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Date: 19980715

Dossier: 95-3417-IT-G

ENTRE :

ROBERGE & FILS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] L’appelante interjette appel de la nouvelle cotisation du ministre du Revenu national (le “Ministre”) pour l’année d’imposition 1989 de l’appelante.

[2] Les questions en litige sont de savoir :

1o) Si en 1989, au sens de l’alinéa 12(1)i) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “Loi”), l’appelante a reçu une somme sur une créance qui avait fait l’objet en 1988 d’une déduction pour créance irrécouvrable. L’appelante prétend qu’une telle somme a été reçue en 1990, alors que l’intimée prétend que cette somme a été reçue en 1989. L’intimée s’appuie sur le fait que l’appelante, à la suite de l’exercice d’une dation en paiement, a acquis en 1989 la propriété d’un immeuble donné en garantie et que la dette a été ainsi éteinte. L’appelante soutient que la dette n’a pas été éteinte par cette dation en paiement parce que cette dation n’était pas effective. Le transfert de propriété aurait été parfait l’année suivante seulement lorsque cet immeuble acquis par une dation en paiement dont la validité n’était pas certaine avait été vendu à la suite d’un plan poursuivi par l’appelante.

2o) si la susdite dation en paiement empêchait également l'appelante de déduire en 1989 les intérêts sur la créance principale.

[3] Les faits au soutien de l’appel sont décrits aux paragraphes 4 à 12 de l’Avis d’appel :

4. QUE le ou vers le 4 décembre 1987, Courtage Plus Abitibi Inc. (“Courtage”) donne, par contrat notarié, une garantie hypothécaire de DEUX CENT CINQUANTE MILLE DOLLARS (250 000 $) à l'APPELANTE relativement à certains achats de matériaux de construction fournis ou à être fournis par l'APPELANTE à COURTAGE;

5. QUE le ou vers le 8 février 1988, COURTAGE a vendu l'immeuble hypothéqué en faveur de l'APPELANTE à monsieur Pierre Dubuc;

6. QUE le ou vers le 22 novembre 1988, un avis de soixante (60) jours a été servi par huissier à COURTAGE et à monsieur Pierre Dubuc, suite au défaut de ces derniers de rencontrer leurs obligations envers l'APPELANTE en vertu de la garantie hypothécaire;

7. QUE le ou vers le 2 octobre 1989, l'APPELANTE a fait une proposition écrite aux autres créanciers de COURTAGE et de monsieur Pierre Dubuc qui ont des garanties sur l'immeuble hypothéqué;

8. QU'en vertu de cette proposition :

a) l'APPELANTE prendra une action en dation en paiement à l'encontre de COURTAGE et de monsieur Pierre Dubuc;

b) l'APPELANTE vendra l'immeuble à une corporation à être formée, dont les actionnaires seront certains créanciers de COURTAGE et de monsieur Pierre Dubuc;

c) le prix d'achat sera financé par l'obtention d'un prêt hypothécaire de SIX CENT CINQUANTE-SIX MILLE DOLLARS (656 000 $) d'une institution financière et par l'émission d'actions de la nouvelle corporation;

d) le paiement en l'espèce de TROIS CENT TRENTE MILLE CINQUANTE DOLLARS (330 050 $) de dettes dues au créanciers et l'émission de trois cent quinze mille (315 000) actions de la nouvelle corporation à huit (8) créanciers dont l'APPELANTE, qui devait recevoir DEUX CENT CINQ MILLE DOLLARS (205 000 $) et cinquante-huit mille quatre cent soixante-et-quinze (58 475) actions;

e) l'endossement du prêt hypothécaire par chacun des créanciers jusqu'à concurrence des actions détenues dans la nouvelle corporation;

9. QUE le ou vers le 22 novembre 1989, COURTAGE et Pierre Dubuc cèdent à l'APPELANTE l'immeuble en vertu de la dation en paiement;

10. QUE selon un contrat de vente daté du 27 mars 1990, la nouvelle corporation se nomme 2745-8017 Québec Inc. et aurait été constituée le 4 janvier 1990;

