Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date :19980323

Dossiers : 96-1435-UI; 96-1437-UI; 96-1912-UI; 96-1915-UI; 96-2118-UI; 96-2119-UI

ENTRE :

ANNA INSALACO, GIUSEPPE INSALACO, RINA GENOVA, JOSEPH GENOVA, ANTONIO INSALACO, SILVANA INSALACO,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cuddihy, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune à Toronto (Ontario), le 2 décembre 1997 et le 17 février 1998.

I - Les appels

[2] Il s'agit d'appels qui sont interjetés à l'encontre de six règlements du ministre du Revenu national (le « ministre » ) en date du 9 mai et du 11 septembre 1996 aux termes desquels il a été déterminé que les emplois exercés pour Goreway Construction and Paving Limited (le « payeur » ) par Anna Insalaco, du 30 mai au 12 novembre 1993 et du 30 mai au 29 octobre 1994, par Giuseppe Insalaco, du 30 mai au 12 novembre 1993, par Rina Genova, du 30 mai au 29 octobre 1993 et du 30 mai au 12 novembre 1994, par Joseph Genova, du 30 mai au 1er novembre 1993, par Antonio Insalaco, du 30 mai au 1er novembre 1993, et par Silvana Insalaco, du 30 mai au 12 novembre 1993 et du 30 mai au 12 novembre 1994, étaient des emplois exclus au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ), parce que les appelants et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance.

II - Les faits

[3] Dans ses décisions, le ministre se fondait sur les faits et les motifs qui sont énoncés au paragraphe 5 de ses six réponses aux avis d'appel et qui font partie des présents motifs du jugement comme s'ils y étaient énoncés en entier.

[4] Dans l'appel no 96-1435(UI), l'appelante Anna Insalaco a, par l'entremise de son représentant, A. Natale, admis les allégations figurant aux alinéas a) à p), x) et ad) du paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Les allégations formulées aux alinéas q) à w), y) à ac), ae) et af) ont été niées.

[5] Dans l'appel no 96-1437(UI),l'appelant Giuseppe Insalaco a, par l'entremise de son représentant, A. Natale, admis les allégations figurant aux alinéas a) à p), r), s), u), v), ab) et ac) du paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. L'allégation formulée à l'alinéa q) a été admise, des explications devant être données à l'audience. Les allégations figurant aux alinéas t), w), x) à aa), ad) et ae) ont été niées.

[6] Dans l'appel no 96-1912(UI),l'appelante Rina Genova a, par l'entremise de son représentant, A. Natale, admis les allégations figurant aux alinéas a) à f) et j) à m) du paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Les allégations formulées aux alinéas g) et n) à p) ont été admises, des explications devant être données à l'audience. Les allégations figurant aux alinéas h), i) et q) à x) ont été niées.

[7] Dans l'appel no 96-1915(UI), l'appelant Joseph Genova a, par l'entremise de son représentant, A. Natale, admis les allégations figurant aux alinéas a) à f), j) à n), p), q), s) et t) du paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Les allégations formulées aux alinéas g), o) et r) ont été admises, des explications devant être données à l'audience. Les allégations figurant aux alinéas h), i), u) et v) ont été niées.

[8] Dans l'appel no 96-2118(UI), l'appelant Antonio Insalaco a, par l'entremise de son représentant, A. Natale, admis les allégations figurant aux alinéas a) à j), l), m), q) à v), x), y), aa) et bb) du paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Les allégations formulées aux alinéas k), n) à p), w), z), cc) et dd) ont été niées.

[9] Dans l'appel no 96-2119(UI), l'appelante Silvana Insalaco a, par l'entremise de son représentant, A. Natale, admis les allégations figurant aux alinéas a) à e), h) à k), p) à s), z), bb) et dd) du paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Les allégations formulées aux alinéas f), g), n), o), t), u) et y) ont été admises, des explications devant être données à l'audience. Les allégations figurant aux alinéas l), m), v) à x), aa), cc), ee) et ff) ont été niées.

III - Le droit et analyse

[10] i) Définitions tirées de la Loi sur l'assurance-chômage

« emploi » Le fait d'employer ou l'état d'employé.

« emploi assurable »

[11] Le paragraphe 3(1) se lit en partie comme suit :

3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas :

a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

« Emploi exclu »

[12] Le paragraphe 3(2) se lit en partie comme suit :

(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

d) tout emploi d'une personne au service d'une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale;

[13] ii) Définitions tirées de la Loi de l'impôt sur le revenu

Lien de dépendance et personnes liées

L'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit en partie comme suit :

Article 251. Lien de dépendance.

