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Date: 19981028

Dossier: 96-2342-IT-G

ENTRE :

KENNETH C. WALTERS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] Ces appels sont interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations du ministre du Revenu national (le “ ministre ”) pour les années 1987, 1989, 1990 et 1991, nouvelles cotisations dont les avis sont datés du 30 juillet 1993. Par ces nouvelles cotisations, le ministre a, pour les années d'imposition de l'appelant 1989, 1990 et 1991, limité à 8 750 $ les pertes agricoles de l'appelant, conformément au paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e supplément), dans sa forme modifiée (la “ Loi ”), et il a, pour l'année d'imposition 1987 de l'appelant, refusé le report rétrospectif de perte de 51 640 $. La nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1990 est une cotisation “ NÉANT ”, et l'appel qui avait été interjeté à cet égard a été abandonné à l'ouverture de l'audience, de sorte que cette année-là n'est pertinente que relativement au report rétrospectif de perte.

Faits

[2] Kenneth C. Walters a déclaré dans son témoignage qu'il était dentiste et qu'il exerçait la médecine dentaire à Langley (Colombie-Britannique). En outre, il faisait l'élevage de chevaux et exploitait une entreprise équestre. Il a commencé à élever des chevaux en 1975. Son père avait eu une petite écurie où il travaillait lorsqu'il était adolescent, outre qu'il travaillait au champ de courses. Il a également travaillé dans un ranch ouvert au public où il s'occupait de chevaux, ainsi qu'à l'hippodrome Blue Bonnets, à Montréal, lorsqu'il fréquentait l'université McGill.

[3] En 1975, il avait une propriété d'environ un acre et quart donnant sur la promenade MacDonald, à Vancouver (Colombie-Britannique). Une moitié de la propriété servait à l'entreprise de chevaux, et l'autre moitié était utilisée comme résidence. Au début de son entreprise, il avait deux purs-sangs, dont une jument poulinière. Il participait en outre à des courses et a, au cours des premières années, gagné sa première course. En 1982, il a acheté une propriété de 12 acres à Langley (Colombie-Britannique). La superficie de cinq acres qu'il pouvait utiliser pour ses fins était insuffisante. Il a cherché une autre propriété et a acheté 25 acres, dont une proportion de 85 à 90 p. 100 était utilisée aux fins de l'entreprise de chevaux.

[4] À l'époque où il détenait la propriété de la promenade MacDonald, il y avait fait des travaux d'expansion et avait construit des stalles. Au début, il avait un nombre restreint de chevaux de course. En 1978, il participait à des courses importantes, mais un de ses chevaux a eu un accident.

[5] Il avait également commencé à constituer un stock de reproducteurs. Certains de ces chevaux avaient remporté des courses. En 1980, “ Happy Feet ” était sa jument destinée à la reproduction. Cette jument est maintenant âgée de 21 ans et a un “ yearling ” (poulain d'un an) et un “ foal ” (poulain n'ayant pas encore un an).

[6] L'appelant faisait valoir que les acheteurs sont impatients d'acquérir des “ foals ” provenant de chevaux ayant gagné des courses. C'est la raison pour laquelle il avait acheté “ Happy Feet ”. Cette jument, qui était une championne aux courses “ stake ” à l'âge de trois ans, a participé à des courses jusqu'à l'âge de cinq ans. Elle a ensuite été envoyée au Kentucky pour fins de reproduction, mais cela n'a pas marché. Elle a été ramenée, et on l'a fait participer à des courses.

[7] L'appelant avait choisi un étalon pour cette jument. Cette jument était une poulinière de premier rang. Parmi les chevaux issus de poulains qu'elle avait eus, 95 p. 100 ont été des chevaux gagnants. L'un d'eux a été vendu comme cheval d'exposition. Entre 1975 et 1983, le stock de juments poulinières est passé de 20 à 23. Au cours de cette période, l'appelant s'est en outre engagé davantage dans les courses en participant à des séminaires. Il a dit qu'il était “ absorbé par les courses ”.

[8] L'appelant a dit que la propriété de Langley était une terre agricole de premier ordre. Une écurie de 20 stalles a été dotée de cloisons amovibles. Cette propriété était près de Vancouver, proche de l'autoroute et à seulement 35 minutes du champ de courses. Le prix d'achat avait été de 310 000 $; une photo de cette propriété figure à l'onglet 12 de la pièce A-1, qui a été déposée par consentement. Telle était la structure en 1995.

[9] En 1983, l'appelant a agrandi l'écurie existante et a construit des clôtures à l'intérieur des enclos, ainsi qu'une clôture de sécurité en périphérie. En 1984 ou ultérieurement, il a construit une écurie de 20 stalles pour le stock de reproducteurs. Cela assurait aux chevaux un abri contre le soleil et contre la pluie. On pouvait accéder au bâtiment, pour s'occuper des chevaux, sans passer par les enclos. Il y avait aussi une remise pour les fins d'entretien. Cette ferme est considérée comme “ une des plus belles de la vallée ”. La plupart des travaux étaient terminés en 1991.

[10] L'aire de reproduction comportait des stalles, était bien ventilée et était considérée comme sûre, c'est-à-dire comme empêchant les chevaux de s'échapper et de se blesser. Il y avait un endroit pour l'entreposage du foin, un endroit pour les rebuts, à l'écart de l'écurie, ainsi qu'une sellerie. Les bâtiments étaient maintenus dans un état de propreté impeccable.

[11] Le témoin a dit qu'il fallait de bonnes installations pour les purs-sangs. Il faut essayer d'empêcher que les chevaux s'échappent et qu'ils se blessent ou blessent quelqu'un. Il y avait en outre des planchers en terre cuite dans l'écurie, de manière à empêcher que les chevaux se blessent. Il y avait aussi du matériel de haute technologie, dont une caméra vidéo permettant d'observer la mise bas.

