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Date: 19980622

Dossiers: 96-2506-IT-G; 96-2503-IT-G

ENTRE :

MARGARET AMOS, SOLOMAN MARK,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

QUESTION EN LITIGE

[1] Il s'agit de déterminer si le revenu d'emploi que l'appelant a touché en 1991, 1992 et 1993 est exempté de taxation en vertu de l'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ) et de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Le terme « appelant » , dans les présents motifs, désigne Margaret Amos et Soloman Mark.

FAITS

[2] Les parties ont déposé un EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS pour chaque appel. Aucune autre preuve n'a été produite.

[3] La plupart des documents mentionnés dans l'exposé conjoint des faits relativement à chaque appelant sont reproduits plus loin. Les documents à l'appui, bien qu'ils soient mentionnés dans l'exposé conjoint des faits, ne le sont pas dans les présents motifs.

[TRADUCTION]

FAITS COMMUNS AUX DEUX APPELANTS

L'appelant est un Indien au sens de la Loi sur les Indiens et, pendant toutes les périodes pertinentes, il résidait dans la réserve indienne Ahaminaquus no 12 (la « réserve » ) et il était membre de la bande indienne Mowachaht, anciennement connue sous le nom de bande Nootka (la « bande » ).

La réserve est une réserve au sens de la Loi sur les Indiens, mise de côté au profit de la bande.

En 1959 ou vers cette année-là, la Tahsis Company est entrée en contact avec l'agent des Indiens de la Colombie-Britannique pour discuter de la possibilité d'acheter ou de louer la réserve afin d'y construire une usine de pâte.

Le conseil de bande n'était pas en faveur de la vente de la réserve, mais il était disposé à la louer. Les modalités d'un projet de bail ont été discutées avec la bande et divers agents des Indiens avant que la bande donne la réserve en location. Le conseil de bande a demandé que tout bail prévoie des possibilités d'emploi à l'usine pour les membres de la bande. Du fait des négociations, la bande était au courant, avant que la réserve soit donnée en location, que tout bail devait prévoir des possibilités d'emploi pour les membres de la bande.

En mars 1963, la bande a cédé la totalité des 39 acres de la réserve au ministre des Affaires indiennes et du Nord aux fins de sa location à Tahsis Company Ltd., plus tard connue sous le nom de Produits forestiers Canadien Pacifique Ltée et aujourd'hui appelée Avenor Inc. (la « compagnie » ) [...]

[...] La compagnie était au nombre des plus importants producteurs de billes, de bois de sciage, de copeaux à pâte et de bardeaux de la Colombie-Britannique.

En mai 1963, la compagnie a signé avec le ministre des Affaires indiennes et du Nord un bail de longue durée (le « bail de 1963 » ), valide jusqu'en 2038, aux termes duquel elle louait 28,8 acres situés dans la réserve, en contrepartie d'un loyer annuel qui serait négocié tous les cinq ans [...]

Au moment où la réserve a été donnée en location, la plupart des membres de la bande résidaient à Friendly Cove, dans l'île Nootka, mais ils ont ensuite déménagé dans une portion de la réserve qui n'était pas louée par la compagnie.

Pendant toutes les périodes pertinentes, la compagnie exploitait à Gold River (Colombie-Britannique) une usine de pâte (l' « usine » ) qui produisait de la pâte et d'autres produits destinés à la vente à l'échelle mondiale.

Le bail de 1963 a été remplacé par un bail daté du 29 juillet 1965 (le « bail de 1965 » ) portant sur la même parcelle de la réserve et valide jusqu'en 2062 [...]

Lors de la signature du bail et de ses modifications, la compagnie a convenu de « donner priorité aux membres de la bande indienne Nootka en matière d'emploi relativement aux activités menées sur les lieux, pour autant que les membres aient les compétences voulues pour occuper les emplois et qu'ils soient disponibles » .

La compagnie n'a affiché aucune liste des postes dans la réserve de l'appelant.

L'usine était située en partie sur la portion louée de la réserve et en partie sur un terrain situé à l'extérieur de la réserve, dont la compagnie était propriétaire en fief simple.

