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Date: 19980520

Dossier : 97-204-UI

ENTRE :

LORNA GREEN,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Toronto (Ontario) le 26 février 1998.

[2] L’appelante interjette appel du règlement du Ministre du Revenu national (le « Ministre » ) en date du 12 décembre 1996, selon lequel son emploi chez 150307 Canada Ltd, du 28 mars au 29 juillet 1994, n’était pas un emploi assurable selon la Loi sur l’assurance-chômage (ci-après appelée la « Loi » ). Le motif invoqué pour le règlement était le suivant :

[TRADUCTION]

« Compte tenu de toutes les circonstances de l’emploi, y compris la rétribution et les fonctions, le Ministre a conclu que les parties n’auraient pas conclu un contrat d’emploi à peu près semblable si elles n’avaient pas eu un lien de dépendance »

La décision était fondée, était-il expliqué, sur l’alinéa 3(2)c) de la Loi.

[3] Selon les faits établis, il s’agissait d’une entreprise qui exploitait des camps en pleine nature et des programmes d’études à domicile à l’intention d’étudiants dans une région éloignée de la Nouvelle-Écosse. À l’époque pertinente, les actions de l’entreprise se répartissaient comme suit :-

Lorna Green (appelante) : 13 %

David Knight (époux de l’appelante) 21 %

Mère de l’appelante 45 %

Autres personnes 21 %

[4] Ainsi, selon l’article 3 de la Loi et le paragraphe 251(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, à titre de personnes liées, l’appelante et l’entreprise sont réputées en droit avoir un lien de dépendance. Par conséquent, l’emploi en question est considéré, sous réserve de l’exception prévue au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, comme un « emploi exclu » , c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un emploi donnant droit à des prestations d’assurance-chômage lorsqu’il cesse. Le Ministre a établi que l’emploi n’est pas visé par l’exception et l’appelante en a appelé de cette décision.

Le droit

[5] Aux termes du régime créé en vertu de la Loi, le Parlement a prévu des dispositions pour que certains emplois soient assurables et donnent droit à des prestations s’ils cessent, et pour que d’autres emplois qui sont « exclus » ne donnent droit à aucune prestation s’ils cessent. Lorsque des personnes qui ont un lien de dépendance concluent une convention d’emploi, il s’agit d’un « emploi exclu » . Des conjoints aussi bien que des parents et leurs enfants sont réputés avoir un lien de dépendance selon le paragraphe 251(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu qui régit cette situation. Cette disposition législative a manifestement pour but de protéger le régime pour qu’il n’ait pas à payer une multitude de prestations fondées sur des conventions d’emploi factices ou fictives.

[6] La rigueur de cette disposition a toutefois été atténuée par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, lequel prévoit qu’un emploi entre des personne liées est réputé être sans lien de dépendance et peut donc être considéré comme un emploi assurable, s’il remplit toutes les autres conditions, si le Ministre est convaincu, compte tenu de toutes les circonstances (y compris les points qui sont mentionnés) qu’il est raisonnable de conclure qu’elles auraient conclu un contrat à peu près semblable si elles n’avaient pas eu (en fait) un lien de dépendance. Il pourrait être utile que je reformule la façon dont je comprends cet article. Pour les personnes qui sont liées, la Loi érige expressément une barrière leur niant le droit à des prestations d’assurance sauf si le Ministre peut être convaincu que la convention d’emploi est bel et bien la même qu’auraient conclue des personnes non liées, c’est-à-dire des personnes qui n’ont manifestement aucun lien de dépendance. S’il s’agit d’une convention d’emploi à peu près semblable, le Parlement a jugé tout à fait équitable qu’elle soit couverte par le régime. Toutefois, le Ministre est le garde-barrière. Sauf s’il est convaincu de ce qui précède, la barrière reste fermée, l’emploi reste exclu et l’employé n’a pas droit à des prestations.

