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Date: 19980306

Dossiers: 96-2519-UI; 96-2520-UI

ENTRE :

JANNINE PURI,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

RAE ANNE HESKETH,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] Les appelantes et l’avocat de l’intimé ont accepté que les appels soient entendus sur preuve commune et que la présente décision s’applique à l'appel 97-19(CPP) de Jannine Puri et à l'appel 96-133(CPP) de Rae Anne Hesketh.

[2] Par avis daté du 15 novembre 1995, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi à l'égard du Campbell River Skating Club (le “ Club ”) une évaluation des cotisations d’assurance chômage et des intérêts payables, conformément à la Loi sur l’assurance-chômage (la “ Loi ”), relativement aux services rendus au Club en 1994 et 1995 par l’appelante Jannine Puri à l'égard de la rémunération de qui le Club avait omis de faire au Receveur général du Canada les remises exigées. Le ministre a établi une évaluation à l'égard du Club pour n’avoir pas fait des remises relatives aux services rendus par l’appelante Rae Anne Hesketh au cours de l’année 1995. Le ministre a également établi une évaluation à l'égard du Club, conformément au Régime de pensions du Canada, relativement aux cotisations au Régime que le Club devait verser au titre des services fournis par l’appelante Jannine Puri au cours des années 1994 et 1995, et au titre des services fournis par l’appelante Rae Anne Hesketh en 1995. Les appelantes et le Club se sont opposés aux évaluations, mais le ministre a pris une décision en date du 18 septembre 1996 confirmant les évaluations. Le Club avait déposé un avis d’intervention ayant trait à chacun des appels interjetés par les appelantes en vertu de la Loi sur l’assurance-chômage et du Régime de pensions du Canada, mais a retiré chaque avis avant l’audience.

