Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990521

Dossier: 97-980-IT-G

ENTRE :

JEAN CLOUÂTRE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel pour les années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992 et 1993. Au début de l'audience, l'avocat de l'appelant a déposé un désistement pour les années d'imposition 1992 et 1993.

[2] Seul l'appelant a témoigné au soutien de son appel; il a expliqué avoir investi temps et argent pour la création de plusieurs succursales dans le cadre des activités de la compagnie Maison Dallas Inc. Il s'agissait de commerces vendant des vêtements de cuir et chaussures western.

[3] Parallèlement à ses activités commerciales, l'appelant consacrait son peu de disponibilité à un hobby consistant à l'achat et vente d'embarcations nautiques très particulières; il s'agissait de bateaux relativement courts; par contre, ils étaient propulsés par de très puissants moteurs.

[4] Il a été établi que la compagnie de l'appelant était dotée d'une comptabilité respectant toutes les règles de l'art et, de ce fait, irréprochable.

[5] Par contre, l'appelant ne possédait aucune comptabilité ou de registres relatifs aux transactions reliées aux embarcations moteurs et aux motos, le tout étant décrit comme des activités non commerciales effectuées essentiellement dans le cadre d'un hobby.

[6] La preuve a révélé que toutes ces transactions s'effectuaient au comptant tant au niveau des achats que des ventes. Souvent, bien qu'il s'agissait de montants importants, le comptant obtenu ne faisait l'objet d'aucun dépôt bancaire. D'ailleurs, il a été mentionné que les banques étaient rarement mises à contribution dans le cadre des transactions reliées à des véhicules moteurs.

[7] Pour établir les cotisations, l'intimée a eu recours à la méthode “avoir net”, étant donné que l'appelant n'avait pas en main la documentation usuelle justifiant l'enrichissement de son patrimoine.

[8] Le vérificateur, Jean-Pierre Paquette, n'a jamais pu rencontrer et discuter avec l'appelant; ce dernier avait exigé que tout passe par son comptable qui, de son côté, a requis que toutes les informations désirées par le ministère du Revenu national (le “Ministère”) fassent l'objet d'une demande très détaillée écrite, ce à quoi le Ministère a souscrit.

[9] À l'aide de renseignements fournis, le Ministère a constitué les avoirs nets de l'appelant à l'origine des cotisations.

[10] N'ayant pu discuter avec l'appelant, l'analyse et les cotisations qui ont suivi ont été élaborées à partir des données et renseignements exclusivement fournis par le comptable complétés par l'investigation habituelle auprès des institutions bancaires où l'appelant faisait affaires.

[11] Dans de telles circonstances, il m'apparaît évident que les renseignements fournis par le comptable ont dû faire l'objet d'une attention et analyse très minutieuse; il ne s'agissait certainement pas de données tombées du ciel et sans fondement, d'autant plus que les renseignements fournis n'étaient pas intuitifs ou spontanés. En effet, je rappelle que le comptable de l'appelant a communiqué les renseignements après avoir exigé et obtenu une liste détaillée écrite de toutes les données désirées par le Ministère.

[12] Or à l'audience, le comptable n'était pas présent et l'appelant remet en question l'exactitude des données fournis par son comptable. Bien plus, il réfute le bien-fondé de la valeur de certains actifs, communiqués par son propre comptable à partir de sa seule mémoire, sans aucune référence à une preuve documentaire.

[13] De plus, tout au cours de son témoignage, il s'est exprimé d'une façon vague et imprécise; il n'a eu recours à aucun écrit. Sa mémoire était souvent défaillante et la plupart de ses explications étaient confuses et ambiguës.

[14] Lorsqu'un contribuable produit un dossier écrit qui, en l'espèce, a été préparé de concert avec son comptable, dans le but d'expliquer ou justifier un état de fait à l'origine des cotisations et lorsque ce même contribuable désire ensuite nier le contenu d'une partie des données de l'écrit, il devra recourir à une preuve plus convaincante et plus persuasive que celle générée par son seul témoignage verbal; si ce témoignage est cafouilleux et équivoque, le Tribunal devra l'écarter et s'en remettre à l'écrit. En d'autres termes, pour répudier les renseignements déjà transmis par écrit, la preuve devra être étoffée et soutenue par des éléments déterminants crédibles et persuasifs.

[15] La preuve soumise par l'appelant, constituée essentiellement de son témoignage évasif, ne satisfait certainement pas à ce seuil minimal; bien au contraire, le témoignage de l'appelant a plutôt soulevé des doutes nombreux quant à la vraisemblance.

