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Date: 19991104

Dossier: 95-1077-IT-G

ENTRE :

SMITH KLINE BEECHAM ANIMAL HEALTH INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge Bonner, C.C.I.

[1] L'intimée dans cet appel en matière d'impôt sur le revenu demande une ordonnance permettant de déposer une réponse modifiée à l'avis d'appel. Par cette modification, l'intimée cherche à plaider ce qui est décrit dans l'avis de requête comme un “ nouveau fondement juridique ” à l'appui de certaines cotisations relatives à l'impôt de la partie XIII.

[2] L'appelante a été constituée au Canada et exploite une entreprise au Canada. Durant toute la période pertinente, elle était membre d'un groupe international de sociétés que j'appellerai le groupe Smith Kline. La société mère de l'appelante était la Smith Kline & French International Co., dont le siège était aux États-Unis. Le groupe s'était lancé dans l'élaboration, la fabrication et la vente de produits pharmaceutiques. Durant les années d'imposition 1981 à 1986 inclusivement, l'appelante fabriquait et vendait au Canada un médicament appelé Tagamet. L'ingrédient actif de ce médicament est un produit chimique appelé cimétidine.

[3] Dans l'exploitation de son entreprise, l'appelante achetait de la cimétidine à deux autres membres du groupe Smith Kline, soit des non-résidents du Canada. Les vendeurs étaient Penn Chemicals B.V. (la “ Penn ”), soit la succursale irlandaise d'une société des Pays-Bas, et Franklin Chemicals Ltd., de Freeport, Grand Bahama (la “ Franklin ”). Dans le calcul de son revenu, l'appelante a déduit comme coût de produits vendus les sommes payées ou payables par elle à la Penn et à la Franklin à l'égard de la cimétidine que ces dernières lui fournissaient.

[4] Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une cotisation à l'égard de l'appelante en vertu de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour les années d'imposition mentionnées précédemment, en se fondant sur des conclusions ou hypothèses de fait incluant les suivantes :

[TRADUCTION]

a) pour toute la période pertinente, l'appelante a versé ou convenu de verser aux corporations affiliées [Penn et Franklin] 400 $ US par kilo de cimétidine;

b) entre 1981 et 1986, des fournisseurs avec qui l'appelante n'avait aucun lien de dépendance offraient de la cimétidine à des prix allant de 50 à 250 $ US le kilo;

f) l'appelante a versé ou convenu de verser des sommes totales de 66 982 990 $ excédant le prix qui aurait été raisonnable eu égard aux circonstances si l'appelante et les corporations affiliées n'avaient eu aucun lien de dépendance durant la période pertinente.

Le ministre a refusé la déduction d'une partie des sommes payées ou payables aux corporations affiliées à l'égard de la cimétidine, en se basant sur le paragraphe 69(2) de la Loi. Ce paragraphe se lit comme suit :

69(2) Lorsqu'un contribuable exploitant une entreprise au Canada a versé ou convenu de verser à une personne non résidante, avec laquelle il avait un lien de dépendance, à titre de prix, loyer, redevance ou autre paiement pour un bien ou pour l'usage ou la reproduction d'un bien, ou en contrepartie du transport de marchandises ou de voyageurs ou d'autres services, une somme plus élevée que la somme (ci-après appelée “ la somme raisonnable ”) qui aurait été raisonnable eu égard aux circonstances si la personne non résidante et le contribuable n'avaient eu aucun lien de dépendance, la somme raisonnable est réputée, aux fins du calcul du revenu du contribuable provenant de l'entreprise, avoir été la somme payée ou payable dans ce cas.

La thèse de l'appelante dans l'appel concernant les cotisations selon la partie I est que le paragraphe 69(2) ne s'applique pas et que, s'il s'applique, la somme déterminée par le ministre en remplacement n'est pas raisonnable eu égard aux circonstances de l'appelante.

