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Date: 20000404

Dossier: 1999-3465-GST-I

ENTRE :

DENZIL SPENCE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] Le présent appel est interjeté contre une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) sous le régime de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”), soit une cotisation réclamant un montant de 2 363,08 $ avec intérêts et pénalités pour un paiement en trop de crédits de taxe sur les intrants qui avaient été demandés et reçus par l'appelant pour la période du 1er septembre 1994 au 31 août 1996 et qui ont subséquemment été refusés.

[2] En établissant cette cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre se fondait sur les faits suivants, énoncés au paragraphe 2 de la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

a) durant toute la période pertinente, l'appelant était enseignant à temps complet; (admis)

b) de 1991 à 1995, l'appelant a exercé une activité agricole et a subi des pertes provenant de l'exploitation de sa ferme; (admis)

c) l'activité agricole de l'appelant a pris fin en 1995; (admis)

d) le revenu brut produit par l'activité agricole entre 1992 et 1995 ne dépassait pas 600 $; (admis)

e) la terre était trop petite pour permettre d'espérer des profits;

f) l'appelant n'était pas admissible à une aide agricole provinciale;

g) l'activité agricole de l'appelant était exercée sans attente raisonnable de profit;

h) pour la période se terminant le 31 août 1995, l'appelant a demandé et reçu des CTI de 830,31 $; (admis)

i) pour la période se terminant le 31 août 1996, l'appelant a demandé et reçu des CTI de 960 $; (admis)

j) comme l'activité agricole de l'appelant ne constituait pas une activité commerciale au sens de la loi relative à la taxe sur les produits et services, l'appelant n'était pas en droit de recouvrer, grâce au mécanisme de crédits de taxe sur les intrants, la taxe payée sur les biens et services acquis pour utilisation dans cette activité.

[3] L'appelant a été la seule personne à témoigner. Il a expliqué qu'il avait commencé à exercer des activités agricoles lorsque, en octobre 1991, il était devenu un agriculteur à temps partiel inscrit. Ainsi, il payait des droits annuels pour obtenir une “ carte d'agriculteur ” devant le rendre admissible aux programmes d'octroi de subventions du Québec s'il arrivait à vendre pour 2 000 $ ou plus de produits agricoles. De plus, l'appelant pouvait bénéficier du programme de subventions aux naisseurs en vertu des programmes agricoles provinciaux applicables s'il constituait un troupeau d'au moins dix vaches.

[4] En 1991, l'appelant avait trois vaches et deux veaux et a déclaré pour cette année-là un revenu brut de 3 700 $ et une perte nette de 8 658 $. En 1995, il avait cinq vaches et trois veaux. Son revenu brut a graduellement baissé au fil des ans (3 100 $ en 1992, 600 $ en 1993, 1 $ en 1994 et 0 $ en 1995), tandis que les pertes nettes ont augmenté en 1992 et en 1993 (9 150 $ en 1992 et 10 395 $ en 1993), puis ont été ramenées à 2 500 $ en 1994 et à 1 325 $ en 1995 (pièce R-3).

[5] Selon les états d'activités agricoles déposés sous les cotes R-5 et R-6, l'appelant a indiqué très peu de dépenses courantes pour 1994 (690 $ pour les droits d'adhésion et d'abonnement et 60,71 $ pour les frais vétérinaires, les coûts de médicaments et les droits de monte) et il n'a indiqué aucune dépense courante pour 1995.

[6] L'appelant a expliqué que son plan était d'arriver lentement à constituer un troupeau de dix vaches pour recevoir la subvention gouvernementale. Il a reconnu que l'activité agricole n'était pas viable avec moins de dix vaches. Toutefois, en janvier 1995, les règles d'admissibilité pour les agriculteurs à temps partiel ont été modifiées au Québec. Il fallait avoir une production agricole rapportant brut plus de 5 000 $ pour conserver la “ carte d'agriculteur ”. Le système de subventions a également été modifié. Pour être admissible à la subvention destinée aux naisseurs, il fallait avoir vingt vaches au lieu de dix. L'appelant ne voulait pas emprunter d'argent pour accroître son troupeau et il a décidé d'abandonner son exploitation agricole à temps partiel en mars 1995.

[7] Bien qu'il ait mis fin à son activité agricole en mars 1995, l'appelant a, au mois de septembre 1995, demandé en vertu de la Loi un crédit de taxe sur les intrants de 830 $ à l'égard de cette activité pour la période de déclaration du 1er septembre 1994 au 31 août 1995. Il a fait une demande semblable en septembre 1996 pour avoir un crédit de taxe sur les intrants de 960 $ pour la période de déclaration du 1er septembre 1995 au 31 août 1996 (pièces R-1 et R-2).