La partie de l'usine située sur la portion louée de la réserve représentait 28,88 acres et, au cours des années visées par l'appel, la compagnie a utilisé une partie du terrain loué aux fins suivantes :

a) elle y a maintenu une partie d'un tas de copeaux à brûler (une source de combustible pour les chaudières de l'usine) et une partie de deux tas de copeaux de bois, tous liés à la production de pâte. Certains des employés de l'usine (mais pas l'appelant) se rendaient sur la partie louée de la réserve pour charger ou décharger des copeaux de bois et des copeaux à brûler;

b) elle y a établi un camp de construction temporaire où les travailleurs ont vécu entre 1989 et 1994, pendant qu'ils travaillaient à la construction d'une usine de papier journal située ailleurs.

Avant les années visées par l'appel, la compagnie a utilisé une partie du terrain loué aux fins suivantes :

a) elle a sous-loué une partie du terrain loué à Gulf Oil aux fins de l'établissement d'un poste de stockage de Petro-Canada qui a desservi l'usine entre 1976 et 1988;

b) elle a entreposé de la cendre dans un bassin de tassement des cendres jusqu'au début des années 1990.

Pendant toutes les périodes pertinentes, le terrain loué contenait des arbres formant un écran entre la réserve et l'autoroute.

La partie de l'usine située à l'extérieur de la réserve et dont la compagnie était propriétaire représentait 439,84 acres. Au cours des années visées par l'appel, tous les bâtiments utilisés aux fins de l'administration de l'usine et tous les bâtiments servant à la production de pâte étaient situés à l'extérieur de la réserve.

La partie de l'usine située à l'extérieur de la réserve contenait également un réservoir, une marina, un bassin en eau profonde, des tas de copeaux de bois et d'autres éléments, tous liés à la production de pâte.

Pendant toutes les périodes pertinentes, le siège social de la compagnie était situé à Montréal (Québec), où se tenaient également les réunions du conseil d'administration, et non dans la réserve.

FAITS SE RAPPORTANT À L'APPELANTE AMOS

Au cours des années visées par l'appel, la compagnie a employé l'appelante pour effectuer des tâches de conciergerie à l'emplacement de l'usine.

La compagnie n'a jamais indiqué à l'appelante, et cette dernière ignore, si elle a joui d'un quelconque traitement de faveur lorsqu'elle a été engagée par la compagnie. L'appelante a cru comprendre que, en vertu du bail, la compagnie devait donner priorité aux membres de la bande lorsqu'ils demandaient un emploi à l'usine.

Pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelante a effectué toutes ses tâches à différents endroits de l'usine, dans la partie située à l'extérieur de la réserve.

L'appelante allait chercher son chèque de paie au bureau de la paie de la compagnie, qui se trouvait dans la partie de l'usine située à l'extérieur de la réserve.

L'appelante a gagné et reçu de la compagnie un revenu d'emploi de 31 416,43 $, de 20 988,67 $ et de 6 847,13 $ au cours des années d'imposition 1991, 1992 et 1993 respectivement; elle a inclus ces montants dans son revenu pour les années en question [...]

Le ministre du Revenu national a établi l'impôt à payer en se fondant sur les déclarations de revenus.

Dans un avis d'opposition daté du 26 octobre 1995, l'appelante a demandé que son revenu d'emploi soit exonéré d'impôt parce qu'il appartenait à une Indienne située dans une réserve et elle s'est opposée aux cotisations établies pour les années 1991, 1992 et 1993.

FAITS SE RAPPORTANT À L'APPELANT MARK

La compagnie a d'abord employé l'appelant en 1970, puis en 1973, en temps que manoeuvre; il nettoyait la cour de l'usine.

La compagnie n'a jamais indiqué à l'appelant, et ce dernier ignore, s'il a joui d'un quelconque traitement de faveur lorsqu'il a été engagé par la compagnie. L'appelant a cru comprendre que, en vertu du bail, la compagnie devait donner priorité aux membres de la bande lorsqu'ils demandaient un emploi à l'usine.