[7] L’article 61 de la Loi porte sur les appels et sur le règlement de questions par le Ministre. On lit au paragraphe 61(6) que :

« ...le ministre doit, avec toute la diligence voulue... régler la question soulevée par la demande... »

[8] Le Ministre est donc tenu de régler la question. La loi l’exige. S’il n’est pas convaincu, la barrière reste fermée et l’employé n’a pas droit à des prestations. Si toutefois il est convaincu, sans plus de cérémonie ni autre mesure de la part du Ministre (sauf celle de communiquer la décision), l’employé a droit à des prestations, pourvu qu’il remplisse les autres exigences. Il ne s’agit pas d’un pouvoir discrétionnaire au sens que, si le Ministre est convaincu, il peut alors juger que l’emploi est assurable. Il doit « régler la question » et, selon le règlement, la loi veut que l’emploi existe soit sans lien de dépendance, soit avec un lien de dépendance. En ce sens, le Ministre n’a pas de choix à exercer au sens véritable du mot car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n’a pas le droit de faire le choix qui lui plaît. Selon les diverses décisions de la Cour d’appel fédérale sur cette question, je constate que le même critère s’applique à une multitude d’autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada and Jencan Ltd., (1997) 215 N.R. 352 et Her Majesty the Queen and Bayside Drive-in Ltd., (1997) 218 N.R. 150.

[9] Le rôle de la Cour est alors, en cas d’appel, de réviser la décision du Ministre et de décider s’il l’a prise légalement, c’est-à-dire conformément à la Loi et aux principes de la justice naturelle. Dans l’affaire Her Majesty the Queen v. Bayside et al. (précitée), la Cour d’appel fédérale a établi certaines questions que doit trancher la présente cour lorsqu’elle entend ces appels : (i) le Ministre a-t-il agi de mauvaise foi ou en s’appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié?; (ii) le Ministre a-t-il tenu compte ou non de toutes les circonstances pertinentes comme l’exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii)?; ou (iii) le Ministre a-t-il tenu compte d’un facteur non pertinent?

[10] La Cour d'appel fédérale a ensuite ajouté :

« Ce n’est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l’on peut dire qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon contraire à la loi et... que le juge de la Cour de l’impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu entre eux de lien de dépendance. »

[11] L’appelante a allégué que les faits mentionnés sur lesquels s’est fondé le Ministre dans sa réponse à l’avis d’appel étaient dans de nombreux cas inexacts ou avaient été mal interprétés. Encore une fois, ce que je ne dois pas oublier, à l’examen de ces allégations, c’est qu’il n’appartient pas à cette cour de substituer son opinion de la preuve à celle du Ministre. Toutefois, si la façon dont ce dernier en est arrivé à la décision a été illégale à la lumière des jugements mentionnés ci-dessus, je peux ne pas tenir compte des éléments entachés d'erreur de l'exposé des faits et je dois alors me demander si, dans les éléments qui restent, il y a des motifs justifiables pour la décision. Si ces motifs sont en soi suffisants pour que le Ministre prenne une décision, même si la Cour pourrait ne pas l’agréer, la décision doit être maintenue. Si, par ailleurs, il ne reste plus aucun argument sur lequel le Ministre pourrait légalement fonder une telle décision, d’un point de vue objectif et raisonnable, cette décision peut alors être renversée, et la Cour peut examiner la preuve qui lui est présentée en appel et prendre sa propre décision. Bref, si le Ministre dispose de suffisamment de faits pour prendre sa décision, il lui appartient de régler lui-même la question et, s’il « n’est pas convaincu » , il n’appartient pas à la présente cour de substituer son opinion au sujet de ces faits et de dire que lui, le Ministre, aurait dû être convaincu. De même, s’il était convaincu, il n’appartient pas à la présente cour de substituer son opinion selon laquelle il n’aurait pas dû être convaincu (soit un scénario peu probable de toute façon). C’est seulement si la décision est prise d’une manière illégitime et qu’elle est déraisonnable d’un point de vue objectif, sur la foi des faits qui ont été dûment présentés au Ministre, que la Cour peut intervenir.

[12] Je puis m’appuyer à ce sujet sur un certain nombre de décisions de diverses cours d’appel dans tout le pays et de la Cour suprême du Canada dans des décisions connexes concernant diverses procédures relevant du Code criminel, décisions qui ont été révisées postérieurement par les tribunaux et qui sont à mon avis analogues à la situation présente. La norme de révision de la validité d’un mandat de perquisition a été établie par le juge d’appel Cory (tel était alors son titre) dans l’affaire Times Square Book Store, Re (1985) 21 C.C.C. (3d) 503 (C.A.), où il a dit qu’il n’appartenait pas au juge qui fait la révision d'examiner à nouveau la question d'autoriser la délivrance d'un mandat de perquisition ni de substituer sa propre opinion à celle du juge qui a rendu la décision. Le premier point à trancher plutôt, au moment de la révision, c’est de savoir s’il existait ou non une preuve sur laquelle un juge de paix, agissant judiciairement, pouvait déterminer qu’un mandat de perquisition devait être délivré.

