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Date: 20010309

Dossier: 1999-1170-GST-G

ENTRE :

VENTES D'AUTOS GIORDANO INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] En 1995 et en 1996, un réseau de contrebande s'est livré à l'achat de véhicules de luxe au Québec et ensuite à leur revente, en général à l'extérieur du Canada, et a omis de remettre aux administrations fiscales la taxe sur les produits et services (“ TPS ”) et la taxe de vente du Québec[1]. Il est également possible que des crédits de taxe sur les intrants (“ CTI ”) aient été demandés pour ce qui est de véhicules achetés sans que la TPS n'ait été payée.

[2] La présente affaire présente de nombreuses ressemblances avec celle de 9000-6560 Québec Inc. c. La Reine, 98-1936(GST)G (Chrysler St-Jovite), une affaire dans laquelle j'ai rendu une décision récemment. Ces deux décisions portaient sur des ventes de véhicules coûteux, habituellement des véhicules loisir travail (V.L.T.) comme les Grand Cherokees, par des concessionnaires d'automobiles à des Autochtones. Ces Autochtones revendaient les V.L.T. à une société à dénomination numérique, et, après une ou plusieurs autres reventes, le V.L.T. devenait la propriété d'une société exportatrice. Contrairement à l'affaire Chrysler St-Jovite, celle en l'espèce ne porte pas sur un concessionnaire d'automobiles se trouvant au début d'une série d'opérations, mais plutôt sur une société exportatrice, Ventes d'autos Giordano Inc. (“ GAS ”), qui, elle, se trouve à l'autre extrémité.

[3] Le ministre a rejeté la demande de CTI faite par GAS pour ce qui est des 19 véhicules (“ 19 véhicules ”) achetés pour la revente, principalement à un acheteur étranger. Plus particulièrement, le ministre a augmenté la taxe nette calculée par GAS de 47 276,39 $[2] en vertu du paragraphe 225(1) de la Loi pour la période allant du 1er septembre 1995 au 31 août 1996 (“ période pertinente ”). L'intimée soutient que GAS n'a pas droit aux CTI de 47 276,39 $ parce qu'elle a omis de payer la TPS au moment de l'acquisition des 19 véhicules, contrairement aux conditions prévues par le paragraphe 169(1) de la Loi. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

169. (1) Règle générale Crédit de taxe — Sous réserve de la présente partie, le crédit de taxe sur les intrants d'une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu'elle importe ou qui lui est fourni, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à l'importation ou à la fourniture devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable :

A x B

A représente la taxe relative à l'importation ou la fourniture qui, au cours de la période de déclaration, devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable ;

B représente : [. . .]

[Je souligne.]

[4] En établissant une cotisation à l'égard de GAS, le ministre a notamment supposé que les concessionnaires d'automobiles avaient vendu leurs véhicules à des Autochtones et que GAS les avait achetés de M. Alexandre Minassian, faisant affaire sous la raison sociale de Centre Auto Marc et Mario Enr. (CAM), ou d'une société liée à M. Minassian, 2844-7167 Québec Inc. (7167). Toutefois, au cours de l'audience, l'intimée ne s'est pas fondée sur ces faits, mais a prétendu au contraire que les Autochtones agissaient à titre de prête-noms pour GAS lorsqu'ils achetaient leurs véhicules des concessionnaires d'automobiles. Étant donné qu'aucune TPS n'a été remise aux concessionnaires d'automobiles par les Autochtones au nom de GAS, cette dernière n'avait pas droit aux CTI en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi[3].

[5] De plus, l'intimée a soutenu, subsidiairement, que l'article 274 de la Loi, qui établit la règle générale anti-évitement (RGAÉ), s'appliquait aux opérations de GAS parce qu'elles constituaient, selon elle, des opérations d'évitement au sens de cet article. Enfin, le ministre a imposé des intérêts et une pénalité en vertu de l'article 280 de la Loi.

[6] GAS a soutenu qu'elle avait droit aux CTI en vertu de la Loi parce qu'elle avait acquis des fournitures taxables à l'égard desquelles la TPS était payable et parce qu'elle avait respecté toutes les autres conditions du paragraphe 169(1) de la Loi. GAS a de plus soutenu que toutes les opérations en litige avaient été effectuées pour des objets véritables autres que pour l'obtention d'un avantage fiscal et qu'elles ne constituaient pas des opérations d'évitement. Même si elles en étaient, selon GAS, aucun avantage fiscal ne pouvait être refusé parce qu'aucun n'avait été reçu. GAS a également contesté l'imposition de la pénalité et des intérêts.

Faits

Version de GAS

[7] GAS a été constituée en personne morale en août 1994 par Vito Cusano, qui souhaitait exploiter une entreprise d'achat et de vente de voitures neuves pour l'exportation. L'entreprise a été inscrite en vertu de l'article 240 de la Loi. À l'époque, M. Cusano était employé par Fairview Lincoln Mercury (“ FLM ”) à titre de gérant de sa division de location. Il a débuté avec FLM en 1989 et a quitté cette dernière en 1995. Au printemps 1995, un nouvel associé, M. Johnny Di Girolamo, s'est joint à M. Cusano, et les deux détenaient chacun la moitié des actions de GAS. M. Cusano avait de l'expérience liée aux activités de détail, alors que M. Di Girolamo avait de l'expérience de la vente en gros.

[8] Dans le cadre de ses activités de location pour FLM, M. Cusano avait fait la connaissance de M. Ray Shaheen, le propriétaire de American Trade International (“ ATI ”), une société américaine qui exportait des voitures en Hollande, en Angleterre, en Pologne, en Russie et au Moyen-Orient. Il y avait dans ces pays un marché pour les véhicules comme les Grand Cherokees, les camionnettes Ford et les Dodge Caravans. GAS a commencé à acheter ce genre de véhicule auprès de concessionnaires au Canada afin de les revendre à ATI. Toutefois, les fabricants comme Chrysler Canada Limitée (“ Chrysler Canada ”) ont rapidement adopté une politique contre l'exportation de leurs véhicules fabriqués pour le marché canadien et ont entrepris des démarches afin de s'assurer que leurs concessionnaires se conforment à cette politique. Il est ensuite devenu presque impossible pour GAS d'acheter des V.L.T. auprès de concessionnaires d'automobiles.