[3] Rae Anne Hesketh a témoigné qu’elle résidait à Campbell River en Colombie-Britannique et était entraîneuse en patinage artistique. Le Campbell River Skating Club est une société à but non lucratif constituée en vertu de la Society Act, R.S.B.C. 1979, ch. 390, dont la direction est assumée par des bénévoles. En 1987, elle a commencé à fournir des services au Club lorsqu’elle a accepté d’enseigner le patinage dans le cadre de cours conçus pour des élèves de différents niveaux, ce pour quoi elle devait recevoir 40 $ l’heure. Elle a précisé qu’elle avait signé chaque année un contrat relatif à la fourniture de ses services, celui signé avec le Club pour la saison 1994, qui a été déposé sous la cote A-1, étant typique. Le contrat pour la saison 1995 - à 45 $ l’heure - a été déposé sous la cote A-2. Elle a précisé que le Club faisait payer des droits aux élèves afin de leur permettre de participer à un programme de patinage, tel que Learn-to-Skate, Power Skating, Canfigure Skate et d’autres cours à différents niveaux. Les cours avaient lieu à l’aréna municipal, la tenue des cours étant cependant conditionnée par l'obtention de suffisamment d’inscriptions pour un programme donné. La saison de patinage débutait en septembre et se terminait en mars, selon les possibilités d'accès à la glace. L’appelante travaillait quatre jours par semaine et, au cours de 1995, elle a donné des leçons une ou deux heures par jour. Elle présentait sa facture au Club tous les mois et recevait un chèque en fonction du nombre d’heures facturées au taux de 40 $ ou de 45 $ l’heure, selon ce que stipulait le contrat en vigueur. Les personnes qui désiraient des cours privés louaient du temps de glace au Club au tarif de 52 $ l’heure et payaient directement. Les élèves qui suivaient des cours privés payaient l’appelante pour le temps quelle consacrait à l’entraînement et le Club n'intervenait que pour l’attribution d'une période durant laquelle il était possible d’utiliser la glace et pour recueillir l’argent de l'élève qui louait la glace. Quant à l’exécution du programme particulier faisant l'objet de son contrat avec le Club, en 1995 elle a facturé en moyenne 20 heures par mois - au taux de 45 $ l’heure - pour un total de 900 $. Les modalités de prestation de services au Club n’avaient pas été modifiées depuis 1987 : des contrats annuels étaient passés en vertu desquels l’appelante n’était pas une employée, mais fournissait à titre d'entrepreneuse indépendante ses compétences spéciales d'entraîneuse dans les domaines du patinage artistique et du patinage de vitesse. Les différents programmes offerts au public sont décrits à l’annexe “ A ” de la pièce A-2. L’appelante a mentionné qu’elle avait un bureau à sa résidence, qu'à partir de ce bureau elle exploitait son entreprise de formation et d’entraînement en patinage artistique et qu'une bonne partie de son travail consistait dans l'enseignement qu'elle dispensait dans le cadre des divers programmes au Club. Elle et les autres entraîneurs, en consultation avec le coordinateur du Club, déterminaient les heures de chaque séance d’un programme donné. À ce moment-là, il n’existait qu’un aréna à Campbell River. L’appelante a dit qu’elle faisait partie de l’Association canadienne de patinage artistique (ACPA) et qu’elle était une entraîneuse agréée. Afin d’obtenir ce titre, elle avait dû suivre des cours - y compris des cours de secourisme - et subir un processus d'agrément, ce qui incluait la réussite à un examen. Elle payait elle-même sa cotisation à l’ACPA ainsi que les autres frais et dépenses liés à la participation à des ateliers. Elle fournissait aussi sa propre musique pour les cours qu'elle donnait. De plus, le Club ne la rétribuait pas pour le temps qu'elle consacrait au choix de la musique et au montage de celle-ci. Elle a également fourni un chronomètre qu’elle utilisait durant l'entraînement en patinage de vitesse, a acheté ses propres patins, s'est procuré l’équipement nécessaire pour son bureau à domicile et payait les fournitures nécessaires à la préparation des plans de cours. Selon l'estimation de l'appelante, environ un tiers de son revenu à titre d’entraîneuse de patinage artistique provenait du Club. Pour pouvoir participer à une compétition sanctionnée un patineur artistique doit appartenir à un club de patinage reconnu par l’ACPA. Quoique l’annexe “ B ” de son contrat de 1995, soit la pièce A-2, fasse mention d'un taux de 30 $ l’heure pour le temps consacré aux cours privés, cette somme n’était pas payée par le Club, qui ne participait pas non plus aux transactions entre l’appelante et les élèves qui suivaient des cours privés. L’appelante a précisé qu’elle consacrait quatre heures par semaine à préparer des leçons pour les divers programmes offerts par le Club et qu’elle n’était pas rémunérée pour ce temps. Depuis 1987, elle produisait sa déclaration de revenus à titre de travailleuse indépendante. À la suite de l’évaluation faite par le ministre, le Club a commencé à retenir sur sa rémunération pour l'enseignement des cotisations d'assurance-chômage, des cotisations au Régime de pensions du Canada et l’impôt sur le revenu, et l’appelante a dû, par conséquent, diminuer son tarif horaire de 8 $. L’appelante a déposé sous la cote A-3 un état de revenus pour 1996 qui indiquait qu'elle avait reçu 8 378 $ pour les cours qu'elle enseignait pour le Club, alors que son revenu total pour l’entraînement dépassait 25 000 $. L’appelante a mentionné que Jannine Puri - l’autre appelante en l'espèce - était aussi une entraîneuse en patinage artistique qui donnait des cours pour le Club et qu'elle a également fait l'objet de l’évaluation.