[13] La Cour d’appel de l’Ontario a repris et expliqué davantage ce point de vue dans l’affaire R. v. Church of Scientology of Toronto and Zaharia (1987) 31 C.C.C. (3d) 449 C.A., où l’autorisation d’interjeter appel a été refusée. En suggérant que la cour de révision examine « l’ensemble des circonstances » , la Cour d'appel de l'Ontario a affirmé à la page 492 :

[TRADUCTION]

« Manifestement, s’il n’y a pas de preuve sur laquelle appuyer une telle opinion (c’est-à-dire qu’une infraction criminelle a été commise), on ne peut dire dans ces circonstances que le juge de paix devrait être convaincu. Il pourrait arriver cependant qu’une telle preuve (fournissant des motifs raisonnables) existe bel et bien et que le juge de paix aurait pu être convaincu, mais où il n'était pas convaincu et où il n’a pas exercé sa discrétion pour autoriser la délivrance d’un mandat de perquisition. Dans de telles circonstances, le juge qui fait la révision ne doit absolument pas dire que le juge de paix aurait dû être convaincu et qu’il aurait dû délivrer le mandat. De même, si le juge de paix dans de telles circonstances dit qu’il est convaincu et qu’il délivre le mandat, le juge qui fait la révision ne doit pas dire que le juge de paix n’aurait pas dû être ainsi convaincu. »

[14] La Cour suprême du Canada a entériné ce point de vue dans R. c. Garofoli (1990) 2 R.C.S. 1421. Feu le juge Sopinka, dans sa révision de la délivrance d’une autorisation d’écoute électronique, a alors affirmé :

« ... Bien que le juge qui exerce ce pouvoir relativement nouveau ne soit pas tenu de se conformer aux critères de l’arrêt Wilson, il ne devrait pas réviser l’autorisation de novo. La façon appropriée est établie dans les motifs du juge Martin en l’espèce. Il affirme...

[TRADUCTION] Si le juge du procès conclut, d’après les documents dont disposait le juge ayant accordé l’autorisation, qu’il n’existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l’autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la fouille, la perquisition ou la saisie contrevient à l’art. 8 de la Charte.

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l’autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision, conclut que le juge qui a accordé l’autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d’être nécessaires à la révision leur seul effet est d’aider à décider s’il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l’autorisation. »

[15] Cette approche semble avoir été adoptée par à peu près toutes les cours d’appel au pays. (Voir R. v. Jackson (1983) 9 C.C.C. (3d) 125 (B.C. C.A.); R. v. Conrad et al. (1989) 99 A.R. 197; 79 Alta. L.R.; (2d) 307; 51 C.C.C. (3d) 311 (C.A.); Hudon v. R. (1989) 74 Sask. R. 204 (C.A.); et R. v. Turcotte (1988) 60 Sask. R. 289; 39 C.C.C. (3d) 193 (C.A.); R. v. Borowski (1990) 66 Man. R. (2d) 49; 57 C.C.C. (3d) 87 (C.A.); Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres (1991) 41 C.A.Q. 254 (C.A.); Société Radio-Canada v. Nouveau-Brunswick (Procureur général) et autres (1991) 104 R.N.-B. (2e) 1; 261 A.P.R. 1; 55 C.C.C. (3d) 133 (C.A.); R. v. Carroll and Barker (1989) 88 N.S.R. (2d) 165; 225 A.P.R. 165; 47 C.C.C. (3d) 263 (C.A.); R. v. MacFarlane (K.R.) (1993) 100 Nfld. & P.E.I.R. 302; 318 A.P.R. 302; 76 C.C.C. (3d) 54 (P.E.I. C.A.). Elle me semble très bien s’appliquer à la révision du règlement du Ministre, laquelle est en soi une décision quasi judiciaire.

Première étape - Analyse de la décision du Ministre

[16] Les faits déclarés sur lesquels se fonde le Ministre sont énoncés dans la réponse à l’avis d’appel et l’appelante conteste certains d’entre eux. Avant de traiter de ces aspects toutefois, je crois utile de faire un certain nombre d’observations générales et de mettre cette affaire en contexte, car elle présente un certain nombre de caractéristiques singulières pour le moins.