(1) Pour l'application de la présente loi :

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

(2)Définition de « personnes liées » . Pour l'application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

b) une société et :

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

(ii) une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,

(iii)                                                                                         toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii);

[...]

[14] Les appelants ont la charge de prouver le bien-fondé de leurs causes. Toutefois, chaque appel est un cas d'espèce devant être jugé sur la foi des faits qui lui sont propres.

[15] Ce sont les règlements du ministre qui sont portés en appel. Dans l'arrêt Sylvie Desroches c. M.R.N. (A-1470-92), à la page 3 des motifs du jugement, le juge Desjardins, de la Cour d'appel fédérale, déclarait ce qui suit :

[...] En dernière analyse, cependant, comme l'a affirmé notre Cour dans Le Procureur général du Canada c. Jacques Doucet, c'est la détermination du ministre qui est en cause, à savoir que l'emploi n'était pas assurable parce que la requérante et le payeur n'étaient pas liés par un contrat de louage de services. Le rôle du juge de la Cour canadienne de l'impôt s'étend à l'étude du dossier et à la preuve en son entier. Ainsi, le juge Marceau, au nom de la Cour, s'est-il exprimé ainsi dans l'affaire Doucet :

[...] Le juge avait le pouvoir et le devoir d'examiner toute question de fait ou de droit qu'il était nécessaire de décider pour se prononcer sur la validité de cette détermination. Ainsi le présuppose le paragraphe 70(2) de la Loi et le prévoit, dès après le paragraphe 71(1) de la Loi qui le suit [...]

Le premier juge pouvait aller jusqu'à décider qu'il n'y avait aucun contrat qui liait les parties. [...]

[16] L'interprétation doit, en cas de doute, être favorable à la partie demanderesse, et il n'y a rien qui empêche un contribuable de tirer profit d'un programme social si les exigences de la loi sont respectées. C'est ce que disait le juge Hugessen, de la Cour d’appel fédérale, dans l'affaire Canada (Procureur général) v. Rousselle et al., soit une décision en date du 31 octobre 1990 (124 N.R. 339) :

Ce n'est pas exagérer je crois, à la lumière de ces faits, que de dire que si les intimés ont exercé un emploi, il s'agissait bien d'un emploi "de convenance" dont l'unique but était de leur permettre de se qualifier pour des prestations d'assurance-chômage. Certes, ces circonstances n'empêchent pas nécessairement que les emplois soient assurables mais elles imposaient à la Cour canadienne de l'impôt l'obligation de scruter avec un soin particulier les contrats en cause; il est clair que la motivation des intimés était plutôt le désir de profiter des dispositions d'une loi de portée sociale que de participer dans le jeu normal des forces économiques du marché.

[17] La Cour doit donc dans tous les cas examiner avec soin les modalités relatives aux relations existant entre un travailleur et un payeur.

[18] De plus, les paragraphes 70(2) et 71(1) de la Loi sur l'assurance-chômage accordent à la Cour canadienne de l'impôt de vastes pouvoirs de redressement qui permettent à la Cour de régler tout différend de nature factuelle et d'infirmer, de confirmer ou de modifier les règlements du ministre1.

[19] Tous les appelants ont été entendus à l'appui des appels. Les pièces R-1 à R-22 ont été versées au dossier de la Cour.

[20] Antonio Insalaco est l'époux de Silvana Insalaco. Giuseppe Insalaco est l'époux d'Anna Insalaco. Antonio et Giuseppe Insalaco sont frères.

[21] Joe Genova est l'époux de Rina Genova. Les Genova ne sont pas liés aux appelants Insalaco.

[22] Le payeur a été constitué en société le 28 février 1991. Du 28 février 1991 au 27 septembre 1993, toutes les actions avec droit de vote en circulation du payeur étaient détenues par la famille Insalaco. Chacun des quatre membres de la famille détenait le quart des actions.

[23] Le 28 septembre 1993, deux tiers des actions avec droit de votre en circulation du payeur étaient détenues par les quatre membres de la famille Insalaco, chacun d'eux détenant un sixième des actions. L'autre tiers des actions avec droit de vote en circulation était détenu par les deux membres de la famille Genova, chacun d'eux détenant un sixième des actions.

