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Date: 19971114

Dossier: 95-475-IT-G

ENTRE :

JACQUELINE TREMBLAY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels de cotisations pour les années d'imposition 1988, 1989, 1990 et 1991 de l'appelante. Le revenu déclaré par l'appelante a été de 16 294,00 $, 20 943,00 $, 20 960,00 $ et 25 792,00 $ pour chacune de ces années respectivement.

[2] Par ces cotisations, le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) a augmenté le revenu de l'appelante d'un montant total de 254 015,85 $ réparti comme suit:

1988 - 80 420,80 $

1989 - 58 088,11 $

1990 - 76 007,45 $

1991 - 39 499,49 $

[3] Il a également cotisé les pénalités suivantes en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour chacune des années:

1988 - 5 393,01 $

1989 - 7 155,55 $

1990 - 7 231,27 $

1991 - 3 239,00 $

[4] Les cotisations pour les années d'imposition 1988, 1990 et 1991 ont été établies le 13 décembre 1994 après que l'appelante se soit opposée à de nouvelles cotisations établies pour les quatre années en litige le 12 octobre 1993. Suite aux oppositions, le revenu ajouté pour ces années a été légèrement diminué, la déduction pour gains en capital a été accordée et les pénalités cotisées ont été réduites en conséquence. La cotisation du 12 octobre 1993 pour l'année d'imposition 1989 a été simplement confirmée. Les cotisations du 12 octobre 1993 pour les années d'imposition 1988 et 1989 ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation.

[5] Les cotisations du 12 octobre 1993 de même que celles du 13 décembre 1994 ont été établies selon la méthode dite “ d'avoir net ”, l'appelante n'ayant pas, selon ce qui est allégué, “ fait état de l'intégralité de ses revenus ”.

[6] Dans son témoignage, monsieur Jean-Louis Cantin, vérificateur pour Revenu Canada, a fait état d'une demande de vérification des bilans et des opérations commerciales de l'appelante qui, au cours des années en litige, exploitait une entreprise de vente de tissus. Ayant demandé les pièces justificatives au soutien des déclarations de revenu soumises et ayant constaté que les rubans de la caisse enregistreuse de l'entreprise n'étaient pas disponibles, monsieur Cantin a conclu qu'il ne pouvait vérifier adéquatement les opérations de l'entreprise de sorte qu'il a dû procéder à établir les revenus de l'appelante selon la méthode d'avoir net.

[7] C'est à l'aide des informations contenues aux déclarations de revenu et des documents fournis par l'appelante et son comptable ou obtenues du bureau d'enregistrement, d'entrepreneurs en construction, de dépositaires de véhicules automobiles ou d'autres organismes que monsieur Cantin a pu établir les revenus additionnels non déclarés par l'appelante et dont font état de façon détaillée les documents présentés comme étant l'Annexe A de la Réponse à l'avis d'appel. Toutes les transactions ont été vérifiées à l'aide des documents officiels et des informations obtenus. Les documents concernant ces transactions ont été déposés en preuve et monsieur Cantin a expliqué les vérifications effectuées à l'égard des éléments de l'actif et du passif ainsi que les résultats obtenus.

[8] De plus, faisant référence à différents contrats, monsieur Cantin a déterminé que l'appelante avait, notamment, réalisé plusieurs transactions immobilières donnant lieu à des gains en capital en 1988, 1990 et 1991 et que ces gains n'avaient pas été déclarés. La portion imposable de ces gains a été ajoutée au revenu de l'appelante et la déduction pour gains en capital prévue à l'article 110.6 de la Loi fut initialement refusée. De même, monsieur Cantin a pu constater que des revenus d'intérêts à l'égard du financement consenti à certains acheteurs en 1990 et 1991 n'avaient pas non plus été déclarés.

[9] L'appelante n'était pas représentée et a été seule à témoigner pour elle-même. Elle n'a présenté aucun document.