[9] Par conséquent, GAS a décidé d'utiliser des prête-noms comme “ GAS Leasing ” ou “ GAS Holdings ”, le nom de M. Cusano lui-même ainsi que le nom de membres de sa famille pour acheter des V.L.T. de concessionnaires d'automobiles. Toutefois, certains concessionnaires devinant qu'il s'agissait d'une astuce, ne souhaitaient pas vendre de V.L.T. à des sociétés prétendant être des sociétés de crédit-bail.

[10] Compte tenu de la demande importante de V.L.T. en Europe et au Moyen-Orient, GAS a dû recourir à d'autres sources pour obtenir ces véhicules et les fournir à ATI et a commencé à les acquérir auprès de courtiers automobiles ou de grossistes comme CAM et 7167. Lorsqu'une commande arrivait, GAS fouillait le marché à la recherche du véhicule approprié. Elle appelait CAM pour savoir si cette dernière pouvait fournir le modèle V.L.T. requis, en général un Grand Cherokee. Si CAM avait ce genre de véhicule, un contrat d'achat entre CAM et GAS était conclu. Ce contrat est désigné comme un “ contrat de vente du grossiste ”. Bien que M. Cusano ait décrit CAM comme l'un des courtiers auxquels GAS avait recours pour acquérir des véhicules pour l'exportation, il a insisté sur le fait que CAM agissait en tant que vendeur, et non en tant que représentant de GAS. Il a déclaré que GAS recourait aux services de représentants seulement lorsqu'elle achetait les véhicules de concessionnaires d'automobiles eux-mêmes. Ce n'était pas le cas lorsque CAM était concernée.

[11] Les véhicules étaient habituellement livrés chez M. Cusano ou dans le quartier où se trouvaient les bureaux de FLM. M. Cusano a déclaré que les véhicules ne restaient pas là plus de une journée, sauf pour ceux qui étaient livrés chez lui le vendredi soir. Dans ces cas, il gardait le véhicule pendant la fin de semaine.

[12] Des 19 véhicules, 18 ont été achetés de CAM et un de la société 7167 pendant la période pertinente. GAS a déposé en preuve le contrat de vente du grossiste pour chacun des 19 véhicules. Il est important de noter que CAM et 7167 ont vendu plus de véhicules que les 19 en litige. Selon le témoignage du premier vérificateur de l'impôt (le “ premier vérificateur ”), au moins 24 autres véhicules ont été vendus à GAS par CAM et 7167. Le premier vérificateur a confirmé que les CTI pour ces 24 véhicules n'avaient pas été refusés parce que GAS avait payé CAM et 7167 directement, alors que, dans le cas des 19 véhicules, GAS avait payé le prix d'achat (ou une partie importante du prix) à des tierces parties.

[13] M. Cusano a donné les explications ci-dessous au sujet des paiements faits à des tierces parties. D'abord, il a déclaré que GAS avait fait ces paiements à la demande de CAM. En outre, il était dans l'intérêt de GAS d'agir, puisqu'elle était ainsi davantage certaine que les véhicules n'avaient pas été volés ou n'étaient pas grevés d'un privilège. M. Cusano a également déclaré qu'il ne connaissait pas M. Minassian depuis très longtemps et qu'il ne se sentait pas à l'aise de lui remettre de l'argent lorsque les V.L.T. n'étaient pas livrés au moment du paiement. Il a affirmé que M. Minassian lui avait été présenté par M. Di Girolamo lors d'une vente en gros de véhicules aux enchères publiques. Avant de commencer à faire affaire avec lui, M. Cusano s'était assuré que CAM était un concessionnaire cautionné et autorisé en vertu de la loi provinciale sur la protection du consommateur et qu'elle était correctement inscrite aux fins de la TPS.

[14] GAS déclarait normalement les achats et les ventes à la Société de l'assurance automobile du Québec (“ SAAQ ”). Au début, cependant, il peut y avoir eu quelques exceptions en raison d'un manque d'organisation. M. Cusano croyait toutefois que GAS n'était pas tenue de déclarer ces opérations à la SAAQ.

[15] M. Cusano a déclaré que les 19 véhicules vendus en 1996 représentaient environ 10 p. 100 des ventes brutes de GAS et 6,3 p. 100 du nombre total des véhicules vendus cette année-là. M. Cusano a également estimé que les véhicules exportés par GAS en 1996 représentaient à peu près 80 p. 100 des ventes brutes de GAS. Ce pourcentage a augmenté en 1997, passant à 95 p. 100.

[16] M. Cusano a également déclaré qu'il avait arrêté de faire affaire avec CAM vers le mois d'octobre 1996, peu de temps avant que M. Di Girolamo et lui se soient séparés. Il a trouvé très difficile de faire affaire avec M. Di Girolamo parce que la situation était très confuse. Les montants versés aux tierces parties à la demande de M. Minassian équivalaient rarement à ceux figurant sur les factures émises par CAM. Parfois, les montants payés y étaient inférieurs, alors qu'à d'autres moments, ils y étaient légèrement supérieurs. Selon M. Cusano, cette manière de faire affaire créait une tension entre CAM et GAS. M. Cusano a déclaré qu'il n'avait pas revu M. Minassian et qu'il ne savait pas ce qu'il était advenu de lui.