[24] Le payeur exploite une entreprise de construction et se spécialise dans les revêtements de chaussée, les trottoirs en ciment, etc. Cette entreprise saisonnière est généralement exploitée de mai-juin à octobre-novembre.

Contrat de travail d'Anna, Giuseppe, Antonio et Silvana Insalaco

[25] Ces appelants étaient liés au payeur au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. Leurs périodes de travail considérées en l'espèce ont toutes commencé le 30 mai 1993. Il a été admis que Silvana et Anna Insalaco étaient inscrites dans le livre de paye du payeur chaque saison, pour travailler au bureau, à un salaire hebdomadaire de 600 $. Il a été admis que Giuseppe et Antonio Insalaco étaient également inscrits dans le livre de paye chaque saison, pour travailler à l'extérieur, sur le terrain, à un salaire hebdomadaire de 700 $. Il a été admis que, pour toutes les périodes pertinentes, le payeur avait retenu les services d'une teneuse de livres à temps plein. Celle-ci, Susan DiMichele, se présentait au bureau une fois par semaine; elle s'est également occupée de la facturation du payeur au bureau de ce dernier après que les travailleurs de bureau furent mis à pied.

[26] Le ministre, d'après la preuve, a pris en considération les modalités de travail de ces appelants et les arrangements qu'ils avaient conclus à cet égard. Il a pris en considération la feuille de paye, le travail accompli par les appelants, le caractère saisonnier de l'entreprise, les fonctions des appelants, le fait que deux autres actionnaires avaient, à un moment donné en 1993, investi dans le payeur et le fait que les membres de la famille Insalaco détenaient encore deux tiers des actions du payeur.

[27] Le ministre a aussi pris en considération les salaires respectifs de ces appelants, lesquels salaires n'ont pas changé après l'arrivée des deux nouveaux actionnaires minoritaires. Il a notamment pris en considération et analysé la durée, la nature et l'importance du travail accompli, ainsi que toutes les circonstances entourant l'emploi de ces appelants. De plus, le ministre a pris note du fait que l'activité de l'entreprise du payeur avait en grande partie continué après que les appelants n'eurent plus été inscrits dans le livre de paye, et Antonio Insalaco avait admis, dans la réponse, que Giuseppe Insalaco, Joe Genova et lui-même avaient tous travaillé sans être payés à des époques où ils n'étaient pas inscrits dans le livre de paye du payeur. En fait, on ne tenait pas véritablement de registre des heures de travail.

[28] Dans sa décision de considérer que les emplois des membres de la famille Insalaco étaient des emplois exclus, le ministre a-t-il agi en conformité avec le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi?

[29] Dans l'arrêt Attorney General of Canada and Jencan Limited 2, la Cour d'appel fédérale a décrit comme suit les principes devant guider la Cour canadienne de l'impôt dans un appel se rapportant au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi :

L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Dans l'arrêt Tignish, notre Cour a, sous la plume du juge Desjardins, expliqué dans les termes suivants la compétence limitée qui est conférée à la Cour de l'impôt à cette première étape de l'analyse :

Le paragraphe 7(1) de la Loi porte que le Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que les faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

À mon avis, la position de l'intimé est correctement exposée sur le plan du droit [...]3

Dans l'arrêt Ferme Émile Richard c. M.R.N., notre Cour a confirmé sa position. Dans une remarque incidente, le juge Décary a déclaré ce qui suit :

Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national (25 juillet 1994), A-555-93, C.A.F. inédit), l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que lorsque la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance[4].

L'article 70 confère le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt de toute décision rendue par le ministre en vertu de l'article 61, y compris de toute décision rendue en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). La compétence que possède la Cour de l'impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite parce que le législateur fédéral, par le libellé de cette disposition, voulait de toute évidence conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire de rendre de telles décisions. Les mots « si le ministre du Revenu national est convaincu » que l'on trouve au sous-alinéa 3(2)c)(ii) confèrent au ministre la compétence pour exercer le pouvoir discrétionnaire administratif de rendre le type de décision visé par ce sous-alinéa. Comme il s'agit d'une décision rendue en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s'ensuit que la Cour de l'impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir. Ainsi, lorsque le juge Décary déclare dans l'arrêt Ferme Émile, précité, que ce type d'appel interjeté devant la Cour de l'impôt « s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire » , il voulait simplement souligner, à mon humble avis, qu'on doit faire preuve de retenue judiciaire envers les décisions que le ministre rend en vertu de cette disposition à moins que la Cour de l'impôt ne conclue que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est contraire à la loi.

