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Date: 20000914

Dossiers: 1999-4502-IT-I; 1999-4505-IT-I

ENTRE :

KEVIN ISNOR, RONALD ISNOR,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience le 12 septembre 2000 à Toronto (Ontario))

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Les appels dont il s'agit sont interjetés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, par Ronald Isnor et Kevin Isnor, qui sont père et fils et qui sont les deux actionnaires et les deux employés d'une société appelée Isnor Construction. Les appels se rapportent aux années 1990, 1991 et 1992 dans les deux cas, et Ronald Isnor a en outre un appel pour l'année d'imposition 1993.

[2] Ce groupe d'appels est lié au fait que, pour l'entreprise qu'ils exploitaient par l'intermédiaire de leur société, Isnor Construction, MM. Isnor père et fils avaient retenu les services d'une comptable agréée qui leur avait été recommandée, afin qu'elle s'occupe de leur comptabilité, ainsi que de toutes autres questions financières comme l'établissement d'états nécessaires aux fins de la société, et qu'elle remplisse leurs déclarations d'impôt sur le revenu des particuliers.

[3] Il ressort très clairement de la preuve qui m'a été présentée que cette comptable agréée était malhonnête ou incompétente ou les deux. En fait, elle devait être malhonnête jusqu'à un certain point, car on m'a informé qu'elle a été poursuivie en justice, quand les activités qu'elle exerçait pour ces clients et certains autres ont été mises au jour, et qu'elle est actuellement incarcérée par suite de ses activités.

[4] Les deux appelants ont témoigné devant moi et ont dit bien franchement dans leurs dépositions que, durant les années considérées en l'espèce, ils se faisaient des chèques à eux-mêmes comme payes provenant de la société, qu'ils encaissaient les chèques à la banque, qu'ils remettaient les talons de ces chèques et les chèques oblitérés ainsi que tous les autres talons de chèque et chèques oblitérés à la comptable, pour qu'elle passe les écritures appropriées dans les livres, et qu'ils étaient à la disposition de cette dernière aux fins de l'établissement de leurs déclarations d'impôt sur le revenu des particuliers. Les sommes d'argent qu'ils m'ont dit qu'ils retiraient de la banque variaient, mais s'élevaient habituellement à 300 $ ou 400 $ par semaine et, de fait, les tableaux dont j'ai été saisi et qui figurent sous les cotes A-1 à A-8 inclusivement indiquent clairement qu'il s'agissait très fréquemment de 400 $; c'était parfois plus et parfois moins, mais très fréquemment 400 $.

[5] Malgré ces retraits d'argent importants et répétés, les appelants ont signé des déclarations de revenu établies par la comptable pour les années 1990, 1991 et 1992 qui indiquaient que leurs revenus avaient été nuls. Lorsque la malhonnêteté de leur comptable a été mise au jour, ils ont spontanément fourni au ministre du Revenu national de l'information qui a donné lieu aux nouvelles cotisations établies à leur égard pour les années considérées en l'espèce. Toutes ces nouvelles cotisations, sauf celle qui a été établie à l'égard de Ronald Isnor pour l'année d'imposition 1993, ont été établies après la période normale d'établissement d'une nouvelle cotisation. La première question à laquelle je dois répondre est donc de savoir si le ministre s'est acquitté de la charge qui lui incombait de prouver, en vertu du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu, que les appelants ont “ [...] fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire [...] en fournissant quelque renseignement ”, c'est-à-dire en l'occurrence en produisant les déclarations qu'ils ont produites.

[6] La preuve qui m'a été présentée à ce sujet tient principalement aux dépositions des deux appelants, qui indiquent, comme je l'ai dit, concernant les déclarations relatives aux années frappées de prescription, que les appelants retiraient des sommes d'argent importantes tout au long de l'année, soit en moyenne probablement 400 $ par semaine, occasionnellement plus et occasionnellement moins. Parfois, lorsqu'il n'y avait pas d'argent de disponible, il est possible qu'ils n'aient pu retirer quoi que ce soit, mais je suis convaincu sur la foi de la preuve que ces cas ont été relativement rares. La preuve indique que la comptable a rempli leurs déclarations de revenu et qu'ils les ont signées. D'après mon appréciation de leurs témoignages, ni l'un ni l'autre des appelants ne connaît grand chose en matière commerciale ou comptable ni, sûrement, en matière fiscale. Ils font de la construction, et je suis sûr qu'ils comprennent et font cela très bien, mais il n'y a aucun doute dans mon esprit qu'ils comptaient énormément sur leur comptable agréée pour s'occuper de tous les détails de leur entreprise. Néanmoins, je ne suis pas convaincu que, en produisant pour trois années successives les déclarations de revenu dans lesquelles ils disaient n'avoir eu aucun revenu, ils ne comprenaient pas qu'ils faisaient une présentation erronée de la situation.

