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Date: 19990720

Dossiers: 96-51-IT-G; 96-53-IT-G; 96-54-IT-G; 96-56-IT-G; 96-334-IT-I

ENTRE :

DAVID MONIAS, LEONA ST. DENIS, BEVERLY ROBINSON, WALTER SPENCE, KAREN CHEVILLARD,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

Intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Les appelants, David Monias, Leona St. Denis, Beverly Robinson, Walter Spence et Karen Chevillard[1], étaient, au cours des années d'imposition pertinentes, des employés de l'agence Awasis du Nord du Manitoba. Ils ont chacun produit leurs déclarations de revenus en se fondant sur le fait que le salaire que leur avait versé l'agence Awasis était exonéré d'impôt en application de l'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) et de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Du consentement de toutes les parties, les appels ont été entendus sur preuve commune[2].

L'agence Awasis du Nord du Manitoba (agence Awasis)

[2] Me Kaye Dunlop (Me Dunlop) est actuellement directrice des affaires juridiques de l'agence Awasis. Elle a témoigné que, les réserves relevant de la compétence du gouvernement du Canada aux termes de l'article 91 de la Loi constitutionnelle, et la protection des enfants ainsi que les services qui s'y rapportent relevant des provinces aux termes de l'article 92 de la Loi constitutionnelle, on ne savait pas très bien qui assumait la responsabilité des services à l'enfant et à la famille dans les réserves. Pendant un certain nombre d'années, c'est un agent des Indiens du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (Affaires indiennes) qui a assumé cette responsabilité. Vers 1983, le Manitoba Keewatinowi Okemakanac (MKO), un organisme politique représentant les 25 réserves du nord, s'est adressé au gouvernement du Canada et à celui du Manitoba pour négocier une entente relative à la prestation de tels services. En conséquence, l'agence Awasis a été constituée en société sous le régime de la Loi sur les services à l'enfant et à la famille, ch. 80 (décret no 879), le 18 juillet 1984[3]. Elle ne peut offrir ses services qu'aux enfants et aux familles des bandes indiennes qui résident dans les réserves du nord de la province du Manitoba. Il a été décidé d'installer le siège social de l'agence Awasis dans la ville de Thompson parce que, de tous les grands centres, c'était celui qui, géographiquement, était situé le plus près de la majorité des réserves qui relevaient de la compétence de l'agence[4].

[3] Pendant toutes les périodes pertinentes, l'agence Awasis a obtenu son financement des Affaires indiennes conformément à une série d'ententes de financement global conclues avec Sa Majesté du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes. Me Dunlop a témoigné que, quoique les Affaires indiennes n'eussent pas constitué l'unique source de financement de l'agence Awasis, les autres sources de financement étaient rares; plus particulièrement, l'agence Awasis n'a jamais rien reçu du MKO.

[4] Aux termes des règlements administratifs de l'agence Awasis, les membres élisaient le conseil d'administration lors de l'assemblée générale, laquelle se tenait chaque année à des endroits différents. D'après Me Dunlop, parce qu'il fallait trouver des salles de réunion pouvant accueillir un grand nombre de personnes, l'assemblée se tenait traditionnellement à l'extérieur des réserves, soit à Winnipeg, à The Pas ou à Thompson. Les administrateurs se réunissaient dix fois l'an, en général à Winnipeg, bien qu'ils se soient à plusieurs occasions réunis à The Pas et à Thompson. D'après Me Dunlop, si les réunions avaient été tenues dans une réserve, il aurait fallu que les administrateurs des autres réserves prennent d'abord l'avion jusqu'à Winnipeg, prennent un autre avion le lendemain pour se rendre à Thompson et, le jour suivant, prennent l'avion ou le train ou encore utilisent une automobile pour se rendre dans la réserve où la réunion aurait lieu. Pour cette raison, et puisqu'il n'y avait en général aucun endroit dans les réserves où l'on pouvait tenir des réunions, celles-ci avaient lieu à Winnipeg ou à Thompson.

[5] Une entente subsidiaire conclue entre le Canada, le Manitoba et MKO requérait que l'agence Awasis soit organisée “ sur le plan local et régional ”. Par conséquent, l'agence Awasis a initialement été structurée au niveau régional, les niveaux régionaux étant Thompson, Winnipeg et The Pas. Donc, en règle générale, les superviseurs d'unité étaient responsables de plusieurs réserves et travaillaient à Winnipeg ou à Thompson. À quelques exceptions près, les services sociaux requis, c'est-à-dire les services de consultation, les foyers de groupe, les centres de traitement et autres services semblables, n'étaient accessibles qu'à l'extérieur des réserves. Une seule réserve avait un hôpital, celle de Norway House. En conséquence, les évaluations et les traitements et autres services semblables étaient en général offerts à l'extérieur des réserves. De plus, près de 90 p. 100 des services judiciaires étaient offerts à l'extérieur des réserves puisque la Cour provinciale du Manitoba ne se rendait que dans quatre réserves. Par conséquent, les instances judiciaires se déroulaient nécessairement à Thompson ou à Winnipeg. Parce que les inscriptions devaient avoir lieu quatre jours à l'avance, le personnel responsable se trouvait à Thompson et à Winnipeg. En outre, parce que l'agence Awasis n'était pas autorisée à appréhender des enfants à l'extérieur des réserves, ses représentants devaient entretenir des contacts avec les services provinciaux d'aide à la famille, prendre des dispositions relatives aux services juridiques et informer les avocats; toutes ces fonctions ne pouvaient être exécutées que par le personnel de l'agence à Thompson ou à Winnipeg.