11. QUE le 27 mars 1990, l'APPELANTE vend l'immeuble à 2745-8017 Québec Inc. pour une somme égale à son prix de base rajusté soit DEUX CENT SOIXANTE-TROIS MILLE QUATRE CENT SOIXANTE QUINZE DOLLARS (263 475 $) payable DEUX CENT CINQ MILLE DOLLARS (205 000 $) en argent et CINQUANTE-HUIT MILLE QUATRE CENT SOIXANTE QUINZE DOLLARS (58 475 $) par l'émission de cinquante-huit mille quatre cent soixante-quinze (58 475) actions du capital-actions de l'acquéreur;

12. QU'en vertu du contrat du 27 mars 1990, 2745-8017 Québec Inc devait payer certaines créances à dix-huit (18) autres créanciers de la façon suivante :

a) paiements comptants à seize (16) créanciers : 198 430 $

b) émission d'actions à sept (7) créanciers : 256 525 $

Le total du coût de l'immeuble s'établie donc à SEPT CENT DIX-HUIT MILLE QUATRE CENT TRENTE DOLLARS (718 430 $);

[4] Des faits sur lesquels le Ministre s’est fondé pour établir sa nouvelle cotisation, je ne reproduirai que ceux décrits aux paragraphes 6 et 7 de la Réponse à l’avis d‘appel (la “Réponse”). Autrement, les faits décrits dans la Réponse ne sont pas vraiment différents de ceux décrits par l’appelante.

6. Pour son année d'imposition 1988, l'appelante a réclamé une déduction à titre de mauvaise créance de montants dus par Logements RPG 2 Inc., Maison Gobeil Inc., Dion Philippe Géo Lab Ltée et Pierre Dubuc, soit 188 517,80 $ au total;

7. Pour son année d'imposition 1989, elle a également réclamé la déduction du montant de 42 634,57 $ dû à elle par ces mêmes cinq débiteurs à titre de créance irrécouvrables alors que celles-ci n'étaient même pas douteuses et avaient été éteintes par l'exercice de la clause de dation en paiement;

[5] La cotisation fait état de la récupération d'une mauvaise créance au montant de 131,106 $ réclamée en déduction en 1988. C'est donc ce montant qui est en cause par la suite et non le montant de 188,517,80 $, mentionné au paragraphe 6 ci-avant de la Réponse.

[6] Monsieur Jean-Guy Roberge est le président de l’appelante depuis 1964. En 1987, un monsieur Pierre Dubuc était un débiteur de l’appelante. Monsieur Pierre Dubuc était le principal actionnaire de plusieurs entreprises, entreprises qui, à des titres divers, avaient acquis des matériaux de construction de l’appelante. Ces entreprises et monsieur Pierre Dubuc personnellement devaient une somme d’argent importante à l’appelante. Dans un but de protéger la créance de l’appelante, monsieur Roberge a obtenu de Courtage Plus Abitibi Inc. (“Courtage Plus”), dont monsieur Dubuc était le seul actionnaire, une garantie hypothécaire au montant de 250 000 $ sur un immeuble qui était la propriété de Courtage Plus.

[7] Cette garantie hypothécaire est datée du 4 décembre 1987 et a été enregistrée le 9 décembre 1987. La débitrice s’engageait à rembourser la somme prêtée sur demande et l’entente contenait une clause de dation en paiement. Le document a été déposé comme pièce A-1.

[8] La garantie hypothécaire contenait notamment les clauses suivantes aux pages 1 et 2 :

...

Le débiteur reconnaît devoir au Créancier la somme de DEUX CENT CINQUANTE MILLE Dollars ($250,000.00) pour prêt d'autant que le Créancier lui a consenti et que Débiteur reconnaît avoir reçu à son entière satisfaction, dont Quittance.

...

