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Date: 19980623

Dossier: 97-1403-IT-I

ENTRE :

MICHEL PAUZÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Pierre Archambault, C.C.I.

[1] Monsieur Pauzé conteste l’avis de cotisation du 23 août 1996 établi par le ministre du Revenu national (ministre) à l’égard de l’année d’imposition 1991. Le ministre a réclamé de M. Pauzé conformément à l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi) une somme de 11 130,75 $ au titre de l’impôt dû en 1991 par la société Référium inc. (Référium). Le ministre a appliqué l’article 160 de la Loi parce que Référium a versé au cours de cette année un dividende de 70 000 $ à M. Pauzé. Ce dernier prétend que le dividende lui a été versé en contrepartie de services qu’il a rendus à cette société et que l’article 160 de la Loi ne s’applique pas.

Faits

[2] Référium exploite une entreprise de recrutement de cadres dans le domaine des communications et du marketing. Son exercice financier se termine le 28 février. M. Pauzé a acquis toutes les actions de Référium en 1979, les payant 42 000 $. À partir de 1976, M. Pauzé était le seul actionnaire et le seul administrateur de cette société.

[3] Monsieur Pauzé a déclaré avoir reçu une rémunération provenant de trois sources ¾ soit un salaire de base, des remboursements de dépenses et des avances ¾, pour un total d’environ 150 000 $ à 170 000 $ par année. C’est son comptable qui détermine, à la fin de l’exercice financier de Référium, si les avances seront traitées comme un dividende ou comme du salaire. Généralement, au cours du mois de janvier ou de février, un dividende est déclaré. M. Pauzé ne savait pas si des résolutions avaient été rédigées. Il a répondu qu’il se fiait à son comptable pour ce qui était de ces choses. Les déclarations de revenu produites lors de l’audience révèlent les données suivantes relativement aux salaires et aux dividendes imposables déclarés dans les revenus de M. Pauzé pour les années 1989 à 1992 :

Année salaire dividende imposable dividende réel

1989 26 924 $ 177 500 $ 142 000 $

1990 25 327 $ 35 000 $ 28 000 $

1991 3 600 $ 87 500 $ 70 000 $

1992 73 176 $    0 $     0 $

[4] Au cours de l’exercice financier se terminant le 28 février 1991, Référium a versé un dividende de 70 000 $ à M. Pauzé. À l’égard de cet exercice financier, Référium était tenue de payer en vertu de la Loi une somme de 11 130,75 $. M. Pauzé a reconnu que Référium avait cessé ses opérations vers le mois de décembre 1992. À partir de ce moment, il a continué à exploiter son entreprise de recrutement de cadres par l’intermédiaire d’une nouvelle société commerciale.

[5] Le comptable de Référium, M. Morin, a aussi témoigné lors de l’audience. Associé de la société de comptables agréés Morin, D’Août, il a dressé les états financiers de 1992. En 1991, il était employé de la société Coopers & Lybrand, Laliberté Lanctôt, qui avait dressé les états financiers de Référium pour 1991. Toutefois, M. Morin n’a pas participé personnellement à l’établissement de ces états financiers. M. Morin a reconnu que c’était une pratique courante chez certaines PME d’avancer des sommes d’argent à leur actionnaire unique et, avant la fin de l’exercice financier, de traiter ces avances comme un dividende. M. Morin a affirmé qu’il n’y avait pas, durant ces années, un avantage marqué à déclarer des dividendes plutôt que de verser un salaire. Il a toutefois reconnu que le versement d’un dividende procurait à M. Pauzé un avantage sur le plan des liquidités puisqu’il n’y avait dans le cas du dividende aucune retenue à la source. Il a aussi reconnu que lorsqu’une société verse un dividende, elle n’a pas à cotiser au régime d’assurance-maladie ou au régime des rentes du Québec.

Analyse

[6] La cotisation a été établie en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi qui se lit comme suit :

160(1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon,

a) à son conjoint ou à une personne devenue depuis son conjoint,

b) à une personne qui était âgée de moins de 18 ans, ou

c) à une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s’appliquent :

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont conjointement et solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente Partie pour chaque année d’imposition, égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74 et 75.1 à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens, et

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont conjointement et solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des deux montants suivants :

(i) la fraction, si fraction il y a, de la juste valeur marchande des biens à la date du transfert qui est en sus de la juste valeur marchande à cette date de la contrepartie donnée pour le bien, et

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années,

mais aucune disposition du présent paragraphe n’est réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de toute autre disposition de la présente loi.