[17] GAS a connu des difficultés financières en 1998 et en 1999, lesquelles étaient provoquées, selon M. Cusano, par le fait que le ministre n'avait pas payé les CTI demandés par GAS. Apparemment, les autorités fiscales devaient à GAS un montant de 130 000 $ à 200 000 $. GAS a tenté d'exploiter son entreprise grâce à une marge de crédit. Toutefois, la situation est devenue trop difficile, et GAS a fermé son entreprise en 1999.

La version du ministre

[18] La majorité du travail qui a conduit à l'établissement de la cotisation du 21 février 1997 à l'égard de GAS a été effectuée par le premier vérificateur. Ce dernier a entrepris la vérification le 10 juillet 1996 et a rencontré le contribuable le 6 août 1996. Bien que GAS n'ait pas eu les registres comptables habituels, comme le grand livre, le journal des achats et le journal des ventes, le premier vérificateur a reconnu qu'elle possédait tous les registres appropriés dans des dossiers distincts se rapportant aux achats et aux ventes de ses véhicules. Le premier vérificateur a également reconnu que, par le passé, GAS n'avait pas agi comme une inscrite contrevenante et qu'elle respectait en général ses obligations en matière d'impôt. La conduite de M. Cusano n'était pas non plus celle d'une personne se livrant à de l'évasion fiscale. Il a fourni tous les renseignements que le vérificateur avait demandés. Le premier vérificateur a également vérifié les ventes faites par GAS à ses clients étrangers et canadiens et n'y a pas décelé d'irrégularité.

[19] Le premier vérificateur s'est rendu compte que, dans le cas de certains achats faits par GAS auprès de CAM, le prix d'achat était payé directement à CAM, alors que, dans d'autres cas, il était payé à des concessionnaires d'automobiles ou à une société appelée Gestion Bergeron (“ Gestion ”). Sa vérification a révélé que GAS émettait souvent un chèque payable à la Banque Royale et que cette dernière émettait ensuite une traite bancaire payable à un concessionnaire ou à Gestion. Le montant de la traite bancaire pouvait être inférieur à celui du chèque. À l'occasion, la différence entre les deux montants était retirée en espèces. Les montants des traites bancaires étaient souvent égaux au montant payable par la personne autochtone pour l'achat du V.L.T. d'un concessionnaire d'automobiles. C'était habituellement le cas lorsque la traite bancaire était directement payable au concessionnaire d'automobiles, et cela n'est pas surprenant, puisqu'il s'agissait du montant dû par la personne autochtone au concessionnaire d'automobiles. Lorsque les traites bancaires étaient payables à Gestion, le montant excédait habituellement le prix payé par la personne autochtone au concessionnaire d'automobiles. Ces traites bancaires payables à Gestion permettaient à cette dernière d'en obtenir une autre émise au concessionnaire en paiement du prix payable par la personne autochtone au concessionnaire.

[20] Dans le cadre de la vérification, le premier vérificateur a obtenu des renseignements provenant de la SAAQ qui établissaient l'historique du transfert des V.L.T. d'un propriétaire inscrit à un autre. En général, les renseignements de la SAAQ établissent que chaque V.L.T. était transféré d'un concessionnaire d'automobiles à un Autochtone, puis à CAM, à GAS et enfin à ATI ou à un autre acheteur. Une représentante de la SAAQ a décrit au cours de son témoignage le processus d'immatriculation des véhicules. Elle a confirmé qu'en règle générale le propriétaire d'un véhicule devait se présenter personnellement à une succursale de la SAAQ, à moins d'être représenté par une autre personne détenant une procuration écrite signée par le propriétaire du véhicule. Elle a également confirmé que la SAAQ ne recueillait des renseignements qu'auprès des personnes souhaitant immatriculer leur véhicule. Enfin, la date de l'immatriculation correspond à celle où la personne fournit les renseignements à la SAAQ.

[21] Les documents recueillis par le premier vérificateur comprennent, dans certains cas, le contrat de vente entre le fabricant d'automobiles et le concessionnaire d'automobiles et, dans la plupart des cas, le contrat entre le concessionnaire d'automobiles et la personne autochtone et celui intervenu entre CAM et GAS. Cette preuve documentaire établit qu'un véhicule vendu par un concessionnaire d'automobiles à un Autochtone est revendu d'abord à CAM, puis à GAS. Ces ventes avaient en général lieu le jour même de la vente par le concessionnaire d'automobiles à la personne autochtone ou dans les deux jours suivants. À l'occasion, elles se produisaient de cinq à dix-huit jours après la vente initiale par le concessionnaire d'automobiles. À quatre reprises, la date de la vente à la personne autochtone est survenue après celle de la vente par CAM à GAS (Voir les pièces I-10, I-6, I-7 et I-12.).

[22] Dans le cas des 19 véhicules, le prix payé par GAS était inférieur à celui payé par les Autochtones aux concessionnaires d'automobiles et, dans au moins trois cas, le prix payé par GAS était même inférieur à ce qu'il en avait coûté au concessionnaire d'automobiles. On devrait noter que seuls cinq contrats intervenus entre un concessionnaire d'automobiles et un fabricant ont été déposés en preuve.

[23] Les 19 véhicules vendus par CAM à GAS provenaient de onze personnes autochtones ou sociétés autochtones différentes, qui les avaient acquis de onze concessionnaires d'automobiles différents. L'un de ces concessionnaires, À ma Baie Jeep Eagle (“ À ma Baie ”), a vendu cinq des véhicules à cinq Autochtones différents. M. Daniel Lessard, un représentant de commerce auprès de À ma Baie, a témoigné à la demande de GAS. Il a déclaré que chacun des cinq Autochtones était venu à son garage après avoir téléphoné pour savoir si un véhicule était disponible pour la vente.

[24] Après entente avec la personne autochtone sur les conditions de la vente des V.L.T., M. Lessard demandait le paiement. Il a déclaré qu'il n'aurait jamais autorisé la livraison d'un V.L.T., à moins qu'il n'ait été payé au moment de la livraison ou à l'avance au moyen d'un chèque certifié ou d'une traite bancaire. Pour être convaincu que la personne autochtone était admissible à une exonération fiscale en vertu de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, il obtenait également une copie du Certificat du statut d'Indien de la personne autochtone ainsi que son permis de conduire. Il vérifiait alors auprès du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pour s'assurer que cette personne était un Indien de plein droit.