Si le pouvoir qu'a le ministre de réputer que des « personnes liées » n'ont pas de lien de dépendance entre elles pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage est un pouvoir discrétionnaire, pourquoi, pourrait-on se demander, le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt en vertu de l'article 70 s'applique-t-il au sous-alinéa 3(2)c)(ii)? La réponse est que même l'exercice de pouvoirs discrétionnaires est susceptible d'un contrôle judiciaire pour s'assurer que ces pouvoirs sont exercés d'une manière judiciaire ou, en d'autres termes, qu'il sont exercés d'une manière qui est compatible avec la loi. Il découle nécessairement du principe de la primauté du droit que tous les pouvoirs conférés par le législateur sont intrinsèquement limités. Dans l'arrêt D.R. Fraser and Co. Ltd. v. Minister of National Revenue, lord Macmillan a résumé les principes juridiques qui devraient régir un tel contrôle judiciaire. Il a déclaré :

[TRADUCTION]

Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu[5].

Le juge Abbott, de la Cour suprême, a cité et approuvé les commentaires de lord Macmillan dans l'arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration[6]. Voir également les arrêts Friends of the Oldman River Society c. Canada (ministre des Transports)[7] et Canada c. Purcell[8].

Ainsi, en limitant la première étape de l'analyse de la Cour de l'impôt à un contrôle de la légalité des décisions rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), notre Cour a simplement appliqué des principes judiciaires acceptés dans le but de trouver le juste milieu entre le droit que possède le demandeur en vertu de la loi de faire contrôler la décision du ministre et la nécessité de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de celle-ci, compte tenu du fait que le législateur fédéral a conféré un pouvoir discrétionnaire au ministre aux termes de cette disposition.

Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) — en examinant le bien-fondé de cette dernière — lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[30] Dans un appel relatif au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, la Cour canadienne de l'impôt doit entreprendre un examen comportant deux étapes.

[31] La Cour canadienne de l'impôt n'est fondée à intervenir à l’égard du règlement du ministre que s'il est établi que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi. Elle est fondée à intervenir à l’égard d’un règlement du ministre relatif au sous-alinéa 3(2)c)(ii) en entreprenant un examen du bien-fondé du règlement lorsqu'il est établi « que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent » .

[32] Autrement dit, la Cour n'a pas à se demander si la décision du ministre était bien fondée. Ce qu'elle doit se demander, c'est si la décision du ministre résultait de l'exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire.

[33] Ce n'est que si la Cour conclut que le ministre a utilisé d'une manière inappropriée son pouvoir discrétionnaire que l'affaire dont elle est saisie se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[34] Aucun autre document n'a été fourni à la Cour à part ceux qui ont été déposés par l'intimé. Aucun des appelants n'a déposé de documentation qui différerait de ce qui avait été examiné par le ministre.

[35] La preuve dont je dispose ne démontrait pas que le ministre avait agi de mauvaise foi ou « dans un but ou un mobile illicites » . Le ministre a pris en considération toutes les circonstances pertinentes comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi. Aucun élément de la preuve qui m'a été présentée ne démontrait que le ministre avait pris en considération un facteur non pertinent ou un fait important qui aurait pu convaincre la Cour d'intervenir.

Contrat de travail de Joseph et Rina Genova

[36] Joseph Genova est l'époux de Rina Genova. Ces personnes ne sont pas liées aux appelants Insalaco.

[37] Ces appelants avaient la charge d'établir selon la prépondérance des probabilités qu'une relation sans lien de dépendance existait entre le payeur et eux.

[38] Rina Genova a déclaré que son époux et elle avaient investi 25 000 $ chacun dans le payeur en janvier 1993 et que, lorsqu'ils s'étaient joints à la société de personnes, elle était devenue une employée. Elle travaillait comme réceptionniste, 40 heures par semaine, au même salaire que les autres travailleurs de bureau. Elle a décrit ses fonctions. La preuve n'a pas établi qui elle avait remplacé ni quand elle avait commencé à travailler. Elle a admis que, étant actionnaire, elle se préoccupait de la question de savoir combien les autres travailleurs de bureau étaient payés. Elle a dit ceci : « Nous nous sommes tous réunis, et il a été décidé que toutes les femmes auraient 600 $. » D'après ce que je crois comprendre de la preuve qui a été présentée, Anna et Silvana Insalaco et Rina Genova recevaient le même salaire, travaillaient toutes dans le même bureau, leurs heures n'ont jamais été consignées, leurs fonctions semblaient similaires et elles recevaient leurs chèques de paye en retard, selon les fonds disponibles. Rina Genova a également dit ceci : « Nous recevions un pourcentage des bénéfices selon le pourcentage d'actions que nous avions. » Elle ne parvenait pas à se souvenir si des bénéfices avaient été réalisés.