Les comparants déclarent et conviennent que la présente garantie hypothécaire n'est consentie que pour garantir des comptes à payer pour l'achat de matériaux, comptes totaux actuels et à venir jusqu'à concurrence du montant de la présente garantie hypotécaire; ce que les parties déclarent bien connaître et accepter comme tel.

[9] Selon monsieur Roberge et monsieur Doré [1], ces allégués causaient des difficultés à l’avocat de l’appelante qui se demandait si la garantie pouvait être valide pour les dettes autres que celles de Courtage Plus et si les autres créanciers de cette dernière corporation ne pouvaient pas s'y opposer. [1](Monsieur Jean-Claude Doré est un comptable agréé. Il est le vérificateur de l’appelante depuis 1976.)

[10] Pour tenter de pallier à ce problème, un document a été signé en septembre 1988 par Courtage Plus et monsieur Pierre Dubuc admettant que la garantie avait été donnée pour garantir les dettes de cinq autres corporations et celles qui lui étaient personnelles. Il a été déposé comme pièce I-1. À la date du 20 août 1988, ce document reconnaissait que la somme totale due par monsieur Pierre Dubuc et ses entreprises s’élevait au montant de 229 549,52 $. Par le même document, il a été convenu entre les parties que l’avis de 60 jours ne serait pas enregistré avant le 21 octobre 1988.

[11] L’avis de 60 jours a été signé le 14 novembre 1988 et enregistré le 16 du même mois. À ce moment, la dette du débiteur était de 242 994,63 $ selon la clause 10 de l’Avis. Ce document a été déposé comme pièce A-2.

[12] Messieurs Roberge et Doré ont expliqué que vers cette période, monsieur Dubuc avait conçu et proposé un plan pour conserver en partie la propriété de l’immeuble donné en garantie. Ce plan prévoyait que les créanciers deviendraient propriétaires de la bâtisse en acceptant de transformer une partie de leur créance en actions d’une corporation qui serait la détentrice de l’immeuble. Cette corporation ferait un emprunt hypothécaire qui permettrait de rembourser l’autre partie de la créance.

[13] Monsieur Roberge ne croyait pas que ce projet pouvait être poursuivi à terme par monsieur Dubuc. Il a toutefois, repris le projet à son compte et a entrepris de négocier soit lui-même ou par l’intermédiaire de son comptable, monsieur Doré, avec l’institution financière prêteuse et les créanciers.

[14] En date du 22 juin 1989, La Financière a soumis une offre de financement. Ce document a été déposé comme pièce A-3. Le montant du prêt serait de 656 500 $. Les garanties seraient une première hypothèque sur le bâtiment, l’endossement personnel mais non solidaire de tous les actionnaires pour les montants déterminés dans le document et un retrait de 100 000 $ pour assurer les versements mensuels. Avant tout déboursé de la part de la société prêteuse, les privilèges et hypothèques devront être radiés et les actionnaires devront fournir leurs états financiers. Il y avait aussi une liste d’autres conditions comme la cotation ferme d’un soumissionnaire pour les réparations, discrétion de retirer l’offre de financement si les états financiers ne sont pas à la satisfaction de l’institution financière prêteuse etc.

[15] La pièce A-4 est l’entente négociée entre les créanciers enregistrés sur l’immeuble en question et l’appelante. L’entente est datée du 2 octobre 1989 et la date de l’acceptation la plus tardive est du 19 octobre 1989. Cette entente qui avait pour but d’éviter une vente en justice prévoit différentes étapes. L’appelante utilisera la clause de dation en paiement pour devenir propriétaire de l’immeuble. Par la suite, l’immeuble sera cédé à une nouvelle compagnie qui empruntera une somme de 656 500 $. Cette compagnie paiera l’appelante et sept créanciers, soit en espèces soit en actions. L’appelante, pour sa part, recevra 205 000 $ en espèces et 58 475 $ en actions. Une somme de 109 100 $ sera gardée pour les travaux de réparation, une somme de 6 500 $ pour les frais d’emprunt et 30 000 $ pour des honoraires professionnels. De plus, une somme de 100 000 $ sera déposée dans un compte en fiducie pour garantir les paiements hypothécaires.