[25] Enfin, M. Lessard appelait Chrysler Canada afin d'obtenir son autorisation. Si cette autorisation n'était pas obtenue, un supplément risquait d'être imposé à À ma Baie en vertu de la politique de Chrysler Canada visant à empêcher l'exportation de ses véhicules. Il a également confirmé que tous les véhicules vendus par À ma Baie à des Autochtones étaient livrés dans une réserve. La preuve de cette livraison, dont des factures de transport et parfois une facture d'achat d'essence pour la livraison, était conservée dans les dossiers de À ma Baie.

[26] M. Lessard a également déclaré qu'il ne savait pas que GAS avait acquis les cinq véhicules peu de temps après leur vente à la personne autochtone ou après que GAS eut participé d'une manière ou d'une autre à la vente de ces véhicules à des personnes autochtones. Il n'était pas au courant, par exemple, que GAS avait avancé les fonds nécessaires pour que les banques émettent les traites pour le paiement de ces véhicules.

[27] Les avocats de l'intimée ont interrogé des représentants de chacun des onze concessionnaires qui ont vendu les 19 véhicules à des Autochtones. La grande majorité d'entre eux savaient qui étaient M. Cusano, M. Di Girolamo et GAS. Ceux qui connaissaient M. Cusano ou M. Di Girolamo personnellement ou de réputation ont tous déclaré ne pas avoir vendu ou ne pas se rappeler avoir vendu par le passé un véhicule à GAS, à l'exception d'un concessionnaire d'automobiles. L'intimée a appelé comme témoin le vice-président de À ma Baie, M. Pierre Legault, et ce dernier a essentiellement confirmé les renseignements offerts par M. Lessard. La plupart des autres représentants des concessionnaires d'automobiles ont également confirmé qu'ils avaient suivi une procédure semblable à celle décrite par M. Lessard. Certains de ces représentants ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas vendre de voiture à un coût moindre que ce qu'ils avaient payé et qu'ils ne comprenaient pas comment GAS avait pu y parvenir. L'un d'eux a suggéré que l'argent avait pu être payé sous la table.

[28] Dans la plupart des cas, les traites bancaires émises par la Banque Royale qui avaient été utilisées pour payer les concessionnaires d'automobiles constituent l'unique preuve liant GAS aux ventes faites par les concessionnaires d'automobiles à des Autochtones. Toutefois, il y a au moins trois exceptions. Au dos de l'un des contrats entre un concessionnaire d'automobiles (“ Maisonneuve Chrysler ”) et une société autochtone figure la signature de M. Cusano, qui reconnaît la livraison d'un Grand Cherokee. Pour ce qui est de la vente d'un Grand Caravan à un Autochtone (décrite dans la pièce I-1), un chèque de 250 $ a été libellé à l'ordre de M. Di Girolamo par le concessionnaire d'automobiles (“ Impact Dodge Chrysler ”). M. Brisebois, le propriétaire de cette concession d'automobiles, a reconnu, au cours de son interrogatoire mené par les avocats de l'intimée, avoir payé le montant de 250 $, mais il a affirmé que cela avait été fait parce que M. Di Girolamo avait déclaré que ce montant “ représentait son profit ” et que l'acheteur autochtone était apparemment au courant de cette entente. Il a également confirmé que le véhicule avait été livré dans une réserve. Enfin, pour ce qui est de la vente d'un Ford F-350 par Formule Ford Inc. (décrite dans les pièces I-13 et I-24), un bordereau de dépôt (pièce I-25) du concessionnaire d'automobiles indique le nom de M. “ Vito Casano ” (probablement Cusano) ainsi que celui de M. “ Donald Caya ” (probablement Donald Cayer, qui était l'acheteur autochtone du camion Ford). Cette preuve semble indiquer que GAS peut avoir eu une participation plus grande que ce que M. Cusano est prêt à reconnaître.

[29] Avant que la cotisation soit terminée, le premier vérificateur a pris un congé autorisé. La cotisation a été établie par un deuxième vérificateur (“ deuxième vérificateur ”), qui a également témoigné. Avant d'établir la cotisation, le 21 février 1997, ce vérificateur a accordé des CTI supplémentaires pour ce qui est des véhicules achetés par GAS et dont le paiement avait été effectué directement à CAM et en ce qui a trait à un véhicule qui n'avait pas fait l'objet d'une vente en amont à un Autochtone.

[30] Lorsqu'on lui a demandé de résumer le fondement de la cotisation du ministre, le premier vérificateur a déclaré que les Autochtones agissaient en tant que représentants de GAS et que, comme aucune TPS n'était payée par eux aux concessionnaires d'automobiles, les obligations du paragraphe 169(1) de la Loi n'avaient pas été respectées. Les faits soutenant cette conclusion sont les suivants :

[TRADUCTION]

1. Les paiements effectués par GAS ont été versés aux concessionnaires d'automobiles ou à Gestion, laquelle n'agissait que comme intermédiaire entre GAS et les personnes autochtones (un “ compte transitoire ” selon les mots du vérificateur).

2. L'argent utilisé par les Autochtones pour payer les concessionnaires d'automobiles provenaient d'une source en aval, c.-à-d. de GAS.

3. Il y a eu un échange rapide de véhicules entre les concessionnaires d'automobiles, les Autochtones, CAM et GAS, et parfois les contrats entre CAM et GAS portaient une date antérieure à celle des ventes entre les concessionnaires d'automobiles et les Autochtones.

4. Tous les prix d'achat prétendument payés par GAS et CAM étaient inférieurs aux montants payés par les Autochtones et, à au moins trois occasions, ils étaient inférieurs à ce qu'il en avait coûté aux concessionnaires d'automobiles.