[6] Si l'on se fie aux propos de Me Dunlop, bien que le centre administratif de l'agence Awasis assumant les fonctions de financement et d'élaboration de politiques fût situé à Thompson, les fonctions telles l'élaboration de nouveaux programmes et la production de matériel (vidéos, livres, etc.) étaient toutes nécessairement exécutées à l'extérieur des réserves. Elle a témoigné que, en raison de l'insuffisance des ressources, il aurait été impossible d'assumer dans les réserves les fonctions qui étaient exécutées à l'extérieur de celles-ci.

[7] L'agence Awasis a retenu les services de Mme Cheryl Freeman (Mme Freeman), comptable agréée, à titre d'administratrice des finances, en 1992. Elle travaillait à Thompson, où la majorité des registres financiers de l'agence Awasis et les dossiers des clients étaient conservés et archivés. Pendant toutes les périodes pertinentes, la liste de paie des employés de l'agence Awasis était préparée au bureau de Thompson et le salaire de chaque appelant était payé par chèque émis par ce bureau. Mme Freeman a signalé que, en 1990-1991, il y avait un total de 171 employés inscrits sur la liste de paie de l'agence Awasis (49 à Thompson, 7 à Winnipeg, 47 à The Pas et 22 à Island Lake, le reste des employés étant “ éparpillés dans les communautés ”). L'année suivante, le nombre total d'employés était passé à 256 (77 à Thompson, 7 à Winnipeg, 46 à Okemac Cree Nation, 60 au bureau de la réserve Garden Hill, le reste des employés étant “ éparpillés ”). Mme Freeman a témoigné que, depuis 1992, il y avait eu un mouvement constant d'employés “ vers le niveau local ”. À preuve, en avril 1997, les services à l'enfance de la réserve de Garden Hill ont été confiés à une agence distincte située dans la réserve et, à l'heure actuelle, 31 employés seulement travaillent au bureau de Thompson.

Les appelants

[8] Tous les appelants sont des Indiens au sens de l'article 2 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, dans sa version modifiée (la Loi sur les Indiens). Aucun d'eux ne résidait dans une réserve durant les périodes pertinentes, et deux d'entre eux, soit Mmes Chevillard et Robinson, n'avaient jamais résidé dans une réserve. Bien que la question soulevée dans les appels soit commune aux cinq appelants, les fonctions que chacun exerçait dans le cadre de son emploi étaient différentes et, surtout, elles étaient exécutées à des endroits différents.

[9] David Monias est membre de la bande de Cross Lake. Il a obtenu de l'université de Victoria une maîtrise ès arts en aide à l'enfance et à la jeunesse et en administration publique. En juin 1991, il a été engagé à titre de responsable de cas pour la communauté (réserve) des Premières nations de Shamattawa et avait la responsabilité d'évaluer les cas de protection de l'enfant soumis à l'agence Awasis. Au début, il se rendait par avion à Shamattawa le lundi soir et, en général, il y restait jusqu'au jeudi pour effectuer ses évaluations, rencontrer les comités locaux d'aide à l'enfance et traiter avec les autres ressources comme la GRC, les écoles et les postes infirmiers[5]. M. Monias devait être à Thompson les lundis et les vendredis car, ces jours-là, les affaires telles les demandes d'ordonnances relatives au statut des enfants — pupilles temporaires ou permanents — étaient traitées à la Cour provinciale. Cette fonction supposait de nombreuses formalités administratives, surtout pour la préparation des résumés à l'intention du tribunal, et tout le travail était effectué à Thompson. En 1992, M. Monias est devenu superviseur d'unité pour les communautés de God's Lake Narrows, de God's River et de Oxford House. Il avait son bureau à Thompson, et ses principales responsabilités consistaient à attribuer les cas et à les examiner, à coordonner le travail entre les différents responsables de cas et les travailleurs locaux dans la réserve, à fournir de la formation aux travailleurs locaux et à superviser les cas soumis aux tribunaux. Il estime que, pour s'acquitter de ces tâches, il devait passer approximativement 30 p. 100 de son temps dans les réserves. En mai 1993, il est devenu coordonnateur du centre des programmes de services d'aide à l'enfant et à la famille de l'agence Awasis, où il était principalement responsable de la recherche, de la formation et du développement. En cette qualité, il a pris part à l'élaboration de programmes et de procédures et a effectué des recherches sur des sujets touchant les peuples des Premières nations. Avec le temps, M. Monias a participé de plus en plus activement à la formulation de politiques, de sorte qu'il a passé beaucoup plus de temps au bureau de Winnipeg, traitant avec d'autres organismes gouvernementaux — fédéraux et provinciaux. Il a finalement travaillé au bureau de Winnipeg et il s'est installé dans cette ville. Il estime qu'il passe aujourd'hui approximativement 15 p. 100 de son temps dans les réserves. Pendant toutes les périodes pertinentes antérieures à son déménagement à Winnipeg, il résidait à Thompson, où il travaillait au bureau de l'agence Awasis, et il y avait ses comptes bancaires.