[16] Le procureur de l'appelant a soutenu très habilement qu'il s'agissait d'un simple hobby et non d'affaires commerciales exécutées dans le cadre d'une entreprise; il a aussi, avec raison d'ailleurs, ajouté qu'il était légal et légitime de transiger avec de l'argent comptant.

[17] Effectivement, rien n'empêche un contribuable de payer et d'être payé comptant et de garder chez lui des sommes importantes d'argent. Je crois, en outre, que les prétentions de l'appelant à l'effet que l'argent dépensé et investi dans un hobby et passe-temps n'a pas à être détaillé ou ventilé dans des registres comptables sophistiqués. Je crois, par contre, que l'enrichissement d'un patrimoine doit être justifiable par le biais d'informations raisonnables et vraisemblables à défaut de quoi, il devient téméraire de réfuter certains constats par la seule référence qu'il s'agissait d'un hobby exercé par une personne si habile et compétente fusse-t-elle dans la pratique de son passe-temps.

[18] Généralement, un hobby est une activité qui consomme et occupe la disponibilité de celui qui le pratique, il exige aussi souvent un apport financier en fonction de la capacité de payer de celui ou celle qui s'y adonne. Certains y investissent beaucoup alors que d'autres y consacrent beaucoup plus de temps pour compenser le manque de ressources.

[19] Il peut arriver que l'expertise, la disponibilité ou l'habilité puissent transformer l'activité exercée sous la forme de hobby en une affaire profitable et contribuer à l'enrichissement du patrimoine de son auteur. Cette profitabilité découle généralement d'une grande disponibilité et d'une grande habilité. Ceux qui n'ont ni habilité physique, ni grande disponibilité subissent plus souvent qu'autrement des déficits plutôt que des surplus.

[20] Il ne s'agit pas là de règles car chaque dossier constitue un cas d'espèce, d'où il est essentiel que celui ou celle qui désire se replier derrière une telle activité, pour justifier ou expliquer la majoration ou accroissement de son patrimoine, de faire une preuve explicite étoffée et vraisemblable. Il ne suffit certainement pas d'alléguer un hobby comme fourre-tout expliquant tout. En l'espèce, bien que l'Avis d'appel fasse état des économies du contribuable et de ses habilités mécaniques personnelles, rien de tel n'a été démontré. D'autre part, l'appelant a indiqué à plusieurs reprises que ses nombreux commerces consommaient la plus grande partie de sa disponibilité.

[21] Bien que la théorie du hobby puisse être une explication plausible d'un certain enrichissement du patrimoine d'un contribuable, je ne crois pas que l'on puisse simplement alléguer ou plaider cette théorie pour justifier sans plus la bonification de ses actifs.

[22] Il m'apparaît fondamental lorsqu'on se réfère à une telle hypothèse de pouvoir exprimer de façon claire, cohérente et réaliste, comment le hobby a pu être à l'origine de la plus value de son patrimoine.

[23] Il ne suffit certainement pas de se replier derrière le fait qu'il ne s'agissait pas d'une entreprise et que, en pareil cas, il n'était pas nécessaire de maintenir un système comptable adéquat.

[24] Je reconnais que l'exercice ou la pratique d'un hobby n'est pas en soi une entreprise ou le rationnel doit être omniprésent et nécessiter un suivi comptable permettant de répondre précisément et rapidement à toutes questions relatives au cheminement des activités; par contre, si un contribuable a recours à cette activité parallèle pour justifier une amélioration sensible de son patrimoine, il devra être en mesure de fournir des explications plausibles suffisamment détaillées et crédibles corroborées par une preuve adéquate.

[25] Faute de pouvoir soumettre une preuve d'une telle qualité, le contribuable, s'il doit faire la preuve au moyen de son seul témoignage, devra témoigner d'une manière irréprochable quant à la vraisemblance et à la clarté. Il devra s'agir d'un témoignage précis et complet, permettant de comprendre et de justifier que la plus value de l'actif ne découle pas de l'activité commerciale qui génère ses revenus habituels ou d'une quelconque autre activité.

[26] Un récit dont les composantes essentielles sont décrites d'une façon vague, voire même confuse, où les moments ou périodes des transactions ne peuvent être situées de façon assez précise et dont les considérations importantes ont été payées comptant, sans qu'il soit possible de connaître le nom des parties à la transaction, ne peut certainement pas constituer le fondement ou les assises d'une preuve satisfaisante et persuasive.