[31] En réponse évidente à mes commentaires formulés avant le début de l'audience, le premier vérificateur a déclaré que la politique du ministre était de ne pas accorder de CTI en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi lorsque ce dernier était d'avis qu'un inscrit n'avait pas payé la TPS sur ses achats. Le ministre n'appliquait l'article 165 qu'aux cas où les achats étaient effectués par des personnes qui n'étaient pas des inscrites. Ce vérificateur a également noté que GAS avait tiré profit de la cotisation établie par le ministre en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi. S'il avait appliqué l'article 165, le montant fixé aurait été plus élevé de 4 298 $ : 51 574 $ au lieu de 47 276 $[4].

[32] De plus, en réponse à mes commentaires formulés avant l'audience, je crois, le premier vérificateur a fourni un autre motif dans l'éventualité où le paragraphe 169(1) de la Loi ne s'appliquerait pas, pour rejeter les CTI demandés par GAS. Ce vérificateur a déclaré que GAS n'avait pas respecté le paragraphe 169(4) de la Loi, lequel prévoit qu'un inscrit ne peut demander un CTI que si, avant de produire la déclaration à cette fin, il obtient des renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris tout renseignement visé par règlement. Le vérificateur a remarqué que les factures n'indiquaient pas que la TPS avait été perçue par les concessionnaires d'automobiles.

[33] Subsidiairement, le premier vérificateur a déclaré que l'acquisition des 19 véhicules faisait partie d'un plan organisé en vue d'obtenir des CTI malgré le fait qu'aucune TPS n'ait été payée par GAS et que, par conséquent, l'article 274 s'appliquait.

[34] Le premier vérificateur n'a pas procédé à une quelconque vérification de CAM, de Gestion, des Autochtones ou des concessionnaires d'automobiles et n'a même pas communiqué avec les représentants de Gestion. Ce vérificateur ne savait pas si les Autochtones étaient inscrits en vertu de la Loi, même si la preuve a révélé que certaines des onze personnes autochtones ou sociétés autochtones ayant acheté les 19 véhicules en avaient acheté plus de un. En réalité, quatre d'entre elles ont acheté plus qu'un véhicule, et trois en ont acheté au moins trois. Le premier vérificateur ne savait pas non plus si une cotisation avait été établie à l'égard de ces Autochtones et des concessionnaires d'automobiles pour avoir omis de percevoir la TPS sur la vente des 19 véhicules.

[35] L'audience a révélé qu'une cotisation avait été établie à l'égard d'au moins un concessionnaire d'automobiles, à savoir Maisonneuve Chrysler. M. Perreault, son président, a déclaré qu'une cotisation avait été établie à l'égard de sa société pour avoir omis de percevoir la TPS sur des ventes faites à des Autochtones et à une société autochtone. Dans le cas de cette dernière, il appert que la société ne s'était pas conformé à la politique du ministre en omettant d'obtenir une autorisation appropriée de la bande indienne. Il semble que le ministre n'ait pas établi de cotisation à l'égard d'au moins quatre concessionnaires d'automobiles. Il s'agit de Goyer Pontiac, de Formule Ford Inc., de Pointe Claire Chrysler et de À ma Baie.

Explications de M. Cusano

[36] M. Cusano a reconnu que sa signature figurait au dos d'un contrat de vente entre Maisonneuve Chrysler et une société autochtone. Il a expliqué ces circonstances comme cela est décrit ci-dessous. Il a déclaré que GAS avait préparé l'achat, auprès de CAM, d'un Grand Cherokee, qui devait être livré à une date ultérieure. La livraison n'a pas eu lieu comme prévu parce que CAM n'avait pas eu le temps d'envoyer ses “ jockeys ” (c.-à-d. ses livreurs) prendre livraison du V.L.T. à Québec, où Maisonneuve Chrysler était située. M. Cusano était très préoccupé et il a décidé de conduire lui-même les jockeys à Québec. Comme les jockeys ne voulaient pas signer l'accusé de réception du véhicule, M. Cusano a accepté de le faire. Il a déclaré que le V.L.T. avait été livré chez lui au cours de la nuit. Toutefois, M. Cusano soutenait de manière plutôt surprenante qu'il ne savait pas que ce véhicule était vendu par Maisonneuve à une société autochtone.

[37] Selon M. Cusano, le prix payé par GAS, pour l'achat des 19 véhicules de CAM et de 7167, représentait la juste valeur marchande de ces véhicules. Il a ajouté que, comme dans tout autre secteur de vente d'automobiles, le prix payé pour les 19 véhicules variait en fonction de la demande pour ce genre de véhicule. Selon lui, si CAM avait pu obtenir plus pour ces véhicules que ce qui avait été payé par GAS, elle l'aurait fait en les vendant à l'encan ou à d'autres acheteurs que GAS.

Analyse

[38] La première question à trancher est celle de savoir qui porte le fardeau de la preuve en l'espèce. Qui avait le fardeau d'établir ou de démolir les faits soutenant la cotisation? Les règles régissant le fardeau de preuve ont été établies dans de nombreuses décisions judiciaires. À mon avis, les deux plus pertinentes en l'espèce sont les affaires M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., 64 DTC 5184 et Brewster c. La Reine, C.F. 1er., inst., no T-331-74, 30 janvier 1976 (76 DTC 6046). Dans l'affaire Pillsbury Holdings, le juge Cattanach renvoie à la page 5188 de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Johnston v. M.N.R., [1948] R.C.S 486 (3 DTC 1182) et en particulier à la remarque incidente du juge Rand, qui a rédigé les motifs de la majorité :

[TRADUCTION]

L'appelant doit ensuite accepter ces présomptions ou conclusions de fait de l'inspecteur des impôts ou du ministre telles qu'elles ont été formulées par ces derniers, sauf s'il les conteste.