[Je souligne.]

[7] La seule condition d’application du paragraphe 160(1) de la Loi qui est contestée par M. Pauzé dans le cadre de cet appel est le sous-alinéa 160(1)e)(i) de la Loi. En d’autres mots, la question à résoudre est la suivante : est-ce que le montant du dividende a été versé en contrepartie de services rendus par M. Pauzé à Référium? M. Pauzé prétend qu’il recevait une rémunération d’environ 150 000 $ à 170 000 $ et, comme son salaire ne s’élevait qu’à 3 600 $ pour l’année 1991 et à 25 327 $ pour 1990, il lui paraît évident que le dividende de 70 000 $ lui a été versé en contrepartie de ses services et que la valeur de ces services était d’au moins 70 000 $. À l’appui de ses prétentions, M. Pauzé invoque la décision rendue par un juge de cette cour dans l’affaire Davis et al. v. The Queen, 94 DTC 1934, où ledit juge s’est fondé sur les observations incidentes suivantes du juge Dickson dans l’affaire The Queen v. McClurg, 91 DTC 5001, à la page 5012:

I find this conclusion to be completely supported by the evidence. Wilma McClurg played a vital role in the financing of the formation of the company. Although I agree with Desjardins, J. that, with respect to a shareholder, "dividends come as a return on his or her investment" (at p. 370), in my view there is no question that the payments to Wilma McClurg represented a legitimate quid pro quo and were not simply an attempt to avoid the payment of taxes.

[8] Contrairement aux prétentions du procureur de M. Pauzé, je ne suis pas lié par le témoignage de M. Pauzé selon lequel il recevait son revenu d’emploi de trois sources distinctes, à savoir sous la forme d’un salaire de base, sous la forme du remboursement de dépenses et sous la forme d’avances traitées comme des dividendes. La question que cette cour a à trancher est une question mixte de droit et de fait. Comme M. Pauzé était en même temps un employé et l’unique actionnaire de Référium, il pouvait être rémunéré à la fois à titre d’employé et à titre d’actionnaire. Comme employé, il pouvait recevoir un salaire pour les services qu’il rendait à Référium et, comme actionnaire, il pouvait recevoir un dividende représentant les bénéfices accumulés de cette société. Le fait que M. Pauzé ait considéré ses remboursements de dépenses comme une forme de rémunération est un indice fort révélateur de ce qu’il peut s’être trompé quant au traitement fiscal des sommes qui lui ont été versées par Référium.

[9] J’aimerais aussi ajouter que je n’ai aucun doute que Référium a eu véritablement l’intention de verser un dividende à son actionnaire unique. Cette société était conseillée par un comptable agréé qui connaissait très bien la différence entre un salaire et un dividende. C’est justement parce qu’il connaissait très bien les règles concernant le versement de dividendes qu’il a versé uniquement un salaire de 73 176 $ en 1992, contrairement aux années antérieures. Parce qu’elle avait un déficit accumulé de 74 346 $ à la fin de son exercice financier se terminant le 29 février 1992, Référium ne pouvait pas verser de dividende. Le comptable savait, de plus, que lorsqu’une société verse un dividende, elle n’a pas à effectuer de retenues à la source et qu’elle peut éviter certaines cotisations sociales. En versant le dividende de 70 000 $, Référium désirait véritablement payer un dividende et non payer une somme en contrepartie de services rendus.

[10] Comme l’a dit mon collègue le juge Dussault dans l’affaire Gosselin c. R., 1996 CanRepNat 2472 (TaxPartner, cédérom de Carswell), au paragraphe 16, une société qui verse des dividendes ne reçoit aucune contrepartie de ses actionnaires[1]:

[...] Le droit à un dividende est un droit de partager dans les profits d’une société. Avec respect pour ceux qui sont d’opinion contraire, ce droit n’a qu’une source, la propriété des actions y donnant droit, rien d’autre. Le dividende est un revenu de “bien” et non une rémunération ou une compensation pour services rendus. Si les dividendes reçoivent un traitement fiscal favorable lorsqu’ils sont reçus par les individus grâce au mécanisme de la majoration et du crédit d’impôt c’est qu’ils représentent précisément le résultat du partage des bénéfices d’une société, bénéfices qui ont déjà, du moins en théorie, été imposés à ce premier niveau et sur lesquels on veut limiter ou réduire l’impact de la double imposition lorsque reçus par des particuliers. Ce régime n’existe évidemment pas en ce qui concerne la rémunération pour services rendus [...]