[7] M. Ronald Isnor a témoigné qu'il avait interrogé la comptable agréée à ce sujet à un moment donné au cours de la période, qu'elle lui avait dit de ne pas s'inquiéter à cet égard et qu'elle lui avait dit qu'elle savait ce qu'elle faisait. Malgré le fait qu'ils comptaient sur elle, et notamment sur son avis quant aux déclarations d'impôt sur le revenu des particuliers, je conclus que les deux appelants comprenaient qu'ils signaient des formulaires disant qu'ils n'avaient eu aucun revenu pour chacune des trois années allant de 1990 à 1992, alors qu'ils retiraient les sommes d'argent importantes dont j'ai parlé. Ils devaient savoir que, jusqu'à un certain point, ils faisaient une présentation erronée de leurs revenus.

[8] Je note particulièrement les propos suivants tenus par le juge Bowman, titre qu'il portait alors, dans l'affaire Snowball c. La Reine, C.C.I., no 94-848(IT)G, 20 mars 1996 (97 DTC 512), au paragraphe 18 :

Quoi qu'il en soit, même si M. Cockburn a fait preuve de négligence, cela ne constitue pas une réponse en ce qui concerne une cotisation par ailleurs prescrite en application du sous-alinéa 152(4)a)(i). À vrai dire, la négligence d'un comptable peut constituer un moyen de défense lorsqu'une pénalité est imposée en application du paragraphe 163(2). Le sous-alinéa 152(4)a)(i) n'est pas une disposition pénale. Son but est tout à fait différent de celui du paragraphe 163(2). La négligence commise par la personne qui prépare une déclaration de revenu continue à avoir les mêmes conséquences aux termes du sous-alinéa 152(4)a)(i), qu'il s'agisse de la négligence du contribuable personnellement, ou de celle du comptable ou de toute autre personne qui a préparé la déclaration de revenu à titre de mandataire.

Le juge Bowman faisait en outre référence à l'affaire Nesbitt c. La Reine, C.F., 1re inst., no T-2319-90, 5 janvier 1996 (96 DTC 6045), dans laquelle le juge Heald a statué :

[...] Ce n'est pas une réponse pour un contribuable de rejeter la responsabilité d'un mauvais calcul ou d'une erreur sur le spécialiste qui a préparé sa déclaration de revenus. [...]

[9] Il se peut bien qu'il y ait des circonstances où l'on présente des faits d'une manière déformée en se fiant à l'avis d'un comptable ou d'un autre spécialiste, où il était raisonnable de s'y fier et où la négligence de ce conseiller professionnel n'a pas pour effet d'établir qu'il y a eu présentation erronée des faits aux fins du paragraphe 152(4). Je suis toutefois convaincu que tel n'est pas le cas en l'espèce, vu les retraits de sommes d'argent importantes et vu le fait que, pour toutes les années frappées de prescription, on n'a déclaré absolument rien comme revenu. Je conclus donc que le ministre était en droit d'établir les cotisations, malgré le temps écoulé.

[10] Je passe maintenant à la question de l'exactitude des cotisations. Au cours des témoignages, il est devenu bien clair que le répartiteur avait eu une tâche difficile simplement parce que la comptable avait tenu les livres pour les appelants d'une manière inappropriée. Il est en outre devenu évident que la cotisation initiale établie par ce répartiteur, qui ne travaille plus pour le ministre et qui n'a pas témoigné au procès, contenait plusieurs erreurs, c'est-à-dire certaines erreurs sur le plan de principes et certaines erreurs simplement imputables au fait que le répartiteur a indiqué d'une manière inexacte le montant d'un chèque dans les tableaux établis à l'appui des nouvelles cotisations ou qu'il ne s'est pas rendu compte à partir des chèques et talons de chèque disponibles que certains des montants inclus dans les revenus par ces nouvelles cotisations étaient en fait des frais de la société et n'étaient donc pas attribuables comme revenus à l'un ou l'autre des appelants.

