Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991203

Dossier: 98-1995-IT-I

ENTRE:

MARTINE JACQUOT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Ces appels concernent les années d'imposition 1992, 1993, 1994 ainsi que 1995. La question en litige est de savoir si l'appelante pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un bénéfice de son travail d'écrivaine ( « l'Activité » ) durant les années d'imposition en cause.

[2] L'appelante est une poète et romancière francophone qui réside en Nouvelle-Écosse. Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1990 à 1995, l'appelante a déclaré des revenus bruts et déduit des pertes nettes provenant de l'Activité, les montants en question étant les suivants :

Année d'imposition

Revenus bruts

Dépenses

Pertes nettes

1990

80

$

889

$

809

$

1991

4 014

4 014

0

1992

285

3 767

3 482

1993

437

13 396

12 959

1994

340

16 065

15 725

1995

2 625

4 614

1 989

[3] Depuis au moins l'année d'imposition 1990, l'appelante a exercé l'Activité sans jamais déclarer de profit net. La totalité des revenus bruts de l'appelante pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 provenaient de bourses versées à l'appelante par le Conseil des arts du Canada et la Commission du droit de prêt public. Les dépenses déduites par l'appelante à l'égard de l'Activité pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994 consistent dans les éléments suivants : frais judiciaires et comptables, assurance, intérêts et frais bancaires, repas et frais de représentation, frais de véhicule à moteur, incluant la déduction pour amortissement, frais de bureau, frais de déplacement et fournitures. Certaines de ces dépenses me semblent élevées, cependant, je ne puis examiner si elles étaient raisonnables au sens de l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) parce que cet argument n'a pas été soulevé.

[4] L'appelante a été persistante en exerçant sa profession. Elle a écrit un premier livre en 1982, un deuxième en 1988, un troisième en 1989, trois en 1991, un en 1994 et un autre en 1995 pour un total de huit livres qui ont été publiés. Après de nombreuses années de recherches, elle écrit présentement un roman d'amour. Les huit livres qu'elle a publiés incluent des livres de poésie, un livre pour enfants, un recueil de nouvelles ainsi que deux essais et un roman. Elle n'a vendu aucun livre en 1992, en 1993 ou en 1994.

[5] Pendant les années en cause, la promotion et la commercialisation des livres de l'appelante était la responsabilité de la maison d'édition Les Éditions Grand Pré, laquelle est dirigée par Henri D. Paratte, le conjoint de l'appelante.

[6] Pendant la majeure partie de la période en cause, l'appelante enseignait le français à mi-temps.

[7] L'appelante est une écrivaine déterminée et appliquée en plus d'être une chargée de cours au niveau universitaire. Elle a deux enfants de moins de 10 ans. Son conjoint était également la personne responsable de l'édition des écrits de l'appelante. Le témoignage du conjoint, quoique préjudiciable à l'appelante, était sincère et croyable. Il a précisé que l'appelante était une écrivaine douée. De plus, il a expliqué les difficultés qu'un écrivain francophone avait à surmonter dans les Maritimes. Le marché de l'appelante n'était cependant pas limité aux Maritimes; elle faisait de la commercialisation au Québec et ailleurs. L'appelante a fourni des documents qui venaient confirmer l'existence de ses énergitiques et ambitieux plans de commercialisation. Vu la publicité résultant de la publication de ses livres, elle a été invitée à donner plusieurs conférences dans les Maritimes, au Québec ainsi qu'à Ottawa. Elle a été rémunérée pour ces conférences. Je ne peux donc pas accepter l'argument de l'intimée qui veut que l'appelante n'ait pas fait de planification. Je pense qu'elle a modifié son approche en matière de commercialisation après avoir vu qu'elle n'obtenait pas le succès désiré.

[8] J'ai omis beaucoup de détails se rapportant aux efforts déployés par l'appelante pour écrire, publier et vendre sa littérature. Son manque de succès jusqu'à présent aurait découragé la plupart des gens, mais elle persévère. L'appelante et ses deux témoins indiquent que la plupart des écrivains qui ont présentement du succès ont eux aussi connu, tôt dans leur carrière, ce genre habituel de rejet. Dans ce type de profession, la persévérance est un atout pour réussir.

[9] L'intimée adopte la position suivante : i) l'Activité ne constituait pas une source de revenu selon la définition donnée aux articles 3 et 4 de la Loi; ii) les pertes n'étaient pas des pertes relatives à une entreprise ou à un bien visées au paragraphe 9(2) de la Loi; iii) les dépenses déduites n'ont pas été engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise. Le montant des dépenses n'est cependant pas en litige.