[Je souligne.]

[11] Mon collègue le juge Bell a aussi adopté la même approche dans l’affaire 155579 Canada Inc. et al. v. The Queen, 97 DTC 691. Dans cette affaire, le juge Bell a dit aux pages 693 et 694 : “ A dividend is a payment related, by way of entitlement, simply to the interest of the payee as a shareholder ”. Il expose aussi les motifs pour lesquels il ne suit pas la décision rendue dans l’affaire Davis mentionnée plus haut. Je partage son opinion à cet égard.

[12] J’ajouterais, de plus, que, lorsqu’un employeur verse une somme d’argent en contrepartie des services rendus par un employé, il s’agit d’un salaire. Si Référium avait véritablement versé un salaire à M. Pauzé, elle aurait dû faire des retenues à la source et elle aurait pu être tenue de cotiser à certains régimes sociaux. Si la somme de 70 000 $ représentait véritablement une contrepartie pour des services rendus, soit un salaire, elle aurait été assujettie à un impôt plus élevé que ce n’aurait été le cas s’il s’était agi d’un dividende. En effet, M. Pauzé n’aurait pas eu droit au crédit d’impôt pour dividendes prévu à l’article 121 de la Loi. Or, le comptable, en toute connaissance de cause, a décidé de verser un dividende plutôt que de verser un salaire.

[13] Comme je conclus que la somme de 70 000 $ a été versée comme dividende et qu’elle n’a été versée pour aucune contrepartie, je n’ai pas d’autre choix que de confirmer la cotisation.

[14] J’ajouterais, avant de conclure, qu’initialement le procureur de M. Pauzé avait soutenu qu’un dividende ne constituait pas un transfert d’un bien au sens de l’article 160 de la Loi. Apparemment, une décision récente non encore publiée de la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Rip dans l’affaire Algoa Trust et al. v. The Queen, 93 DTC 405, et le procureur a abandonné ce moyen.

[15] Pour ces motifs, l’appel de M. Pauzé est rejeté, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juin 1998.

“ Pierre Archambault ”

J.C.C.I.



[1] Après que j’ai pris cet appel en délibéré et que j’ai rédigé mes motifs, la Cour suprême du Canada a rendu le 21 mai 1998 sa décision dans l’affaire Neuman c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1998] A.C.S. no 37 (QL). Le juge Iacobucci a clarifié la position de la Cour suprême quant à la nature des dividendes versés par une société commerciale. Il a reconnu que les observations incidentes du juge Dickson dans l’affaire McClurg (que j’ai citées plus haut) avaient pu engendrer une certaine confusion. Le juge Iacobucci reconnaît au par. 57 que des dividendes ne sont pas versés en contrepartie de services :

[para57]      Le juge en chef Dickson semblait d'avis que la nature du revenu de dividendes d'un actionnaire était tributaire de l'apport fourni à la société par cet actionnaire. Ce point de vue ne tient pas compte de la nature fondamentale des dividendes; un dividende est un paiement lié, sous forme de droit, au capital-actions qu'une personne possède dans une société, et à rien d'autre. Ainsi, l'importance de l'apport fourni par une personne à la société, et tout dividende reçu de cette société, sont indépendants l'un de l'autre. Le juge La Forest a fait la même observation dans les motifs dissidents qu'il a rédigés dans McClurg (à la p. 1073) :

   En toute déférence, ce fait n'est pas pertinent pour les fins du litige dont nous sommes saisis. C'est mal interpréter la nature d'un dividende que de lier le versement d'un dividende à la somme des efforts déployés par le bénéficiaire pour le compte de la société payante. Comme nous l'avons dit auparavant, le versement d'un dividende résulte de la propriété du capital-actions d'une société. Selon un principe fondamental du droit des sociétés, un dividende est le rapport du capital qui se rattache à une action et ne dépend d'aucune façon de la conduite d'un actionnaire donné.

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