[5] Le ministre a établi à l'égard de l'appelante des cotisations complémentaires en vertu de la partie XIII de la Loi. Les avis de ces cotisations concernant des paiements pour les années 1981 à 1986 comportent l'explication suivante[1] :

[TRADUCTION]

Impôt des non-résidents payable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (15 %). Vous avez omis de déduire et de verser 1 161 874 $ d'impôt sur 7 745 824 $ payés à la Smith Kline & French International Co. ou portés au crédit de cette corporation, soit une corporation non résidante du Canada. Des intérêts sur l'impôt impayé ont été fixés au taux prescrit applicable.

Solde net reporté sur l'avis de cotisation pour 1982.

La théorie à la base des cotisations selon la partie XIII a été expliquée comme suit par le répartiteur :

[TRADUCTION]

Comme on a déterminé que la contribuable avait versé une somme excédant la somme qu'il aurait été raisonnable qu'elle verse pour l'achat de cimétidine, l'excédent est réputé en vertu du paragraphe 56(2) correspondre à une affectation considérée par la corporation mère[2] comme payée à l'époque et devrait donc être imposable entre les mains de la corporation mère. Comme cette dernière est une contribuable non résidante, l'excédent est donc réputé être un dividende en vertu du paragraphe 214(3) et est assujetti à des retenues d'impôt.

Conformément à la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis, le taux d'imposition approprié est de 15 % pour les années 1981 à 1984 (10 novembre 1984) et de 10 % pour les années ultérieures. La convention fiscale entre le Canada et les États-Unis a été modifiée et, avec l'entrée en vigueur de la nouvelle convention, le taux de retenue d'impôt applicable à des dividendes a été réduit.

Les dispositions législatives invoquées par le répartiteur étaient :

56(2) Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l'accord d'un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder à l'autre personne doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

et

214(3) Aux fins de la présente Partie,

a) lorsque l'article 15 ou le paragraphe 56(2) exigerait, si la Partie I était applicable, qu'une somme fût incluse dans le calcul du revenu d'un contribuable, cette somme est réputée avoir été versée au contribuable à titre de dividende provenant d'une corporation résidant au Canada.

L'appel contre les cotisations selon la partie XIII s'appuie à peu près sur le même motif que l'appel contre les cotisations selon la partie I, à savoir que le prix que l'appelante a payé à la Penn et à la Franklin pour la cimétidine était raisonnable eu égard aux circonstances.

[6] Avant d'établir les cotisations selon la partie XIII, qui se fondent sur la théorie relative à l'article 56, les fonctionnaires du ministre avaient examiné la question de savoir si les cotisations devraient être basées sur l'alinéa 245(2)b) de la Loi, qui se lisait alors comme suit :

245(2) Lorsqu'une ou plusieurs ventes, échanges, déclarations de fiducie ou autres opérations de quelque nature que ce soit ont pour résultat qu'une personne confère un avantage à un contribuable, cette personne est réputée avoir fait au contribuable un paiement égal au montant de l'avantage conféré, nonobstant la forme ou les effets juridiques des opérations ou le fait qu'une ou plusieurs autres personnes y aient été également parties; et, qu'il y ait eu ou non une intention d'éviter ou d'éluder des impôts prévus par la présente loi, le paiement doit, selon les circonstances, être

[...]

b) réputé constituer un paiement à une personne non résidante à qui s'applique la Partie XIII [...]

Au bout du compte, lorsque les cotisations ont été établies, le répartiteur ne s'est pas fondé sur l'article 245. Si l'article 245 était substitué au paragraphe 56(2) dans la série de dispositions législatives prévoyant un assujettissement à l'impôt de la partie XIII, le non-résident bénéficiaire des paiements réputés serait la Penn dans le cas de certains des paiements et la Franklin dans le cas du reste des paiements. Ces sociétés, par opposition à la société mère, seraient les personnes principalement responsables du paiement de l'impôt de la partie XIII.