[4] Durant le contre-interrogatoire, l’appelante Hesketh a mentionné que le Club obtenait - par un processus d'attribution établi - une tranche de temps de glace de la ville de Campbell River au début de chaque saison. Bien que ce soit le Club qui détermine la nature des programmes à être offerts durant la saison, les entraîneurs sont membres du comité exécutif qui participe à ce processus. Dans le contrat de 1994, pièce A-1, le Club a accepté d'engager un entraîneur supplémentaire pour tous les cours de groupe ayant plus de 12 participants inscrits, mais cette clause ne faisait pas partie du contrat de 1995, pièce A-2. Lorsqu'il lui était impossible d’enseigner une leçon de groupe du Club, a dit Mme Hesketh, elle s’organisait pour trouver et payer un entraîneur remplaçant, conformément au paragraphe 4.02 de la pièce A-2. Selon le paragraphe 4.14 de ce contrat, elle devait fournir au Club un horaire hebdomadaire détaillé des leçons de groupe données, à moins que les parties n’en décident autrement, mais, a précisé l’appelante, le Club n’a jamais insisté pour qu'elle le fasse.

[5] Jannine Puri a déclaré dans son témoignage qu’elle demeurait à Campbell River en Colombie-Britannique et que, depuis 1991, elle était entraîneuse en patinage artistique. Elle avait débuté à titre d'entraîneuse pigiste. Elle n'obtenait alors “ aucun travail du Club ”; elle acceptait les élèves en cours privé que d’autres entraîneurs avaient en trop, et le Club n’intervenait aucunement. En 1994, elle a passé avec le Club un contrat qui, à l’exception du fait qu’il s’appliquait à elle, était identique à celui passé avec Rae Anne Hesketh (pièce A-1). En 1995, elle a conclu un nouveau contrat qui contenait les même conditions que celui signé par Rae Anne Hesketh (pièce A-2). Jannine Puri a déclaré qu’elle donnait des leçons particulières et qu’elle facturait ses heures aux élèves ou à leurs parents. Un élève qui désirait prendre des leçons particulières réservait le temps de glace par l’entremise du Club et payait les frais de location de 52 $ l’heure directement au Club. Jannine Puri a précisé qu’un tiers de son revenu global provenait de programmes d’enseignement offerts par le Club, et le reste, de ses leçons particulières. Elle a mentionné qu’elle avait toujours supposé qu’elle fournissait des services au Club à titre d’entrepreneuse indépendante. Elle a expliqué qu’elle avait fait une demande de prestations étant donné qu’elle avait accumulé un certain nombre de semaines assurables pendant qu’elle travaillait pour le ministère des Forêts de la Colombie-Britannique, et elle a dit avoir discuté, par rapport à sa demande, avec un fonctionnaire au bureau de l'assurance-chômage de ses relations de travail avec le Club, précisant qu'elle avait le statut d’entrepreneuse indépendante. Plus tard, elle s’est rendu compte que le Club avait fait l'objet d'une évaluation aux fins de laquelle elle-même et Rae Anne Hesketh avaient été considérées comme des employées. Jannine Puri s'est opposée à cette évaluation, mais sans résultat. Jannine Puri a expliqué que, pendant la saison de patinage, elle se levait à 5 h afin de pouvoir donner à 6 h un cours privé relativement auquel elle facturait un maximum de 1,5 heure. Ensuite, à 9 h, elle donnait un cours conformément à son contrat avec le Club et facturait 45 minutes au taux horaire de 45 $. Après la sortie des élèves des écoles publiques, elle enseignait un autre cours pour le Club ou peut-être un autre cours privé. Dans la soirée, elle donnait des cours privés. Seuls les cours de groupe étaient fournis directement au Club. Pour ce qui est des cours privés ou particuliers, c'étaient les élèves qui prenaient les dispositions pour les suivre et qui en assumaient les frais. Jannine Puri a précisé qu’elle considérait tous ses revenus comme découlant de sa profession d’entraîneuse et qu’elle ne distinguait pas la somme que lui payait le Club des autres sommes qu’elle faisait payer aux élèves qui suivaient des cours privés. En cas de panne de courant ou de toute autre situation qui entraînait l’annulation d’un cours de groupe du Club, elle n’était pas payée pour le temps perdu pas plus qu'elle ne l'était pour les retards ou les annulations provoqués par les besoins de maintenance ou par les problèmes liés à l’équipement. Il n’était pas possible de rattraper les séances perdues étant donné le manque de temps de glace qui, en général, avait déjà été assigné au début de la saison. Jannine Puri a précisé qu’afin d'enseigner les cours du Club, elle utilisait son propre magnétophone portatif et fournissait sa propre musique - dont elle faisait le montage -, ainsi qu’un chronomètre, un baladeur et ses propres patins. Elle avait également un bureau à son domicile et utilisait un ordinateur pour préparer ses horaires et pour la facturation. Quand elle ne pouvait donner un cours pour le Club, elle trouvait un remplaçant qu’elle payait elle-même. Elle a expliqué que le code de déontologie des entraîneurs de l’ACPA interdit la publicité ou la sollicitation auprès des élèves et c’est pourquoi il est extrêmement important, pour se constituer une clientèle, d’établir une relation de travail avec un club de patinage artistique reconnu, tel celui de Campbell River.