En 1975, pendant qu'il était toujours employé par la compagnie, l'appelant a commencé à suivre une formation en vue de devenir conducteur de remorqueur.

L'appelant a conduit un remorqueur pour la compagnie à titre d'employé au cours des années d'imposition 1993 et 1994. Il utilisait le remorqueur pour placer des estacades adjacentes à l'emplacement de l'usine.

Pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant a exécuté toutes ses tâches pour la compagnie en mer, généralement dans un rayon de quelques centaines de verges de l'usine, à un endroit qui ne faisait partie d'aucune réserve, ni de la partie de l'usine située à l'extérieur de la réserve.

L'appelant allait chercher son chèque de paie au bureau de paie de la compagnie, qui se trouvait dans la partie de l'usine située à l'extérieur de la réserve.

L'appelant a gagné et reçu de la compagnie un revenu d'emploi de 48 851,41 $ et de 42 728 $ au cours des années d'imposition 1993 et 1994 respectivement; il a inclus ces montants dans son revenu pour les années en question.

Dans un avis d'opposition daté du 26 octobre 1995, l'appelant a demandé que son revenu d'emploi soit exonéré d'impôt parce qu'il était la propriété d'un Indien situé dans une réserve et il s'est opposé aux cotisations établies pour les années d'imposition 1993 et 1994 [...]

Une copie du plan de la réserve et des terres de la compagnie a été présentée à la Cour. On y voit, à l'est de la parcelle de 39 acres de la réserve, une portion de 10 acres utilisée à des fins résidentielles. Les 28,8 acres restants étaient utilisés par la compagnie aux fins énoncées auparavant et la partie principale de l'usine de la compagnie se trouvait sur un terrain situé à l'ouest des 39 acres en question.

ANALYSE ET CONCLUSION

[4] L'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens exempte de taxation les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve. Il se lit comme suit :

Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

[...]

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

[5] Le paragraphe 87(2) prévoit que nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné à l'alinéa 87(1)b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

[6] Le paragraphe 87(3) prévoit qu'aucun impôt sur les successions, taxe d'héritage ou droit de succession n'est exigible à la mort d'un Indien en ce qui concerne un bien mentionné à l'alinéa 87(1)b), etc.

[7] Le terme « réserve » , défini à l'article 2 de la Loi sur les Indiens, s'entend d'une parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu'elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande. Y sont assimilées, sauf certaines exceptions, les terres désignées.

[8] Le terme « terres désignées » s'entend d'une parcelle de terrain, ou de tout droit sur celle-ci, propriété de Sa Majesté et relativement à laquelle la bande au profit de laquelle elle a été mise de côté à titre de réserve a cédé, avant ou après l'entrée en vigueur de la définition de « terres désignées » , ses droits autrement qu'à titre absolu.

[5] L'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit :

Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

a) une somme exonérée de l'impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu'un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d'une disposition d'une convention ou d'un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada;

[6] L'avocate de l'appelant a déclaré qu'il n'y avait pas de litige sur la question de savoir si le revenu d'emploi est un « bien meuble » au sens de la Loi sur les Indiens, ni sur celle de savoir si le revenu appartient à l'appelant. Elle a déclaré que le litige portait uniquement sur la question de savoir si le « situs » du revenu d'emploi est la réserve pour l'application de l'exemption prévue à l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens.

[7] Dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] R.C.S. 85, à la page 130, le juge La Forest a écrit ceci :

Historiquement, les exemptions de taxe et de saisie ont protégé de deux façons la capacité des Indiens de profiter de cette propriété. Premièrement, elles empêchent qu'un palier de gouvernement, par l'imposition de taxes, puisse porter atteinte à l'intégrité des bénéfices accordés par le palier de gouvernement responsable du contrôle des affaires indiennes.