[12] La ferme produisait 1 500 balles de foin, mais il fallait de temps à autre acheter d'autres aliments, y compris de la luzerne. En 1994, l'appelant a emménagé à la ferme; le fait d'y avoir sa résidence était moins stressant.

[13] Les pièces A-1 et A-2 ont été déposées par consentement. La pièce A-1 contenait un certain nombre de documents relatifs à l'entreprise en question, et la pièce A-2 était un sommaire des profits et des pertes de M & K Stables pour la période allant de 1975 à 1992. La pièce A-2 faisait en outre état de l'investissement du propriétaire dans l'entreprise et indiquait que l'appelant avait investi en tout 2 512 119 $ dans la ferme. Actuellement, il y a à la ferme quatre ou cinq juments poulinières, trois à quatre “ yearlings ” et 16 chevaux, dont l'entraînement se fait à Hastings Park.

[14] L'appelant a admis que les revenus de la ferme n'en couvraient pas les dépenses et que c'était avec l'argent qu'il gagnait comme dentiste qu'il payait l'excédent des frais d'exploitation sur les revenus.

[15] Il a fait état de ce qu'était le train-train de sa vie quotidienne durant les années en question. Il se levait à 3 h 30, se rendait à la ferme en voiture (ce qui lui prenait environ 40 minutes) et examinait les chevaux. Entre 9 heures et 9 h 30, il quittait la ferme pour aller à son bureau. Il travaillait à son bureau jusqu'à 17 heures ou 17 h 15. De là, il lui fallait une heure pour retourner à la ferme, où il arrivait vers 18 heures. Il s'acquittait des tâches à accomplir, restait là jusqu'à 21 heures, puis rentrait chez lui, où il arrivait vers 22 heures. La fin de semaine, il travaillait 12 heures par jour à la ferme, où il restait à coucher. L'appelant n'a pas pris de vacances depuis 1986, et ce train-train se poursuit depuis 1990. Sa fille l'aidait à la ferme, de même que son épouse. Ces deux personnes travaillaient sans être rémunérées. Sa fille aidait à entraîner les chevaux et, entre 1989 et 1991, son épouse s'occupait des stalles et tenait les registres de vaccination. Le fils prêtait également main-forte. Il avait en outre un ami qui travaillait là. Il a dit que son épouse passait six à sept heures par jour à la ferme, sept jours sur sept. Son entraîneur était un certain George Cummings.

[16] Sa thèse générale était que, entre 1989 et 1991, il travaillait 50 à 60 heures à la ferme et travaillait 30 à 35 heures à son cabinet de dentiste. Son entreprise de dentiste a enregistré une baisse de 58 p. 100, dans une certaine mesure à cause du secteur dans lequel il exerce. Il a maintenant deux associés à temps partiel dans le domaine de la dentisterie et travaille environ cinq heures par jour à son cabinet de dentiste. Il a dit que, entre 1989 et 1991, il s'attendait à tirer de l'entreprise de chevaux un profit d'environ 25 000 à 50 000 $ par année. Cela se fondait en partie sur le fait qu'il connaissait bien deux ou trois entreprises d'élevage de la région qui, à l'époque, marchaient bien. Il s'était entretenu avec les personnes qui les exploitaient, et ces personnes lui avaient dit que leurs affaires allaient très bien. Elles remportaient des courses, et il était convaincu de pouvoir exploiter une entreprise rentablement.

[17] À cette fin, il entendait acquérir une bonne poulinière et faire des recherches pour déterminer quel étalon utiliser, bien qu'il n'ait pas eu les moyens de faire appel aux meilleurs étalons. Il avait essayé d'obtenir un cheval issu d'un étalon de premier ordre et misait là-dessus. Il concevait son entreprise de chevaux comme une équipe de hockey. Il prévoyait de remplacer continuellement certains des vieux chevaux par de nouveaux, tout en faisant en sorte que les vieux aident à appuyer les jeunes. Il a fait valoir que le succès des chevaux au champ de courses couvrira une foule de dépenses de l'entreprise. Il a effectué des recherches en matière de pedigree et a assisté à des ventes pour déterminer quelle était la performance de divers stocks. Il a en outre participé à des séminaires et obtenu de l'information au sujet de l'alimentation appropriée pour les chevaux.

[18] Son système de “ prix à réclamer ” jouait aussi un rôle important dans ses plans financiers. Il pouvait avoir jusqu'à 15 ou 16 chevaux à réclamer dans les catégories petites, moyennes et grandes. Entre 1989 et 1991, il avait accouplé des juments avec certains reproducteurs remarquables.

[19] Il a fait valoir que, en 1989, il avait la base nécessaire pour exploiter une entreprise rentablement. Il avait les installations, avait de beaux “ yearlings ” et de beaux chevaux de deux ans et pouvait sentir que ses chevaux seraient bons. En 1989, il connaissait bien ce domaine. Il était en outre capable d'assurer certains soins médicaux aux chevaux sans faire appel aux vétérinaires et, de cette manière, il pouvait réaliser certaines économies.

[20] L'appelant a reconnu les états financiers figurant dans la pièce A-1 et a dit que, en 1991, il y avait eu des frais d'entraînement élevés, qui peuvent en partie être attribuables au fait qu'il avait envoyé certains de ses chevaux en Californie cette année-là. En 1992, les revenus provenant des courses ont augmenté considérablement, en raison de la bonne performance des chevaux de l'appelant. L'appelant estimait être sur la bonne voie à cette époque, et ses bonis relatifs aux reproducteurs ont été très importants cette année-là.

