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Date: 19971106

Dossiers : 97-275-UI; 97-276-UI

ENTRE :

ANDRÉ GOSSELIN, GUYLAINE GAUDREAULT,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune à Roberval (Québec) le 10 octobre 1997.

[2] Dans la première cause, il s'agit de l'appel d'une décision du ministre du Revenu national (le “Ministre”), en date du 13 décembre 1996 déterminant que l'emploi de l'appelant chez Guylaine Gaudreault, la payeuse, du 15 avril au 27 septembre 1996 n'était pas assurable car c'était un emploi ou l'employé et l'employeure avaient entre eux un lien de dépendance.

[3] Dans la seconde cause, il s'agit d'un appel formulé par la payeuse de la même décision.

[4] Dans la première cause le paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel se lit ainsi :

“5. En rendant sa décision, l'intimé s'est basé, notamment, sur les faits suivants :

a) le 21 mars 1996, Mme Guylaine Gaudreault enregistrait la raison sociale : “Récupération G. G.”; (A)

b) Mme Gaudreault est l'épouse de l'appelant; (A)

c) l'entreprise oeuvrait dans le domaine de la récupération de fer, cuivre et aluminium; (A)

d) au moment de l'enregistrement de la raison sociale, Mme Gaudreault n'avait aucune expérience dans ce secteur d'activité; (A)

e) l'appelant, pour sa part, avait déjà une expérience de travail dans ce secteur; (A)

f) Mme Guylaine Gaudreault n'avait aucune ressource financière; (A)

g) l'appelant et son épouse prétendent que l'entreprise est enregistrée au nom de celle-ci afin de faire travailler l'appelant; (N)

h) le bureau de l'entreprise était situé à la résidence du couple; (A)

i) l'entreprise disposait d'une marge de crédit de 10 000 $; (A)

j) cette marge de crédit était cautionnée par Mme Aliette Dubois, la mère de l'appelant; (A)

k) l'appelant a cautionné l'achat d'un tracteur-chargeur, pour la somme de 8 000 $; (A)

l) l'entreprise utilisait un camion, mis à sa disposition par l'appelant; (A)

m) l'entreprise assumait toutes les dépenses de carburant et les réparations dudit camion; (A)

n) l'appelant fournissait ses outils; (ASAP)

o) l'entreprise utilisait un terrain appartenant à M. Clermont Gaudreault; (A)

p) M. Clermont Gaudreault est le beau-frère de l'appelant; (A)

q) l'entreprise ne payait aucun loyer à M. Gaudreault, pour l'utilisation de son terrain; (A)

r) en 1996, l'entreprise a versé une rémunération à deux personnes : l'appelant et M. Clermont Gaudreault; (N)

s) entre les mois d'avril et septembre 1996, l'entreprise a généré des recettes de 42 426 $; (A)

t) les tâches de l'appelant consistaient à aller chercher les métaux chez les clients, les décharger, les trier, les couper, les recharger dans une remorque et les livrer à Québec; (A)

u) il travaillait 40 heures par semaine, du lundi au vendredi, de 8 h 00 à 17 h 00; (A)

v) l'appelant recevait une rémunération hebdomadaire de 670 $; (A)

w) M. Gaudreault pouvait remplacer l'appelant; (A)

x) M. Gaudreault recevait de l'entreprise une rémunération hebdomadaire de 450 $ par semaine; (A)

y) avant la période en litige, l'appelant était journalier dans le domaine de la construction; (A)

z) l'appelant et le payeur ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu; (A)

aa) le payeur n'aurait jamais engagé une personne non liée à des conditions à peu près semblables à celles offertes à l'appelant, encore moins pour une telle rémunération.” (N)

[5] Dans la seconde cause ce paragraphe est au même effet sauf les modifications nécessaires évidemment à des fins de concordance.

[6] Dans le texte qui précède de la Réponse à l'avis d'appel, la Cour a indiqué ainsi entre parenthèses, après chaque sous-paragraphe, les commentaires de la procureure des appelants à l'ouverture de l'audience.

(A) = admis

(N) = nié

(ASAP) = admis sauf à parfaire

La preuve des appelants

Selon l'appelante :

[7] Si elle a voulu “partir” cette entreprise, c'est qu'elle n'avait rien à faire et qu'elle voulait avoir éventuellement “quelque chose” à elle.