Il poursuit à la page 131, après avoir mentionné la Proclamation royale de 1763, dans les termes suivants :

Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

La Cour suprême du Canada a énoncé le but de l'exemption d'impôt dans l'arrêt Mitchell où, à la page 133, le juge La Forest a écrit :

Ces dispositions n'ont pas pour but d'accorder des privilèges aux Indiens à l'égard de tous les biens qu'ils peuvent acquérir et posséder, peu importe l'endroit où ils sont situés. Leur but est plutôt simplement de protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux-ci ne soient pas dépouillés de leurs droits.

Dans l'arrêt Folster v. Her Majesty the Queen, 97 DTC 5315, à la page 5319, le juge Linden, de la Cour d'appel fédérale, s'est exprimé dans les termes suivants au sujet du situs :

Pour résoudre ce problème, le juge Gonthier[1] a élaboré un nouveau critère sur le fondement de l'analyse axée sur l'objet qu'a faite le juge La Forest dans l'arrêt Mitchell. Le juge Gonthier a reconnu que, bien qu'il existe inévitablement de nombreux facteurs qui peuvent être utiles pour déterminer le situs d'un bien immatériel comme des prestations d'assurance-chômage ou un revenu d'emploi, la pertinence de ces « facteurs de rattachement » doit être évaluée en fonction de leur capacité à réaliser l'objet de l'article 87. En outre, le poids à donner à chaque facteur peut varier en fonction des circonstances.

Le juge Linden poursuit à la page 5320, reproduisant les propos suivants du juge Gonthier :

Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses: (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

[8] Dans l'arrêt Williams, il s'agissait de déterminer le situs de prestations d'assurance-chômage. Les facteurs de rattachement énoncés dans cette affaire ont été précisés dans l'arrêt Folster par le juge Linden, dans la mesure où il s'agissait plutôt d'un revenu d'emploi. Dans l'arrêt Folster, le juge Linden a conclu que l'emploi d'une infirmière qui résidait dans une réserve et qui travaillait dans un hôpital situé à l'extérieur de la réserve était étroitement lié à la réserve. Il s'est prononcé dans les termes suivants à la page 5324 :

Vu les faits de l'espèce, la résidence de la contribuable, la nature du service fourni, l'historique de l'établissement en cause et les circonstances relatives à l'emploi sont tous des facteurs auxquels un poids considérable a été accordé dans le cadre de l'interprétation fondée sur l'objet de l'article 87. En revanche, la résidence de l'employeur, même si son emplacement pouvait être déterminé, et l'endroit précis où les fonctions étaient exercées, quoique certainement pertinent, se sont révélés moins importants en l'espèce que dans d'autres cas.

[9] Si l'on analyse les facteurs de rattachement énoncés dans l'arrêt Folster, il est évident que l'exploitation de l'usine en l'espèce constituait une entreprise purement commerciale de la compagnie qui n'était aucunement liée à une quelconque activité de la réserve. En outre, l'emploi de l'appelant à la compagnie n'est pas lié à sa résidence ni à l'occupation par l'usine des terres de la réserve. Une partie de l'usine où l'appelant travaillait était située sur des terres louées de la réserve, mais l'occupation de ces terres était accessoire à l'exploitation de l'usine. La disposition du bail aux termes de laquelle les membres de la bande indienne Nootka devaient être engagés en priorité pour exercer des activités effectuées sur les lieux, dans la mesure où ils possédaient les compétences voulues et où ils étaient disponibles, ne créé aucun lien évident entre le revenu d'emploi et l'occupation des terres de la réserve par l'appelant.

[10] Compte tenu des facteurs à appliquer à l'égard de ces conclusions, dont l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, il est évident que le genre de bien en question en l'espèce n'est pas destiné à être protégé de la taxation en question. Celle-ci ne dépossède pas l'appelant du bien détenu en tant qu'Indien dans une réserve. Le situs du revenu d'emploi est à l'extérieur de la réserve. Pour l'application de l'article 81 de la Loi de l'impôt sur le revenu et de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, le revenu d'emploi de l'appelant n'est pas un bien meuble situé dans une réserve. Par conséquent, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 22e jour de juin 1998.

« R. D. Bell »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de mars 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Williams v. H.M.Q., 92 DTC 6320 (C.S.C.).

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