[21] Il a fait valoir que, en 1992, il a réalisé un profit de 77 497 $, car l'entreprise avait enfin atteint le stade de l'autosuffisance. En 1993, il y a eu un profit de 27 401 $ et, en 1994, un profit de 20 209 $. Toutefois, des pertes ont de nouveau été enregistrées de 1995 à 1997, et une partie de l'explication de l'appelant tenait au fait que certains de ses chevaux de course étaient plus âgés. L'appelant a dit qu'il était dans une “ phase de renouvellement ”, qu'il attendait de beaux chevaux et qu'il considérait que l'entreprise reprenait le dessus. Il y avait bien des éléments positifs.

[22] L'appelant a en outre dit que les frais d'entraînement représentent une part très importante des frais de l'entreprise et qu'il cherche à réduire ces frais en assurant lui-même une plus grande partie de l'entraînement de ses propres chevaux. Maintenant, il fait 100 p. 100 du travail, mais il a un entraîneur agréé en disponibilité.

[23] L'appelant a été interrogé au sujet de son entreprise de dentisterie. Il a dit qu'il oeuvrait dans le domaine de la “ médecine dentaire socialisée ”. Sa clientèle se composait principalement d'assistés sociaux, d'autochtones et de gens d'affaires. Toutefois, dans une proportion d'environ 80 p. 100, son entreprise consistait à s'occuper de gens de la communauté. Certains de ses clients lui étaient adressés par l'Armée du salut, par des cliniques et par l'hôpital gériatrique. Tous ses clients sont des gens qui manquent de soins dentaires, qui n'ont pas de matériel dentaire approprié comme des brosses à dents et qui, souvent, souffrent de maladies des gencives. Il se considérait comme un dentiste exerçant la médecine dentaire générale; il fait de nombreuses prothèses. Il trouve que cela est moins stressant pour lui.

[24] L'appelant a commencé à exercer la médecine dentaire au mois d'avril 1969, à Vancouver. En 1990, il a également ouvert un cabinet dentaire à Bella. Il s'est adjoint un associé, qui s'occupait de ce cabinet. On y a mis la dernière main l'an dernier.

[25] L'appelant avait aussi une clinique à Pemberton, où il travaillait un jour par semaine. Il travaillait à la clinique jusqu'à 18 heures, puis rentrait à Vancouver en voiture. Le 30 novembre 1998, ce cabinet sera fermé. En 1990 et en 1991, il travaillait peut-être une journée par mois à ce cabinet.

[26] L'appelant peut déterminer lui-même les jours où il travaillera au bureau, de sorte qu'il peut s'absenter lorsqu'il faut s'occuper des chevaux et dans les situations d'urgence. On l'a renvoyé de nouveau à la pièce A-1, qui contenait un état des résultats de son cabinet de dentiste. L'onglet 7 de la pièce A-1 renfermait un état des résultats pour l'année 1988 qui indiquait un revenu net de 155 206 $ et des honoraires bruts de 626 988 $. Le témoin faisait valoir que, à cette époque, 40 p. 100 des honoraires étaient gagnés par lui, et 60 p. 100 par ses associés.

[27] Pour 1989, l'état indiquait un revenu net de 161 827 $ et des honoraires bruts de 705 485 $. Cette année-là, a dit le témoin, il y avait un associé travaillant à temps plein. L'appelant attribuait 40 à 45 p. 100 des honoraires à son propre travail et le reste au travail de ses associés. Il a déclaré dans son témoignage qu'“ il semblait qu'il en ait été ainsi ”. En 1990, l'entreprise de dentisterie a, pour quelque raison, enregistré une perte nette de 10 370 $, malgré le fait que les honoraires bruts étaient de 663 016 $. À cette époque, il y avait deux dentistes à temps plein travaillant avec l'appelant, et ce dernier a dit que 40 p. 100 des honoraires étaient attribuables à son propre travail.

[28] Pour 1991, les honoraires bruts s'élevaient à 1 038 435 $, et le revenu net était de 212 617 $. À cette époque, l'appelant faisait appel à un associé à temps plein; l'appelant attribuait pour cette année-là 50 p. 100 des honoraires à son travail.

[29] L'appelant a en outre expliqué que, en 1991, il avait fait une foule d'interventions coûteuses comme des traitements radiculaires, ainsi que des couronnes, pour des autochtones, soit des services admissibles en vertu d'un régime gouvernemental. Au cours de cette période, le barème accepté par le gouvernement prévoyait des honoraires élevés.

[30] En général, l'appelant disait que son idéal à long terme était de passer plus de temps à la ferme et que, toutefois, il prévoyait toujours de continuer à aller au bureau. Cependant, il considère encore l'exercice de la médecine dentaire générale comme étant plus ou moins un passe-temps.

[31] En contre-interrogatoire, l'appelant a dit que la pièce A-2, soit le sommaire de ses pertes pour la période allant de 1975 à 1992, avait été établi par ses comptables. Il ne connaissait pas très bien ce document. Il ne connaissait pas la source des chiffres. Il présumait que les chiffres correspondaient aux pertes d'exploitation indiquées dans les états financiers. Il a bel et bien dit que les pertes avaient été déclarées pour les années en question.

[32] C'est pour l'année 1989 que le ministre a pour la première fois cherché à restreindre les pertes de l'appelant. L'appelant a dit qu'il s'était servi du produit de la vente de sa propriété précédente pour acheter la propriété actuelle. Entre 1987 et 1991, il avait deux propriétés et devait se rendre à la ferme soit à partir de son bureau, soit à partir de sa résidence. Il a dit que, entre 1989 et 1991, le train-train de sa vie quotidienne était le même qu'aujourd'hui, mais il a dit qu'il arrivait peut-être au bureau un peu plus tôt. Lorsqu'il était au champ de courses ou ailleurs qu'à la ferme, le préposé à l'entretien s'occupait des chevaux. L'appelant allait régulièrement au champ de courses durant la saison des courses, qui commençait à la mi-avril. Au champ de courses, les heures d'entraînement allaient de 5 h 30 à 10 heures. Il nourrissait les chevaux lui-même après l'entraînement. Il assistait aux courses 80 p. 100 du temps. Normalement, il avait au moins quelques chevaux qui participaient aux courses chaque semaine. Jusqu'en 1994, personne ne vivait à la maison de ferme en permanence. Son épouse le relayait lorsqu'il n'était pas disponible.