[16] La pièce A-5 est l’exercice de la dation en paiement. Le document est en date du 22 novembre 1989 et enregistré le même jour. L’appelante devient propriétaire à compter du 4 décembre 1987. Il est important de citer ici certains passages de ce document :

...

4. Le créancier a fait enregistrer contre ledit immeuble l'avis de soixante jours ....

...

6. Ne voulant pas s'exposer à des frais judiciaires et autres, le débiteur reconnaît par les présentes, qu'est devenue exécutoire la clause de dation en paiement ...

CES FAITS EXPOSÉS, le créancier déclare exercer le choix de devenir propriétaire de l'immeuble...

...

La présente dation en paiement est faite en considération de la quittance totale et finale que le créancier donne au débiteur de toutes sommes à lui dûes en principal, intérêts, frais et accessoires, aux termes des actes suivantes :

...

MONTANT DE LA CONTREPARTIE : $250,000.00

[17] La pièce A-6 est la soumission pour les travaux de réparation. Elle n’est pas datée mais la date de son acceptation y est. Elle a été acceptée le 7 février 1990 par 2745-8017 Québec Inc., corporation qui a été constituée le 4 janvier 1990 ainsi qu’en fait foi la pièce A-11.

[18] La pièce A-7 est un extrait du Registre des immeubles concernant l’immeuble en question. On y voit qu’à partir du 9 décembre 1987, date de l’inscription de la garantie hypothécaire, plusieurs privilèges d’un montant substantiel ont été inscrits à l’encontre de l’immeuble.

[19] La pièce A-8 est une requête en radiation probablement faite ex-parte en date du 18 décembre 1989 d’un jugement inscrit le 18 janvier 1989 à l’encontre de l’immeuble. Ce jugement condamnait monsieur Pierre Dubuc à payer à Mines Assay Supplies une somme de 19 989,77 $. La pièce A-9 est un certificat de non-appel du jugement en radiation rendu le 19 février 1990. Le certificat est en date du 21 mars 1990.

[20] La pièce A-10, en date du 27 mars 1990, est le contrat de vente de l’immeuble par l’appelante à 2745-8017 Québec Inc. Le prix de vente est de 263 475 $ dont 205 000 $ payable à même un prêt à venir et une somme de 58 475 $ payable en actions de l’acquéreur. De plus, l’acquéreur prenait à sa charge et payait certains créanciers enregistrés en partie en espèces et en partie en actions. D’autres créanciers n’étaient payés qu’en espèces.

[21] La pièce A-11 est l’acte de prêt hypothécaire entre la Financière Prêts-Épargne Inc. et 2745-8017 Québec Inc. en date du 27 mars 1990. Le montant du prêt est bien de 656 500 $. Les témoins font noter qu’il y est clairement stipulé quele montant de chaque avance et la date à laquelle elle sera effectuée sont laissés à la discrétion du prêteur. À ce prêt est annexé les endossements personnels des acquéreurs pour les montants auxquels ils s’étaient déjà engagés. Les premiers déboursés de la compagnie prêteuse ont commencé en mai 1990 pour se terminer au mois d’août 1990 ainsi que le montre la pièce A-12.

[22] La pièce A-13 est un acte de vente par l’institution prêteuse de l’immeuble en question en date du 15 janvier 1994. Le prix est de 65 000 $. Elle en était devenue propriétaire par jugement en dation en paiement rendu le 8 juin 1993.

[23] La pièce A-15 est une lettre d’explication envoyée par le comptable de l’appelante aux vérificateurs du Ministre. Il y indique qu’il y avait un rapport d’évaluation qui avait été préparé lors du projet d’entente entre les créanciers (pièce A-4). La valeur serait 900 000 $ si l’immeuble était terminé et avait un taux d’occupation de cent pour cent. Toutefois, à l’époque l’immeuble n’était pas terminé et n’était pas loué. En ce qui concerne la déduction de la créance irrécupérable en 1989, voici de quelle façon le comptable s’exprime :

Le recouvrement de la mauvaise créance

Roberge & Fils Inc. a inscrit à ses livres une mauvaise créance de 188 517,80 $ en 1988.