[8] André Gosselin n'a aucun intérêt dans l'entreprise et il n'en est vraiment qu'un simple employé.

[9] C'est un “transporteur officiel” qui livre ses métaux à Québec.

[10] Son rôle à elle consiste surtout à chercher des clients et à recevoir ensuite leurs appels pour envoyer chercher chez eux les métaux à récupérer.

[11] Il y a des gens qui lui donnent leurs métaux pour s'en débarrasser et d'autres qui les lui vendent cependant.

[12] À part son camion, André Gosselin ne lui fournissait que quelques outils.

[13] Si elle a décidé de l'engager au début de la période en litige, c'est qu'il oeuvrait au préalable dans la construction et que c'était tranquille à cette époque-là.

[14] C'est bien elle qui a déterminé son salaire.

[15] Il n'y a aucune parenté entre Clermont Gaudreault et elle.

[16] Si ce dernier gagnait moins cher que son mari, c'est évidemment parce qu'il avait moins d'expérience.

[17] Elle ne se prend pas de salaire et elle vit avec les revenus de l'entreprise.

[18] Elle a déjà eu cinq employés en même temps et le livre de paie (pièce A-1) le fait bien voir.

[19] Si elle s'est intéressée à la récupération, c'est qu'elle avait des amis qui y oeuvraient et que le lancement d'une telle entreprise ne requérait pas de gros investissements.

[20] Si en 1997, suivant le livre de paie (pièce A-2), son mari a travaillé pour elle seulement à compter de la mi-juillet, c'est qu'il était “retourné” entre-temps dans la construction.

[21] Au moment de l'audience il est toujours à son service et Ghyslain Fortin l'est aussi.

[22] En plus d'aller chercher les métaux, ses employés doivent aussi les diviser en trois catégories, le fer, le cuivre et l'aluminium avant de les charger dans la remorque en vue de leur transport éventuel à Québec.

[23] Même si son mari avait une certaine expérience en la matière, elle aurait pu sans lui “partir” quand même son entreprise.

[24] Au préalable, elle s'était essayée dans la couture mais elle n'aimait vraiment pas cela.

[25] Dans la récupération, les métaux se vendent toujours au poids.

[26] Le relevé d'emploi et sa correction (pièce I-1) indiquent bien la période en litige travaillée par l'appelant.

Selon l'appelant :

[27] Il est journalier de son métier et comme c'était tranquille dans la construction en avril 1996 son épouse l'a engagé pour travailler dans la récupération où il avait d'ailleurs au préalable acquis un peu d'expérience.

[28] Il n'est cependant pas au courant du tout de l'administration de l'entreprise de son épouse.

[29] Dans le cadre de son travail, il l'appelle à l'occasion au cours de la journée pour savoir s'il y a d'autres collectes de métaux à faire en plus de celles qui lui ont été énumérées le matin et, si oui, il y voit évidemment.

[30] C'est dans les petits garages qu'il va surtout cueillir des métaux, à savoir des moteurs, des radiateurs, etc.

[31] S'il a “passé” son camion à son épouse, c'est qu'au départ elle n'avait pas de ressources financières pour s'en procurer un.

[32] Il ne reçoit cependant aucune allocation pour l'usage de ce véhicule.

[33] S'il n'avait pas été là, son épouse aurait certes pu “partir” l'entreprise même si elle n'avait pas d'expérience en la matière.

[34] En 1997, il a oeuvré dans la construction de mars à juillet alors qu'il a été “slaqué”.

[35] S'il ne l'avait pas été, il aurait continué à y travailler.

[36] Quand il oeuvre dans la construction, un autre employé de son épouse conduit le camion qu'il met à sa disposition.

[37] L'intimé ne fait entendre aucun témoin.

Les plaidoiries

Selon la procureure des appelants :

[38] L'intimé s'appuie, entre autres dans les Réponses aux avis d'appel, sur les alinéas 3(1)a) et 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (la “LAC”) et sur les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi (la “LAE”).

[39] Le Ministre devait en conséquence tenir compte de toutes les circonstances et s'il l'avait fait, il se serait vite convaincu qu'il était raisonnable de conclure que la payeuse et l'appelant auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[40] Si la payeuse avait “parti” une bijouterie ou une boutique de vêtements, il n'y aurait certes pas eu de problèmes.