[33] Il ne changeait pas ses heures de travail à son cabinet durant la morte-saison, et ses heures étaient très standard. Il travaillait de six à sept heures par jour et considérait cela comme des heures normales pour un cabinet de dentiste. Il offrait une gamme complète de services dentaires et, s'il arrivait qu'un patient ne se présente pas à un rendez-vous, son horaire était tel qu'il pouvait partir pour la ferme et s'occuper de l'intervention dentaire le lendemain. Dans le genre de médecine dentaire qu'il exerçait, il était assuré de ses rentrées d'argent et n'avait pas à se soucier de créances irrécouvrables.

[34] L'appelant a dit que le Dr Wan était devenu son associé en 1983 et était resté avec lui pendant 13 ans. Les associés reçoivent une commission. Le Dr Wan recevait 50 p. 100 des honoraires. D'autres reçoivent 40 p. 100 de l'argent effectivement reçu. Dans son témoignage concernant la quantité de travail et les revenus de ses associés et de lui-même, il se fondait sur leurs brouillards, sur son propre brouillard et sur les livres de caisse. Cependant, ce n'était encore qu'une estimation.

[35] L'avocate a renvoyé le témoin à l'onglet 7 de la pièce A-1, et notamment à l'état des résultats pour 1988, faisant remarquer que, pour cette année-là, les honoraires des associés de l'appelant étaient d'environ 117 000 $. L'appelant a alors reconnu que son chiffre d'affaires était égal à celui de ses associés ou un peu plus élevé, ce qui différait des 40 p. 100 qu'il avait mentionnés lors de l'interrogatoire principal.

[36] Au sujet de l'état des résultats pour 1989 auquel on l'a de nouveau renvoyé, l'appelant a dit que le Dr Wan avait été son associé pendant toute la période de 12 mois et que le Dr Stuart l'avait été pendant 9 à 10 mois, à temps plein. Ces dentistes travaillaient à peu près de 9 heures à 17 heures chaque jour. Encore là, au sujet des chiffres, il reconnaissait avoir accompli environ 50 p. 100 du travail. Au cours de l'interrogatoire principal, il avait dit qu'il accomplissait 40 à 45 p. 100 du travail.

[37] Pour 1990, il reconnaissait avoir accompli 50 p. 100 du travail et non 40 p. 100 comme il l'avait dit précédemment. Pour 1991, encore là, il a dit qu'il avait accompli environ 50 p. 100 du travail.

[38] En ce qui concerne 1992, dans la première partie de l'année, il avait fait plus de 50 p. 100 du travail. Dans la deuxième partie, soit la période transitoire, il aurait également accompli plus de 50 p. 100 du travail. Il a déclaré dans son témoignage que le coût de chaque salle de soins était d'environ 6 000 $. Pour ce qui est du bureau satellite de Bella, le matériel était déjà là. À Pemberton, il avait installé l'équipement lui-même et a investi environ 25 000 $ à partir de 1990. Il a confirmé que les frais d'ouverture d'un cabinet de dentiste sont actuellement beaucoup plus élevés que ceux qu'il avait engagés initialement. En ce qui a trait à la ferme, il a dit qu'il avait commencé à faire appel à M. Cummins comme entraîneur en 1976, qu'il a fait appel à lui jusqu'en 1996 et que, toutefois, c'est lui-même qui s'occupait des “ prix à réclamer ”. Il en discutait avec M. Cummins.

[39] On l'a de nouveau renvoyé à l'année 1989 concernant la ferme, et il a dit qu'il avait acheté de nombreux chevaux, à grands frais, et qu'il avait eu des frais d'entraînement élevés cette année-là. Les ventes de chevaux ont été faibles cette année-là. Aucune explication précise n'a été donnée à cet égard.

[40] Il reconnaissait avoir acheté en 1990 quelques chevaux du Kentucky pour une somme de 22 000 $ à 25 000 $. Il s'occupait principalement d'élevage en vue de faire participer les chevaux à des courses. Au sujet d'aspects particuliers de l'état financier auxquels on l'a renvoyé, par exemple quant à savoir quels chevaux étaient achetés et à quels prix et quels chevaux étaient achetés au cours d'une année quelconque, l'appelant n'arrivait pas à être très précis. Pour 1992, les revenus provenant des courses ont été considérables, ce qui a été en partie attribué au fait qu'un des chevaux de l'appelant, “ Overtime Victory ”, a remporté plus de 190 000 $ de prix. C'était un cheval issu des écuries de l'appelant. L'appelant a encore un cheval issu de ses écuries qui prend encore part à des courses, et ce cheval lui rapporte des droits. La raison pour laquelle l'année 1992 a été si bonne tient peut-être au fait que sa ferme a produit un nombre considérable de “ chevaux à réclamer ”.

[41] Pour ce qui est des “ prix à réclamer ”, il a dit que cet aspect se rapporte à environ 60 p. 100 des chevaux participant à une course. “ C'est un bon moyen de gagner de l'argent ”.

[42] Au sujet des années 1995, 1996 et 1997, auxquelles on l'a renvoyé, il ne parvenait pas à expliquer pourquoi il y avait eu des pertes au cours de ces années-là. Il a bel et bien admis qu'il n'aurait pu maintenir son entreprise sans le revenu provenant de son cabinet de dentiste. Il n'avait pas de paiements à faire à l'égard de la ferme et des terrains, car cela avait été entièrement payé le jour de l'achat.