[10] Est-ce que l'appelante avait une source de revenu suivant les articles 3 et 4 de la Loi? Est-ce que les pertes de l'appelante provenaient de cette source (paragraphe 9(2)) et est-ce que les dépenses ont été engagées en vue de tirer un revenu de l'entreprise? La principale question est de savoir si l'appelante exploitait une entreprise. Je n'ai aucune difficulté à répondre à cette question par l'affirmative. Les deux témoins de l'appelante, que je pense pourraient être qualifiés d'experts dans le domaine de la littérature, ont précisé, sans être contredits, que madame Jacquot exploitait une entreprise dans le domaine de l'écriture et de la publication et commercialisation de ses livres. Elle procédait de la même manière que l'avaient fait certains auteurs qui sont devenus riches et célèbres.

[11] De plus, elle travaille présentement à écrire un livre qu'elle espère sera couronné de succès. Peut-être qu'il le sera, peut-être qu'il ne le sera pas, mais elle agit avec professionnalisme. Ce type d'entreprise peut être très payant. L'appelante est présentement en pourparlers en vue de l'utilisation d'un de ses livres pour la production d'une émission télévisée ou d'un film. Si c'est un succès, il est certain que le ministère du Revenu national sera là pour partager les profits.

[12] Le succès dans sa profession ne vient pas sans effort. Cela prend des mois et même des années d'efforts, de recherches, de voyages et de tâtonnements. Souvent les efforts sont infructueux. Mais c'est une entreprise, une source de revenu, et il existe des dépenses qui peuvent être engagées dans le cadre de cette entreprise. Pour l'appelante ce n'est pas tout simplement un passe-temps. Pendant les années en question, elle avait deux enfants et, en plus, occupait un emploi de professeur. Il est difficile à croire qu'elle passait de nombreuses heures à faire des recherches, à écrire, à faire publier ses livres et à les promouvoir simplement pour sa satisfaction personnelle. Même si elle aime son travail, son objectif est de vendre ses livres pour faire un profit. Elle avait 500 exemplaires de plusieurs de ses livres qui avaient été publiés. L'intimée, se basant sur la décision Knight v. The Queen, 93 DTC 1255, prétendait que, puisqu'elle avait un nombre limité de choses à vendre, l'appelante ne pouvait avoir une expectative raisonnable de profit. Je ne peux accepter cet argument car, dans le cas de n'importe quelle entreprise, il y a un nombre limité de produits. Je suis d'avis qu'il s'agit en l'espèce d'une entreprise qui relève de la définition du terme « entreprise » donnée au paragraphe 248(1) de la Loi, puisque l'expression « activités de quelque genre que ce soit » englobe l'Activité de l'appelante. Le paragraphe 248(1) définit une « entreprise » de la façon suivante:

Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l'application de l'alinéa 18(2)c), de l'article 54.2, du paragraphe 95(1) et de l'alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l'exclusion toutefois d'une charge ou d'un emploi.

[13] L'Activité de l'appelante est manifestement comprise dans cette définition. L'appelante n'en a tiré aucun profit, mais elle avait une expectative raisonnable de profit. De plus, dans l'affaire Knight, le juge Mogan précisait:

Je reviens à l'extrait précité de l'arrêt Moldowan. Pour avoir une source de revenu, un contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise. Si un contribuable n'a pas en vue un profit ou une expectataive raisonnable de profit, alors il n'a pas de source de revenu. Et s'il n''a pas de source de revenu, il n'a pas d'entreprise. L'appelant n'avait pas d'entreprise en 1986 ou 1987. Par conséquent, il n'exploitait pas, en 1986 ou 1987, une entreprise dans le cadre de laquelle il pouvait subir une perte dont il pouvait demander la déduction dans le calcul de son revenu pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. Comme je suis arrivé à la conclusion que l'appelant n'avait pas d'entreprise en 1986, il n'y a pas lieu que je détermine quelles machines il prétendait transférer de son passe-temps à son entreprise en juillet 1986, ou la juste valeur marchande de ces machines à ce moment-là.

[14] L'avocate de la Couronne a adopté ce raisonnement. La Cour est cependant d'avis que la présente situation peut être distinguée de celle devant laquelle se trouvait le juge Mogan. Dans la présente affaire, madame Jacquot ne faisait pas uniquement de la recherche, de l'expérimentation et du développement; certains de ses livres ont été publiés et elle continue présentement ses efforts pour les promouvoir. Elle exploitait une entreprise; il s'agissait donc d'une source de revenu, de sorte qu'elle avait une expectative raisonnable de profit.

[15] Pour les raisons exposées ci-dessus, les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations. L'appelante a droit aux dépens selon le tarif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de décembre 1999.

« C.H. McArthur »

J.C.C.I.

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