[10] Dans son témoignage, l'appelante affirme d'abord que son parrain lui aurait donné une somme de 100 000,00 $ comptant en petites coupures trois ou quatre mois avant sa mort avec l'entente qu'elle n'en dise rien à personne et à la condition qu'elle aide sa marraine au besoin. Cette dernière serait elle-même morte un an à un an et demi plus tard, seule dans sa maison, sans que l'appelante n'ait eu à débourser d'argent pour elle. Qui plus est, en présence de policiers, le frère de l'appelante aurait alors retrouvé une somme additionnelle de 35 000,00 $ à 40 000,00 $ cachée dans un chaudron noir au sous-sol de la maison. L'appelante dit n'avoir parlé du 100 000,00 $ qu'à sa mère et que celle-ci est aujourd'hui décédée. En contre-interrogatoire, l'appelante décrit ce don comme ayant été un montant de 100 000,00 $, de 110 000,00 $ ou même de 120 000,00 $ en billets de 20,00 $ que son parrain lui aurait remis dans un sac d'épicerie qu'elle aurait apporté chez elle et caché parmi des boîtes dans le fond d'un placard. Plus tard, l'appelante aurait déposé l'argent dans un ou deux coffrets de sûreté à la banque, aurait changé plus de 60 000,00 $ en billets de 1 000,00 $ dont 20 000,00 $ en une seule occasion. Elle affirme avoir commencé à faire des placements une fois sa marraine décédée. L'appelante dit ne pas se souvenir des mois ou des années au cours desquels ces différents événements se seraient produits se contentant d'affirmer que son parrain serait décédé soit en 1986 soit en 1987.

[11] L'appelante affirme également qu'elle faisait souvent des croisières et qu'elle a gagné 25 000,00 $ au cours de l'une d'elles. Elle aurait prêté une partie de la somme à des personnes qui en avaient besoin dont un certain monsieur André Labrie qu'elle dit maintenant introuvable. Aucune autre précision n'a été apportée par l'appelante quant au lieu, à la date ou à la manière dont elle aurait réalisé ce gain.

[12] Par ailleurs, l'appelante affirme avoir toujours déclaré tous ses revenus et que son comptable de l'époque, un certain monsieur Fortin, trouvait que tout était fait correctement.

[13] En contre-interrogatoire, l'appelante confirme d'abord le bien-fondé des différents éléments de l'actif et du passif tels qu'établis à l'Annexe A de la Réponse à l'avis d'appel ainsi que l'exactitude des transactions décrites. Par la suite, elle soutient qu'une transaction concernant une automobile Toyota Tercel immatriculée à son nom devait plutôt être attribuée à son fils qui remboursait directement l'emprunt pour finalement admettre que cette automobile était bien à elle. Concernant une autre automobile, une Subaru Justy également immatriculée à son nom, l'appelante affirme avoir elle-même emprunté pour payer le prix d'achat mais affirme que son fils la remboursait directement et qu'elle déposait l'argent dans son compte sur lequel les mensualités étaient prélevées.

[14] Quant à ses déclarations de revenus, l'appelante affirme s'être assurée que leur contenu était exact avant de les signer. Plus tard, elle affirme avoir signé sans vérifier.

[15] Concernant son commerce, l'appelante affirme qu'elle y travaillait puis qu'elle n'y travaillait pas se contentant d'aller faire un tour et de s'occuper des achats. Elle dit avoir confié tous ses documents à son comptable à tous les mois ou à tous les trois mois, que ce dernier lui faisait signer les chèques notamment pour les différents gouvernements et qu'il lui remettait “ ses papiers ”. Pourtant, lors de la vérification, l'appelante n'avait pas les rubans de la caisse enregistreuse en sa possession de sorte qu'il a été impossible de vérifier les opérations commerciales réelles de l'entreprise.

[16] Sur les différentes transactions immobilières réalisées au cours des années, l'appelante soutient que son avoir provient en réalité du don de 100 000,00 $ de son parrain et affirme qu'il s'agissait en réalité toujours du même argent qui était utilisé. Ainsi, elle affirme n'avoir pas réalisé de gains en capital. Confrontée aux documents, elle affirme ensuite, soit ne pas se souvenir du montant d'une transaction en particulier, soit que le montant inscrit au contrat n'est pas exact.

[17] Concernant les intérêts non déclarés, le témoignage de l'appelante est tout aussi vague et confus présentant tantôt une version, tantôt le contraire. Ainsi, l'appelante admet d'abord avoir reçu des intérêts sur des prêts consentis aux acheteurs lors de certaines transactions immobilières et affirme que ces intérêts ont été déclarés. Appelée à admettre qu'ils ne l'ont pas été, elle affirme ensuite que c'est probablement parce qu'il n'y avait pas d'intérêts ou parce que très peu d'intérêts ont en réalité été payés.