Arguments de l'appelant

[43] L'avocat de l'appelant faisait valoir que, pour les années en cause, soit pour les années allant de 1989 à 1991, la question est de savoir si la principale source de revenu de l'appelant était l'exploitation de la ferme ou une combinaison de l'exploitation de la ferme et de quelque autre source. La question de savoir s'il s'agissait d'une entreprise à l'égard de laquelle on pouvait avoir une attente raisonnable de profit n'est pas en cause, le ministre ayant reconnu que tel était le cas puisqu'il a admis des pertes restreintes en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi. Au cours des années en question, la principale source de revenu de l'appelant était sa ferme.

[44] Dans l'arrêt Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213 (C.S.C.), la Cour disait, aux pages 5215-5216 :

“ Ce qui distingue la principale “source” de revenu du contribuable, c'est l'expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analyser ces éléments, notamment à l'égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future. Un changement dans les habitudes ou la façon de travailler d'un contribuable ou dans ses expectatives raisonnables peut indiquer une modification de la principale source de revenu, mais cela demeure une question de fait dans chaque cas. ”

[45] L'avocat faisait valoir que l'appelant était un agriculteur de la 1re catégorie, pour reprendre les termes utilisés dans l'arrêt précité[1] :

“ Il vise une personne dont l'agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d'un investissement, d'un emploi ou d'une entreprise secondaire. L'article prévoit que ces intérêts subsidiaires ne placent pas le contribuable dans la 2e catégorie: le montant déductible pour perte n'est donc pas limité à $5,000. Bien que la proportion du revenu provenant de l'agriculture soit pertinente, elle n'est pas en elle-même décisive. Le test est à la fois relatif et objectif et on peut utiliser les critères indicatifs de la principale “source” de revenu pour discerner s'il s'agit ou non d'un intérêt auxiliaire. ”

[46] L'avocat a en outre renvoyé à l'affaire Hover v. M.N.R., 93 DTC 98 (C.C.I.), dans laquelle la Cour avait conclu que l'agriculture n'était pas accessoire relativement à la principale source de revenu de l'appelant ni une entreprise secondaire. La thèse de l'avocat est que les faits de cette affaire-là sont semblables à ceux de la présente espèce. À la page 107, la Cour traitait de l'affaire The Queen v. Roney, 91 DTC 5148, à la page 5155, où le juge Desjardins disait pour la Cour :

“ Compte tenu de la preuve dont la Cour est saisie, je ne crois pas que la partie intimée était [...] une personne dont la préoccupation majeure était l’agriculture. C’était une personne qui tâtait le terrain, pour ainsi dire. Pour elle, l’agriculture était une entreprise secondaire. ”

[47] Dans le jugement Hover, la Cour disait :

“ On ne peut dire de même du Dr Hover. L'agriculture ne représentait pas pour lui une entreprise secondaire et il ne tâtait pas simplement le terrain. Il s'est lancé à fond et sans réserve dans l'entreprise. Dès 1984, et de plus en plus par après, l'agriculture est devenue pour lui une préoccupation majeure. Si les agriculteurs de la deuxième catégorie sont ceux pour qui l'agriculture est une entreprise secondaire, comme le laissent entendre les décisions Moldowan et Roney, je ne puis conclure que le Dr Hover fait partie de cette catégorie. Le temps, les capitaux, l'énergie et les efforts qu'il a consacrés à l'agriculture m'empêchent d'en arriver à une telle conclusion. ”

[48] Fait intéressant, à la page 108 du jugement Hover, la Cour disait :

“ Dans le présent appel, l'engagement de l'appelant dans l'agriculture, le temps qu'il y a consacré, bien qu'il soit peut-être inférieur à celui qu'il a été tenu de consacrer à son cabinet dentaire, ainsi que les capitaux engagés dans l'exploitation agricole mènent tous à la conclusion que celle-ci n'était pas une entreprise secondaire, mais plutôt le centre de sa vie. Pour atteindre cet objectif, la pratique de la médecine dentaire a été un ajout indispensable qui, sans être secondaire sur le plan de la production de revenu, était accessoire à la réalisation de l'objectif global du Dr Hover. ”

[49] D'autres distinctions étaient ensuite faites par rapport à l'extrait précité de l'arrêt Moldowan, soit un jugement rendu par le juge Dickson.

[50] Dans l'affaire Felicella et al. v. The Queen, 95 DTC 402 (C.C.I.), à la page 406, le juge Bowman disait :

“ [...] on ne peut pas dire que les appelants tâtaient le terrain. Ils se sont lancés à fond et de façon exclusive dans l'entreprise de courses de chevaux, y consacrant tout leur temps, leurs efforts, leurs capitaux et leurs talents. Les revenus tirés du restaurant et de leurs placements leur ont permis de se donner corps et âme à l'entreprise de courses de chevaux. On pourrait affirmer, à tout le moins, que les placements et le restaurant constituaient l'entreprise secondaire, même s'ils permettaient de financer l'entreprise de courses de chevaux. Les courses de chevaux ne représentaient certainement pas une entreprise secondaire. ”

[51] Tout comme dans l'affaire Jacobsen v. M.N.R., 97 DTC 358 (C.C.I.), la principale préoccupation économique de l'appelant était sa ferme. Il y consacrait le plus clair de son temps. Il y passait 60 à 65 heures par semaine, alors qu'il passait seulement 30 à 35 heures par semaine à son cabinet de dentiste. Il ne prenait pas de vacances, travaillant plutôt à sa ferme. Son épouse et sa fille y travaillaient également. Il faisait appel en outre à un entraîneur. Il avait suffisamment de latitude à son cabinet de dentiste pour pouvoir s'occuper de sa ferme d'abord et avant tout, soit sa préoccupation première. Il s'était adjoint des associés à son cabinet de dentiste pour avoir plus de temps à passer à la ferme.

