il faut noter l’expression “ en paiement de ”. Ensuite, pour que l’appelante puisse recevoir une somme au titre ou en paiement d’une prestation de retraite ou de pension, il aurait fallu que les parties prévoient le partage de la valeur de cet actif faisant partie du patrimoine familial et qu’il y ait ensuite cession par monsieur Roberge à l’appelante d’une partie de ses droits accumulés dans son régime de retraite ainsi que le prévoit l’article 107 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite. Cela n’a pas été le cas en l’espèce.

[15] Il ne peut y avoir eu, à la fois et en même temps, partage des droits dont un régime de retraite faisant partie du patrimoine familial et renonciation au partage de ce patrimoine. Or, je le répète, le jugement de divorce du 21 octobre 1992 donne spécifiquement acte de la renonciation au partage de ce patrimoine.

[16] En réalité, tout ce que les parties ont convenu de faire à l’article 4. d) de la convention, c’est de se partager entre elles à parts égales les revenus provenant de trois régimes distincts de retraite, soit le revenu provenant du régime de pension de monsieur Roberge auprès de la Mutuelle-Vie, le revenu provenant de la Régie des rentes du Québec au profit de monsieur Roberge de même que le revenu provenant de la Régie des rentes du Québec au profit de l’appelante. Une entente de partage de revenus provenant de différentes sources n’est pas une cession de droits à ces revenus. Un contribuable qui a un emploi et qui convient simplement de partager son revenu d’emploi avec sa conjointe ne procure pas à celle-ci une somme que l’on pourrait qualifier de revenu au titre d’un “ emploi ”. Il partage tout simplement avec une autre personne son propre revenu d’emploi. C’est la même chose dans le cas présent.

[17] Compte tenu de ce qui précède, j’en viens donc à la conclusion que le sous-alinéa 56(1)a)(i) de la Loi n’est pas applicable en l’espèce.

[18] En terminant, j’ajouterai un bref commentaire sur la décision de cette Cour dans l’affaire Walker c. Canada, (1994) A.C.I. no. 982 sur laquelle s’appuie l’avocate de l’intimée au soutien de sa position que le sous-alinéa 56(1)a)(i) est applicable en l’espèce. Comme le souligne l’avocat de l’appelante, dans cette affaire, il était clair que l’intention des parties était de procéder à une cession de la moitié des droits du mari à son épouse. L’extrait suivant de l’article 14 de l’accord de séparation dans l’affaire Walker, auquel se réfère l’avocat de l’appelante et qui est reproduit à la page 3 de la version française du jugement, ne peut être plus clair à cet égard. Le texte se lit :

Le mari cédera la moitié du produit brut de son revenu de pension de service militaire et, jusqu’à ce que les paiements résultant de la cession soient effectués et parviennent à l’épouse, il paiera à l’épouse la somme de quatre-cent dix-huit dollars et quarante-deux cents (418,42 $) par mois le premier jour de chaque mois à compter du premier jour d’avril 1988. L’épouse peut choisir de déduire les sommes payables au mari pour l’entretien de l’enfant du revenu de pension jusqu’à l’exécution de la cession, mais elle doit aviser le mari d’un tel choix avant le vingt-cinq du mois précédent. Le mari garantit qu’il veillera à cette cession avec toute la diligence voulue.

[19] On comprendra aisément que céder des droits à un revenu brut de pension n’a pas le même effet que d’en partager le revenu net avec une autre personne.

[20] Je ferai également remarquer que le paragraphe 11. du Bulletin d’interprétation IT-499 R en date du 12 janvier 1992 et portant sur les Prestations de retraite ou d’autres pensions traite de la répartition des prestations de pension selon la législation provinciale applicable en cas de séparation ou de divorce. J’estime que l’opinion exprimée à ce paragraphe selon laquelle chaque conjoint doit inclure dans son revenu la part qui lui revient lorsqu’il y a eu répartition des prestations même si l’administrateur du régime de pension n’émet qu’un seul chèque au membre du régime, qu’elle soit fondée ou non pour le cas visé, n’est pas applicable à la présente situation vu qu’il n’y a jamais eu ici répartition des prestations en vertu de l’article 107 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite puisque cette répartition ne pouvait être faite compte tenu des termes de la convention signée par les parties le 26 et le 28 mars 1992 et entérinée par le jugement de divorce du 21 octobre 1992.

[21] Pour ces motifs, les appels des cotisations établies pour les années d’imposition 1994, 1995 et 1996 de l’appelante sont admis et les cotisations sont déférées au Ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que les sommes de 5 370 $, 5 859 $ et 5 993 $ ne doivent pas être incluses dans le revenu de l’appelante pour les années 1994, 1995 et 1996 respectivement.

[22] Le tout avec dépens en faveur de l’appelante tel que demandé dans l’avis d’appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de janvier 2000.

“ P.R. Dussault ”

J.C.C.I.

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