[39]Giuseppe (Joseph) Genova a témoigné qu'il était devenu associé du payeur en 1993 et que c'est Giuseppe Insalaco qui l'avait contacté. On lui avait demandé de devenir associé. Il a confirmé que son épouse et lui avaient investi 25 000 $ chacun dans le payeur. L'entente était qu'il surveillerait les affaires du payeur. Il était payé 700 $ par semaine. Ses dépenses étaient payées par le payeur. Il était le directeur général; il a dit ceci : « Je surveillais l'ensemble de la compagnie. Je n'ai pas de supérieur hiérarchique. Je ne relève de personne. Je décide moi-même de toute mesure qui doit être prise. Les hommes suivent les ordres que je leur donne concernant le travail. Les femmes gagnaient 600 $. J'avais déterminé le salaire en me fondant sur leur expérience. J'avais engagé les épouses en raison de leur expérience. Si je devais engager quelqu'un d'autre, je verserais à peu près le même salaire. Elles travaillent 50 heures par semaine. Si elles partent tard, cela les regarde. Des heures supplémentaires ne leur sont pas payées. Il est arrivé que quatre ou cinq chèques de paye soient émis en même temps. » Il a dit en outre qu'Anna et Silvana Insalaco s'occupaient de tous les livres, l'une s'occupant des comptes fournisseurs, l'autre, des comptes clients, et que Susan DiMichele, la comptable, se présente au bureau du payeur une fois par semaine pour examiner les comptes, qu'elle établit la balance de vérification, qu'elle établit les relevés d'emploi et qu'elle s'est aussi occupé de la facturation « après que les autres employés eurent quitté le travail » . Interrogé par la Cour quant à savoir pourquoi les employés de bureau n'avaient pas continué à travailler pour s'acquitter de cette tâche au lieu d'être mis à pied, il a répondu que « c'était parce que cela ne représentait pas tellement de travail » . Il a également admis qu'il donnait des instructions à la teneuse de livres alors qu'il avait été mis à pied et qu'il recevait des prestations d'assurance-chômage, que la teneuse de livres était payée à l'heure et que le loyer du bureau était payé au mois, soit 500 $.

[40] En contre-interrogatoire, on lui a demandé de présenter une ébauche de la convention (pièce R-16) qui avait été conclue par le payeur et tous les appelants, soit un document en date du 20 septembre 1993, après que Joseph et Rina Genova eurent commencé à travailler pour le payeur et après qu'ils eurent investi leur argent. On lui a également montré des rapports de TPS (pièce R-21). Il a dit que la Cour pouvait se fier à ces rapports, qui indiquent que le payeur a réalisé des ventes de 56 085 $ pour la période se terminant le 30 avril 1993, de 716 172 $ pour la période se terminant le 31 juillet 1993, de 728 354 $ pour la période se terminant le 31 octobre 1993 et de 418 261 $ pour la période se terminant le 30 janvier 1994.

[41] Les appelants Giuseppe et Rina Genova n'ont déposé aucun autre document qui établirait de nouveaux faits dont le ministre n'avait pas été saisi.

[42] Le ministre a déterminé que Joseph (Giuseppe) et Rina Genova avaient en fait un lien de dépendance avec le payeur. Avait-il raison? Ces deux appelants ont-ils démontré selon la prépondérance des probabilités qu'ils n'avaient aucun lien de dépendance?

[43] La jurisprudence fournit des lignes directrices quant à savoir ce qui détermine que des personnes non liées ont un lien de dépendance ou n'en ont pas.

[44] Dans l'affaire Noranda Mines Limited and The Minister of National Revenue, (1987) 2 C.T.C., à la page 2093, le juge Bonner, de la Cour canadienne de l'impôt, déclarait ce qui suit :

Le mécanisme que l'on vient de décrire, et tout particulièrement l'étape (d), est loin de caractériser une démarche que l'on pourrait qualifier d'indépendante entre plusieurs parties traitant les unes avec les autres.