[18] Tel que mentionné plus haut, monsieur Cantin a témoigné concernant l'établissement des cotisations en utilisant la méthode d'avoir net en expliquant de façon détaillée les différents postes inscrits à l'actif et au passif de l'appelante pour les années en litige et en précisant la source des informations obtenues ainsi que les calculs effectués. Suite à des discussions avec le comptable de l'appelante, monsieur Pichette, des changements mineurs furent apportés en réduisant certaines dépenses personnelles de l'appelante établies partiellement par estimation de même qu'en ajoutant à l'actif en début de période un montant de 2 000,00 $ placé dans un compte REER et dont on n'avait initialement pas tenu compte. Selon monsieur Cantin, il s'agit des seules modifications apportées à l'avoir net suite aux observations de monsieur Pichette. Monsieur Cantin dit avoir aussi discuté avec monsieur Savard, le conjoint de l'appelante, et n'avoir obtenu aucune autre information.

[19] Dans son témoignage, monsieur Cantin affirme également que selon les informations obtenues de la banque, l'appelante n'avait pas de coffret de sûreté.

[20] En ce qui a trait aux pénalités, monsieur Cantin dit avoir tenu compte de l'importance des montants en cause, de la répétition annuelle, du fait que certains montants d'intérêts n'avaient pas été déclarés et que les gains en capital réalisés n'avaient jamais été déclarés. Je signale que ce n'est qu'après les oppositions et lors des cotisations émises le 13 décembre 1994 que la déduction pour gains en capital a été accordée pour les années 1988, 1990 et 1991. Monsieur Cantin n'a pas témoigné sur ce point.

[21] Les arguments de l'appelante se résument à peu de choses. Elle n'a jamais ouvert un livre ou consulté les documents. Elle ne voulait rien savoir ni s'occuper de rien. Les comptables Fortin et Pichette s'occupaient de tout. C'est au comptable Pichette qu'elle aurait fait part en premier lieu du don de 100 000,00 $. Selon elle, son conjoint, monsieur Savard, n'était pas au courant et elle affirme qu'elle ne voulait pas qu'il le soit non plus.

[22] Reprenant plusieurs éléments du témoignage de l'appelante, l'avocat de l'intimée souligne d'abord les nombreuses contradictions et les multiples versions données par l'appelante, notamment en ce qui concerne les intérêts et les gains en capital non déclarés en rapport avec plusieurs transactions immobilières réalisées au cours de la période en litige et qu'elle ne pouvait manifestement pas ignorer. Puisqu'il apparaît évident que l'appelante savait que tous ses revenus n'étaient pas déclarés et que les renseignements contenus à ses déclarations étaient inexacts on ne peut, selon lui, accepter qu'elle en jette le blâme sur son comptable.

[23] L'avocat de l'intimée soutient également qu'on ne peut pas plus retenir le témoignage de l'appelante concernant le don de 100 000,00 $ de son parrain et le gain de 25 000,00 $, qu'on ne peut accepter ses explications contradictoires concernant les intérêts et les gains en capital. D'ailleurs, souligne-t-il, la vérification par la méthode d'avoir net avec documents à l'appui a permis d'établir des revenus non déclarés bien supérieurs à ce qu'elle dit avoir reçu de son parrain ou gagné lors d'une croisière. L'avocat de l'intimée conclut que c'est sciemment que l'appelante a fait de fausses déclarations de revenu. À tout le moins, dit-il, compte tenu des circonstances et plus particulièrement de l'importance des montants en cause et de la répétition annuelle, l'appelante a commis une faute lourde en signant ses déclarations sans les vérifier ce qui justifie d'une façon ou d'une autre tant les cotisations au delà de la période normale de cotisation pour les années 1988 et 1989 que les pénalités en vertu du paragraphe 163(2) pour les quatre années.

[24] Au soutien de ses arguments l'avocat de l'intimée se réfère aux décisions dans les affaires suivantes :

Communications et Services (Royal) Inc. et al. c. La Reine, 94 DTC 1157 (C.C.I.)

Georges Sigouin c. M.R.N., 93 DTC 206 (C.C.I.)

R. Morin c. M.R.N., 92 DTC 1238 (C.C.I.)

Girard c. M.R.N., 89 DTC 60 (C.C.I.)

Lucien Venne c. La Reine, 84 DTC 6247 (C.F. 1re inst.)

