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Date: 19980604

Dossier: 96-2169-UI

ENTRE :

DOREEN MASON-WALL,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

GERARD'S MUFFLER AND BRAKE SHOP LTD.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Somers, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à St. John's (Terre-Neuve) le 13 mai 1998.

[2] L'appelante interjette appel à l'encontre d'une décision du ministre du Revenu national (le “ ministre ”) selon laquelle l'emploi qu'elle a exercé chez Gerard's Muffler and Brake Shop Ltd., la payeuse, au cours de la période en cause, soit du 13 mai au 30 décembre 1994, est exclu des emplois assurables au sens de la Loi sur l'assurance-chômage parce que la payeuse et elle avaient entre elles un lien de dépendance. En outre, d'après le ministre, l'appelante et la payeuse n'étaient pas liées par un contrat de louage de services durant la période en cause.

[3] Le paragraphe 3(1) de la Loi sur l'assurance-chômage se lit en partie comme suit :

3.(1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas :

a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[4] Le paragraphe 3(2) de la Loi sur l'assurance-chômage se lit en partie comme suit :

(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[...]

[5] L'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit en partie comme suit :

Article 251 : Lien de dépendance.

(1) Pour l'application de la présente loi :

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

(2) Définition de “ personnes liées ”. Pour l'application de la présente loi, sont des “ personnes liées ” ou des personnes liées entre elles :

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

b) une société et :

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

(ii) une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,

(iii) toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii) [...]

[6] La charge de la preuve incombe à l'appelante. Cette dernière doit démontrer selon la prépondérance des probabilités que le ministre, en rendant sa décision, a commis une erreur de fait et de droit. Chaque cas est un cas d'espèce.

[7] En rendant sa décision, le ministre s'est basé sur les allégations de fait suivantes, qui ont été soit admises, soit niées par l'appelante :

[TRADUCTION]

a) la payeuse est une société dûment constituée en vertu des lois de Terre-Neuve; (admis)

b) durant toute la période pertinente, toutes les actions en circulation de la payeuse étaient détenues par Gerard Wall; (admis)

c) Gerard Wall est le conjoint de l'appelante; (admis)

d) la payeuse offre à longueur d'année des services de réparation de silencieux et de freins; (admis)

e) pour l'année civile 1994, le revenu mensuel de la payeuse ainsi que les heures et les semaines travaillées par l'appelante ont été les suivants : (admis)

MOIS

REVENU MENSUEL DE LA PAYEUSE

HEURES TOTALES TRAVAILLÉES PAR L'APPELANTE

SEMAINES À TEMPS PLEIN TRAVAILLÉES PAR L'APPELANTE

Janv.

16 184 $

25,5

0

Fév.

13 488 $

24

0

Mars

21 049 $

117

2

Avr.

19 212 $

152

3

Mai

14 964 $

26

0

Juin

20 200 $

48

1

Juill.

21 090 $

116

2

Août

20 976 $

104

2

Sept.

17 021 $

106

2

Oct.

18 575 $

50

1

Nov.

15 388 $

86

2

Déc.

11 752 $

84

2

f) il n'y a aucune corrélation entre le revenu de la payeuse et l'horaire de travail de l'appelante; (nié)

g) la payeuse n'a engagé personne pour remplacer l'appelante pendant les semaines ou les mois où elle n'était pas inscrite dans le livre de paye; (nié)

h) pendant qu'elle n'était pas inscrite dans le livre de paye, l'appelante a continué de fournir des services à la payeuse en assistant Gerard Wall dans la tenue de la comptabilité, et ce, sans rétribution; (nié)

i) Gerard Wall fournit des services à temps plein à la payeuse pendant toute l'année : il contrôle les activités quotidiennes de la compagnie, engage et supervise les employés et prend toutes les décisions de la compagnie; (admis)

j) l'appelante a été engagée par la payeuse pour tenir la comptabilité — en s'occupant notamment des comptes clients et comptes fournisseurs, des dépôts bancaires, de la paye hebdomadaire et des versements mensuels —, ainsi que pour faire du classement, s'occuper des clients à leur arrivée et quand ils reviennent chercher leur véhicule, entrer les véhicules dans le garage et les en sortir et commander et aller chercher des pièces et du matériel; (admis)

k) l'appelante et Gerard Wall ont reçu la rétribution suivante de la payeuse : (admis)