[39] Le juge Cattanach décrit ensuite comment le contribuable, l'intimé dans cette affaire, aurait pu contester les conclusions du ministre :

[TRADUCTION]

[. . .] L'intimé aurait pu faire valoir, lorsque le Ministre a établi sa cotisation, que celui-ci présumait les faits évoqués au paragraphe 6 de l'avis d'appel :

a) en contestant l'allégation du ministre selon laquelle il présumait ces faits,

b) en se chargeant de prouver que l'une, ou plusieurs, des présomptions était fausse;

c) en prétendant, même si les présomptions étaient justifiées, qu'en soi elles n'étayaient pas la cotisation.

(Le Ministre aurait pu, de toute évidence, invoquer dans son avis d'appel, en sus de l'argument fondé sur les faits qu'il avait constatés ou qu'il présumait lorsqu'il a cotisé l'intimé, des faits nouveaux ou d'autres faits qui pourraient étayer la cotisation. S'il avait invoqué ces faits nouveaux ou autres faits, il aurait eu présumément le fardeau de les prouver [...])

[Je souligne.]

[40] Dans l'affaire Brewster, une décision de la Cour fédérale du Canada, Section de première instance, le juge Gibson adopte essentiellement une approche semblable à la page 6 (76 DTC 6046, à la page 6049), où il déclare :

Dans l'état actuel du droit, il n'est pas possible d'alléguer diverses présomptions parmi lesquelles on peut choisir. Il incombe de droit au contribuable de renverser toutes les présomptions ou une partie de ces dernières. Mais la défenderesse peut alléguer d'autres faits nouveaux pour établir ses cotisations ou de nouvelles cotisations et alors il incombe au ministre du Revenu national de prouver ces nouveaux faits.

[41] En l'espèce, l'intimée soutient la cotisation du ministre avec des faits différents de ceux sur lesquels reposait sa présomption au moment de l'établissement de la cotisation. En établissant une cotisation à l'égard de GAS, le ministre avait présumé que les concessionnaires d'automobiles avaient vendu les véhicules à des Autochtones. Devant cette cour, toutefois, l'intimée a changé sa position et a prétendu que les concessionnaires d'automobiles avaient vendu les 19 véhicules à des Autochtones agissant à titre de représentants de GAS. Par conséquent, il est évident que l'intimée a le fardeau d'établir les faits appuyant la cotisation, c'est-à-dire non seulement ceux qui appuient la cotisation fondée sur les articles 169 et 225 de la Loi, mais également ceux qui appuient la cotisation fondée sur l'article 274 de la Loi.

[42] Malheureusement pour l'intimée, je ne crois pas que les présomptions de fait du ministre au moment de l'établissement de la cotisation ou que les faits allégués par l'intimée devant cette cour puissent appuyer la cotisation. Je vais maintenant exposer en détail les motifs de ma conclusion.

La cotisation fondée sur le paragraphe 169(1) de la Loi

[43] La cotisation établie par le ministre est réellement fondée sur les paragraphes 225(1) et 169(1) de la Loi. Le paragraphe 225(1) est ainsi rédigé :

225. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente sous-section, la taxe nette pour une période de déclaration donnée d'une personne correspond au montant, positif ou négatif, obtenu par la formule suivante :

A - B

où :

A représente le total des montants suivants :

a) les montants devenus percevables et les autres montants perçus par la personne au cours de la période donnée au titre de la taxe prévue à la section II;

b) les montants à ajouter aux termes de la présente partie dans le calcul de la taxe nette de la personne pour la période donnée;

B le total des montants suivants :

a) l'ensemble des montants dont chacun représente un crédit de taxe sur les intrants pour la période donnée ou une période de déclaration antérieure de la personne, que celle-ci a demandé dans la déclaration produite en application de la présente section pour la période donnée;

b) l'ensemble des montants dont chacun représente un montant que la personne peut déduire en application de la présente partie dans le calcul de sa taxe nette pour la période donnée et qu'elle a indiqué dans la déclaration produite en application de la présente section pour cette période.

[Je souligne.]

[44] Les CTI doivent être calculés conformément au paragraphe 169(1) de la Loi, que j'ai cité ci-dessus. Le ministre prétend que GAS n'a pas payé la TPS au moment de l'acquisition des 19 véhicules des concessionnaires d'automobiles et que, par conséquent, elle n'a pas droit aux CTI. À mon avis, le ministre a mal appliqué le paragraphe 169(1) de la Loi. La TPS était “ payable ” pour ce qui est de tous les véhicules, peu importe que nous considérions que GAS ait acheté ses 19 véhicules de CAM ou, comme l'a allégué l'intimée, qu'elle ait acheté ces véhicules de concessionnaires d'automobiles en vertu d'un mandat donné à des Autochtones. GAS n'a pas le droit d'être exonérée en vertu de la Loi ou de la Loi sur les Indiens, et la TPS était payable en ce qui a trait aux fournitures qu'elle avait acquises de n'importe quel fournisseur. Et c'est tout ce qu'exige le paragraphe 169(1) de la Loi. Le fait que la TPS ait pu ne pas avoir été payée n'est pas pertinent. La formulation du paragraphe 169(1) est claire. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de décider si les 19 véhicules ont été achetés de CAM ou de concessionnaires d'automobiles. Dans l'un ou l'autre cas, la TPS était payable, et GAS avait droit aux CTI refusés par le ministre.

[45] Le premier vérificateur et les avocats de l'intimée étaient également d'avis que GAS n'avait pas droit aux CTI parce qu'elle ne respectait pas les conditions du paragraphe 169(4) de la Loi, qui est ainsi rédigé :

(4) L'inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

a) il obtient les renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

b) dans le cas où le crédit se rapporte à un immeuble fourni par vente dans des circonstances où le paragraphe 221(2) s'applique, il produit la déclaration prévue au paragraphe 228(4).

[Je souligne.]