[7] Dans sa forme actuelle, la réponse à l'avis d'appel dit que la question en litige concernant l'impôt de la partie XIII est la suivante :

[TRADUCTION]

b) l'intimée a-t-elle à bon droit fixé de l'impôt à l'appelante en vertu de la partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de sommes réputées avoir été payées comme dividendes, par une corporation résidant au Canada à la Smith Kline & French International Co., au sens des paragraphes 56(2) et 214(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu;

[8] Les modifications demandées ajouteraient ce qui suit à l'énoncé des questions en litige :

[TRADUCTION]

b.1) ou bien, est-ce que l'appelante est réputée, conformément à l'alinéa 245(2)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, avoir fait aux corporations affiliées des paiements auxquels s'applique la partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”);

Les modifications ajoutent le paragraphe 212(1) à la liste de dispositions législatives invoquées. Quoique l'on ne sache pas tout à fait clairement pourquoi, cette liste mentionne déjà le paragraphe 245(2). En outre, les modifications ajouteraient les arguments suivants :

[TRADUCTION]

d) ou bien, si la Cour conclut qu'aucun dividende n'est réputé avoir été payé par l'appelante à la Smith Kline & French International Co. conformément aux paragraphes 56(2) et 214(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'intimée soutient que les cotisations d'impôt selon la partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu sont fondées compte tenu du fait que, conformément au paragraphe 245(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu :

i) l'appelante, par suite des opérations décrites aux paragraphes 20 et 21 de la présente réponse, est réputée avoir fait des paiements aux corporations affilées;

ii) ces paiements sont réputés être des paiements à des personnes non résidantes auxquels s'applique la partie XIII;

iii) l'appelante a omis de déduire ou de retenir ledit impôt à l'égard des paiements faits et est donc personnellement responsable du paiement de ces sommes en vertu des paragraphes 215(1) et 215(6) de la Loi.

[9] L'avocat de l'intimée soutient que les modifications sont nécessaires pour déterminer une des véritables questions litigieuses, à savoir si le paiement excédentaire allégué, soit le paiement que l'appelante a fait aux corporations affiliées pour la cimétidine, donne lieu à un assujettissement à l'impôt selon la partie XIII. Il dit que l'intimée ne cherche pas à faire valoir à l'égard des cotisations existantes un motif pour augmenter l'impôt déjà fixé. L'intimée cherche plutôt à pouvoir défendre les cotisations existantes en invoquant des dispositions législatives qui, appliquées aux faits pertinents déjà plaidés, appuieront les cotisations d'impôt selon la partie XIII, en totalité ou en partie. L'avocat de l'intimée invoquait la règle générale en matière de modification que la Cour d'appel fédérale a énoncée dans l'arrêt Canderel[3], soit :

[...] même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice[...].

L'avocat de l'intimée soutenait que la véritable question litigieuse dans un appel en matière d'impôt est de savoir si l'impôt fixé est trop élevé et que la réponse dépend de l'application du droit aux faits et non de l'analyse du répartiteur, si habile soit-elle. Il invoquait l'énoncé de principe que la Cour d'appel fédérale a exprimé dans l'arrêt Riendeau[4], soit :

Selon nous, le processus mental du Ministre pour établir une cotisation ne saurait modifier l'assujettissement d'un contribuable au paiement de l'impôt prescrit par la Loi même. Le Ministre peut corriger une erreur.

Il invoquait en outre l'affaire Minden[5], dans laquelle le président Thorson a dit :

[TRADUCTION]

Dans l'examen de l'appel d'une cotisation d'impôt sur le revenu, la Cour se préoccupe de la validité de la cotisation et non de l'exactitude des motifs invoqués par le ministre au soutien de la cotisation. Une cotisation peut être valable même si la raison invoquée par le ministre à l'appui de la cotisation peut être erronée. Cela a été abondamment établi.

Enfin, l'avocat de l'intimée arguait que la modification ne serait pas préjudiciable à l'appelante. L'avocat de l'appelante a été avisé de l'intention de l'intimée de demander la modification avant la fin du processus d'interrogatoire préalable.