[17] L’appelante a témoigné pour son propre compte. Elle a aussi fait appel à un témoin, un certain Dr Elliott, dont les deux fils ont suivi pendant un an des cours offerts par l’entreprise et ont participé aussi à un certain nombre de camps d’été. Son dernier témoin a été Graham Hitchins qui, au meilleur de sa capacité, a préparé certains comptes pour l’entreprise pour la période en question. Donald Knight n’a pas été appelé car il est porté disparu depuis septembre 1994 et on ne l’a pas vu ni n’a-t-il donné signe de vie depuis. Il est manifeste que la décision originale prise dans ce cas et dont l’appelante a fait appel au Ministre était celle du directeur du Bureau des services d’impôt de Revenu Canada à Sydney (Nouvelle-Écosse), W.A. Fulton, le 24 juin 1996. Cette décision était la suivante :-

[TRADUCTION]

« Votre travail au Canada chez 150307 Canada Limited pour la période en question ne peut être considéré comme un emploi assurable car vous n’étiez pas une employée exécutant des services en vertu d’un contrat de louage de services. »

[18] Cette décision était suivie dans la lettre des divers motifs et d’une observation selon laquelle les livres de l’entreprise n’étaient pas disponibles car Donald Knight n’était pas disponible pour une entrevue de sorte qu’il était impossible de savoir si l’appelante était employée ou non en vertu d’un contrat de louage de services.

[19] La décision semble plutôt fondée sur une note de service interne, laquelle a été transmise à l’appelante, qui a invoqué à ce sujet la Loi sur la protection des renseignements personnels, et a été déposée à la Cour (pièce A-1). La conclusion dans cette note de service était la suivante :

[TRADUCTION]

« ...il a été jugé qu’il n’existait pas de contrat de louage de services comme il est précisé ci-dessus et que l’objectif dans ce cas était de rendre la travailleuse admissible à l’a.-c. Autrement dit, il semble que ce soit un simulacre. »

Bon nombre des faits sur lesquels le Ministre se serait fondé sont de la même veine, car leur description est souvent accompagnée de termes comme « supposément » (4a) et 4b)), « prétendument » (4b)) et « l’engagement prétendu de l’appelante » (4m)). À la conclusion du témoignage de l’appelante, l’avocat du Ministre a abandonné cette position et je pense qu’il a eu raison de le faire car il s’agissait d’une position intenable à la lumière de la preuve.

[20] Il y a une autre question préliminaire que je dois aborder à mon avis. Il s'agit d'une décision qui m’a été signalée, soit celle de mon collègue, feu l’honorable juge Dubienski, qui a entendu un appel semblable de l’appelante le 13 mars 1996, relativement à des exercices d’exploitation antérieurs de l’entreprise. Après avoir fait une observation sur l’absence générale de données concises au sujet des finances de l’entreprise, le savant juge a rejeté l’appel. Sauf le respect que je lui dois, je ne me sens pas lié par cette décision car elle porte sur un autre exercice et aussi parce que beaucoup plus de preuves au sujet de l’entreprise, de son exploitation et de ses finances m’ont été présentées que ce qui lui avait été présenté dans l’appel précédent.

[21] Dans le présent appel, l’appelante a commenté les faits déclarés comme suit :

[TRADUCTION]

Point 4a) « Le payeur exploitait, dans une région éloignée de la Nouvelle-Écosse, une entreprise qui tenait supposément des camps d’été pour les étudiants en arts, en artisanat et en folklore, et qui organisait diverses excursions. »

[22] L’appelante indique que cette description est exacte. Elle n’aime pas beaucoup cependant le terme « supposément » . L’entreprise offrait également la possibilité de faire des études scolaires à domicile à un certain nombre d’élèves pendant toute l’année scolaire. Selon le témoignage du Dr Elliott, il est manifeste qu’il s’agissait d’études légitimes.

[TRADUCTION]

Point 4b) « L’appelante a été supposément embauchée par le payeur pour rédiger des scénarios et diriger des voyages éducatifs pour les adolescents. »

[23] L’appelante indique que cela est inexact. En 1994, il n’y a eu aucune rédaction de scénarios. En outre, elle n’a fait aucun voyage éducatif cette année-là. Son travail, comme en témoigne son contrat écrit (pièce A-4), a consisté à être tutrice pour Earthways, pour l’enseignement du français et des sciences naturelles, et à faire un peu de rédaction de textes pour le programme d’études à domicile du 28 mars au 10 juin 1994. Elle a travaillé 20 heures par semaine à raison de 10 $ l’heure. Du 13 juin au 22 juillet 1994, elle a travaillé à plein temps pour préparer et organiser le camp d’été, à raison de 650 $ par semaine. Du 25 au 29 juillet 1994, elle a travaillé à temps partiel à raison de 10 $ l’heure pour 20 heures. Elle a produit un certain nombre de ses chèques de paie. D’autres manquaient, en raison apparemment de la confusion entraînée par la disparition de son mari. Par conséquent, le Ministre n’a pas pu se faire une idée exacte des fonctions de l’appelante car son travail, ce qu’il comportait et les heures travaillées ne lui ont pas été correctement présentés.