[27] L'appelant a bénéficié de beaucoup de temps pour préparer son dossier; il aurait dû être en mesure de témoigner d'une façon claire, précise et détaillée; au contraire, sa mémoire était défaillante et il n'a pas été en mesure d'apporter un minimum d'explications; bien plus, il a nié certains faits importants pourtant divulgués par écrit par son propre comptable.

[28] Pour illustrer la médiocre qualité du témoignage de l'appelant, je crois utile de rappeler que ce dernier a même indiqué qu'il ne se rappelait pas, ou ne connaissait pas l'existence d'un billet au montant de 10 000 $, qu'il avait signé le 27 décembre 1990 en faveur de sa conjointe, madame Suzanne Brunet (pièce I-12). Les actifs de l'appelant, aux périodes en litige, n'étaient pas importants au point d'oublier un tel montant.

[29] Plusieurs de ses réponses étaient précédées de longs silences et il ne pouvait à peu près jamais expliquer l'utilisation ou la provenance de sommes liquides pourtant importantes.

[30] De son côté, monsieur Jean-Pierre Paquette, enquêteur vérificateur ayant préparé et structuré l'avoir net a longuement témoigné. Connaissant manifestement très bien tout le contenu du dossier de l'appelant, il a expliqué d'une manière claire et précise le cheminement qu'il avait suivi pour constituer l'avoir net. Ses réponses traduisent une parfaite maîtrise du dossier. Malgré les nombreuses et habiles tentatives de discréditer le bien-fondé de certaines données, monsieur Paquette a répondu sans aucune hésitation. Ses réponses n'ont jamais ébranlé ou réfuté le bien-fondé des cotisations; bien au contraire, elles ont corroboré la qualité de son travail. Monsieur Paquette a procédé d'une façon réaliste, vraisemblable et raisonnable, eu égard aux limites et restrictions que l'appelant lui a lui-même imposées par le biais de son comptable.

[31] En d'autres termes, le Tribunal considère que le travail réalisé par monsieur Paquette est irréprochable, eu égard aux contraintes et outils dont il disposait pour son exécution.

[32] L'importance de l'écart pour l'année d'imposition 1991 est telle que cela démontre, sans l'ombre d'un doute, que l'appelant a bénéficié de revenus non expliqués par la preuve défaillante et imprécise qu'il a fournie.

[33] Il ne s'agit pas de montants marginaux ayant pu être oubliés ou échappés dans la complexité et envergure des activités commerciales auxquelles l'appelant était associé. Il a été démontré que les opérations commerciales générées par la compagnie Maison Dallas Inc. bénéficiaient d'un système comptable adéquat. Conséquemment, les revenus additionnels ne pouvaient provenir de cette entreprise, d'où il devenait essentiel qu'ils soient justifiés par des explications dignes de foi.

[34] La piètre qualité des explications ayant constitué la preuve, d'ailleurs incomplète, découlant du seul témoignage nébuleux de l'appelant, soutiennent adéquatement la conclusion retenue par l'intimée à l'effet que ce dernier a manifestement et délibérément caché des revenus. Conséquemment, je suis d'avis que l'intimée a relevé le fardeau de la preuve qui lui incombait pour justifier le bien-fondé des pénalités imposées.

[35] L'ensemble de la preuve, dont le fardeau incombait à l'appelant, n'a pas discrédité le bien-fondé des cotisations; d'autre part, il ne suffit pas de critiquer la qualité du travail exécuté par l'intimé ou de mettre en lumière certaines erreurs marginales pour conclure au rejet des cotisations. Il s'agit certes là d'une méthode pertinente dans l'hypothèse où il est possible d'identifier des erreurs grossières et de démontrer que le travail a été bâclé ou que les auteurs de la cotisation étaient de mauvaise foi. Encore là, cependant, il sera nécessaire de faire la preuve prépondérante de la cohérence et raisonnabilité des prétentions de l'appelant. En l'espèce, l'appelant s'est contenté d'offrir une preuve défaillante et incomplète en limitant principalement sa technique à démolir la raisonnabilité des calculs de l'intimé complétée par une preuve circonstancielle, dont la qualité était hautement discutable.

[36] Malgré les efforts louables du procureur de l'appelant, le Tribunal doit statuer à partir de la preuve soumise et non sur la base d'une théorie non soutenue par les faits.

[37] Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada ce 21e jour de mai 1999.

“Alain Tardif”

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.