MOIS

APPELANTE

GERARD WALL

Janvier

306,00 $

1 500,00 $

Février

284,00 $

1 000,00 $

Mars

1 330,08 $

600,00 $

Avril

2 013,12 $

1 100,00 $

Mai

312,00 $

1 200,00 $

Juin

599,04 $

1 200,00 $

Juillet

1 438,08 $

1 200,00 $

Août

1 294,08 $

1 200,00 $

Septembre

1 318,08 $

1 200,00 $

Octobre

619,20 $

1 200,00 $

Novembre

1 073,28 $

1 200,00 $

Décembre

1 048,32 $

1 200,00 $

RÉMUNÉRATION TOTALE

11 635,28 $

13 800,00 $

l) le salaire de l'appelante était basé sur un tarif de 12 $ l'heure, plus une paye de vacances pour les semaines à temps plein, tandis que le salaire de Gerard Wall équivaut à environ 6 $ l'heure; (admis)

m) le salaire de l'appelante était excessif en comparaison du taux de salaire de Gerard Wall; (nié)

n) le salaire versé à l'appelante pour la prestation de services pendant 17 semaines à temps plein et 19 semaines à temps partiel était excessif en comparaison du salaire versé à Gerard Wall pour la prestation de services pendant l'ensemble de l'année civile 1994; (nié)

o) l'appelante est liée à la payeuse au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu; (admis)

p) l'appelante a un lien de dépendance avec la payeuse; (nié)

q) il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et la payeuse auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. (nié)

En outre, le ministre émet les hypothèses de fait suivantes :

a) les heures à temps partiel travaillées par l'appelante n'ont pendant aucune semaine dépassé 12 heures, et sa rémunération pour le travail à temps partiel n'a pendant aucune semaine dépassé 140 $; (nié)

b) l'appelante a travaillé au moins 40 heures pendant chaque semaine de travail à temps plein; (admis)

c) l'appelante et la payeuse ont conspiré pour faire en sorte que la rémunération assurable de l'appelante ne corresponde qu'à des semaines de travail à temps plein, de manière à lui donner droit à des prestations d'assurance-chômage plus élevées; (nié)

[8] La payeuse, une société constituée en janvier 1993, offre à longueur d'année des services de réparation de silencieux et de freins. En 1994, le revenu du payeur a dépassé 200 000 $.

[9] L'appelante, qui est l'épouse de Gerard Wall, le seul actionnaire de la compagnie, a travaillé à temps plein et à temps partiel pour la payeuse durant la période en cause : elle s'occupait de la comptabilité, de la paye, des comptes clients et comptes fournisseurs, et des opérations bancaires, et remplissait d'autres fonctions, comme l'indique l'alinéa 10j) de la réponse à l'avis d'appel. L'appelante était payée 12 $ l'heure, tandis que son époux était payé 6 $ l'heure. Elle avait de l'expérience, ayant rempli les mêmes fonctions à un autre garage. Elle a continué à travailler pour la payeuse jusqu'au 21 septembre 1995, quand elle a été atteinte d'un cancer.

[10] L'appelante, représentée par son époux, a admis certains alinéas du paragraphe 10 de la réponse à l'avis d'appel et a nié les autres.

[11] En ce qui concerne les alinéas que l'appelante a niés par l'entremise de son représentant, Gerard Wall, la preuve indique ce qui suit :

- 10k) Gerard Wall a admis que son revenu personnel annuel avait été de 13 800 $, tandis que celui de l'appelante avait été de 11 635,28 $. Il maintenait que l'appelante avait travaillé à temps plein et à temps partiel durant toute l'année 1994. Parfois, lorsqu'il y avait un arriéré de travail, elle travaillait à temps plein, soit de 40 à 48 heures par semaine. En novembre et en décembre 1994, elle a dû travailler à temps plein afin de préparer les livres pour le comptable.

D'après Gerard Wall, la corrélation apparente à l'alinéa 10e) ne correspond pas à la réalité quant à l'utilité de l'appelante à l'entreprise. Avec l'arriéré de travail et les travaux qui s'accumulaient, le temps consacré par l'appelante au garage était rentable.

- 10g) La payeuse a bel et bien engagé un dénommé Shawn Greensleeves pour remplacer l'appelante lorsqu'elle ne travaillait pas. Il remplissait les mêmes fonctions que l'appelante lorsqu'il travaillait à temps plein en 1995. D'après Gerard Wall, M. Greensleeves a gagné 20 000 $ l'an dernier. Cet employé travaille encore chez la payeuse à temps plein, car l'appelante a cessé de travailler en novembre 1995 à cause de sa maladie, dont elle n'est pas encore guérie.

- 10h) L'appelante a continué de travailler à temps plein et à temps partiel, selon les mêmes modalités, jusqu'en novembre 1995.

- 10m) Gerard Wall a dit que le salaire de l'appelante n'était pas excessif en comparaison du sien. Il a admis que son taux de salaire était de 6 $ l'heure, tandis que celui de l'appelante était de 12 $ l'heure. Il a mentionné que tous les autres employés étaient payés plus que lui : Bill Haines, un apprenti mécanicien, était payé 10 $ l'heure, et un autre employé gagnait plus de 6 $ l'heure. M. Wall a dit qu'il avait dû prendre un salaire moins élevé pour permettre à la payeuse de joindre les deux bouts. Les employés acceptaient d'attendre après leur salaire parce que les ressources de la payeuse étaient limitées.