[46] Encore une fois, je crois que l'intimée a tort. Ce paragraphe exige que l'inscrit demandant les CTI ait obtenu, avant de produire sa déclaration (dans laquelle les CTI sont demandés), des renseignements suffisants pour établir le montant des CTI. En l'espèce, la preuve révèle que GAS a obtenu une facture pour chacun des 19 véhicules qui ont été achetés de CAM. Les renseignements contenus dans ces factures sont à mon avis suffisants pour établir le montant des CTI pouvant être demandé en ce qui a trait aux 19 véhicules.

[47] Même si je supposais, comme l'a soutenu l'intimée, que les personnes autochtones agissaient à titre de représentants de GAS en achetant les 19 véhicules, les factures émises par les concessionnaires d'automobiles devenaient ensuite des factures pour GAS. Ces factures fournissent les renseignements suffisants pour établir le montant de CTI pouvant être demandé par GAS. Les seuls renseignements qui ne figurent pas sur les factures concernent le montant de TPS payé. Cela n'est pas surprenant parce que les concessionnaires d'automobiles croyaient qu'ils vendaient les véhicules à des Autochtones et que ces personnes avaient droit à une exonération fiscale en vertu de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, à mon avis, les conditions du paragraphe 169(4) ont été respectées en l'espèce. Compte tenu du fait qu'aucun autre motif n'a été avancé pour empêcher GAS de demander les CTI en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi, je conclus que GAS a droit aux CTI en ce qui a trait aux 19 véhicules.

La cotisation fondée sur l'article 274 de la Loi

[48] Subsidiairement, l'intimée s'est fondée sur l'application de la RGAÉ de l'article 274 pour appuyer la cotisation que le ministre a établie à l'égard de GAS. Cet article est en partie ainsi rédigé :

274(1) Définitions — Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

“ attribut fiscal ” S'agissant des attributs fiscaux d'une personne, taxe, taxe nette, crédit de taxe sur les intrants, remboursement ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente partie, ainsi que tout autre montant à prendre en compte dans le calcul de la taxe, de la taxe nette, du crédit de taxe sur les intrants, du remboursement ou de l'autre montant payable par cette personne ou du montant qui lui est remboursable.

“ avantage fiscal ” Réduction, évitement ou report de taxe ou d'un autre montant payable en application de la présente partie ou augmentation d'un remboursement visé par la présente partie.

“ opération ” Y sont assimilés les conventions, les mécanismes et les événements.

274(2) Disposition générale anti-évitement

(2) En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de sorte à supprimer un avantage fiscal qui, en l'absence du présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont celle-ci fait partie.

274(3) Opération d'évitement

(3) L'opération d'évitement s'entend :

a) soit de l'opération dont, en l'absence du présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, en l'absence du présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

274(4) Champ d'application précisé

(4) Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente partie lue dans son ensemble — abstraction faite du présent article — n'est pas visée par le paragraphe (2).

[. . .]

[49] À mon avis, pour les besoins du présent appel, les mots clés de l'article 274 sont ceux que j'ai soulignés ci-dessus. Pour que le paragraphe 274(2) puisse s'appliquer, il doit y avoir un avantage fiscal qui, en l'absence de cet article, découlerait, directement ou indirectement, d'une opération ou d'une série d'opérations dont celle-ci fait partie. Dans la définition d'une “ opération d'évitement ” figurant au paragraphe 274(3) de la Loi, nous trouvons les mêmes mots clés : une “ opération d'évitement ” signifie une opération dont, “ en l'absence du présent article ”, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal. À mon avis, il est évident que la RGAÉ constitue une disposition de dernier recours et qu'elle ne s'applique que lorsque toutes les autres dispositions de la Loi n'ont pu empêcher une personne de bénéficier d'un avantage fiscal en vertu de la partie IX de la Loi qui constituait un abus. La RGAÉ de l'article 274 est semblable à celle figurant à l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu (“ Loi de l'impôt ”). Une analyse historique des modifications apportées à la Loi de l'impôt révèle que la RGAÉ a été adoptée après que le ministre, à de nombreuses reprises, n'eut pas été en mesure d'empêcher des contribuables de profiter d'avantages fiscaux indus. Ces contribuables respectaient toutes les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt, et aucune règle particulière ne les empêchait de profiter de ces avantages indus.

[50] En l'espèce, il existe une disposition qui pouvait être appliquée par le ministre afin d'empêcher GAS de profiter de l'avantage fiscal prétendu, et elle figure à la section II de la partie IX de la Loi. Cette disposition est le paragraphe 165(1), la disposition imposant une responsabilité, lequel est ainsi rédigé :

165. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l'acquéreur d'une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 7 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

[51] Le pouvoir du ministre d'établir une cotisation en vertu du paragraphe 165(1) est conféré par l'alinéa 296(1)b) de la Loi, qui est ainsi rédigé :

296. (1) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire pour déterminer :

[. . .]

b) la taxe payable par une personne en application de la section II ou IV;

[. . .]

[52] En outre, en vertu de l'alinéa 298(1)c) de la Loi, le ministre a le pouvoir d'établir une telle cotisation d'un impôt payable en vertu de la section II au cours d'une période de quatre années après que l'impôt est devenu payable. Par conséquent, si le ministre croyait que GAS avait acheté les 19 véhicules de concessionnaires d'automobiles par un mandat donné à des Autochtones et qu'elle devait payer la TPS sur le prix payé par les Autochtones aux concessionnaires d'automobiles, il aurait dû établir une cotisation à l'égard de GAS en vertu de l'article 165 de la Loi. Dans leurs arguments, les avocats de l'intimée n'ont mentionné aucun obstacle légal empêchant cette dernière d'avoir recours à l'article 165 de la Loi en l'espèce, et, personnellement, je n'en connais aucun. Il n'est absolument pas nécessaire de se fonder sur l'article 274 de la Loi pour percevoir la TPS dans les circonstances de l'espèce. Si le ministre avait établi une cotisation à l'égard de GAS en vertu de l'article 165, il aurait perçu plus de taxes qu'il n'en a obtenu en refusant les CTI demandés par GAS lors de son achat des 19 véhicules de CAM. Il s'agit d'une raison de plus pour appliquer la disposition pertinente de la Loi. Non seulement il ne serait pas approprié d'appliquer l'article 274 aux faits en l'espèce, mais il s'agirait à mon avis d'un exercice abusif de la disposition elle-même ou d'un recours abusif à celle-ci.