Aucun recouvrement n'a été inscrit aux livres en 1989 suite à la dation en paiement, mais plutôt en 1990 lors de l'encaissement réel.

La dation en paiement ne constituait qu'une étape dans le processus devant éventuellement permettre l'encaissement des argents dus et l'immeuble ne représentait en soit aucune valeur compte tenu qu'il était non terminé et non loué.

Roberge & Fils n'a agi que comme “véhicule” pour permettre le transfert éventuel à 2745-8017 Québec Inc.

Qui plus est, l'hypothèque que détenait Roberge & Fils Inc. aurait pu être contestée et par conséquent la dation en paiement.

C'est pourquoi le recouvrement a été inscrit en 1990 au moment où le dossier a été clos et les sommes réellement encaissées.

[24] Monsieur Roberge dit que la reprise de l’immeuble n’était pas le but visé puisque sa vente en justice n’aurait rien rapporté, la valeur de l’immeuble étant douteuse. Il y avait plusieurs privilèges qui avaient été inscrits pour des montants substantiels et les titres mêmes de l’appelante sur l’immeuble n’étaient pas très certains selon l’avis de son procureur. Seule l’exécution de l’entente et l’obtention du prêt hypothécaire signifiaient quelque chose.

[25] En ce qui concerne le montant supplémentaire déduit à titre de créance irrécouvrable en 1989, monsieur Doré, le comptable de l'appelante a expliqué qu’il s’agissait des intérêts sur la dette principale et puisque cette dernière avait été déduite en 1988 comme créance irrécouvrable, il était selon lui logique de déduire des intérêts et coûts accessoires en 1989 au montant de 42 635 $.

Arguments et conclusions

[26] L’avocat de l’appelante fait valoir que la validité de la garantie hypothécaire était incertaine parce qu’elle aurait pu être sujette à contestation par les autres créanciers privilégiés ou hypothécaires. À cause de cette incertitude, la prise de propriété de l’immeuble faisait partie intégrante d’un projet de revente à une corporation dont l’appelante et les autres créanciers du débiteur seraient actionnaires. Le projet impliquait également le financement d’une institution financière. Il s’agissait d’un projet difficile qui n’a été complété qu’en 1990.

[27] L’avocat de l’appelante soutient donc que l’appelante n’avait pas en 1989 acquis la propriété effective de l’immeuble au sens de l'article 79 de la Loi. Le paragraphe 248(3) de la Loi définit ce qu’il faut entendre par propriété effective au Québec. Il prétend que l'appelante n’avait pas acquis la pleine propriété de l’immeuble en question parce qu’elle ne pouvait pas disposer de l'immeuble à sa guise, vu l'incertitude du titre qui l’avait obligée de s’entendre avec les autres créanciers réels du débiteur. Il se réfère à cet égard à la décision du juge Tremblay de cette Cour dans Larose c. M.R.N. 92 DTC, 2045 et plus particulièrement à la page 2054.

[28] Il fait valoir aussi que l’immeuble n’avait pas la valeur de la créance d’environ 250 000 $ et que s’il avait quelque valeur, cela ne pouvait être que s’il était acheté par la corporation à être formée dont les créanciers seraient actionnaires.

[29] L’avocat de l’intimée fait valoir que l’article 79 de la Loi s’applique en 1989, puisque l’appelante qui était créancière hypothécaire a acquis cette année par le jeu de la dation en paiement la propriété effective de l’immeuble. Il se réfère lui aussi au paragraphe 248(3) de la Loi qui énonce que le sens de propriété effective au Québec est celui de pleine propriété.