[6] Au cours du contre-interrogatoire, Jannine Puri a dit que le fonctionnement du Club était assuré uniquement par des bénévoles. Elle a mentionné qu’il ne lui était pas permis de faire participer des élèves suivant des cours privés à ses cours de groupe du Club. Quant au tarif horaire de 40 $ et de 45 $ payé par le Club, Jannine Puri a dit que ces sommes étaient considérées comme raisonnables et représentaient de fait le “ taux courant ” pour ce genre d'enseignement.

[7] Les deux appelantes ont fait valoir qu’elles devaient être rangées dans la catégorie des entrepreneurs indépendants comme c’était prévu quand chacune d’elles a passé de temps à autre un contrat avec le Campbell River Skating Club. À leur point de vue, elles étaient des entraîneuses de patinage professionnelles qui exploitaient leur propre entreprise, qui consistait notamment à enseigner certains programmes organisés et parrainés par le Club.

[8] L’avocat de l’intimé a prétendu que les appelantes fournissaient des services en vertu d’un contrat de louage de services et que, malgré le fait que la majeure partie de leurs revenus provenait de l'enseignement de cours privés, elles étaient des employées du Club lorsqu’elles donnaient les cours de groupe.

[9] Dans Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025, la Cour d’appel fédérale a approuvé que la preuve soit soumise aux critères suivants, en précisant toutefois que ceux-ci doivent être considérés comme un seul critère composé de quatre parties intégrantes qu'on doit appliquer en insistant sur l’ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations. Ces critères sont :