[53] Compte tenu que l'intimée n'est à aucun moment intervenue pour modifier l'avis d'appel ou n'a pas tenté de défendre la cotisation du ministre selon un motif différent, comme en se fondant sur l'article 165 de la Loi, comme elle avait droit de le faire en vertu du paragraphe 298(6.1) de la Loi, il ne serait pas approprié pour moi d'examiner tout autre motif. Comme le juge Bastarache l'a déclaré dans l'affaire La Reine c. Banque Continentale du Canada, [1998] 2 R.C.S. 358, à la page 367 (98 DTC 6501, à la page 6505), les contribuables ont le droit de savoir sur quelle base repose la cotisation qui est établie à leur égard :

[32] Les contribuables doivent savoir sur quelle base repose la cotisation qui leur est transmise afin de pouvoir présenter les éléments de preuve appropriés pour la contester. En l'espèce, il n'est pas évident que les faits étayent l'établissement d'une nouvelle cotisation sur la base invoquée par l'appelante.

[54] En outre, à mon avis, non seulement les contribuables ont-ils le droit de savoir sur quelle base se fonde le ministre pour établir une cotisation à leur égard, mais ils ont également le droit de le savoir avant l'audition de leur appel de façon à disposer de suffisamment de temps pour se préparer adéquatement afin de pouvoir contester la position du ministre. En l'espèce, l'avocat de GAS a laissé entendre qu'un ajournement de l'audience aurait pu être demandé si l'intimée avait tenté de modifier la réponse à l'avis d'appel et si j'avais autorisé une telle modification à une étape aussi tardive.

[55] En rétrospective, je crois qu'il s'agit d'une affaire où l'appelante aurait pu intervenir pour faire radier les actes de procédure de l'intimée en vertu de l'alinéa 58(1)b) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), parce qu'ils ne révélaient aucun moyen raisonnable permettant de confirmer la cotisation que le ministre avait établie à l'égard de GAS, et demander que l'appel soit accueilli. Si cela avait été fait, nous nous serions évité cinq jours d'audience.

[56] Pour tous ces motifs, l'appel de GAS est accueilli avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que GAS avait droit non seulement aux CTI qu'elle avait demandés en ce qui a trait aux 19 véhicules (c'est-à-dire 47 276 $), mais également au montant qui a été refusé à tort par le ministre (c'est-à-dire 22 576,92 $).

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mars 2001.

“ Pierre Archambault ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de mars 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1] Dans la province de Québec, le ministre du Revenu est responsable de l'application de la Loi sur la taxe de vente du Québec ainsi que de l'application, au nom du ministre du Revenu national (le “ ministre ”), de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”).

[2] En réalité, le montant s'élevait à 69 853,31 $, mais, au cours de l'audience, les avocats de l'intimée ont admis que le montant des CTI rejetés était de 47 276,39 $. Par conséquent, GAS a au moins droit à des CTI supplémentaires de 22 576,92 $.

[3] Avant le début de l'audience, j'ai indiqué aux avocats de l'intimée que je ne voyais pas comment cette dernière pouvait se fonder sur le paragraphe 169(1) de la Loi compte tenu du fait qu'un inscrit a droit à un CTI lorsqu'il acquiert un bien pour lequel une taxe est “ payable ” en vertu de la Loi. J'ai proposé que la disposition n'exige pas que la taxe ait été “ payée ” pour qu'une personne ait droit au CTI. J'ai indiqué que, si l'intimée croyait que GAS avait acheté les 19 véhicules directement des concessionnaires d'automobiles, elle aurait pu établir une cotisation à l'égard de cette dernière en vertu de l'article 165 de la Loi. Toutefois, les avocats de l'intimée sont demeurés sur leur position et n'ont pas proposé de consentir au jugement en faveur de GAS, et l'intimée n'a pas tenté de modifier la réponse à l'avis d'appel de façon à avancer de nouveaux motifs devant cette cour afin de soutenir la cotisation du ministre. À aucun moment au cours de l'audition du présent appel l'intimée n'a tenté de défendre la cotisation sur la base de l'article 165 de la Loi. On doit remarquer que la Loi a été modifiée par L.C. 2000, ch. 30, 89(4) et (5) afin que soit ajouté le paragraphe 298(6.1), applicable à un appel réglé après la date de sanction de la Loi modifiée, peu importe le moment où l'appel a été interjeté. La Loi modifiée a obtenu la sanction royale le 20 octobre 2000, cinq semaines avant le début de l'audition de la présente affaire. Le paragraphe 298(6.1) est ainsi rédigé :

(6.1) Nouvel argument à l'appui d'une cotisation — Le ministre peut avancer un nouvel argument à l'appui d'une cotisation établie à l'égard d'une personne après l'expiration des délais prévus aux paragraphes (1) ou (2) pour l'établissement de la cotisation, sauf si, sur appel interjeté en vertu de la présente partie :

a) d'une part, il existe des éléments de preuve que la personne n'est plus en mesure de produire sans l'autorisation du tribunal;

b) d'autre part, il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances.

[4] Le total payé par les Autochtones aux concessionnaires d'automobiles s'élevait à 736 777 $, alors que celui payé par GAS à CAM s'élevait à 675 377 $. Ainsi, 7% X 736 777 $ = 51 574,42 $, et 7% X 675 377 $ = 47 276,39 $.

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