[10] L'avocat de l'appelante arguait pour sa part que la modification demandée “ changerait fondamentalement ” les cotisations selon la partie XIII portées en appel, que le délai relatif à la partie XIII a expiré il y a au moins deux ans et que le nouveau paragraphe 152(9) n'aide pas le ministre, c.-à-d. qu'il permet au ministre d'avancer de nouveaux arguments à l'appui de cotisations, mais il ne lui permet pas d'avancer un “ nouveau fondement à l'appui de la cotisation ” après l'expiration du délai prévu à l'article 152, et c'est cela d'après l'appelante que l'intimée cherche à faire et qu'elle ne peut faire.

[11] Au soutien de l'argument selon lequel les modifications, si elles étaient autorisées, soulèveraient un nouveau fondement à l'appui de la cotisation, l'avocat de l'appelante a fait remarquer que la responsabilité première à l'égard de l'impôt de la partie XIII est imposée par l'article 212 au non-résident bénéficiaire du paiement. La responsabilité du résident qui est l'auteur du paiement, en vertu du paragraphe 215(6), dérive ou découle de l'omission d'effectuer les retenues d'impôt. Si, contrairement au point de vue adopté par le répartiteur, les paragraphes 56(2) et 214(3) ne s'appliquent pas de manière que le paiement excédentaire allégué, fait aux corporations affiliées, soit réputé représenter des dividendes payés à la corporation mère de l'appelante et si le paragraphe 245(2) s'applique bel et bien, les paiements réputés avoir été faits en vertu du paragraphe 245(2) doivent être considérés comme ayant été faits à la Penn et à la Franklin, qui résident et exploitent une entreprise dans des pays différents de celui de la corporation mère. Ainsi, des conventions fiscales différentes (ou inexistantes) et des taux d'imposition différents peuvent s'appliquer. Enfin, l'avocat de l'appelante soulignait que le répartiteur avait soigneusement examiné les répercussions différentes des paragraphes 56(2) et 245(2) et qu'il avait fait un choix réfléchi.

[12] Le principal argument de l'appelante est que le ministre ne peut se fonder sur l'article 245, que la modification soit autorisée ou non. Cet argument est basé sur ce qui est dit dans les motifs du jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Continental Bank[6]. Dans cette affaire, le ministre avait soulevé pour la première fois devant la Cour suprême du Canada un argument tout à fait incompatible avec la thèse qu'il avait précédemment adoptée. Le juge McLachlin disait, à la page 6503 :

[...] Je suis d'accord avec le juge Bastarache pour dire que ne peut être retenu l'argument du ministre — soulevé pour la première fois devant notre Cour — que la Banque a vendu des éléments d'actif de crédit-bail amortissables ou encore que celle-ci était par ailleurs imposable à l'égard de la récupération de la déduction pour amortissement en application du par. 88(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, et ses modifications. Le ministre ne saurait être autorisé à avancer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin.

À la page 6505, le juge Bastarache disait :

Les contribuables doivent savoir sur quelle base repose la cotisation qui leur est transmise afin de pouvoir présenter les éléments de preuve appropriés pour la contester. En l'espèce, il n'est pas évident que les faits étayent l'établissement d'une nouvelle cotisation sur la base invoquée par l'appelante. Par exemple, la valeur du fonds commercial rattaché à l'entreprise de location de la Banque, qui a été transféré à Central en décembre 1986, pourrait avoir une incidence sur la nouvelle demande de l'appelante fondée sur la récupération de l'amortissement par la Banque. Il n'est pas possible de déterminer dans quelle mesure la Banque pourrait par ailleurs être imposable à l'égard de la récupération de l'amortissement, ni de fixer son revenu aux fins de l'impôt, à moins de pouvoir répartir correctement le prix d'acquisition payé par Central entre le fonds commercial d'une part et les éléments d'actif de crédit-bail d'autre part. Parce que la Banque n'a pas été imposée à l'égard de la récupération de l'amortissement, la preuve relative à la répartition du prix d'acquisition n'a pas été présentée en première instance. Pour pouvoir permettre à l'appelante d'établir une nouvelle cotisation en l'absence de conclusions de fait tirées en première instance, notre Cour devrait se transformer en tribunal de première instance à l'égard de la nouvelle demande.