[10] En 1990, Walter Spence a été engagé par l'agence Awasis à titre d'agent des services régional pour les régions de Cross Lake, de Nelson House et de Ilford. Plus tard cette année-là, il a été nommé superviseur principal chargé de la prestation des services, de la gestion des programmes et de la supervision des superviseurs d'unité. À ce titre, il a fait partie de l'équipe de gestion responsable de l'élaboration des politiques et des procédures, de la dotation en personnel et du développement de l'agence. Bien qu'il travaillât à Thompson, il était souvent appelé à assister à des réunions de cadres à Winnipeg, The Pas et Garden Hill. Ces endroits étaient choisis, d'après M. Spence, pour limiter les frais de déplacement et d'hébergement. Il estime qu'il passait approximativement 10 p. 100 de son temps dans les réserves lorsqu'il était superviseur principal. En 1992, il a été nommé gérant des opérations du Keewatin Tribal Council (KTC), un poste au sein de l'agence Awasis; il était alors responsable des services à l'enfant et à la famille dans les 11 communautés qui formaient le KTC. Peu de temps après, il est devenu directeur des programmes pour l'agence Awasis, ce qui l'a amené à [TRADUCTION] “ formuler des politiques de concert avec des coordonnateurs de programmes, à participer à la planification de l'organisation et à élaborer des plans stratégiques ”. Il a témoigné que, même en ayant ces responsabilités additionnelles, il passait approximativement 5 p. 100 de son temps seulement dans les réserves. Pendant toutes les périodes en cause, il résidait à Thompson, travaillait au bureau de Thompson, et y menait ses affaires financières et bancaires.

[11] Beverly Robinson a au départ été engagée à titre de secrétaire administrative au bureau de Winnipeg de l'agence Awasis en 1988. En 1990, elle a été nommée “ responsable des ressources de Winnipeg pour les bandes indépendantes ” et a agi à titre d' [TRADUCTION] “ agente de liaison pour nos enfants et nos familles qui ont dû quitter leurs collectivités pour fréquenter un centre de ressources qui n'existait pas dans le nord ”. Mme Robinson exécutait toutes ces fonctions au bureau de Winnipeg de l'agence Awasis; elle n'a jamais été appelée à se rendre dans les réserves. En 1993, Mme Robinson est devenue assistante juridique de la directrice des affaires juridiques, Me Dunlop. À ce titre, elle a traité avec les services à l'enfant et à la famille de Winnipeg, elle a agi comme agente de liaison entre les avocats de l'agence Awasis et les avocats qui se trouvaient à Winnipeg et elle s'est présentée en cour lorsqu'il s'agissait de cas d'enfants placés à Winnipeg et dans les régions voisines. Mme Robinson a toujours vécu à Winnipeg.

[12] Mme Leona St. Denis a été engagée par l'agence Awasis en 1987 à titre de réceptionniste puis a successivement occupé les postes de commis-copiste, de commis aux déplacements et, plus récemment, de commis aux statistiques. Ses tâches, au cours des années pertinentes, consistaient à faire de la dactylographie pour tous les travailleurs régionaux et superviseurs d'unité, à préparer des bons de commande, à organiser les déplacements des pupilles et du personnel, à tenir des registres statistiques à jour sur tous les enfants confiés aux services à la famille et à tenir les systèmes de classement et les listes statistiques. Toutes ses tâches étaient exécutées au bureau de Thompson. En 1993, elle est devenue agent principal préposé aux statistiques; elle supervisait d'autres membres du personnel, donnait de la formation initiale aux commis à Norway House, Cross Lake, Nelson House et Garden Lake et y dirigeait des ateliers. Elle estime que, au cours de cette dernière période, elle a passé approximativement 75 p. 100 de son temps dans les réserves. Pendant toutes les périodes pertinentes, elle résidait à Thompson.

[13] Karen Chevillard est membre de la bande des Premières nations de Cross Lake. Du 1er juin 1991 au 30 juin 1992, Mme Chevillard était administratrice des finances de l'agence Awasis à Thompson. Au cours de sa période d'emploi, elle relevait du conseil d'administration de l'agence Awasis. Entre autres choses, elle dressait des rapports financiers intermédiaires qui étaient ensuite présentés aux administrateurs lors des réunions mensuelles du conseil et elle présentait au conseil les états financiers annuels. Ces réunions étaient presque toujours tenues à Winnipeg ou à Thompson. Aucune de ses responsabilités ne l'amenait à passer du temps dans les réserves. Pendant toutes les périodes pertinentes, elle résidait à Thompson.

Thèse des appelants

[14] Les appelants ne contestent pas que le siège social de l'agence Awasis était situé à Thompson et non dans une réserve, et que les réunions de son conseil d'administration étaient tenues en général à Winnipeg, quoique pour des raisons économiques. Il n'est pas contesté non plus que le directeur général de l'agence Awasis et d'autres dirigeants se trouvaient à Thompson, que la liste de paie était préparée au bureau de Thompson, que les chèques étaient tirés sur un compte ouvert à la succursale de la CIBC à Thompson et que les livres et les registres financiers de l'agence Awasis étaient tenus à ce bureau. En outre, les appelants concèdent que la plupart de leurs fonctions étaient exécutées au bureau auxiliaire de Thompson ou de Winnipeg et que, en fait, dans les cas de Mmes Chevillard et Robinson, toutes les fonctions étaient exécutées à l'extérieur des réserves. S'ils ne contestent pas que les éléments qui précèdent sont des facteurs de rattachement possibles, les appelants font valoir qu'ils ne sont guère pertinents étant donné le rôle que jouait l'agence Awasis dans les communautés indiennes et le contexte général dans lequel ils exerçaient leur emploi.