[52] Il avait investi des capitaux importants dans la ferme. Son stock de chevaux a augmenté jusqu'en 1991. Il avait investi environ 2,5 millions de dollars de son propre argent dans l'entreprise. Il avait investi le capital nécessaire pour rendre l'exploitation rentable. Tout comme dans l'affaire Jacobsen, précitée, il avait mis en place les éléments et la base nécessaires pour que sa principale source de revenu soit une combinaison de sa ferme et de son emploi pour les années en question.

Rentabilité

[53] Son revenu brut a augmenté considérablement durant les années en cause. Il mettait en place les éléments de base nécessaires pour assurer une rentabilité. Durant les années en question, il avait une excellente poulinière et un excellent reproducteur, et certains des jeunes chevaux issus de la ferme progressaient et commençaient à rapporter. L'appelant avait en outre acquis énormément d'expérience concernant les chevaux à réclamer et, en 1992, tout cela avait porté ses fruits. Il avait un plan en place, et ce plan fonctionnait. En 1993 et en 1994, il y a également eu un profit. Durant les années en question, la ferme était sa préoccupation dominante, sa préoccupation majeure. Il est clair qu'il ne s'agissait pas d'une entreprise secondaire. L'appelant ne considérait pas qu'il s'agissait d'un passe-temps ou d'une entreprise secondaire.

[54] Les faits de la présente espèce sont beaucoup plus forts que dans l'affaire Hover, précitée, en ce que, dans la présente espèce, l'appelant consacrait plus de temps à l'entreprise et y avait investi plus de capitaux, et il y a eu effectivement une rentabilité.

[55] L'appel devrait être admis, avec dépens, et les cotisations du ministre devraient être modifiées de manière à admettre les déductions au complet.

Arguments de l'intimée

[56] L'avocate de l'intimée reconnaissait que, dans la présente espèce, la question était de savoir si la principale source de revenu était la ferme seulement ou une combinaison de la ferme et de quelque autre source, c'est-à-dire le cabinet de dentiste.

[57] L'avocate de l'intimée a renvoyé à l'arrêt Moldowan, précité, à la page 5216, et a dit qu'il faudrait qu'il y ait eu un changement d'orientation, c'est-à-dire qu'il faudrait que l'appelant soit passé de l'exercice de la médecine dentaire à l'exploitation de la ferme, ce qui n'a pas été démontré dans la présente espèce. L'appelant continuait de passer le même temps à son cabinet de dentiste.

[58] Il se peut que l'appelant ait passé plus de temps à la ferme entre 1983 et 1994, car il vivait à une certaine distance de la ferme et du champ de courses et devait tous les jours parcourir cette distance pour se rendre à la ferme et au champ de courses.

[59] L'avocate de l'intimée a renvoyé à l'arrêt The Queen v. Raymond Morrissey, 89 DTC 5080 (C.A.F.), à la page 5084, où la Cour disait :

“ L’appelante a reconnu que l’intimé s’adonnait à l’agriculture dans une expectative raisonnable de profit. Cela signifie qu’il exploitait une entreprise agricole et établit de façon concluante qu’il ne relevait pas de la troisième catégorie d’agriculteurs. Cela implique aussi que l’agriculture était une source de revenu possible et nous force à rechercher s’il s’agissait en puissance d’une principale source de revenu soit en elle-même, soit en combinaison avec une autre source. Dans l’étude du paragraphe 31(1), il me semble que la possibilité plutôt que la réalité est le mot clé dans tous les cas puisque cette disposition ne s’applique qu’en présence d’une perte au cours d’une année d’imposition. Cela ne veut pas dire, naturellement, que la rentabilité réelle au cours d’autres années ne peut, pendant les années de pertes, témoigner en faveur de la possibilité de profits. ”

[60] L'avocate de l'intimée comparait la présente espèce à l'affaire The Queen v. Andrew Donnelly, 97 DTC 5499 (C.A.F.), faisant valoir que, dans la présente espèce, l'appelant a continué à exercer la médecine dentaire autant qu'il l'avait toujours fait, y consacrant essentiellement les mêmes heures. Selon cet argument, s'il n'y a pas de changement d'orientation, il ne peut s'agir là de la principale source de revenu.

[61] L'appelant n'arrivait à mentionner aucune raison pour laquelle il n'a pas réalisé de profit au cours des années 1989 à 1991, soit les années en cause. En 1992, il y avait un nombre important de chevaux à la ferme, et l'appelant avait tiré des bonis importants de la reproduction effectuée à sa propre ferme et avait connu énormément de succès dans le domaine des courses à réclamer. Toutefois, pour ce qui est des années en cause, l'appelant n'a pu exposer de faits indiquant qu'il pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit important de la ferme en comparaison avec son cabinet de dentiste.

[62] L'avocate de l'intimée disait qu'il est difficile de satisfaire à ce critère de rentabilité. Il ne suffit pas de démontrer que la ferme était le centre de la vie de l'appelant ou que ce dernier avait investi beaucoup d'argent dans l'entreprise; l'appelant doit démontrer qu'il pouvait raisonnablement s'attendre à des profits importants au cours des années en cause.

[63] L'avocate de l'intimée faisait valoir que l'affaire Donnelly est postérieure aux affaires Felicella et Hover, précitées, et que, si les savants juges de première instance dans les affaires Felicella et Hover avaient pu examiner le raisonnement adopté par le juge Robertson dans l'arrêt Donnelly, précité, leurs décisions auraient été autres. L'avocate de l'intimée soutenait en outre que l'arrêt Donnelly indique une nouvelle orientation dans l'interprétation de l'arrêt Moldowan, précité.