[13] L'arrêt Continental Bank a précédé la modification qui a été apportée à l'article 152 par l'ajout du paragraphe (9) et il a en fait conduit à cette modification. Le paragraphe 152(9) se lit comme suit :

152(9) Le ministre peut avancer un nouvel argument à l'appui d'une cotisation après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation, sauf si, sur appel interjeté en vertu de la présente loi :

a) d'une part, il existe des éléments de preuve que le contribuable n'est plus en mesure de produire sans l'autorisation du tribunal;

b) d'autre part, il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances.

L'appelante argue que ce paragraphe permet d'avancer de nouveaux arguments à l'appui d'une cotisation, mais n'influe pas sur la règle établie par l'arrêt Continental Bank, qui dit que des arguments ne peuvent être présentés après l'expiration du délai prévu au paragraphe 152(4) s'ils équivalent à une modification du fondement de la cotisation.

[14] À mon avis, l'arrêt Continental Bank n'a jamais fait jurisprudence quant à la proposition selon laquelle le ministre serait, dans sa défense relative à un appel contre une cotisation établie après l'expiration du délai prévu au paragraphe 152(4), confiné à un cadre conceptuel, soit le “ fondement de la cotisation ”, ne comprenant que les faits et les dispositions législatives invoqués par le répartiteur. Selon moi, l'arrêt Continental Bank est une application d'une règle de longue date régissant les litiges devant un tribunal d'appel, laquelle règle empêche les plaideurs de soulever en appel des points qui n'avaient pas été soulevés et débattus devant le tribunal de première instance[7]. On ne peut s'attendre qu'une cour d'appel traite d'une nouvelle question en appel basée sur un dossier de preuve déficient du fait que l'on avait omis de soulever cette question et de présenter des éléments de preuve à cet égard. Dans la présente espèce, l'intimée demande une modification bien avant le début du procès. La situation n'est nullement semblable à ce qu'il en était dans l'affaire Continental Bank.

[15] De plus, rien de ce qui est dit dans l'arrêt Continental Bank n'indique que le paragraphe 152(4) influe sur la modification demandée par l'intimée. Le paragraphe 152(4) restreint le droit du ministre d'“ établir des nouvelles cotisations, des cotisations supplémentaires ou des cotisations d'impôt, d'intérêts ou de pénalités [...] ”. La modification maintenant en question ne donnerait pas lieu à une nouvelle cotisation d'impôt. Il s'agit plutôt d'une tentative pour défendre la cotisation d'impôt existante en faisant valoir que, sur la foi des faits déjà plaidés, une responsabilité est imposée par une disposition de la Loi autre que celle qui avait été invoquée par le répartiteur.

[16] Il est depuis longtemps établi en droit que la validité d'une cotisation dépend de l'application de la loi aux faits et non de l'analyse du répartiteur. Il est, je crois, peu probable que l'intention de la cour dans l'affaire Continental Bank, précitée, ait été de renverser des décisions comme Minden et Riendeau, précitées, sans les mentionner. Je suis donc d'avis que rien de ce qui est dit dans l'arrêt Continental Bank ne peut s'appliquer de manière à empêcher le ministre de se fonder sur l'article 245 dans la présente espèce.