- 10n) Gerard Wall a dit que les employés gagnaient plus que lui mais que cette situation lui avait été imposée par des considérations financières. Il a dit qu'il retirait de la compagnie de quoi survivre.

- 11a) M. Wall a reconnu le sommaire de la feuille de paye concernant l'appelante pour l'année 1994 (pièce R-1). Comme l'indique ce sommaire, les heures de travail à temps partiel de l'appelante variaient généralement entre 8 et 11 heures par semaine, tandis que ses heures de travail à temps plein allaient de 40 à 48 heures par semaine. Il ne considérait pas que les heures travaillées étaient excessives. La personne qui a remplacé l'appelante travaille maintenant à temps plein, gagnant jusqu'à 20 000 $ par année.

- 11c) Gerard Wall nie qu'il y ait eu une conspiration entre l'appelante et la payeuse pour que l'appelante ait droit à des prestations d'assurance-chômage plus élevées.

[12] L'agente des appels a indiqué à la Cour le résultat de l'enquête qu'elle avait menée après s'être entretenue avec l'appelante, Gerard Wall et le comptable. Son enquête portait principalement sur le fait que le taux de salaire de Gerard Wall était inférieur à celui de l'appelante. L'agente des appels estimait qu'il n'y avait aucune corrélation entre le revenu de la payeuse et l'horaire de travail de l'appelante. Elle a dit en outre que le taux de salaire d'un teneur de livres devrait être de 6 $ l'heure. Elle a invoqué le fait que l'appelante avait travaillé deux semaines complètes en novembre et en décembre 1995.

[13] Comme l'indique le jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.R.N. (178 N.R. 361), signé le 1er décembre 1994, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage, la Cour doit se demander si la décision du ministre “ résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire ”. Elle doit exiger que la partie appelante “ fasse la preuve d'un comportement capricieux ou arbitraire du Ministre ”.

[14] L'appelante n'était pas présente à l'audience à cause de sa maladie, soit une tumeur au cerveau. Il aurait été préférable qu'elle soit là, car c'est elle que concerne l'issue de cet appel. Toutefois, dans les circonstances, son absence ne doit pas être vue comme un facteur qui nuit à sa cause. Son époux, Gerard Wall, a semblé être une personne crédible. Ses explications quant au travail accompli par l'appelante sont raisonnables et fiables. Donc, son témoignage ne doit pas être écarté.

[15] Gerard Wall a admis que son taux de salaire était inférieur à celui de l'appelante. Il a dit que d'autres employés, des personnes non liées qui étaient moins qualifiées que lui, avaient un taux de salaire supérieur au sien. D'après lui, son entreprise n'était alors pas assez rentable pour qu'il s'accorde un salaire plus élevé. Aucun élément de preuve selon lequel Gerard Wall aurait reçu des dividendes n'a été présenté par l'appelante ou l'intimé. M. Wall a ajouté que la situation financière de la payeuse s'améliorait et qu'il était prêt à faire des sacrifices. Il a conclu que son entreprise est viable.

[16] On a mentionné que le salaire de l'appelante aurait dû être de 6 $ l'heure. C'est peut-être le cas, mais la Cour ne peut se fonder sur ce chiffre. L'appelante avait déjà travaillé comme teneuse de livres à un autre garage. Vu son expérience et la charge de travail, et compte tenu du fait que le revenu de la payeuse était de plus de 200 000 $ par année, le taux de salaire semble raisonnable dans les circonstances. De plus, une autre personne engagée pour remplacer l'appelante recevait environ 20 000 $ par année.

[17] L'intimé a affirmé qu'il n'y avait aucune corrélation entre le revenu de la payeuse et l'horaire de travail de l'appelante. Gerard Wall a dit que l'appelante avait travaillé parfois à temps plein et parfois à temps partiel. Il a expliqué que, lorsque l'appelante ne travaillait pas, le travail s'accumulait, de sorte qu'elle devait ensuite travailler de plus longues heures pour combler son retard dans la tenue de la comptabilité.

[18] Les explications données par Gerard Wall ne peuvent être écartées; elles semblent raisonnables et crédibles. Si le ministre avait entendu toutes les explications, il aurait réglé la question autrement. Il n'a donc pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée, n'ayant pas eu une vision claire du travail accompli par l'appelante.

[19] Le ministre a décidé que l'appelante n'exerçait pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services. Il n'est pas nécessaire d'analyser les divers critères à appliquer pour déterminer s'il s'agit d'un contrat de louage de services. La preuve a démontré qu'il y avait en fait un contrat de louage de services et que le ministre s'était principalement fondé sur l'alinéa 3(2)c) de la Loi plutôt que sur l'alinéa 3(1)a). La preuve a établi que le règlement devrait être infirmé.

L'appel est accueilli, et la décision du ministre est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juin 1998.

“ J. F. Somers ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour de décembre 1998.

Stephen Balogh, réviseur

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