1. Le critère du contrôle

2. La propriété des instruments de travail

3. Les chances de bénéfice et les risques de perte

4. Le critère de l’intégration.

[10] Les appelantes étaient des entraîneuses qualifiées, accréditées par l’ACPA. Comme membres de l'ACPA, elles devaient se conformer à ses statuts, à ses règles et à ses règlements et se soumettre à son code de déontologie pour les entraîneurs. Les exigences à cet égard posées dans les contrats entre les appelantes et le Club étaient simplement superflus et n’avaient pas d’incidence sur le contrôle. Les appelantes étaient peu supervisées puisqu’elles étaient des entraîneuses qualifiées et pouvaient enseigner les cours composant les programmes offerts par le Club. Toutefois, le Club (au paragraphe 3.05 de la pièce A-2) se réservait le droit de déterminer, après avoir consulté les appelantes en leur qualité d’entraîneuses, le genre d’enseignement à fournir dans une séance donnée. Aux termes des contrats, les appelantes devaient assister aux réunions mensuelles du comité exécutif du Club et s’assurer que tous les élèves connaissaient les règles et les règlements du Club (voir paragraphes 4.08 et 4.09 de la pièce A-2) et s’y conformaient. À titre d’entraîneuses, elles devaient travailler en collaboration avec le responsable des cours ou avec d’autres entraîneurs afin de s’assurer que les règles et règlements étaient respectés et afin de maintenir la discipline pendant un cours, quand le Club l’exigeait (voir paragraphe 4.10 de la pièce A-2). Les appelantes devaient également maintenir des relations harmonieuses avec tous les membres du Club, les entraîneurs et les instructeurs. Fait encore plus révélateur, on leur assignait des classes ou des programmes que le Club mettait sur pied, dont le Club faisait la promotion, que le Club structurait, dont le Club organisait les horaires et que le Club finançait en percevant des droits d’inscription. Le Club établissait le taux horaire pour les leçons de groupe et, dans le contrat de 1995, établissait le tarif à 30 $ l’heure pour les leçons particulières (disposition étrange dont on n'a donné aucune explication). Les appelantes ne pouvaient inclure aucun de leurs élèves personnels dans une séance de groupe ayant lieu sous les auspices du Club. Le Club déterminait le nombre d’heures d'instruction ainsi que la durée d’un programme donné. On exigeait des appelantes qu'elles donnent elles-mêmes les leçons et, à l’exception de substitutions limitées dans certaines circonstances, elles ne pouvaient sous-traiter leurs services.

[11] L'un des outils nécessaires pour remplir les fonctions d'enseignement était du temps de glace à l’aréna, que le Club obtenait selon une méthode d'attribution établie par la ville de Campbell River. Les appelantes fournissaient leur propre musique, leurs propres patins et leur propre chronomètre, ainsi que les fournitures de bureau nécessaires à l’enseignement des cours de groupe du Club.

[12] Quant aux chances de bénéfice et aux risques de perte, les appelantes étaient payées selon un taux horaire pour enseigner des cours dans le cadre d’un programme particulier, et ce taux n’était pas fonction du nombre d’élèves inscrits. Il y avait risque de perte uniquement en ce sens que l'annulation d'une classe, que ce soit en raison d'une défaillance de l’équipement ou à cause de la non-disponibilité de la glace, faisait perdre à l'appelante concernée sa rétribution pour cette période de temps et la classe ne pouvait être reprise ultérieurement étant donné le manque de temps de glace.

[13] Quant au critère d’intégration, il est clair que le Club, une société sans but lucratif, avait été constituée pour des buts liés au sport du patinage. Les programmes qu’enseignaient les appelantes étaient organisés par le Club et, comme nous l'avons vu précédemment dans ces motifs dans le contexte des signes indicatifs de contrôle, ils pouvaient être offerts uniquement parce que le Club avait réservé le temps de glace nécessaire, avait organisé les divers programmes et les avait gérés de manière à obtenir suffisamment de participants à un programme donné. C’est seulement dans ces conditions que les appelantes pouvaient se voir assigner des tâches d’entraînement conformément aux détails énoncés à l’annexe “ A ” de la pièce A-2. Les deux appelantes ont précisé qu’il était essentiel à leur succès en tant qu'entraîneuses en patinage de pouvoir avoir accès à des élèves par l’entremise du Club. Étant donné les restrictions imposées par l’ACPA en matière de publicité ou de sollicitation, la participation à titre d’entraîneur dans le contexte de programmes parrainés par le Club était presque la seule manière de se constituer une clientèle. L'enseignement de cours particuliers n’ayant aucun rapport avec le Club ne se produisait qu'après que les appelantes eurent satisfait aux exigences de leur contrat avec le Club. Bien que chaque appelante exploitât une entreprise consistant à donner des leçons privées ou des conseils en matière d’entraînement pour aider les patineurs qui s’inscrivaient à une compétition ou qui participaient à une revue sur glace ou à un autre événement spécial, l’organisation et la gestion des programmes de patinage en groupe dans l’aréna relevaient totalement de la compétence du Club.