[15] Les appelants se fondent sur une série d'affaires, les premières étant Nowegijick c. La Reine, Mitchell et al. c. Bande indienne Peguis et al., Williams v. The Queen, McNab v. Canada (Minister of National Revenue) et Folster v. The Queen[6]. Leur avocat a cité en particulier les remarques suivantes du juge Linden dans l'arrêt Folster, aux pages 5322 et 5323 :

Ainsi, une analyse plus poussée révèle que les facteurs de rattachement utilisés par le juge de première instance ne convenaient pas dans les circonstances de l'espèce. Il faut donc élargir le champ de l'enquête afin de tenir compte d'autres facteurs de rattachement. À mon avis, étant donné le but poursuivi par le législateur en créant l'exemption d'impôt et le genre de bien meuble en cause, l'analyse doit porter sur la nature de l'emploi de l'appelante et les circonstances qui s'y rapportent. Le genre de bien meuble en cause, c'est-à-dire le revenu d'emploi, est tel qu'on ne peut juger de sa nature sans se référer aux circonstances dans lesquelles il a été gagné. De même que le situs des prestations d'assurance-chômage doit être déterminé par rapport à l'emploi ouvrant droit aux prestations, de même l'analyse de l'emplacement du revenu d'emploi est subordonnée à un examen de toutes les circonstances qui ont donné lieu à l'emploi. [...]

Les appelants soutiennent que la seule distinction entre eux et l'appelante dans l'affaire Folster est que celle-ci vivait dans la réserve bien qu'elle exerçât son emploi sous-jacent à l'extérieur de la réserve pour le bénéfice des Indiens qui vivaient dans la réserve.

[16] Les appelants font valoir que, bien qu'ils effectuent une partie importante de leur travail à l'extérieur des réserves, aucun d'eux n'a pénétré “ le marché ordinaire ”. Leur avocat a soutenu que ce n'est que dans les cas où un Indien a pénétré le marché ordinaire que le lieu de travail ou la résidence de l'employeur devient très pertinent. Cependant, dans les présents appels, ces deux facteurs de rattachement doivent être examinés en fonction des circonstances particulières, et inhabituelles, de cette affaire. Le fait que les principaux bureaux de l'agence Awasis se trouvaient à Thompson et à Winnipeg et que les appelants en l'espèce travaillaient dans ces bureaux la plupart du temps doit être examiné à la lumière du fait que, de l'avis des membres de la direction et des employés, il était en pratique impossible pour l'agence Awasis de remplir son mandat ailleurs qu'à ces endroits, où l'on avait accès à des ressources que ne pouvaient pas offrir les réserves. Par conséquent, il ne faut pas accorder trop de poids au lieu géographique exact de l'emploi et à la résidence de l'employeur.

[17] Les appelants soutiennent également que la conclusion du ministre, selon laquelle le siège social de l'agence Awasis n'était pas situé dans une réserve parce que la réserve n'était pas l'endroit où étaient véritablement centralisés la gestion et le contrôle de l'entreprise, est viciée. Plus particulièrement, elle ne tient pas compte du fait que le véritable contrôle de l'agence Awasis était exercé par les membres de la bande, qui élisaient des chefs qui, eux, nommaient les membres du conseil. C'est cet élément, et non l'endroit où les administrateurs se réunissaient, qui doit être considéré comme le facteur de rattachement pertinent dans les présents appels.

Thèse de l'intimée

[18] L'avocate de l'intimée a fait valoir que, dans ces appels, aucun des facteurs de rattachement possibles qui relient les biens en cause à une réserve n'appuie la thèse des appelants selon laquelle leurs salaires respectifs étaient des biens détenus par un Indien en tant qu'Indien dans une réserve. L'employeur avait sa résidence à Thompson, les appelants résidaient soit à Thompson, soit à Winnipeg; c'est là que le plus gros de leurs tâches étaient accomplies, et le salaire de chacun était payé par le siège social de l'agence Awasis à Thompson.

[19] L'intimée soutient également que l'employeur, l'agence Awasis, ne résidait pas dans une réserve. Son siège social se trouvait à Thompson et les assemblées des administrateurs étaient toutes, sans exception, tenues à l'extérieur des réserves, soit à Thompson ou à Winnipeg. L'affaire DeBeers Consolidated Mines Limited v. Hoe[7] a été mentionnée au soutien de la proposition selon laquelle, pour déterminer le situs d'une société, il faut tenir compte de toutes les circonstances afin de déterminer l'endroit où le contrôle et la gestion sont véritablement centralisés. Dans la présente affaire, l'avocate a-t-elle soutenu, la preuve a clairement établi que l'âme dirigeante de l'agence Awasis se trouvait à l'extérieur des réserves et que le contrôle administratif était exercé hors des réserves. C'est à Winnipeg ou à Thompson que les registres financiers étaient remis au conseil d'administration pour information et approbation, et c'est là que les propositions et les directives d'orientation étaient analysées puis acceptées ou rejetées.