[11] Un certain nombre de ces erreurs ont été corrigées à l'étape de l'opposition par l'agent des appels, Mme Husack, qui a bel et bien témoigné. Le témoignage de Mme Husack me convainc que cette dernière a fait tous les efforts pour traiter correctement des objections portées à son attention à cette époque. Elle a témoigné que certains éléments auxquels les appelants s'opposaient relativement aux nouvelles cotisations avaient été inclus dans les revenus en raison d'un accord conclu entre le répartiteur et le comptable — c'est-à-dire le remplaçant de la comptable dont j'ai déjà parlé et qui a été reconnue coupable de conduite criminelle — concernant ce qui pourrait être décrit comme des solutions pratiques à certains problèmes très difficiles résultant de la manière dont les livres et registres de la société et des deux appelants avaient été tenus.

[12] Cela dit, la preuve présentée par les appelants aujourd'hui établit que certains éléments ont à tort été inclus dans les nouvelles cotisations et n'ont pas fait l'objet d'ajustements de la part de Mme Husack, principalement parce qu'ils ne lui ont pas été signalés à l'étape de l'opposition. Dans un certain nombre de ces cas, il s'agit de frais de la société qui ne représentent ni des salaires ni des avantages accordés aux deux appelants en tant qu'actionnaires et qui devraient être supprimés de leurs revenus. Je vais d'abord traiter des appels de M. Ron Isnor à cet égard.

[13] Pour chacune des quatre années en cause concernant M. Ron Isnor, il y a des points qui doivent être rectifiés et, pour cette raison, les quatre appels de M. Ron Isnor sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu de ce qui suit.

[14] Premièrement, pour toutes les années en cause, dans la mesure où les montants inclus dans son revenu personnel représentent des paiements faits par l'entremise de la carte de crédit Visa délivrée au nom d'Isnor Construction, ces montants devraient être supprimés du revenu personnel de M. Ron Isnor. Son témoignage à cet égard, non contesté par la Couronne, indique que la carte Visa était utilisée seulement pour des frais de la société et non pour des frais personnels.

[15] Deuxièmement, un montant de 8 480 $ a été inclus dans son revenu pour l'année 1992 relativement à un prêt consenti par la société Crédit Ford. Ni l'avocate du ministre ni Mme Husack n'ont pu expliquer, de manière à me convaincre ou de quelque autre manière, pourquoi un tel montant avait été inclus dans le revenu. Ce montant devrait être supprimé du revenu de M. Ron Isnor pour 1992. De plus, les petits montants des chèques suivants devraient également être supprimés de son revenu : pour 1990, le chèque no 637, de 281 $; pour 1992, le chèque no 293, soit un paiement à Visa correspondant à ce que j'ai dit il y a un instant, ainsi que le chèque no 283, de 1 000 $, à l'ordre de la société Crédit Ford; pour 1993, le chèque no 394, de 112,35 $, soit, d'après le témoignage de M. Ron Isnor, un montant payé pour des fins de la société en matière de publicité ou de relations publiques.

[16] Je passe maintenant aux appels de M. Kevin Isnor. Pour 1990, il y a le chèque no 746, d'un montant de 463 $; je n'ai eu aucune explication quant à savoir à quoi correspond en fait cet élément. M. Kevin Isnor a témoigné qu'il n'avait pas reçu cette somme d'argent, car il aurait retiré de la banque une somme en chiffres ronds et non un tel montant. Il est impossible à ce stade d'examiner le chèque ou le talon de chèque et, dans des circonstances plus normales, on pourrait peut-être conclure que M. Kevin Isnor ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve à l'égard de cet élément. Toutefois, la preuve qui m'a été présentée indique que les appelants ont, au début de la vérification, remis au ministère du Revenu national une très grande quantité de registres qu'ils avaient obtenus de leurs comptables et que, au bout du compte, une quantité de registres bien inférieure leur a été rendue. Certains des tableaux relatifs aux revenus non déclarés qui ont été fournis comportent en annexe les chèques oblitérés et les talons de chèque à l'appui de ces tableaux; certains autres de ces tableaux ne comportent pas de telles annexes. Les deux appelants m'ont fait valoir qu'il leur est très difficile de réfuter ces cotisations sans avoir accès à ces talons de chèque et aux chèques oblitérés qu'ils disent avoir remis à Revenu Canada et qui, disent-ils, ne leur ont pas été rendus.