[24] Les points 4c) et 4d) portant sur l’actionnariat et la relation avec le conjoint sont exacts.

[25] Point 4e) :

[TRADUCTION]

« Les documents indiquent que l’appelante était la présidente du payeur. »

L’appelante affirme que cela est inexact car elle n’était pas présidente en 1994.

[26] Point 4f) :

[TRADUCTION]

« l’appelante avait de l’expérience et elle n’était ni contrôlée ni supervisée par le payeur. »

L’appelante a témoigné longuement sur la façon dont elle s’acquittait de ses tâches, ainsi que sur la façon dont elles avaient été établies et dont elles étaient supervisées par son mari. Comme ce ne sont pas les bonnes fonctions qui ont été présentées au Ministre, celui-ci n’a manifestement pas été en mesure de déterminer exactement comment les fonctions de l’appelante étaient contrôlées et supervisées. Ce point semble servir dans une certaine mesure à établir le bien-fondé de l’argument selon lequel l’appelante n’était pas employée, soit une position qui a maintenant été abandonnée par le Ministre.

[27] Point 4g) :

[TRADUCTION]

« selon les documents de l’intimé, seulement deux T4 ont été délivrés par le payeur aux employés en 1994, soit un à l’appelante et l’autre à son conjoint. »

L’appelante déclare qu’elle n’est aucunement au courant des T4 qui ont été délivrés.

[28] L’appelante confirme le point 4h) selon lequel son conjoint est disparu en septembre 1994.

[29] Le point 4i) se rapporte à la décision du juge Dubienski, dont j’ai déjà parlé.

[30] Les points 4j) et k) se lisent comme il suit :

[TRADUCTION]

« j) Selon les déclarations de revenus de la société produites par le payeur auprès de l'intimé, les revenus bruts et les profits (pertes) net(tes) sont les suivants :

Exercice terminé le

Revenu brut

Profit (perte) net(te)

31 août 1994

41 000 $

(1 000 $)

31 août 1993

29 000 $

(12 000 $)

31 août 1992

26 000 $

(11 000 $)

« k) le payeur ne réalisait pas les ventes brutes ou les profits nets nécessaires pour embaucher à la fois l’appelante et le conjoint; »

[31] La déclaration de 1994 a été préparée par le témoin Hitchins, au meilleur de sa capacité, avec les moyens dont il disposait. L’appelante indique que ces chiffres montrent que l’entreprise devenait peu à peu viable. Elle avait eu un meilleur rendement chaque année et elle disposait sûrement d’assez d’argent pour payer les salaires, ce qu’elle a fait.

[32] Selon le point 4l) « des documents étaient supposément gardés par le payeur, dont un registre des procès-verbaux, des grands livres, des registres de paie, mais ni le payeur ni l’appelante n’ont transmis de documents à l’intimé. » L’appelante convient que beaucoup de documents se sont perdus dans la confusion qui a suivi la disparition de son mari. Elle a aussi indiqué que, pendant son absence, son domicile a été cambriolé et vandalisé.

[33] Voici ce qu’on lit au point 4m) :

[TRADUCTION]

« m) l’engagement prétendu de l’appelante par le payeur pendant la période pertinente a rendu l’appelante admissible aux prestations d’assurance-chômage, et n’avait rien à voir avec les besoins de l'entreprise ou avec des motifs relatifs à l'entreprise. »

J’ai déjà parlé de l’expression « engagement prétendu » . Le Ministre a concédé ce point et le reste du paragraphe est tout simplement une opinion et non un fait.

[34] Il est exact, selon le point 4n), que l’appelante et l’entreprise sont des personnes liées.

[35] Les points 4o) et 4p) ne sont pas des faits mais plutôt des opinions de la personne qui a rassemblé les faits et qui, illégitimement, a pris la décision que le Ministre était tenu de prendre lui-même.