[20] L'intimée soutient également que les décisions rendues dans les affaires Folster et Williams n'appuient pas la thèse des appelants selon laquelle aucune importance particulière ne doit être accordée à la résidence de l'employeur et à l'endroit où les employés exercent leurs fonctions. Plus particulièrement, l'avocate a fait valoir qu'il fallait distinguer la présente affaire de l'affaire Folster puisque, dans cette dernière affaire, l'appelante résidait dans la réserve alors qu'elle assumait ses fonctions dans un établissement qui servait essentiellement à la collectivité de la réserve située de l'autre côté de la frontière de la réserve.

[21] Avant de passer à l'analyse de la preuve et du droit applicable, il y a lieu de mentionner la politique administrative que Revenu Canada a adoptée par suite des décisions rendues dans les affaires Williams et Folster et la façon dont le ministre l'a appliquée aux appels qui nous intéressent. En 1993, à la suite d'un examen approfondi de ces décisions, et après avoir reçu de nombreux commentaires de la collectivité indienne, Revenu Canada a élaboré de nouvelles directives sur les différentes situations d'emploi qui pouvaient rendre l'employé admissible à l'exemption d'impôt prévue par la Loi sur les Indiens. En peu de mots, ces directives étaient les suivantes :

[TRADUCTION]

a) lorsque les fonctions sont exécutées dans une réserve;

lorsque les fonctions sont exécutées principalement dans une réserve et que soit l'Indien vit dans une réserve, soit l'employeur y réside;

lorsque les fonctions sont exécutées à l'extérieur des réserves, mais que l'Indien vit dans une réserve et que l'employeur réside dans une réserve;

d) lorsque l'Indien est un employé d'une bande, d'un conseil tribal ou d'une organisation décrite précédemment.

En ce qui concerne la dernière directive, Revenu Canada a fait remarquer ceci :

[TRADUCTION]

[...] dans le cas d'activités non commerciales d'une bande ou d'un conseil tribal représentant des Indiens dans une réserve ou une organisation contrôlée par au moins une de ces entités et vouée au développement social, politique, économique ou culturel des Indiens qui résident dans une réserve, il est raisonnable de conclure que le lien avec une réserve est suffisant pour justifier une exemption. Ce serait le cas même si les Indiens étaient employés à l'extérieur d'une réserve par l'entité.

(Les caractères gras sont de moi.)

Relativement à chacun des exemples qui précèdent, Revenu Canada était d'avis que le lien avec une réserve serait suffisant pour déterminer que le revenu se situe sur cette réserve et accorder l'exemption d'impôt[8].

[22] Le 7 mars 1994, le sous-ministre adjoint, Direction des Affaires législatives et intergouvernementales (Revenu Canada), a écrit à l'agence Awasis pour confirmer que le revenu d'emploi de ses employés n'était pas exempt de l'impôt sur le revenu pour le motif suivant :

[TRADUCTION]

Comme vous le savez, aux termes de la directive provisoire no 4, une organisation doit satisfaire à différents critères pour que ses employés bénéficient d'une exemption d'impôt. Le bureau de district d'impôt de Winnipeg a effectué une vérification et conclu que le siège social de l'agence Awasis n'est pas situé dans une réserve et que, par conséquent, l'agence ne satisfait pas à l'heure actuelle au critère de résidence. Le ministère considère qu'un employeur réside dans une réserve si la réserve est l'endroit où le contrôle et la gestion de l'entreprise sont véritablement centralisés. [...][9]

C'est sur ce fondement que le ministre a rejeté les demandes des appelants.

Conclusion

[23] Ainsi qu'il a été fréquemment déclaré, l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens n'exempte pas tous les Indiens de l'impôt sur le revenu. Dans les présents appels, il est admis que le revenu de chaque appelant est un bien meuble assujetti à l'impôt et que, dans chaque cas, l'appelant était un Indien au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens. La seule question en litige est celle de savoir si chaque appelant a droit à l'exemption d'impôt sur le revenu demandée relativement à son revenu d'emploi en tant que “ bien meuble [...] situé sur une réserve ” au sens de l'alinéa 87(1)b).

[24] Dans l'arrêt Williams v. La Reine[10], le juge Gonthier a proposé l'analyse suivante pour déterminer l'endroit où le revenu est situé :

Selon l'appelant, un tribunal se doit, dans chaque cas, de soupeser tous les “ facteurs de rattachement ” pertinents pour décider quel est le situs de la réception d'un revenu. Cette méthode aurait l'avantage d'être souple, mais elle devrait être utilisée avec soin afin d'éviter plusieurs possibilités d'embûche. Dans l'interprétation des exemptions fiscales, il est souhaitable de concevoir des critères dont l'application est prévisible de sorte que les contribuables concernés puissent planifier leurs affaires en conséquence. Cela est également important puisque les mêmes critères régissent l'exemption de saisie.

De plus, il serait dangereux de soupeser les facteurs de rattachement de manière abstraite, indépendamment de l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens. Un facteur de rattachement n'est pertinent que dans la mesure où il identifie l'emplacement du bien en question aux fins de la Loi sur les Indiens. Dans des catégories particulières de cas, un facteur de rattachement peut donc avoir beaucoup plus de poids qu'un autre. On pourrait facilement perdre cette réalité de vue en soupesant les facteurs de rattachement cas par cas.