[64] L'avocate de l'intimée soutenait que l'appel devrait être rejeté, avec frais, et que les cotisations du ministre devraient être confirmées.

[65] En contre-preuve, l'avocat de l'appelant a répété qu'il y avait clairement eu un changement d'orientation de la part du Dr Walters et que, durant les années en cause, le Dr Walters consacrait plus de temps à la ferme qu'à son cabinet de dentiste.

[66] Une rentabilité importante n'est que quelque chose de mesurable. Dans la présente espèce, pour les années 1992, 1993 et 1994, la preuve indiquait que l'entreprise était rentable. Ce que le contribuable doit démontrer, c'est qu'il pouvait raisonnablement s'attendre à une rentabilité importante en-deçà d'une période raisonnable au cours des années en cause.

Analyse et décision

[67] Dans l'arrêt Donnelly, précité, il est établi clairement qu'il y a une distinction entre le critère à appliquer pour déterminer si l'agriculture est la principale source de revenu d'un contribuable et le critère à appliquer pour déterminer s'il existe ou non une attente raisonnable de profit. En se fondant sur le raisonnement adopté par le juge Robertson, on peut voir pourquoi le ministre concède qu'il peut y avoir eu une attente raisonnable de profit tout en concluant que la ferme n'était pas la principale source de revenu de l'appelant. Comme le disait le juge Robertson :

“ [...] le critère juridique applicable pour déterminer si l’agriculture est la principale source de revenu d’un contribuable est plus exigeant sur le plan de la preuve. ”

[68] Les faits de l'affaire Donnelly sont remarquablement semblables à ceux de la présente espèce, et l'arrêt Donnelly exige que la Cour procède à un examen attentif pour statuer sur la présente espèce. Dans l'affaire Donnelly, en première instance, le savant juge avait conclu qu'il y avait eu un changement d'orientation chez le contribuable, ce dernier passant de l'exercice de la médecine à l'élevage de chevaux. Le savant juge de première instance avait en outre conclu que le contribuable avait engagé tous ses capitaux dans l'entreprise d'élevage de chevaux et que l'exercice de la médecine était devenu secondaire par rapport à l'entreprise d'élevage. De plus, le juge de la Cour canadienne de l'impôt avait conclu que, sans les revers subis par le contribuable, l'entreprise d'élevage de chevaux aurait représenté le plus gros du revenu du contribuable au cours des années d'imposition en cause. Malgré ces conclusions, la décision de la Cour canadienne de l'impôt avait été infirmée.

[69] Au sujet des principes de droit en cause dans une affaire comme celle qui est soumise à notre cour, le juge Robertson disait que, pour déterminer si la principale source de revenu d'un contribuable est l'agriculture, il faut :

“ établir une comparaison favorable entre cette source de revenu et l’autre source de revenu du contribuable sous l’angle des capitaux investis, du temps consacré à chacune et de la rentabilité présente et future. Il s’agit d’un critère à la fois relatif et objectif. Ce n’est pas une simple question de proportion. Ces trois facteurs doivent être soupesés et aucun d’eux n’est décisif. Malgré tout, il ne saurait y avoir de doute que le facteur de la rentabilité est le principal obstacle auquel se heurtent les contribuables qui cherchent à convaincre les tribunaux que l’agriculture est leur principale source de revenu. Il en est ainsi parce que les contribuables ont la charge de prouver que le revenu net qu’ils pourraient raisonnablement s’attendre de tirer de l’agriculture est considérable par rapport à leur autre source de revenu : [...] ”

[70] Il est indéniable que la Cour a réitéré les facteurs cumulatifs à prendre en considération dans une affaire où la décision doit se rapporter à la question de savoir si l'agriculture sera considérée comme une entreprise secondaire à laquelle s'appliquent les dispositions relatives aux pertes agricoles restreintes. La Cour a renvoyé à la jurisprudence de laquelle découlent ces principes, y compris l'arrêt Moldowan, précité. Les facteurs cumulatifs sont les capitaux engagés, le temps consacré et la rentabilité.

[71] Tout comme dans l'affaire Donnelly, notre cour est convaincue qu'il est indéniable que le contribuable avait engagé des capitaux importants dans l'élevage de chevaux. Comme l'indique son témoignage, son engagement financier était de l'ordre de 2 512 119 $ au 31 décembre 1991. Cependant, tout comme dans l'affaire Donnelly, les deux facteurs restants, soit le temps consacré et la rentabilité, font davantage problème.

[72] L'avocat de l'appelant arguait que la preuve indiquait clairement que l'appelant avait changé d'orientation professionnelle, de sorte que l'exercice de la médecine dentaire était réellement secondaire par rapport à l'entreprise d'élevage. Toutefois, la Cour est convaincue que la preuve révélait que l'appelant avait continué à exercer la médecine dentaire à peu près autant qu'il l'avait fait tout au long de sa carrière. L'appelant a dit qu'une période de six à sept heures par jour correspond à la norme dans un cabinet de dentiste. Son propre témoignage, après le contre-interrogatoire, révélait que les revenus générés par l'exercice de la médecine dentaire ont été importants tout au long de la période. La Cour n'est pas convaincue que, dans les années en question, il y a eu une réduction du revenu tiré de l'exercice de la médecine dentaire, encore moins une réduction indiquant qu'il y aurait eu un changement réel dans la vie de l'appelant.