[17] La grande majorité des éléments composant les tableaux et pour lesquels aucun chèque ou talon de chèque n'est disponible en preuve sont en chiffres ronds, soit très fréquemment des montants de 400 $, souvent des montants de 500 $, souvent des montants de 300 $ et, parfois, des montants de 200 $ ou de 250 $. Je conclus des témoignages que j'ai entendus aujourd'hui que, en l'absence de quelque autre explication, il s'agit de retraits de sommes d'argent. Cependant, dans le cas du chèque no 746, d'un montant de 463 $, je suis convaincu qu'il ne s'agit pas d'un tel retrait. Je suis convaincu que l'incapacité de M. Isnor à expliquer de quoi il s'agit est plus susceptible d'être imputable au répartiteur ou à quelqu'un d'autre de Revenu Canada qu'à M. Isnor. Je crois qu'il aurait produit aujourd'hui ce chèque oblitéré s'il avait pu le faire. Je conclus donc que ce montant n'aurait pas dû être inclus dans son revenu pour 1990. En conséquence, son appel pour 1990 est admis, et la cotisation est renvoyée pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que le montant de 463 $ doit être supprimé de son revenu. Pour 1991, il ne semble y avoir aucun élément à l'égard duquel il formule une objection particulière, par opposition à l'objection générale que j'ai mentionnée il y a un instant, et l'appel pour cette année-là est donc rejeté.

[18] Pour ce qui est de l'année d'imposition 1992, la seule objection particulière soulevée par M. Kevin Isnor concerne un montant de 8 480 $, qui, tout comme le montant qui avait été inclus dans le revenu de M. Ronald Isnor et que j'ai mentionné il y a un instant, concerne le prêt consenti par la société Crédit Ford afin de permettre l'achat d'un véhicule pour la société. Tout comme dans le cas de M. Ronald Isnor, aucune raison possible d'inclure ce montant dans le revenu ne m'a été présentée par l'avocate ou le témoin de la Couronne; en conséquence, l'appel de M. Kevin Isnor pour l'année d'imposition 1992 est admis, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que le montant de 8 480 $ doit être supprimé de son revenu.

[19] M. Kevin Isnor a en outre témoigné que deux montants avaient à tort été imposés pour l'année 1993. Toutefois, son avis d'appel se limite bien clairement aux années 1990, 1991 et 1992; comme je ne suis saisi d'aucun appel pour 1993, je ne peux donc traiter de ces autres montants.

[20] En bref, donc, l'appel de Ronald Isnor est admis pour chacune des années 1990, 1991, 1992 et 1993, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon ce que j'ai décrit dans les présents motifs. En ce qui concerne M. Kevin Isnor, les appels pour 1990 et 1992 sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon ce que j'ai décrit. L'appel de M. Kevin Isnor pour l'année d'imposition 1991 est rejeté.

[21] En lisant la transcription des présents motifs du jugement, je me suis rendu compte que j'avais omis de traiter d'un point soulevé par M. Ron Isnor. Les locaux et la cour d'Isnor Construction étaient sur le même terrain que la résidence de Ron Isnor. Les taxes foncières et frais de services publics relatifs à ce terrain étaient apparemment facturés globalement, c'est-à-dire sans qu'il soit tenu compte de la double utilisation du terrain. Les factures étaient payées par chèques tirés sur le compte d'Isnor Construction. Dans les nouvelles cotisations, le ministre a inclus dans le revenu de cet appelant, comme avantage conféré à un actionnaire, une partie des taxes foncières et frais de services publics ainsi payés. On ne m'a fourni aucune explication quant à savoir comment le répartiteur avait procédé à cette ventilation. Cet appelant ne m'a pas présenté non plus d'éléments de preuve tendant à montrer qu'il y aurait eu une façon plus appropriée de ventiler ces paiements. Il est clair que l'appelant a tiré un avantage important de ces paiements et qu'il n'a pas démontré que cette ventilation était inexacte ou déraisonnable. Ce motif d'appel est donc rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de septembre 2000.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 21e jour de mars 2001.

Mario Lagacé, réviseur

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