[14] Il n’existe aucun doute que le Club et les appelantes désiraient baser leur relation sur le fait que ces dernières étaient des entraîneuses qui fournissaient des services à titre d’entrepreneuses indépendantes. En fait, Rae Anne Hesketh et le Club avaient fonctionné de cette façon depuis 1987 jusqu’à l’évaluation de novembre 1995 et sa confirmation le 18 septembre 1996.

[15] Ce que les parties croient être la nature de leur relation ne changera pas les faits. Dans la cause The Minister of National Revenue v. Emily Standing, 147 N.R. 238, le juge Stone a précisé à la p. 239 :

Rien dans la jurisprudence ne permet d’avancer l’existence d’une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l’arrêt Wiebe Door.

[16] Dans le jugement Whistler Mountain Ski Club v. M.N.R., inédit, 95-1723(UI), le 2 août 1996, l’honorable juge Sobier de la Cour canadienne de l’impôt a entendu l’appel interjeté contre des évaluations à l’égard de l’appelante, une société qui avait embauché des personnes pour donner de l'entraînement en vue de compétitions de ski alpin. Ces entraîneurs étaient, aux termes du contrat écrit qu'ils signaient, des entrepreneurs indépendants. Le juge Sobier a tiré, notamment, les conclusions de fait suivantes :

- les entraîneurs n'étaient pas supervisés, avaient le droit d’occuper d’autres emplois et de travailler pour d'autres en dehors des heures où ils fournissaient des services d’entraîneur pour l’appelante;

- les entraîneurs fournissaient leurs propres équipement et accessoires;

- on leur assignait des groupes d’élèves qu’ils aidaient à améliorer leurs aptitudes pour ce qui est des compétitions de ski alpin;

- l’horaire des entraîneurs était étroitement lié au calendrier des compétitions de ski établi par une autorité indépendante avant l’ouverture de chaque saison de compétition;

- les entraîneurs touchaient un montant fixe sur une base journalière ou mensuelle et soumettaient une facture à l’appelante deux fois par mois pour le nombre de jours travaillés au cours des périodes visées, mais le taux n’était pas modifié en fonction du nombre de personnes dans le groupe;

- les entraîneurs ne pouvaient pas sous-traiter leurs obligations, mais pouvaient prendre d’autres arrangements avec la permission de l’appelante;

- les entraîneurs pouvaient suivre des cours pour se perfectionner ou pour améliorer leurs compétences, généralement à leurs propres frais.

[17] Après avoir fait référence à la décision Wiebe Door, précitée, le juge Sobier a dit, à la p. 6 :

Les critères établis par le juge MacGuigan avaient été utilisés auparavant. C’est la façon dont il fallait les examiner qui l’a amené à la conclusion tirée. Les critères sont le contrôle, la propriété des instruments de travail, la possibilité de bénéfice et le risque de perte. En eux-mêmes, ces critères ne sont pas déterminants. Il a écrit à la page 5029 de l’arrêt Wiebe Door Services Ltd., précité :

Je suis porté à me rallier à ce point de vue pour les mêmes raisons. Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l’ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu’il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci-dessus “ l’ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations ”, et ce, même si je reconnais l’utilité des quatre critères subordonnés.

Il a également discuté du fait que le critère du contrôle ne devait pas être appliqué seul. À la page 5029, il a renvoyé à l’affaire Morren v. Swinton & Pendlebury Borough Council [1965] 1 W.L.R. 576, où l’on a écrit :

[...] lord Parker (en sa qualité de juge en chef) a affirmé que le critère du contrôle était peut-être trop simple. Il a ajouté que [TRADUCTION] “ manifestement la surveillance et le contrôle ne pouvaient être le critère décisif lorsqu’on avait affaire à un professionnel ou à un homme de métier” Partant, les tribunaux ont commencé à modifier et à transformer le critère pour qu’il devienne un critère du “ bon sens ” [le lord juge Somervell dans Cassidy v. Minister of Health [1951] 2 K.B. 343] ou un critère “ multiple ” [voir le juge Mocatta dans Whittaker v. Minister of Pensions & National Insurance [1967] 1 Q.B. 156].