[30] En ce qui concerne la créance de 131 106 $ qui avait été réclamée en 1988 comme créance irrécouvrable, l’avocat de l’intimée fait valoir que cette créance avait été payée en totalité par la dation en paiement de l’immeuble. En conséquence, en vertu de l’alinéa 12(1)i) de la Loi, la somme doit être incluse dans l’année de la réception soit, 1989, l’année où le paiement de la créance a été effectué par le débiteur en donnant sa propriété de l’immeuble à la place de la créance. Les intérêts aux frais occasionnés à la la créance principale au montant de 42 634,57 $ ne sont pas non plus sujets à déduction vu qu’ils ont été payés par la débitrice en donnant son immeuble comme paiement.

[31] L’article 79 et le paragraphe 248(3) de la Loi se lisent comme suit :

79. Forclusion d'hypothèques et reprise de biens qui ont fait l'objet d'une vente conditionnelle.

Lorsque, à un moment donné au cours d'une année d'imposition, un contribuable qui :

a) soit était créancier hypothécaire ou autre d'une autre personne qui avait auparavant acquis des biens;

b) soit avait auparavant vendu des biens à une autre personne en vertu d'un contrat de vente conditionnelle,

a acquis ou a acquis de nouveau la propriété effective de ces biens par suite d'un défaut de paiement total ou partiel, de la part de l'autre personne, d'une somme (appelée la “créance du contribuable” au présent article) que celle-ci doit au contribuable, les règles suivantes s'appliquent :

c) doivent être inclus dans le calcul du produit tiré par l'autre personne de la disposition des biens en question le principal de la créance du contribuable plus toutes les sommes dont chacune constitue le principal d'une dette qui avait été due par cette autre personne dans la mesure où cette dette a été éteinte du fait de l'acquisition ou de la nouvelle acquisition, selon le cas;

d) toute somme payée par l'autre personne après l'acquisition ou la nouvelle acquisition, selon le cas, au titre ou en paiement intégral ou partiel de la créance du contribuable est réputée être une perte subie par cette personne du fait de la disposition de ces biens pour son année d'imposition dans laquelle cette somme a été versée;

e) dans le calcul du revenu en du contribuable pour l'année, sont réputées nulles :

(i) la somme dont il demande la déduction en vertu du sous-alinéa 40(1)a)(iii) dans le calcul de son gain pour l'année d'imposition précédente, tiré de la disposition des biens;

(ii) la somme déduite relativement à ces biens en vertu de l'alinéa 20(1)n) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année précédente;

f) le contribuable est réputé avoir acquis ou avoir acquis de nouveau les biens, selon le cas, à un coût égal à l'excédent éventuel du coût, à ce moment, de la créance du contribuable sur la somme visée au sous-alinéa e)(i) ou (ii), selon le cas, relativement à ces biens;

g) le prix de base rajusté, pour le contribuable, de la créance du contribuable est réputé nul;

h) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année ou une année suivante, aucune somme n'est déductible relativement à la créance du contribuable en vertu de l'alinéa 20(1)l) ou p).

248(3) Sens de “propriété effective” dans la province de Québec.

Pour l'application de la présente loi dans la province de Québec, “propriété effective” à l'égard d'un bien, s'entend notamment du droit de la personne qui a ou avait la pleine propriété d'un bien, même si ce bien est grevé d'une servitude, du droit détenu par un usufruitier, un preneur dans le cas d'un bail emphytéotique, un grevé dans le cas d'une substitution ou un bénéficiaire dans le cas d'une fiducie.

[32] L'alinéa 12(1)i) de la Loi se lit comme suit :

12. Sommes à inclure dans le revenu

(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables

...

i) Créances irrécouvrables — les sommes reçues au cours de l'année — sauf si elles sont visées à l'alinéa i.1) — sur une créance, un prêt ou un titre de crédit qui a fait l'objet d'une déduction pour créance irrécouvrable ou pour prêt ou titre de crédit irrécouvrable dans le calcul du revenu du contribuable pour une année d'imposition antérieure;

[33] La proposition de l’appelante que la propriété n’est pas devenue effective en 1989 ne me paraît appuyée ni par les faits ni par le droit. L’expression propriété effective en droit fiscal n’a pas un sens plus restreint que celle de propriété au sens du droit civil du Québec. Il n’y a pas d’autre façon de lire le paragraphe 248(3) de la Loi. Ce n’est pas parce qu’une personne s’engage à disposer d’une propriété avant même de l’avoir acquise qu’elle n’en devient pas propriétaire au moment de l’acquisition. Comment pourrait- elle en disposer si elle ne l’avait déjà acquis?