Cependant, un critère trop rigide qui accorderait une force déterminante à un ou deux facteurs comporte ses propres possibilités d'embûche. Un tel critère donnerait ouverture à des manipulations et à des abus et, en étant axé sur trop peu de facteurs, il pourrait ne pas donner effet aux objectifs de l'exemption contenue dans la Loi sur les Indiens aussi facilement qu'un critère qui est axé indifféremment sur un trop grand nombre de facteurs.

La méthode qui tient le mieux compte de ces préoccupations est celle qui analyse la situation sous le rapport des catégories de biens et des types d'imposition. Par exemple, la pertinence des facteurs de rattachement peut varier selon qu'il s'agit de prestations d'assurance-chômage, de revenu d'emploi ou de prestations de pension. Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses : (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

Cette méthode conserve la souplesse de la méthode cas par cas, mais à l'intérieur d'un cadre qui identifie correctement le poids à accorder à divers facteurs de rattachement. Il est évident que ce poids ne peut être déterminé avec précision. Cette méthode a cependant l'avantage de préserver la capacité de traiter de façon appropriée les cas qui, à l'avenir, présenteront des considérations jusque-là non évidentes.

[25] Dans les présents appels, les facteurs de rattachement pertinents qui doivent être pris en considération sont la résidence de l'employeur, le lien entre l'agence Awasis et les réserves qu'elle sert, la manière dont l'emploi en cause profitait à la réserve, et la nature et les circonstances entourant l'emploi de chaque appelant.

[26] L'importance accordée par l'intimée au critère de la résidence de l'employeur dans les circonstances particulières de ces appels n'est pas fondée. J'accepte que, pour des raisons financières et pratiques valables, les réunions du conseil de l'agence Awasis étaient tenues à Winnipeg et non dans des réserves. D'après la preuve, les membres du conseil résidaient dans diverses réserves, dont un bon nombre sont situées dans des endroits éloignés. Aucune des réserves ne possédait les installations nécessaires pour recevoir les membres du conseil et les autres personnes tenues d'assister aux réunions. Il était raisonnable de tenir les réunions à Winnipeg, qui est un lieu central auquel tous les chefs avaient assez facilement accès par opposition aux autres endroits qui auraient nécessité des déplacements complexes, longs et coûteux. En outre, en soulevant la question, l'intimée ne tient pas compte de la composition du conseil, dont tous les membres élus étaient les chefs des bandes concernées, lesquels, dans chaque cas, avaient leurs résidences dans une réserve et étaient élus par les membres de cette collectivité, auxquels ils devaient rendre des comptes.

[27] De plus, les témoignages, en particulier celui de Me Dunlop et de MM. Monias et Spence, ont établi qu'il aurait été tout aussi irréaliste d'établir le siège social de l'agence Awasis dans l'une des réserves. Outre le fait qu'elles étaient éloignées, aucune des réserves ne possédait les installations nécessaires pour accueillir le personnel administratif.

[28] Dans l'arrêt Williams, précité, la Cour suprême a refusé d'adopter les principes de résidence en droit international privé dans le contexte de l'article 87 car, ainsi que le juge Gonthier l'a fait remarquer à la page 6325 :

En répondant à cette question, il est évident qu'il serait complètement contraire à l'économie et aux objets de la Loi sur les Indiens et de la Loi de l'impôt sur le revenu d'adopter simplement les principes généraux du droit international privé dans le présent contexte. En effet, les objets du droit international privé ont peu sinon rien en commun avec ceux qui sous-tendent la Loi sur les Indiens. On ne voit pas en quoi le lieu d'exécution normal d'une dette est pertinent pour décider si l'imposition de la réception du paiement de la dette représenterait une atteinte aux droits détenus par un Indien à titre d'Indien sur une réserve. Le critère du situs en vertu de la Loi sur les Indiens doit être interprété conformément aux objets de cette loi et non à ceux du droit international privé. En conséquence, il faut réexaminer attentivement, en fonction des objets de la Loi sur les Indiens, si l'on doit retenir la résidence du débiteur comme facteur exclusif pour déterminer le situs de prestations comme celles qui ont été versées en l'espèce. Il se peut que la résidence du débiteur demeure un facteur important, voire même le seul. Toutefois, on ne peut arriver directement à cette conclusion à partir d'une analyse de la façon dont le droit international privé tranche cette question.

Le raisonnement qui précède indique clairement que le recours aux principes du droit commercial dans le contexte de la résidence est tout aussi peu approprié dans les appels qui nous occupent. Dans ces circonstances, accorder beaucoup de poids au situs de l'employeur à titre de facteur de rattachement ne permettrait guère d'atteindre l'objet législatif qui sous-tend l'exemption d'impôt prévue à l'article 87.

[29] Je me pencherai maintenant sur le lien qui existe entre l'agence Awasis et les réserves qu'elle sert ainsi que sur la façon dont les emplois en cause ont profité aux réserves. Dans l'arrêt Folster, le juge Linden a aussi fait remarquer ceci à la page 5323 :

[...] À mon sens, quand le bien meuble en cause est un revenu d'emploi, il est logique de tenir compte du but principal et des fonctions de l'emploi sous-jacent dans le but précis de déterminer si l'emploi était exercé au profit des Indiens sur des réserves.

Dans les présents appels, ce facteur de rattachement revêt une grande importance.