La supervision ou le contrôle de la façon dont un professionnel ou un expert exécute ses fonctions ne peuvent être qualifiés de contrôle puisque le professionnel en sait généralement plus long sur ses fonctions que son employeur. Ce dernier peut cependant exercer un contrôle sur son employé en fixant ses heures et son lieu de travail et en déterminant s’il peut aller et venir à sa guise.

Je souscris au passage, à la page 5030 de l’arrêt Wiebe Door Services Ltd., précité, où l’on renvoie aux propos suivants du professeur P. S. Atiyah :

Nous doutons fortement qu’il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d’identifier les contrats de louage de services ... La meilleure chose à faire est d’étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s’appliquent pas dans tous les cas et n’ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n’est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée. Il reste que, dans un grand nombre de cas, le tribunal doit se contenter de comparer deux solutions en évaluant l’importance des facteurs qui tendent vers une solution et en les équilibrant par ceux qui tendent vers la solution contraire. Dans l’ordre des choses, il ne faut pas s’attendre à ce que cette opération soit effectuée avec une précision scientifique

Je conclus donc qu’il faut garder les quatre critères à l’esprit, sans pour autant les considérer comme des critères fixes et immuables assimilables à des formes que l’on doit faire entrer dans les ouvertures appropriées. Ce sont des moyens et non pas une fin en soi. La démonstration, bien sûr, en a été faite au paragraphe ci-dessus dans le cas du contrôle.

En l’espèce, les entraîneurs étaient informés du nom des membres qu’ils devaient entraîner de même que de l’endroit et du moment où les entraînements auraient lieu. Ils ne pouvaient aller et venir à leur guise. C’est un entrepreneur qui prend des risques, non pas un employé. Un entrepreneur peut dire : “ Si je travaille fort et ne compte pas mes heures, mes efforts seront récompensés ”. Il dira : “ Plus le nombre de personnes que j’entraîne est élevé, plus je ferai d’argent ”. Par contre, le fait de recevoir une rémunération à la pièce ou une commission n’est pas synonyme de travail autonome si l’employeur fixe les autres normes et contrôle par ailleurs l’employé. En l’espèce, l’entraîneur ne peut gagner plus que le taux journalier ou mensuel établi. Si la taille de son groupe diminue en raison de l’absence d’athlètes, son taux de rémunération reste le même. En l’espèce, peu importe combien d’heures il travaillait, peu importe combien d’athlètes il entraînait, l’entraîneur touchait le même montant. On lui attribuait des groupes et on lui disait quand les entraîner. Il ne pouvait inclure de tiers dans son groupe. Il ne risquait pas de subir de perte.

[18] Après avoir analysé les effets d’une prétendue attribution de statut dans un contrat écrit, le juge Sobier poursuit, à la page 9, comme suit :

Qu’une personne soit engagée à temps partiel ne signifie pas qu’elle n’est pas un employé. On peut tenir plusieurs emplois à temps partiel et être quand même un employé dans tous ces cas.

Lorsqu’on pose la question “ À qui appartient l’entreprise? ”, l’avocat de l’appelante invite la Cour à dire que l’entraînement de skieurs est l’entreprise de l’entraîneur et que, si celui-ci n’obtient pas de résultats, il perd son client - le club de ski. Cependant, cet argument est tout aussi applicable, sinon plus, à l’argument suivant lequel l’entreprise du club de ski était de former des skieurs de compétition et les entraîneurs étaient ses employés.

Les entraîneurs ne jouissent pas de la même marge de manoeuvre ou latitude que les entrepreneurs indépendants. Ils ne peuvent entraîner d’autres personnes en même temps qu’ils entraînent des membres du club. Leur premier devoir est envers le club de ski et non envers eux-mêmes. Ils ne fournissent pas l’équipement spécialisé nécessaire à l’entraînement. Le club est propriétaire de cet équipement, qu’il fournit lui-même.