[34] Dans la présente affaire, il s'agit, pour l'année en cause, de l'application de l'alinéa 12(1)i) de la Loi et celle de l'article 79 de la Loi. L’acte de dation en paiement était valide en 1989. Aucune cour ne l’avait déclaré nul et aucune action en nullité n’avait été intentée si, le cas échéant, cela avait pu de quelque manière affecter son application, sujet sur lequel je n'ai pas à me prononcer. Je me réfère au Volume 11 du Traité du Droit Civil du Québec, L. Faribault à la page 520, en ce qui concerne la nature et de l'effet de la dation en paiement :

La dation en paiement a beaucoup de ressemblance avec la vente, lorsque quelque chose est donnée à la place d'une somme d'argent. Il y a dans ce cas, deux opérations juridiques fondues en une seule. Une fois que la dation en paiement a été acceptée par le créancier, les parties se trouvent dans la même situation que, si le débiteur, ayant payé sa dette avec de l'argent, le créancier avait immédiatement utilisé cette somme pour acheter au comptant la chose offerte par son ancien débiteur.

Pothier observe, toutefois, qu'il existe une différence entre la convention de vendre une chose à son créancier pour un prix qui viendra en compensation de ce qui lui est dû, et la convention de donner une certaine chose au créancier en paiement de ce qu'on lui doit. Dans la vente l'extinction de la dette de l'ancien débiteur n'est qu'occasionnelle, tandis que dans la dation en paiement, c'est là le principal résultat que recherche le débiteur. La comparaison entre les deux contrats ressort du texte de notre article 1592.

(Le souligné est de moi.)

[35] L’acte de dation en paiement mentionné au paragraphe 15 de ces motifs ne dit pas autrement. La dette du débiteur est éteinte. L’appelante a reçu par la dation en paiement le paiement de la dette du débiteur en principal et intérêts. Elle doit donc inclure dans son revenu, en vertu de l’alinéa 12(1)i) de la Loi, le paiement de la créance qui en 1988 avait fait l’objet d’une déduction pour mauvaise créance et ne peut pas non plus réclamer les intérêts sur la créance au montant de 42 000 $.

[36] La Loi impose un régime spécial dans le cas de forclusion d’hypothèques. Il faut suivre le processus élaboré par le législateur. L’alinéa 79f) de la Loi prévoit que le contribuable est réputé avoir acquis le bien au coût de la créance à cette date. L’alinéa 79e) ne s’applique pas ici puisqu’il ne s’agit pas de la reprise de bien qui a déjà été la propriété de l’appelante. L’alinéa 79h) ne s’applique pas puisque la dette originale a été éteinte par la dation en paiement.

[37] Il est fort possible que n’eût été l’exécution du plan proposé par l’appelante aux autres créanciers, l’appelante n’aurait pas été dans une situation favorable et n’aurait pas pu revendre l’immeuble à bon compte. Le calcul de la perte se serait alors fait en appliquant l’article 79 et les autres dispositions pertinentes de la Loi. L'acquisiton de l'immeuble est un acte juridique distinct de celui de sa vente et a des effets juridiques différents tant en droit civil qu'en droit fiscal. Qu'il y ait eu des liens étroits entre les deux actes ne change ni leur nature ni leurs effets. La dation en paiement a eu lieu en 1989, c'est dans cette année fiscale qu'il faut tenir compte de ses effets, soit le paiement de la dette et l'acquisition de la propriété.

[38] L’appel est en conséquence rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de juillet, 1998.

“Louise Lamarre Proulx”

J.C.C.I.

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