[30] Avant la conclusion de l'entente tripartite et la constitution en société de l'agence Awasis, les services de protection de l'enfant et d'aide à la famille étaient fournis à Thompson par la province du Manitoba, par l'intermédiaire du ministère des Services à l'enfant et à la famille. Ce bureau offrait à l'occasion, dans des réserves, les services suivants, selon la description fournie par Me Dunlop :

[TRADUCTION]

Lorsque les travailleurs craignaient pour la vie d'un enfant, ils se précipitaient dans la réserve et en retiraient l'enfant. Mais il n'y avait pas de bureau comme tel dans la réserve. Les travailleurs n'effectuaient aucun travail de service social comme tel dans la réserve. Ils n'y travaillaient pas avec les familles. Ils ne faisaient que retirer les enfants de la réserve.

C'est l'incapacité constante d'assurer le bien-être des enfants indiens dans le Nord du Manitoba qui a entraîné la création de l'agence Awasis, dont les objets sont les suivants :

[TRADUCTION]

Créer une société sans capital-actions dont les objets sont, de façon générale, de nature philanthropique, charitable, éducative et sociale et, en particulier, fournir les services d'une agence d'aide à l'enfant et s'acquitter des fonctions suivantes :

agir à titre d'agence d'aide à l'enfant indien au sens de la Loi sur les services à l'enfant et à la famille du Manitoba et accepter les fonctions et exercer les pouvoirs qui y sont prévus et toute autre fonction indiquée par les bandes indiennes servies par la société et communiquée par le conseil d'administration;

soutenir et unifier les familles indiennes en général et les familles indiennes qui font partie de bandes indiennes ou qui ont des liens avec les bandes indiennes (les “ bandes ”), dont les chefs sont membres de la société, ces bandes étant des bandes qui sont servies par la société à titre d'agence d'aide à l'enfant [...];

s'efforcer d'effectuer le placement de tout enfant autochtone confié à la société au sein de sa propre collectivité ou dans des familles autochtones de la province du Manitoba;

aider à réintégrer sa famille ou sa bande tout enfant autochtone auparavant confié à une agence d'aide à l'enfant ou à une famille à l'extérieur de la province du Manitoba par toute agence d'aide à l'enfant qui avait auparavant ou qui a actuellement compétence sur les enfants autochtones;

prendre toute autre mesure jugée nécessaire pour atteindre soit les objectifs généraux soit l'un des objectifs particuliers énoncés ci-dessus.[11]

Depuis sa création, l'agence Awasis est financée par le programme national de financement des services d'aide à l'enfance indienne des Affaires indiennes. Les fonds en question doivent être utilisés conformément au pouvoir de l'agence, prévu par la Loi sur les services à l'enfant et à la famille du Manitoba, de fournir des services à l'enfance et à la famille aux Indiens inscrits qui résident dans une réserve. L'examen des modalités du programme annexées à chaque Entente de financement global annuelle permet d'obtenir des précisions sur les services à l'enfant et à la famille que l'agence Awasis doit fournir[12]. La plupart de ces services sont fournis aux membres de chaque bande dans leurs réserves, bien que, compte tenu de la nature des services requis, plusieurs volets, comme le placement d'enfants dans des foyers d'accueil, des foyers de groupe, des institutions ou des foyers d'adoption, nécessitent encore l'approbation des tribunaux provinciaux, laquelle, comme nous l'avons déjà mentionné, ne peut être obtenue qu'à l'extérieur des réserves.

[31] C'est dans ce contexte que la nature de l'emploi de chaque appelant doit être examinée. Dans l'affaire The Queen v. Poker et al[13], le juge Cullen a fait remarquer ceci à la page 6666 :

[...] Faire fi des circonstances relatives à l'emploi ne serait pas conforme à l'objet de l'exemption d'impôt prévue par la Loi sur les Indiens, tel qu'il a été formulé dans les arrêts Mitchell et Williams, précités. La prédominance d'un facteur de rattachement unique, qu'il s'agisse de la résidence du débiteur ou de l'endroit où les fonctions sont exercées, ne règle pas la question de l'atteinte aux droits d'un Indien à titre d'Indien sur la réserve. [...] La méthode consistant à tenir compte uniquement de l'endroit où les fonctions sont exercées, sans égard aux circonstances relatives à l'emploi ou à la résidence de l'employeur, serait également trop restrictive.

Le travail respectif de chaque appelant était exécuté suivant les directives d'un employeur dont l'unique objet et, de fait, la seule responsabilité, était de servir les Indiens dans leurs réserves. Que certaines de ces fonctions ne puissent être exécutées qu'à l'extérieur des réserves, et cela inclut les fonctions administratives nécessaires et celles qui consistent à appréhender les enfants fugueurs et à leur fournir de l'aide, ne change rien à ce fait. Je suis convaincu qu'aucun appelant ne négociait un bien “ sur le marché ordinaire ”, même si le gros de leur travail était effectué à l'extérieur des réserves. Chacun des appelants travaillait pour le mieux-être des collectivités autochtones, à mon avis dans une plus large mesure encore que dans l'affaire Folster. Leurs clients, si on peut les appeler ainsi, reçoivent les services principalement dans les réserves, et les services fournis sont expressément destinés à améliorer la vie dans la réserve et ne sont d'aucune manière des services accessoires fournis aux résidents des réserves.