La question de la présence ou de l'absence d'une relation d'indépendance de fait a été abordée à maintes reprises par les tribunaux. La Cour suprême du Canada s'est penchée pour la première fois sur cette question dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd., 55 DTC 1110 [[1955] C.T.C. 174]. À la page 1113 [p. 180 des C.T.C.], le Juge Locke a déclaré au nom de la Cour :

[TRADUCTION]

Lorsque des sociétés sont contrôlées directement ou indirectement par la même personne, physique ou morale, elles ne sont pas présumées, en vertu de l'article, traiter en toute indépendance les unes avec les autres. Indépendamment des dispositions de cet article, oin (sic) ne peut soutenir raisonnablement, à mon avis, lorsque des biens amortissables sont vendus par un contribuable à une entreprise qu'il contrôle intégralement, directement ou par l'intermédiaire d'une autre société, le contribuable en question dictant les termes du marché en sa qualité d'actionnaire majoritaire, que lesdites parties traitent en toute indépendance les unes vis-à-vis des autres et que les dispositions du paragraphe 20(2) ne s'appliquent pas.

La décision prise par le Juge Cattanach dans l'affaire M.N.R. c. T.R. Merritt Estate, 69 DTC 5159 [[1969] C.T.C. 207] se révèle aussi d'une grande utilité. À la page 5165 [p. 217 des C.T.C.], le juge a en effet déclaré :

[TRADUCTION]

À mon avis, le principe qui soutend (sic) cette analyse veut que, lorsque la « volonté » qui a dirigé les négociations au nom de l'une des parties à un contrat est la même que celle qui a dirigé les négociations au nom de l'autre, on ne peut dire que les parties en cause ont traité en toute indépendance. En d'autres termes, lorsqu'il est établi que la même personne a « dicté » les « termes du marché » au nom des deux parties, on ne peut pas dire que les parties ont négocié en toute indépendance.

Quelques années plus tard, l'importance de la négociation entre deux parties distinctes, chacune cherchant à protéger ses propres intérêts en toute indépendance, a été de nouveau souligné (sic) dans la décision prise par la Cour de l'échiquier dans l'affaire Swiss Bank Corporation v. M.N.R., 71 DTC 5235 [[1971] C.T.C. 427]. À la page 5241 [p. 437 des C.T.C.], le Juge Thurlow (tel était son titre à l'époque) a déclaré :

[TRADUCTION]

J'ajouterai que lorsque plusieurs parties, que ce soit des personnes morales ou physiques ou encore une combinaison des deux, agissent de concert et dans le même but, pour orienter ou dicter la conduite d'un tiers, à mon avis, la « volonté » dirigeante peut être aussi bien celle de l'ensemble du groupe que de l'une quelconque de ses parties oeuvrant en fonction du bien commun. De plus, je considère qu'il n'y a pas à établir de distinction entre des personnes qui exercent un contrôle sur autrui pour leur propre compte et des personnes qui exercent un contrôle par l'intermédiaire d'un représentant. Par contre, lorsque plusieurs parties à une transaction représentent des intérêts divers, ce n'est pas parce que le but commun est de faire en sorte qu'un tiers agisse d'une certaine manière que la transaction implique automatiquement des partenaires n'agissant pas en toute indépendance les uns des autres. L'affaire Sheldon's Engineering (supra) en est à mon avis un bon exemple.

Enfin, il pourrait être utile de noter que l'existence d'une relation d'indépendance est exclue lorsque l'une des parties à la transaction en cause est en mesure de contrôler de fait les deux parties. À cet égard, il pourra être utile de se reporter à la décision prise par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Robson Leather Company Ltée c. le M.R.N., 77 DTC 5106 [[1977] C.T.C. 132].

Cet appel porte essentiellement sur une question de fait. Il incombe à l'appelante de prouver, en fonction de la crédibilité respective des thèses en présence, que Noranda et Orchan traitaient en réalité en toute indépendance l'une vis-à-vis de l'autre. Elle n'a pas réussi à s'acquitter de ce fardeau. [...]

Puis il disait, à la page 2095 :

[...] le fait de conclure qu'une même volonté ait présidé aux agissements des deux parties à la transaction n'implique pas nécessairement que cette volonté n'agissait pas honnêtement et de bonne foi vis-à-vis de ces deux société (sic) et en tenant compte de leurs intérêts les mieux compris.