[8] Le ministre a établi à l'égard de l'appelant une nouvelle cotisation basée sur le fait que l'appelant n'avait pas droit à un crédit de taxe sur les intrants pour les deux périodes susmentionnées parce que son activité agricole ne constituait plus une activité commerciale au sens de la Loi.

[9] En règle générale, lorsque de la taxe est payée sur l'achat de produits utilisés relativement à des activités commerciales, un inscrit a droit à un crédit remboursable. La seule question qui me soit soumise est de savoir si l'activité agricole de l'appelant constituait une activité commerciale au sens de la Loi au cours de la période du 1er septembre 1994 au 31 août 1996.

[10] L'expression “ activité commerciale ” est définie comme suit au paragraphe 123(1) de la Loi :

“ activité commerciale ” - “ activité commerciale ” Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l'exploitation d'une entreprise (à l'exception d'une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l'entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

b) les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l'exception de quelque projet ou affaire qu'entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où le projet ou l'affaire comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

c) la réalisation de fournitures, sauf des fournitures exonérées, d'immeubles appartenant à la personne, y compris les actes qu'elle accomplit dans le cadre ou à l'occasion des fournitures.

[11] La définition de l’expression “ activité commerciale ” exclut les activités dans lesquelles des particuliers se lancent sans attente raisonnable de profit. Dans l'affaire Strachan (K.R.) c. Canada, [1999] G.S.T.C. 72, le juge Hamlyn, de notre cour, a résumé les critères à appliquer pour déterminer ce qui constitue une attente raisonnable de profit. Il disait à la page 72-4 :

[21] Le critère objectif comprend l’évaluation des profits et des pertes encourus au cours des années précédentes, de même que l’analyse du plan opérationnel et du contexte entourant la mise en oeuvre de celui-ci, incluant le plan d’action. Doivent également être considérés dans le cadre de ce critère, le temps consacré à l’activité, ainsi que les antécédents, les études et l’expérience du contribuable.

[22] À moins qu’un élément personnel ne soit en jeu, le critère devrait être utilisé avec modération et en accordant une certaine latitude favorisant le contribuable1. Un examen plus rigoureux est requis en présence d’un élément personnel. Plus particulièrement, l’on ne devrait pas recourir au critère afin de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale de bonne foi quoique mal fondée des contribuables.

[23] S’il n’est pas nécessaire que l’entreprise génère un profit immédiat, certaines choses doivent néanmoins se produire au cours de la période de démarrage. Bien que chaque entreprise bénéficie d’un délai de grâce à l’égard des frais de démarrage, ceci ne dispense pas pour autant de l’obligation de démontrer que l’entreprise est : “ structurée, organisée, équipée, financée et planifiée de manière à pouvoir, à l'époque, être considérée comme raisonnablement susceptible d'être un jour rentable. ”2 Lorsque ces critères sont présents, le délai nécessaire pour que l’entreprise devienne rentable dépend directement de l’activité en question.

__________________

1 Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73, [1996] 1 C.T.C. 205, 96 DTC 6001 (C.A.F.).

2 Patricia Watt c. La Reine, C.A.F., no A-332-95, 24 septembre 1997, [1997] 3 C.T.C. 462, 97 DTC 5459, à la page 5461.

[12] Dans la présente espèce, il incombait à l'appelant de prouver que, durant la période du 1er septembre 1994 au 31 août 1996, il avait une attente raisonnable de profit à l'égard de son activité agricole. Cette activité n'avait donné lieu à aucun profit depuis le début. Pour 1994, aucun revenu n'a été déclaré et pratiquement aucune dépense n'a été déduite relativement à l'activité agricole (pièces R-5 et R-6). L'appelant était enseignant à temps complet et n'a pas démontré qu'il consacrait du temps et de l'énergie à exploiter la ferme de manière à la rendre rentable. Il attendait des subventions, mais n'a pas investi d'argent pour être admissible à une aide publique. En fait, il n'y a jamais été admissible. D'après l'appelant lui-même, il n'était pas en mesure d'être concurrentiel. Avec moins de dix vaches, son activité n'était pas viable. Il a donc abandonné l'ensemble de l'activité agricole en mars 1995.

[13] Dans les circonstances, je ne peux que conclure que l'appelant n'a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que, avant le mois de mars 1995, son activité agricole était organisée, financée et planifiée de manière à être considérée comme raisonnablement susceptible de donner lieu à un profit en temps opportun (voir l'affaire Watt Estate c. La Reine, C.A.F., no A-332-95, 24 septembre 1997 (97 DTC 5459)). De plus, la preuve a révélé que, après mars 1995, il n'y avait plus aucune activité agricole.

[14] L'appelant n'exerçait donc pas une activité commerciale durant la période du 1er septembre 1994 au 31 août 1996 et n'avait donc pas droit à un crédit de taxe sur les intrants relativement à son activité agricole en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi.

[15] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d'avril 2000.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de février 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

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