Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990203

Dossier: 98-852-IT-I

ENTRE :

NORMAN BAKER,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] La Cour a été saisie des présents appels, portant sur des cotisations fiscales établies relativement aux années 1993, 1994 et 1995, à la suite du dépôt d'un avis d'appel effectué le 23 mars 1998 par le représentant du requérant, Barry Ward, qui est comptable agréé. Le requérant a opté pour la procédure informelle. Une réponse à l'avis d'appel a été signifiée et déposée le 21 mai 1998 ou vers cette date. Un avis d'audition a été posté aux deux parties le 3 novembre 1998.

[2] Le 8 décembre 1998, une lettre rédigée sur le papier à en-tête de M. Ward a été envoyée au greffier de la Cour. Elle se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Nous vous avisons par la présente que le contribuable susnommé souhaite se désister de l'appel susmentionné, qui devait être entendu le 12 janvier 1999 par la Cour canadienne de l'impôt à Vancouver (Colombie-Britannique).

On avait signé “ K. Mari pour B. Ward ” au-dessus de la signature dactylographiée au nom de “ Barry Ward, CA ”. Une copie de la lettre avait été envoyée au requérant.

[3] Le 21 décembre 1998, le greffier de la Cour accusait réception de cette lettre, puis avisait les parties qu'elle avait été déposée le 16 décembre 1998 et que le dossier était par conséquent clos.

[4] Le 22 décembre 1998, M. Ward écrivait ce qui suit au greffier :

[TRADUCTION]

Je vous ai fait parvenir, le 8 décembre 1998, une lettre indiquant que le contribuable susnommé souhaitait se désister de son appel. Il semble qu'il y ait eu un malentendu entre le contribuable et nous, puisque ce dernier nous informe maintenant qu'il souhaite donner suite à son appel et agir pour lui-même devant la Cour.

Veuillez donc ignorer notre lettre du 8 décembre 1998 et maintenir le dossier ouvert. Puisque, par la présente, je me retire du dossier en tant que représentant autorisé du contribuable, celui-ci peut être joint au 11470, rue Warsley, Maple Ridge (C.-B.) V2X 1T1 (no de téléphone : (604) 465-4438).

M. Ward a signé la lettre, au-dessus de sa signature dactylographiée. Une copie de la lettre a été envoyée au requérant.

[5] Après avoir eu connaissance de cette lettre, l'avocat de l'intimée a écrit au greffier en vue de consigner son objection au prétendu retrait de l'avis de désistement. Le représentant du requérant a comparu devant moi le 12 janvier 1999, me demandant de rendre une ordonnance rétablissant ses appels.

[6] Le requérant et Mme Ward ont tous deux témoigné, leur déposition établissant les faits susmentionnés. On avait autorisé M. Ward à déposer l'avis d'appel pour le compte de l'appelant, ce qu'il avait fait. Vers la fin de 1998, de graves problèmes de santé avaient contraint M. Ward à suspendre ses activités professionnelles durant plusieurs semaines. Durant cette période, sa fille, qui travaille pour lui à titre de commis et de teneuse de livre, et sa conjointe, qui travaille à son bureau à temps partiel, s'occupaient de ses affaires. Lorsqu'elle a reçu l'avis d'audition relatif aux présents appels, Mme Ward a téléphoné au requérant en vue de le rencontrer. Lors de leur rencontre, Mme Ward a d'une façon ou d'une autre eu l'impression que le requérant ne souhaitait pas donner suite à ses appels, et elle a donc fait parvenir la lettre du 8 décembre 1998 à la Cour. Après avoir reçu copie de cette lettre, le requérant a téléphoné au bureau de son représentant pour obtenir des explications. Je crois au témoignage de ce dernier, portant qu'il ne voulait pas se désister et que la lettre du 8 décembre 1998 avait été envoyée sans qu'il ne l'ait demandé. Je crois également au témoignage de Mme Ward, selon lequel elle avait cru, après avoir rencontré le requérant, qu'il ne voulait pas donner suite à ses appels.

[7] Le représentant du requérant soutient que la lettre du 8 décembre 1998 résulte d'un malentendu entre son client et Mme Ward, que le désistement a été retiré dès qu'on a découvert le malentendu, et que cette erreur ne devrait pas porter atteinte aux droits du requérant.

[8] L'avocat de l'intimée a soutenu que la lettre du 8 décembre 1998 constituait un avis de désistement valide et, qu'en application de l'article 16.2[1] de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt (la Loi), les appels sont réputés avoir été rejetés le 16 décembre 1998, soit la date du dépôt de l'avis. L'avocat invoque deux jugements rendus par la présente cour, Laskaris v. M.N.R.[2] et Bogie v. Canada[3]. L'affaire Laskaris a été jugée avant que l'article 16.2 ne soit édicté. M. Laskaris avait, par l'intermédiaire de son représentant, déposé devant la Cour un avis d'appel plus de 180 jours après la remise de son avis d'opposition au ministre, mais avant que le ministre ait tranché l'opposition. Un représentant du ministre avait conseillé au représentant du requérant de se désister de son appel, croyant à tort que ce dernier pouvait de nouveau déposer un avis d'appel après que le ministre eut tranché l'opposition. C'est ce que le représentant a fait et, selon la pratique suivie par la Cour à cette époque, le juge en chef a été saisi de l'avis de désistement et a rendu une ordonnance rejetant l'appel. Le juge Sarchuk a statué que, même si l'intimé avait sans intention de nuire incité le requérant à déposer l'avis de désistement, la Cour devait, compte tenu du désistement, rejeter ce qui constituait par ailleurs un appel valable, et n'avait pas le pouvoir d'accorder au requérant une mesure de redressement à cet égard. La Cour ayant exercé son pouvoir, le requérant perdait ainsi le droit de porter la cotisation en appel.