John W. Howell c. M.R.N., 1er avril 1981, dossier 79-245, (C.R.I.)

Cloutier c. La Reine, 78 DTC 6485 (C.F. 1re inst.)

[25] Je suis d'accord avec les conclusions de l'avocat de l'intimée. La cotisation du revenu non déclaré de l'appelante pour chacune des années en litige en utilisant la méthode d'avoir net était parfaitement justifiée dans les circonstances puisque l'appelante n'a pu dès le départ fournir tous les documents qui auraient été essentiels à la vérification des opérations de son entreprise et plus particulièrement les rubans de la caisse enregistreuse qui ont mystérieusement disparus sans qu'une seule explication raisonnable quelconque n'ait été fournie à cet égard. Dans les circonstances, l'inférence naturelle est simplement qu'on les a volontairement fait disparaître. Il s'agit là d'un fait dont l'appelante doit être tenue responsable et à l'égard duquel elle ne peut, par simple déclaration, en reporter la faute sur son comptable qui n'a pas été appelé à témoigner.

[26] La vérification sérieuse, détaillée et bien documentée de monsieur Cantin aux fins d'établir les cotisations par la méthode d'avoir net laisse peu de doute sur l'ampleur et le niveau des revenus non déclarés par l'appelante au cours des années en litige. Si les sommes sont importantes, on constate également qu'une partie provient de gains réalisés à l'égard de plusieurs transactions immobilières s'échelonnant sur plusieurs années dont l'appelante n'a jamais fait état dans ses déclarations de revenu. Il en est de même concernant les intérêts sur des prêts consentis par l'appelante aux acheteurs lors de certaines de ces transactions. Les explications confuses et les versions contradictoires fournies par l'appelante à cet égard à différents moments de son témoignage ne peuvent que conduire à la conclusion qu'il y a eu dissimulation volontaire des montants en cause. De surcroît, l'affirmation de l'appelante qu'elle n'a rien vérifié avant de signer ses déclarations de revenu et en somme qu'elle ne voulait rien savoir traduit également dans les circonstances une indifférence certaine quant à ses responsabilités fiscales.

[27] Dans les circonstances, le peu de crédibilité que j'accorde au témoignage de l'appelante vise également ses prétentions concernant le don de 100 000,00 $ reçu de son parrain et le gain de 25 000,00 $ réalisé lors d'une croisière, événements dont la narration par l'appelante présente des particularités pour le moins étonnantes. Pas de mémoire des dates ni même du montant exact dans le premier cas. Aucun détail pertinent dans le deuxième cas. Sans doute est-il permis de penser que les histoires extraordinaires existent. Toutefois, à l'analyse de l'ensemble de la preuve, il est tout simplement impossible de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que de tels événements aient pu être à l'origine de l'actif de l'appelante.

[28] Quant aux pénalités cotisées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, les faits décrits plus haut m'amènent à conclure qu'elles sont justifiées. Je me permettrai de me référer ici à la décision du juge Strayer alors qu'il était à la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Venne (précitée) dans laquelle il analysait la “ faute lourde ” dans les termes suivants :

La "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.[1]

(le souligné est de moi)

[29] Par ailleurs, dans sa décision dans l'affaire Morin (précitée) à la page 1239, le juge en chef Couture de cette Cour affirmait ce qui suit :

Pour échapper aux pénalités prévues aux dispositions du paragraphe 163(2) de la Loi il est nécessaire, à mon avis, que l'attitude et le comportement général du contribuable soient tels qu'aucun doute quant à sa bonne foi et sa crédibilité ne puissent être sérieusement entretenus et cela pendant toute la période couverte par la cotisation ...

[30] L'appelante ne m'a convaincu ni de sa bonne foi ni de sa crédibilité. Au contraire, la preuve présentée me conduit à conclure sinon à la volonté de se soustraire délibérément à ses obligations fiscales du moins à une indifférence totale au respect de la Loi.

[31] Cette constatation m'amène évidemment à conclure que le Ministre était également justifié d'établir des cotisations pour les années d'imposition 1988 et 1989 au delà de la période normale de cotisation prévue par la Loi.

[32] Les appels sont rejetés avec dépens en faveur de l'intimée.

“ P.R. Dussault ”

J.C.C.I.



[1]               À la page 19 de la traduction française officielle; [1984] A.C.F. no 314 (Q.L.).

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