[41] S'il y en a c'est parce que l'intimé ne voit pas facilement une femme dans un commerce de récupération des métaux.

[42] C'est tant mieux si son mari avait une certaine expérience, mais avec ses amis elle aurait pu quand même se débrouiller sans lui.

[43] Au cours de la période en litige, l'appelant a travaillé plus de semaines qu'il en avait besoin pour se qualifier aux prestations d'assurance-chômage.

[44] Quand l'appelant oeuvre dans la construction sa cliente le remplace tout simplement par un autre employé.

[45] C'est véritablement elle et elle seule qui mène l'entreprise.

[46] C'est elle qui assumait les dépenses du camion et quand on loue un tel véhicule on ne l'entretient pas.

[47] C'est ainsi d'ailleurs qu'elle compensait son mari pour l'usage de son camion.

[48] Ses clients ont admis, il est vrai, plusieurs faits invoqués dans les Réponses aux avis d'appel mais il n'en demeure pas moins que le Ministre a omis de considérer, entre autres, que le salaire était raisonnable et que la payeuse avait vraiment besoin des services d'employés comme son mari pour mener à bien son entreprise.

[49] Si son mari n'avait pas cautionné la payeuse, elle aurait certes pu s'organiser autrement.

[50] Il est vrai que n'importe qui sur la rue, à titre d'exemple n'aurait cependant pas cautionné ainsi la payeuse.

[51] Tous les critères visés aux alinéas 3(1)a) et 5(1)a) des lois applicables sont rencontrés sauf peut-être le fait que l'appelant fournit son camion à titre d'outil de travail.

[52] Toute entreprise n'est pas nécessairement cautionnée.

[53] L'appelant a deux chapeaux lorsqu'il est au service de son épouse, celui de mari et celui d'employé.

Selon le procureur de l'intimé :

[54] La preuve révèle un lien important entre la payeuse et son mari : en effet la mère de celui-ci cautionne la marge de crédit de 10 000 $ alors que l'appelant cautionne l'achat d'un tracteur-chargeur de 8 000 $ en plus de fournir l'usage de son camion sans contrepartie.

[55] N'eut été de ce lien un loyer aurait certes été payé pour un tel usage.

[56] La payeuse n'avait aucune expérience en la matière et elle a en conséquence profité de celle de son mari.

[57] Elle n'avait pas les moyens financiers requis pour se lancer ainsi en affaires.

[58] Elle utilisait à titre gratuit un terrain appartenant au beau-frère de l'appelant.

[59] Le sous-paragraphe r) précité est nié, mais le Ministre dans sa décision du 13 décembre 1996 n'avait pas à tenir compte des autres employés engagés par la payeuse en décembre 1996.

[60] Dans Attorney General of Canada et Jencan Ltd. (A-599-96) l'honorable juge en chef de la Cour d'appel fédérale écrit pour celle-ci (page 16) :

“Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.”

et pages 22 - 23 :

“...Ayant conclu que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû se demander si les autres faits qui avaient été établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. S'il existe suffisamment d'éléments pour justifier la décision du ministre, il n'est pas loisible au juge suppléant de la Cour de l'impôt d'infirmer la décision du ministre du simple fait qu'une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge en serait arrivé à une conclusion différente selon la prépondérance des probabilités.”

[61] Dans Her Majesty the Queen et Bayside Drive-In Ltd. et al (A-626-96) l'honorable juge en chef de la Cour d'appel fédérale écrit pour celle-ci pages 9 et 10) :

“In this case, the Tax Court Judge concluded that his interference on appeal was justified because, in his opinion, the Minister had not given "sufficient importance to the work put in by the workers and their contribution to the Payor's success". The view that a failure by the Minister to give "sufficient importance" (i.e. weight) to specific facts is a ground for reversible error is not supported by the jurisprudence of this Court and, in my respectful view, is wrong in principle. By questioning not the relevance or truth of the facts relied upon by the Minister but simply the weight to be attached to the various facts otherwise properly considered, the Tax Court Judge, in effect, overruled the Minister's discretionary determination without first having concluded that the determination had been made in a manner contrary to law. In doing so, he improperly substituted his own independent assessment of the evidence for that of the Minister, thereby usurping the discretionary authority which Parliament clearly and unambiguously entrusted to the Minister."