[36] Quel est l’effet de tout cela? Il est clair que le Ministre était sur une fausse piste s’il a pensé que toute l’affaire était un simulacre. Selon la preuve, il est manifeste que ce point de vue était faux et qu’il n’était aucunement fondé. Tous les faits présentés au Ministre étaient colorés par cette approche. Ce n’est pas le travail que faisait effectivement l’appelante qui lui a été présenté, les éléments de preuve relatifs à la supervision et au contrôle ne lui ont pas été présentés comme ils l’auraient dû, les résultats de l’appel précédent n’ont pas été mis dans le bon contexte et il est clair qu’il y avait de l’argent pour payer les salaires au moment où le Ministre a été informé qu’il n’y en avait pas. Je suis d’avis qu’on a présenté au Ministre une image complètement fausse de l’emploi de l’appelante. Il ne s’agit pas ici de pondérer la preuve. Les faits déclarés présentés au Ministre étaient manifestement inexacts. S’il n’y a pas de déformation de la situation ni faits inexacts, il ne reste rien sur lequel le Ministre aurait pu raisonnablement et objectivement se fonder pour en arriver à la conclusion qu’il a tirée. Le Ministre a manifestement été trompé sur la situation réelle. Il a pris en compte des faits inexacts et il n’a pas pris en compte les faits exacts pertinents. Dans ces circonstances, je suis d’avis que sa décision n’a pas été prise dans les règles ou conformément au droit. Elle n’est aucunement fondée en droit et je dois maintenant passer à la deuxième étape de la procédure d’appel et décider si, selon la preuve entière, les parties, si elles n’avaient eu aucun lien de dépendance, auraient conclu un contrat d’emploi à peu près semblable, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont expressément énoncées à l’alinéa 3(2)c)de la Loi.

Deuxième étape - Examen de la preuve

[37] Il est manifeste selon la preuve que cette entreprise de camp d’été et d’études à domicile était une entreprise légitime. Le Dr Elliott s’est présenté devant la Cour expressément pour dire à quel point ses deux fils y avaient bien réussi. Il a été un témoin impressionnant.

[38] L’appelante a également été un témoin impressionnant et elle m’a clairement convaincu que le travail qu’elle a fait pendant la période en question était authentique. Il s’agit de déterminer si, abstraction faite du lien de dépendance avec l’entreprise, elle aurait conclu un contrat d’emploi à peu près semblable. Bien sûr, le fait qu’elle accomplissait son travail à son domicile et à proximité complique la question. Il y avait toutefois un horaire établi tant pour elle que pour les élèves. Quiconque aurait été embauché de l’extérieur aurait eu à travailler pendant les mêmes heures. La rémunération était modeste, mais c’est tout ce que l’entreprise pouvait se permettre. Il n’y a pas de doute que le type de personne qui entreprendrait ce type de travail dans ce type de situation le ferait également pour une rémunération semblable. Les camps d’été devaient être organisés. Encore une fois, il s’agissait d’une entreprise d’un caractère un peu amateur, mais l’appelante avait un savoir-faire pour tout bien organiser, notamment obtenir des conseillers bénévoles, faire venir les approvisionnements en nourriture, de même que pour enseigner des cérémonies et des exercices spirituels. Il n’y a pas de doute que beaucoup seraient heureux d’accomplir ce genre de travail contre une rémunération de 650 $ par semaine. Il s’agissait d’une bonne affaire pour elle pour gagner de l’argent et d’une bonne affaire pour l’entreprise pour bénéficier de son savoir-faire. À la fin de juillet, Donald Knight est parti en excursion de vélo avec des élèves des cours d’été. Le travail de l'appelante a pris fin parce qu’il n’y avait plus rien à faire pour elle. Elle n'a pas revu M. Knight.

Conclusion

[39] Après avoir considéré toute la preuve, à la fois orale et écrite, de même que les pièces qui m’ont été présentées, je suis pleinement convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’entente était effectivement authentique, qu’il y avait un contrat de louage de services, un contrat pour lequel, compte tenu de toutes les circonstances de l’emploi, notamment la rétribution versée, les modalités, la durée, ainsi que la nature et l’importance du travail accompli, il est raisonnable de conclure qu’ils auraient signé un tel contrat s’ils n’avaient eu aucun lien de dépendance, ou du moins un contrat à peu près semblable.

[40] L’appel est par conséquent accueilli et la décision du Ministre est annulée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 20e jour de mai 1998.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour d'octobre 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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