Il a été fait valoir par ailleurs au nom de l'appelante que la contrepartie fournie par Orchan correspondait à la juste valeur sur le marché de la propriété. Le critère de l'indépendance se rapporte au pouvoir d'influencer ou de contrôler son partenaire. Un prix inhabituel peut très bien indiquer l'absence d'une relation d'indépendance, mais ce n'est pas parce que le prix correspond bien à ce que l'on pouvait attendre de deux parties traitant en toute indépendance qu'il n'y a pas de lien de dépendance.

[Le soulignement est de moi.]

[45] En 1991, dans l'affaire Peter Cundill & Associates Ltd. v. Her Majesty the Queen, [1991] l C.T.C., le juge Culen déclarait, à la page 203 :

La question de savoir si les parties en l'espèce n'avaient aucun lien de dépendance est une question qui doit être examinée selon les propres faits particuliers de l'affaire. Pour trancher cette question, on peut tenir compte de plusieurs facteurs, tels que la propriété et le contrôle d'une société. Toutefois, le contrôle des actions (ou son absence) n'est pas nécessairement déterminant; il s'agit seulement d'un facteur à prendre en considération pour trancher la question d'absence de lien de dépendance (Robson Leather Co. Ltd. c. M.R.N., [1974] [C.T.C. 872] 74 D.T.C. 6666, le juge Collier, confirmé par 77 D.T.C. 5106 [[1977] C.T.C. 132] (C.A.F.).

Dans le Bulletin d'interprétation IT-419, Revenu Canada a proposé les facteurs suivants pour trancher la question de savoir s'il y avait ou non des liens de dépendance :

a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

c) le contrôle « de facto » (réel).

Les critères énoncés dans IT-419 sont également les critères que les tribunaux ont régulièrement examinés. En l'espèce, le facteur qui va éclairer la situation consiste, semble-t-il, à déterminer la personne qui dirige ces deux sociétés. Si le « cerveau » qui agit pour une partie est le même « cerveau » qui dirige la seconde partie, alors on ne saurait réellement pas dire qu'elles traitaient à distance (Oryx Realty Corp. and Shofar Investment Corp. v. M.N.R., [1972] 72 D.T.C. 6018, [1972] C.F. 33 [[1972] C.T.C. 35], confirmé par 919740 74 D.T.C. 6352 [[1974] C.T.C. 430] (C.A.F.).

[46] Dans l'affaire Penner et al. v. The Queen, (1994) C.C.H. Canadian Limited, à la page 6568, le juge Teitelbaum, de la Cour fédérale, déclarait ceci :

Comme le demandeur l'a soutenu, les faits en litige ne permettent pas de conclure qu'une même personne a dirigé les négociations pour les deux parties à la transaction. En outre, la transaction décrite ci-dessus est compatible avec l'objet et l'esprit des dispositions de la Loi concernant le CIRS, qui visaient à permettre aux sociétés de recherche de renoncer à leurs avantages fiscaux en faveur des investisseurs qui achetaient des titres admissibles.

Par ailleurs, je ne suis pas convaincu, à la lumière de la preuve, que l'une ou l'autre des parties à la transaction a exercé un contrôle de facto sur l'autre ou qu'elle avait le pouvoir de le faire.

[Le soulignement est de moi.]

[47] Il ressort de ces jugements que des parties ont un lien de dépendance lorsque la principale considération ou l'intérêt global ou encore la méthode utilisée équivalent à un processus qui ne correspond pas à ce à quoi pourrait s’attendre de parties n'ayant entre elles aucun lien de dépendance.

[48] Des parties ne seront pas considérées comme n'ayant entre elles aucun lien de dépendance s'il existe une même personne qui dirige les négociations pour les deux parties à une transaction ou si les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts ou encore si l'une ou l'autre partie à une transaction influençait ou contrôlait l'autre ou en avait le pouvoir. Dans ces cas-là, les opérations des parties ne sont pas conformes à l'objet et à l'esprit des dispositions de la loi et ne démontrent pas une juste participation « dans le jeu normal des forces économiques du marché » 9.

[49] Donc, l'existence d'une ou plusieurs de ces initiatives influant sur la négociation entre l'employeur et l'employé et n’étant pas conformes à l'objet et à l'esprit de la loi ne répond pas au critère relatif à l'absence de lien de dépendance.

[50] En analysant toutes les circonstances ainsi que la preuve qui a été acceptée, la Cour est également tenue de veiller à ce que les parties respectent l'objet de la loi10.