[62] La jurisprudence basée sur l'alinéa 3(2)c) de la LAC peut aussi s'appliquer à l'alinéa 5(2)i) de la LAE étant donné les différences minimes dans les textes législatifs concernés.

[63] Les appelants avaient le fardeau de la preuve et ils ne s'en sont pas déchargés.

[64] La décision entreprise est raisonnable et les appels doivent être rejetés.

Le délibéré

[65] Il est vrai qu'au départ la payeuse n'avait aucune expérience dans la récupération, même si son mari en avait, mais la preuve non contredite est à l'effet qu'elle aurait aussi pu quand même fonder cette entreprise sans cette expérience.

[66] Il est certain que la payeuse n'avait aucune ressource financière, que sa marge de crédit était cautionnée par sa belle-mère, que l'appelant a cautionné pour elle l'achat d'un tracteur-chargeur pour 8 000 $ en plus de mettre son camion à sa disposition et cela à titre gratuit et qu'elle utilisait sans payer de loyer un terrain appartenant au beau-frère de l'appelant.

[67] Le Ministre ne pouvait savoir en rendant sa décision que la payeuse avait engagé d'autres employés en décembre 1996 et il n'y a en conséquence pas de conclusion à tirer là-dessus.

[68] Il est certain que l'appelant a travaillé pour la payeuse mais cet emploi était exclu et le Ministre n'a pas jugé à propos de le ré-inclure : il s'agit donc seulement en conséquence pour la Cour de décider si elle doit intervenir ou non.

[69] La payeuse a voulu se lancer en affaires, c'était son droit et il n'y a pas de conclusion à tirer là-dessus non plus que sur l'opération en général de son entreprise.

[70] Sauf le fait que la payeuse aurait pu lancer cette entreprise sans bénéficier de l'expérience de son mari, le Ministre a bien tenu compte de toutes les circonstances pour ne pas ré-inclure l'emploi.

[71] L'avocate des appelants est très habile mais elle spécule vraiment lorsqu'elle suggère que le Ministre aurait réagi différemment si sa cliente avait ouvert une bijouterie ou une boutique de vêtements.

[72] Le fait que l'appelant ait travaillé pendant la période en litige plus de semaines que le minimum dont il avait besoin pour se qualifier aux prestations d'assurance-chômage ne suffit évidemment pas pour ré-inclure l'emploi.

[73] Dans une location de camion, il y a toujours un prix pour l'usage lui-même du camion et l'argument de la procureure des appelants sous ce chef est à rejeter complètement.

[74] Si la payeuse n'avait pas eu recours à l'aide financière de son mari et de sa famille la situation aurait pu être différente, mais tel n'est pas le cas.

[75] L'appelant a peut-être deux chapeaux lorsqu'il oeuvre pour son épouse mais dans celui d'employé il la cautionne, la fait cautionner par sa mère, lui fournit un camion à titre gratuit et lui fait fournir l'usage d'un terrain à titre gratuit par son beau-frère.

[76] Au sens de l'arrêt Jencan, il n'y a pas lieu d'intervenir car le Ministre n'a pas exercé sa discrétion d'une manière contraire à la Loi.

[77] Même s'il a considéré que la payeuse aurait du avoir de l'expérience pour lancer cette entreprise, qu'elle n'en avait pas et qu'elle a profité de l'expérience de son mari, les autres faits sur lesquels il s'est basé étaient amplement suffisants pour justifier sa détermination.

[78] Au sens de l'arrêt Bayside, la Cour n'a pas à juger de l'importance ou du poids des faits spécifiques et bien considérés par le Ministre car en ce faisant elle usurperait son pouvoir discrétionnaire.

[79] Il est vrai que la jurisprudence basée sur l'ancienne Loi peut aussi s'appliquer à la nouvelle.

[80] Les appelants avaient le fardeau de la preuve et ils ne s'en sont pas déchargés.

[81] Les arrêts Jencan et Bayside sont très récents, ils sont très clairs et ils ne permettent vraiment pas à la Cour d'intervenir.

[82] Les appels sont donc rejetés et la décision entreprise confirmée.

“A. Prévost”

J.S.C.C.I.

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