[19] La réalité du milieu du travail moderne est que souvent les gens exercent parallèlement plusieurs activités lucratives caractérisées par la diversité de leurs combinaisons possibles. En effet, certains occupent un emploi à temps plein ainsi qu’un ou plusieurs emplois à temps partiel. D’autres ont, à titre d'employé à l'égard de chacune, cinq ou six sources de revenu à temps partiel ou occasionnelles, non renouvelables. D'autres encore sont des employés - soit à plein temps, soit à temps partiel, exerçant un ou plusieurs emplois - et exploitent en même temps une entreprise ou fournissent des services à titre d’entrepreneur. Pour tenir compte de l’évolution du milieu de travail, le Parlement a adopté la Loi sur l’assurance-emploi, qui a été sanctionnée le 20 juin 1996. En vertu de cette nouvelle loi, le régime d’assurance a changé, cessant d'être basé sur le nombre de semaines de travail - avec un minimum et un maximum hebdomadaire quant au montant des prestations – pour devenir un régime fondé sur la rémunération totale et le total des heures travaillées, où chaque dollar gagné, à partir de la première heure travaillée, est compté. Ce changement vise à établir un système qui est plus compatible avec le marché du travail actuel. Toutefois, les règles pour déterminer le statut d’une personne à l’intérieur d’une relation de travail demeurent inchangées. Il est extrêmement difficile aux gens - qu’ils soient employeurs ou employés - de savoir à quoi s'en tenir dans des situations où il ne s’agit pas d’un cas clair de catégorisation des services fournis. Il existe une tendance naturelle à examiner le revenu global gagné durant une année et à assigner un statut à une relation de travail en fonction du revenu tiré de la prestation du service en question. Ensuite, il y a un mythe tenace - qui s'est propagé malheureusement jusque dans les hautes sphères des secteurs privé et public - selon lequel une personne qui a été renvoyée d’un poste qu’elle avait occupé pendant des années à titre d’employé et qui est embauchée par la suite “ à contrat ” pour s'asseoir au même bureau et accomplir les mêmes tâches n’est plus un employé, mais a été par magie transformé en entrepreneur indépendant.

[20] Je ne connais pas la raison pour laquelle l’évaluation établie par le ministre en ce qui a trait à Rae Anne Hesketh a été restreinte à l’année 1995 alors que, dans le cas des services fournis par Jannine Puri, l'évaluation établie à l'égard du Club portait sur les années 1994 et 1995. Il reste que les appelantes et le Club en étaient arrivés à un arrangement qui fonctionnait et qui satisfaisait aux deux parties. Depuis 1987, Rae Anne Hesketh fournissait des services au Club à titre d'entrepreneuse indépendante. Toutefois, sur le plan de l'ordre public, la Loi sur l’assurance-chômage n'habilite pas des parties à se soustraire contractuellement à son application générale, même dans des circonstances où il n’existe aucune atmosphère de contrainte ni aucune inégalité de pouvoir de négociation entre les parties et où ces dernières ont agi en tout temps de bonne foi.

[21] Eu égard à toute la preuve et appliquant les critères de la manière prescrite par la Cour d’appel fédérale dans Wiebe Door, précitée, et dans des décisions subséquentes, je conclus que les appelantes étaient en fait des employées du Club au cours des périodes visées par les évaluations et exerçaient un emploi assurable et ouvrant droit à pension. Les évaluations sont valables, les décisions du ministre sont confirmées et l’appel de chaque appelante interjeté en vertu de la Loi sur l’assurance-chômage et du Régime de pensions du Canada est rejeté.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 6e jour de mars 1998.

“ D. W. Rowe ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour d'octobre 1998.

Erich Klein, réviseur

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