[17] Quoi qu'il en soit, je ne suis pas d'accord sur l'argument de l'appelante, qui dit essentiellement que le paragraphe 152(9) de la Loi est inapplicable parce que le ministre cherche par la modification à changer le fondement de la cotisation à un moment où il est trop tard pour ce faire en raison du paragraphe 152(4). Quand on lit le paragraphe 152(4) dans le nouveau contexte législatif, qui inclut le paragraphe 152(9), il est évident qu'on ne peut dire que le législateur entendait que le fait d'avancer des arguments à l'appui d'une cotisation existante puisse constituer l'exercice du pouvoir d'établir une nouvelle cotisation. L'article 152 distingue entre une cotisation et une nouvelle cotisation, d'une part, et le processus d'appel, d'autre part. Ce que demande l'intimée, c'est une modification de la réponse à l'avis d'appel qui lui permette de faire exactement ce que le libellé ordinaire du paragraphe 152(9) autorise, à savoir avancer un nouvel argument à l'appui de la cotisation selon la partie XIII. L'intimée cherche à avancer un nouvel argument, selon lequel la cotisation d'impôt existante est étayée par des dispositions de la Loi autres que celles qui avaient été invoquées par le répartiteur, et elle est en droit de le faire.

[18] Je passe maintenant à la question de savoir s'il convient d'autoriser la modification en vertu de l'article 54 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale). Un précieux résumé du droit sur ce point figure dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Canderel, précité, aux pages 5360 et 5361. Il n'est pas nécessaire de le réitérer. L'appelante argue qu'autoriser la modification lui porterait préjudice. Cet argument est axé sur le fait qu'une conclusion selon laquelle l'appelante avait l'obligation d'effectuer des retenues en vertu de l'article 245 et non en vertu du paragraphe 56(2) changerait l'identité de la principale contribuable non résidante et de la personne à l'égard de laquelle l'appelante a un droit de recouvrement en vertu du paragraphe 215(6). À mon avis, l'appelante ne subit aucun préjudice. Autoriser la modification maintenant placera simplement les parties dans la même position que si l'intimée avait adéquatement soulevé l'article 245 au départ. L'avocat de l'appelante ne disait pas qu'il faudrait réouvrir le processus de communication de documents si la modification était autorisée. Rien dans les documents ne dit que la modification demandée retarderait l'instruction de l'appel. Ne pas autoriser la modification empêcherait la Cour d'examiner une disposition de la Loi pouvant être pertinente aux fins de la décision sur le fond de l'affaire. Si la cotisation est confirmée sur la foi de l'article 245, le jugement ne changera pas l'identité de la personne principalement responsable de l'impôt de la partie XIII. Il permettra plutôt d'identifier la personne qui en a toujours été responsable, s'il y en a une.

[19] L'appelante argue que les allégations de fait contenues dans le projet de réponse modifiée représentent un fondement insuffisant pour l'application du paragraphe 245(2). À mon avis, si les faits allégués aux paragraphes 20 et 21 du projet de réponse modifiée sont établis, on peut à tout le moins faire valoir que le paragraphe 245(2) s'applique.

[20] Enfin, l'appelante argue que la modification ne devrait pas être autorisée parce que le répartiteur a pris une décision réfléchie de ne pas utiliser le paragraphe 245(2). Cette circonstance n'influe pas sur la question de savoir si la modification devrait être autorisée.

[21] Une ordonnance autorisant la modification sera donc rendue. L'appelante aura droit aux frais de cette demande, quelle que soit l'issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 1999.

“ Michael J. Bonner ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de juillet 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1] Les chiffres varient d'une année à l'autre.

[2] Cette phrase n'est pas un modèle de clarté, mais on n'a pas dit que quelqu'un avait été induit en erreur.

[3] The Queen v. Canderel, [1993] 2 C.T.C. 213, à la p. 217.

[4] The Queen v. Riendeau, [1991] 2 C.T.C. 64, à la p. 65.

[5] M.N.R. v. Beatrice Minden, 62 DTC 1044, à la p. 1050.

[6] The Queen v. Continental Bank of Canada, 98 DTC 6501.

[7] TheTasmania ”, (1890) 15 App. Cas. 223, à la p. 225.

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