[51] Les membres de la famille Insalaco détenaient la majorité des actions avec droit de vote du payeur. Le payeur était dans une situation financière difficile. Les deux membres de la famille Genova avaient investi dans le payeur, et Joseph Genova était devenu le directeur général. D'après les Insalaco, il avait pris le contrôle du payeur. Toutefois, Giuseppe et Antonio Insalaco et Joe Genova étaient, au 20 septembre 1993, signataires autorisés pour le payeur. Les sommes d'argent avaient été investies dans le payeur en janvier 1993 ou il semble que tel ait été le cas. Alors, qui dirigeait le payeur? Quel était l'arrangement qui avait été conclu? Aucun des appelants ne travaillait en janvier 1993. La période de paye de chacun des appelants commence le 30 mai 1993. Quels étaient les véritables arrangements qui avaient été conclus entre le payeur, représenté par les membres Insalaco de la société payeuse, et les futurs membres Genova de la société payeuse au début des périodes de paye commençant le 30 mai 1993.

[52] De plus, le questionnaire (pièce R-5) qui a été envoyé à Anna Insalaco et qui a été attesté par Joseph Genova (directeur général) le 21 mars 1996 indique que le payeur n'avait aucun actionnaire et qu'aucun des travailleurs n'était lié à l'un quelconque des actionnaires puisqu'il n'y avait pas d'actionnaire. Cela est en contradiction directe avec la preuve et avec la liste d'actionnaires (pièce R-19). Le même questionnaire approuvé par Joseph Genova n'indique aucune fonction ou fonction secondaire du travailleur. Aucun autre questionnaire n'a été présenté à la Cour.

[53] Le ministre avait également pris en considération — comme le démontre la preuve — le fait que les périodes d'emploi de Joseph et Rina Genova commençaient le 30 mai 1993 et que ces personnes avaient investi dans le payeur en janvier 1993, soit avant l'ébauche de convention en date du 20 septembre 1993. Est-ce que Joseph Genova dirigeait la compagnie avant la convention? Quelles étaient les véritables relations d'affaires qui existaient entre le payeur et les appelants Joseph et Rina Genova? C'est difficile à dire. La preuve présentée par les personnes qui ont témoigné doit être analysée avec circonspection.

[54] Le ministre avait beaucoup plus d'éléments de preuve documentaire que n'en avait la Cour. Les allégations de fait du ministre indiquent que les appelants Genova avaient un lien de dépendance, bien que n'étant pas des personnes liées au payeur.

[55] D'après ce que les témoins ont dit ou déposé en preuve, il semble bel et bien que le payeur n'avait pas l'indépendance nécessaire pour qu'il existe un véritable rapport de subordination entre le payeur et les appelants Joseph et Rina Genova. J'irais jusqu'à dire qu'il ne semble pas à la Cour qu'il ait existé un véritable contrat de louage de services entre Joseph et Rina Genova et le payeur. Aucun autre document, tel un registre ou un livre de procès-verbaux, n'a été présenté en vue d'éviter une telle conclusion. Il semblait également, sur la foi de l'ensemble de ces relations, que tous les appelants faisaient partie d'une espèce de coentreprise. Une telle situation serait à mon avis suffisante pour conclure que, en fait, il ne pouvait y avoir une relation sans lien de dépendance et que le ministre a bien fait d'adopter la position qu'il a adoptée.

IV - Décision

[56] Les appels sont rejetés et les règlements du ministre sont confirmés.

Dorval (Québec), ce 23e jour de mars 1998.

S. Cuddihy

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de juillet 1998.

Philippe Ducharme, réviseur



1 Attorney General of Canada v. Kaur (167 N.R. 98).

2 (1997) 215 N.R. 352.

3 Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R. (185 N.R. 73).

4 (1994), 178 N.R. 361, aux pages 362 et 363 (C.A.F.).

5 [1949] A.C. 24, à la page 36 (C.P.).

6 [1974] R.C.S. 875, à la page 877.

7 [1992] 1 R.C.S. 3, aux pages 76 et 77.

8 [1996] 1 C.F. 644, à la page 653 (C.A.) (le juge Robertson).

9 Canada (Procureur général) v. Rousselle et al. (124 N.R. 339).

10 Tanguay, Maurice et al. c. La Commission d'assurance-chômage, 2 octobre 1985, C.A.F., A-1458-84 (non publié).

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