[32] Dans ces appels, dans chaque cas l'emploi de l'appelant était étroitement lié aux différentes collectivités indiennes qui, toutes, étaient situées dans des réserves. Pour paraphraser les propos du juge Linden dans l'arrêt Folster, attribuer une importance considérable au fait que les employés étaient physiquement situés à l'extérieur de la réserve masque la nature véritable du revenu d'emploi en l'espèce. Si l'on prend en considération l'objet de l'agence Awasis, la nature du travail accompli et les personnes qui en profitent, je suis convaincu que le situs des salaires des employés en question doit être la réserve. Je crois que cette méthode est conforme à l'objectif législatif qui sous-tend l'exemption d'impôt prévue à l'article 87.

[33] Si je tire cette conclusion, je dois admettre que je me pose certaines questions au sujet de deux des appelants, Mmes Chevillard et Robinson. On pourrait facilement soutenir que l'Indien qui quitte la réserve pour aider la population de celle-ci en travaillant à titre de responsable de cas pour l'agence Awasis ne peut être considéré comme faisant partie du “ marché ordinaire ”, alors que l'Indien qui vit en ville, comme Mme Chevillard, et qui accepte simplement un emploi pour l'agence Awasis, fait partie du “ marché ordinaire ”. Refuser la déduction au premier minerait son droit à titre d'Indien dans une réserve, alors que l'accorder au deuxième pourrait, comme l'a fait remarquer le juge Archambault dans l'affaire Desnomie v. The Queen[14], “ lui accorder un privilège dont ses concitoyens de Winnipeg ne bénéficient pas pendant qu'ils travaillent dans cette ville ”. Cependant, j'en suis finalement venu à la conclusion que, après que les appelants eurent commencé à travailler pour l'agence Awasis, leurs situations sont devenues identiques, et qu'il serait discriminatoire de rejeter l'un des appels uniquement sur le fondement de cette distinction.

[34] Les appels sont admis, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de juillet 1999.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               L'appel de Karen Chevillard a initialement été déposé sous le régime des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure informelle). Sur demande du procureur général du Canada présentée en vertu de l'article 18.11 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, la Cour a ordonné que les articles 17.1 à 17.8 s'appliquent à l'appel de Mme Chevillard.

[2]               Les années d'imposition en cause pour chacun des appelants sont les suivantes :

                                David Monias :                      1992 et 1993                                                                            Leona St. Denis :                   1990, 1991, 1992 et 1993                                        Beverly Robinson :                              1992 et 1993                                                                                            Walter Spence :                     1990, 1991, 1992 et 1993                                                        Karen Chevillard :                                 1992

[3]               L'agence Awasis a été enregistrée sous le régime de la Loi sur les corporations du Manitoba le 4 juillet 1989. Son siège social était situé au 3, chemin Station, Thompson (Manitoba).

[4]               Jusqu'au mois de décembre 1993, l'agence Awasis fournissait de tels services à 25 bandes; par la suite, le nombre de bandes a été ramené à 18.

[5]               À l'époque, l'agence Awasis avait un travailleur local qui résidait à Shamattawa et qui agissait comme agent de liaison entre le bureau de Thompson et la collectivité.

[6]               [1983] 1 R.C.S. 29; [1990] 2 R.C.S. 85; 92 DTC 6320 (C.S.C.); [1992] 2 C.T.C. 2547; 97 DTC 5315 (C.A.F.).

[7]               [1906] A.C. 455 (C.L.).

[8]               Pièce A-4, onglet 23.

[9]               Pièce A-4, onglet 24.

[10]             Précité, aux pages 6325 et 6326.

[11]             Pièce A-4, onglet 9 — Règlement administratif no 1 de l'agence Awasis.

[12]             Pièce A-4, onglets 16 à 20. L'agence Awasis doit faire en sorte que son personnel s'acquitte des fonctions suivantes :

                                [TRADUCTION]

a)                    fournir des services de consultation et d'aiguillage aux familles résidant dans une réserve qui en font la demande ou qui sont disposées à accepter ces services;

b)                    identifier les enfants qui ont besoin de protection au sens de la Loi sur les services à l'enfant et à la famille du Manitoba, et protéger ces enfants;

c)                    offrir des services de consultation et d'aiguillage aux mères ou futures mères d'enfants conçus en dehors des liens du mariage et à leurs enfants;

d)                    trouver, examiner et approuver, le cas échéant, des foyers d'accueil éventuels dans des réserves et recevoir des demandes à cet égard;

e)                    placer au besoin des enfants dans des foyers d'accueil, des foyers de groupe ou des établissements approuvés;

f)                     trouver, examiner et approuver, le cas échéant, des foyers d'adoption dans des réserves et recevoir des demandes à cet égard;

g)                    placer des enfants dans des foyers d'adoption approuvés;

h)                    superviser, évaluer, recommander des adoptions et en demander l'approbation conformément à la Loi sur les services à l'enfant et à la famille du Manitoba;

i)                      placer au besoin des aides familiales dans les maisons de membres d'une bande conformément à la Loi sur les services à l'enfant et à la famille du Manitoba;

j)                     mettre en oeuvre au besoin des programmes de soins spéciaux qui ont été examinés et recommandés par le directeur provincial des services à l'enfant et à la famille.

[13]             94 DTC 6658 (C.F. 1re inst.). (Cette remarque a été mentionnée et approuvée par le juge Linden dans l'arrêt Folster v. The Queen, précité.)

[14]             98 DTC 1744.

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