[73] En fait, son propre témoignage indiquait que, pour 1988, les revenus nets provenant de son cabinet de dentiste ont été de 155 206 $ et que le travail était accompli par lui dans une proportion d'environ 50 p. 100. Pour 1989, malgré le fait qu'il y avait deux associés qui travaillaient avec lui, son revenu net provenant du cabinet de dentiste a été de 161 827 $, et il aurait accompli environ 50 p. 100 du travail. Pour 1990, son témoignage était qu'il y avait eu une perte nette de 10 370 $ provenant du cabinet de dentiste en dépit de gains bruts de 663 016 $, mais son témoignage après le contre-interrogatoire indiquait qu'il avait accompli environ 50 p. 100 du travail. Pour 1991, le revenu net provenant de l'exercice de la médecine dentaire a été de 212 617 $. Il a accompli environ 50 p. 100 du travail. Pour 1992, il a fait plus de 50 p. 100 du travail.

[74] Certes, il a dit que son idéal à long terme était de passer plus de temps à la ferme, mais il a toujours eu l'intention de continuer à exercer la médecine dentaire, et la Cour est convaincue que, dans les années en cause, il n'a assurément pas réduit l'exercice de la médecine dentaire à un simple passe-temps, même si c'était ce qu'il visait pour l'avenir.

[75] Tout comme dans l'affaire Donnelly, précitée, la Cour n'est pas convaincue qu'il y a eu un changement professionnel concernant le cabinet de dentiste du contribuable. De plus, tout comme dans l'affaire Donnelly, l'appelant a concédé qu'il avait besoin du revenu de son cabinet de dentiste pour vivre et pour financer l'exploitation de la ferme. Tout comme dans l'affaire Donnelly, la Cour voit difficilement comment, dans ces circonstances, on pourrait considérer qu'il avait changé d'orientation professionnelle.

[76] Tout comme dans l'affaire Donnelly, beaucoup de temps et d'argent étaient consacrés à l'entreprise de chevaux, mais “ ce facteur quantitatif, pris isolément, ne reflète pas fidèlement la réalité, savoir que le contribuable dépendait financièrement de l’exercice de la médecine, qui était son principal gagne-pain ” (soit le cabinet de dentiste dans la présente espèce).

[77] Un autre facteur important est le critère de rentabilité. Dans la présente espèce, la Cour doit reconnaître que l'arrêt Donnelly dit qu'il y a une différence entre le type de preuve que le contribuable doit présenter concernant la rentabilité en vertu de l'article 31 de la Loi et le type de preuve qu'il doit présenter concernant le critère d'attente raisonnable de profit. La Cour d'appel fédérale disait que, relativement au critère d'attente raisonnable de profit, le contribuable doit seulement démontrer qu'il y avait une attente de profit. Il n'est pas nécessaire qu'il démontre qu'il pouvait s'attendre à un profit raisonnable. Toutefois, en ce qui a trait au facteur de rentabilité relatif à l'article 31, l'importance effective du profit est pertinente et sert de fondement pour comparer le revenu agricole potentiel au revenu effectivement tiré par le contribuable de l'autre occupation. La Cour disait : “ Autrement dit, nous cherchons des éléments de preuve de nature à appuyer une conclusion d’expectative raisonnable de bénéfices “ considérables ” en provenance de l’agriculture ”.

[78] Dans la présente espèce, on a demandé au contribuable s'il pouvait faire état de revers particuliers ayant donné lieu à la perte, ce qu'il a été incapable de faire. Même s'il avait donné des explications à cet effet, aucun élément de preuve ne permet à la Cour de conclure que, sans ces revers, le contribuable aurait tiré le plus gros de son revenu de la ferme au cours des trois années d'imposition en question. Donc, il n'y avait aucune preuve permettant à la Cour de conclure quel profit le contribuable aurait pu réaliser si ces événements ne s'étaient pas passés, et aucun élément de preuve ne permettait à la Cour de déterminer, comme il faut le faire, si le montant aurait été important en comparaison avec le revenu provenant de la profession de l'appelant.

[79] Tout comme dans l'affaire Donnelly, le “ contribuable ne pouvait pas se contenter d’affirmer qu’il pourrait avoir réalisé un bénéfice. Il aurait dû fournir assez d’éléments de preuve pour permettre au juge de la Cour de l’impôt d’évaluer à combien ce bénéfice aurait pu s’élever ”, après quoi la Cour aurait pu déterminer si le montant aurait été important en comparaison avec le revenu tiré de la profession du contribuable. C'est ce que doit faire la Cour quand elle considère l'élément de rentabilité.

[80] Certes, l'appelant a déclaré dans son témoignage que l'entreprise avait effectivement fait apparaître un profit pour les années 1992, 1993 et 1994, mais, en soi, cela ne répond pas au critère de rentabilité décrit précédemment.

[81] L'état financier indique que le profit tiré de la ferme a été de 77 497 $ pour 1992, de 13 633 $ pour 1993 et de 5 686 $ pour 1994. Aucune de ces sommes ne pourrait être assimilée à un profit important en comparaison avec l'autre revenu, soit celui qui provenait du cabinet de dentiste.

[82] La Cour est convaincue que l'on peut établir une distinction entre la présente espèce et les affaires Hover et Felicella, précitées. Dans l'affaire Hover, la Cour était convaincue que l'appelant avait fait en sorte que l'exercice de la médecine dentaire soit subordonné à l'exploitation de la ferme et que cette exploitation était devenue le centre de la vie du contribuable. Dans la présente espèce, la Cour n'est pas parvenue à une telle conclusion.

[83] Dans l'affaire Felicella, précitée, la Cour n'avait aucun doute que, concernant le temps consacré, les contribuables avaient consacré le plus clair de leur temps à l'entreprise de courses de chevaux sans abandonner leur entreprise de restauration. Tel n'est pas le cas dans la présente espèce. Le savant juge de première instance était en outre convaincu que la preuve indiquait une rentabilité potentielle. Dans la présente espèce, la Cour n'est pas convaincue que tel est le cas.

[84] Les appels sont rejetés, avec frais, et les cotisations du ministre sont confirmées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d'octobre 1998.

“ T. E. Margeson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de juin 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Ibid., à la page 5216.

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