[9] Dans l'affaire Bogie, l'appelant avait déposé un avis d'appel à l'encontre d'une cotisation fiscale, soutenant que le bien qu'il avait vendu avait été sa résidence principale. Son comptable lui avait alors indiqué, erronément, qu'il avait antérieurement réclamé une déduction pour amortissement relativement au bien, et que ce bien ne pouvait donc être assimilé à une résidence principale. L'appelant s'est désisté de son appel, avant que son comptable ne lui fasse savoir qu'il s'était trompé en ce qui concerne la déduction pour amortissement. Saisi d'une requête en annulation de l'avis de désistement, le juge Brulé a conclu qu'il n'avait pas le pouvoir inhérent d'annuler un tel avis, puisqu'en application de l'article 16.2, l'appel était réputé avoir été rejeté à la date du dépôt de l'avis de désistement.

[10] Dans la décision Bogie, le juge Brulé a déclaré que l'appelant avait “ pris la décision réfléchie de mettre fin à l'appel ”. En l'espèce, le requérant n'a pas pris une telle décision, réfléchie ou non. Il a été mis fin à l'appel par suite du geste de Mme Ward, geste qu'on ne lui avait pas demandé de faire, contrairement à ce qu'elle croyait. J'ai conclu, bien qu'un peu à regret, que même si les faits étaient différents en l'espèce, le requérant ne pouvait se soustraire à l'effet produit par la lettre du 8 décembre 1998. L'article 17.1 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt permet à l'appelant qui opte pour la procédure informelle d'être représenté par avocat, ou par représentant :

17.1 (1) Les parties à une procédure peuvent comparaître en personne ou être représentées par avocat; dans ce dernier cas, toutefois, seules les personnes visées au paragraphe (2) peuvent agir à titre d'avocat.

(2) Quiconque peut exercer à titre d'avocat ou de procureur dans une province peut exercer à ce titre à la Cour et en est fonctionnaire judiciaire.

Il ne fait aucun doute qu'une partie à un litige est liée par les actes faits par son avocat dans le cadre d'un litige.[4] Ni l'article 17.1 ni les autres dispositions de la Loi ne laissent entendre que le représentant qui n'est pas avocat a moins de pouvoirs que l'avocat représentant son client devant la présente cour, ou qu'il a un pouvoir différent. Il n'y a pas non plus en principe de raison pour laquelle l'étendue du pouvoir implicite d'un représentant serait différente, à tout le moins dans le cas d'un professionnel agissant à titre onéreux. On ne m'a reporté à aucune décision étayant une telle distinction. M. Ward n'a par ailleurs pas laissé entendre que sa conjointe n'avait pas le pouvoir d'agir à sa place en son absence. De fait, il est clair qu'elle avait le pouvoir d'agir pour le compte de son mari. Le libellé de l'article 16.2 est clair, et je dois lui donner effet[5].

[11] Je devrais ajouter que je fonde ma conclusion sur le libellé de l'article 16.2 de la Loi, et sur le pouvoir implicite qu'a un représentant professionnel qui est payé pour mener un appel de lier son client. Le résultat pourrait bien être différent si le représentant était simplement un ami, n'ayant aucune compétence particulière, qui aiderait le requérant à titre gratuit.

[12] C'est à regret que j'en suis arrivé à ma décision en l'espèce, étant donné que j'éviterais au requérant d'avoir à subir les graves conséquences résultant de l'erreur de son représentant, s'il m'était possible de le faire. Le fait qu'il puisse intenter une action en dommages-intérêts constitue une bien mince consolation pour le requérant, compte tenu des frais que cela représente et de l'issue incertaine d'une telle action. La présente affaire devrait rappeler à ceux et celles qui choisissent d'agir à titre de représentants professionnels à la Cour qu'en ce faisant, ils acceptent la responsabilité d'exercer le degré de diligence voulu pour protéger les intérêts de leurs clients.

[13] La demande d'annulation du présumé désistement et de rétablissement des appels est rejetée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 1999.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de novembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               16.2 (1) La partie qui a engagé une procédure devant la Cour peut en tout temps s'en désister par avis écrit.

                (2) Le désistement équivaut au rejet de la procédure en cause à la date à laquelle la Cour reçoit l'avis de désistement.

[2]                90 DTC 1364.

[3]                Trouvé dans QL, à [1997] A.C.I. no 177.

[4]               Scherer v. Paletta, [1966] 2 O.R. 524 (C.A.); Begg v. East Hants and Nova Scotia (1986), 75 N.S.R. (2d) 431 (C.A.).

[5]               Canada v. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, à la page 327.

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