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Date : 19971110

Dossiers : 95-2971-IT-G; 95-2972-IT-G; 95-2973-IT-G; 95-2974-IT-G; 95-2975-IT-G; 95-2976-IT-G

ENTRE :

DANIEL A. IANNUZZI, ELENA R. CAPRILE,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] L'appelant Daniel A. Iannuzzi est un entrepreneur qui a énormément d'expérience et d'aptitudes. Sur une période de plus de 40 ans, il a eu une fructueuse carrière dans les domaines de la publicité et de la télédiffusion. Par l'entremise de sa compagnie possédée en propriété exclusive, Daisons Corporation (“Daisons”), il a, pendant toute la période ici en cause, contrôlé trois autres corporations, Corcan Publications Inc. (“Corcan”), Fotoset and Budget Web Limited (“Fotoset”) et VitaSana Magazine Inc. (“VitaSana”). Corcan s'occupe de la publication de Corriere Canadese, journal rédigé en italien qui s'adresse à la première génération de Canadiens d'origine italienne de la Région du Grand Toronto. Fotoset s'occupe de composition et d'impression, tant pour Corcan que pour d'autres journaux. VitaSana publie une revue rédigée en italien traitant de divers sujets liés à la santé. Plus récemment, Daisons a exercé son contrôle sur les compagnies en exploitation par l'entremise de MultiMedia Capital Corporation (“MultiMedia”), qui est une compagnie publique dont les actions sont négociées hors cote. Daisons détient environ 34 p. 100 des actions de MultiMedia qui, de son côté, détient la totalité des actions des trois compagnies en exploitation.

[2] L'autre appelante, Elena R. Caprile, a travaillé pour Corcan pendant de nombreuses années. Elle était directrice-rédactrice en chef du Corriere Canadese et rendait directement compte à M. Iannuzzi. M. Iannuzzi et elle entretiennent en outre une relation de conjoints de fait depuis 1970.

[3] Pendant toute la période ici en cause, M. Iannuzzi était administrateur de Daisons, de Corcan, de Fotoset et de VitaSana en plus d'être l'actionnaire majoritaire de ces compagnies. À un moment donné, Mme Caprile était administratrice tant de Daisons que de Corcan. Ces appels se rapportent à des cotisations établies par le ministre du Revenu national (le “ministre”) en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”). Les cotisations imposent aux appelants l'obligation non acquittée des diverses compagnies à l'égard des sommes que ces dernières ont retenues à la source sur le salaire de leurs employés au titre de l'impôt sur le revenu, tant fédéral que provincial, des cotisations à payer en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage (comme cette loi s'appelait alors) et des cotisations au Régime de pensions du Canada, ainsi que des pénalités et intérêts s'y rapportant1. Les cotisations en question s'élèvent aux montants suivants :

Compagnie Date de la cotisationMontant

pour Daniel Iannuzzi

Daisons 20 janvier 1993 175 245,15

Corcan 20 janvier 1993 575 012,97

Fotoset 20 janvier 1993 302 848,10

VitaSana 20 janvier 1993 52 302,75 $

pour Elena Caprile

Daisons 20 janvier 1993 175 245,15 $

Corcan 21 septembre 1994 657 093,51 $

[4] Sur consentement, les six appels ont été entendus ensemble sur preuve commune.

[5] L'étendue de l'obligation qui incombait aux diverses compagnies aux dates pertinentes n'est pas contestée. Les seules questions soulevées par M. Iannuzzi se rapportent à l'allégation selon laquelle il a le droit de se prévaloir du soi-disant moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi, ainsi qu'à l'allégation selon laquelle les compagnies s'étaient acquittées de l'obligation qui leur incombait à l'égard des sommes retenues à la source qui n'avaient pas été versées, du moins en partie par suite d'un contrat de dépôt de garantie sur lequel je reviendrai plus loin. Mme Caprile soulève une question additionnelle. Elle soutient qu'elle n'était plus administratrice de Daisons le 20 janvier 1991, ou de Corcan le 21 septembre 1992, et qu'elle a donc le droit de faire annuler les cotisations en raison du délai de prescription de deux ans qui est fixé au paragraphe 227.1(4).

[6] Les paragraphes 227.1(1), (3) et (4) se lisent comme suit :

227.1(1) Lorsqu'une corporation a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme ou a omis de payer un montant d'impôt en vertu de la Partie VII ou de la Partie VIII pour une année d'imposition, les administrateurs de la corporation, à la date à laquelle la corporation était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la corporation, du paiement de cette somme, incluant tous les intérêts et toutes les pénalités s'y rapportant.

[...]

(3) Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

(4) L'action ou les procédures visant le recouvrement d'une somme payable par un administrateur d'une corporation en vertu du paragraphe (1) sont prescrites après deux ans de la date à laquelle l'administrateur cesse pour la dernière fois d'être un administrateur de cette corporation.

[7] J'examinerai en premier lieu la question de savoir si les cotisations concernant Mme Caprile doivent être annulées en raison du paragraphe 227.1(4) de la Loi. Mme Caprile a témoigné qu'elle était administratrice de Daisons au moment où cette dernière a été constituée le 30 avril 1986 et administratrice de Corcan au moment où cette dernière a été constituée en mai 1987. La chose est confirmée par M. Iannuzzi. Mme Caprile a ensuite témoigné que sa mère, qui habitait à Rome, était gravement malade à la fin de 1989 et que son fils et elle s'étaient rendus en Italie en octobre cette année-là pour une longue période en vue d'être avec elle. Ils habitaient dans l'appartement de la mère, à Rome, et le fils allait à l'école, alors que Mme Caprile travaillait comme correspondante et transmettait des articles qui devaient être publiés dans le Corriere Canadese. Sauf pour une brève visite, Mme Caprile n'est revenue au Canada qu'en juin 1993, après le décès de sa mère. En témoignant, elle a affirmé avec insistance qu'elle s'était désistée de ses fonctions d'administratrice des deux compagnies avant de se rendre à Rome, mais elle ne se rappelait pas la date à laquelle elle avait démissionné. En fait, pendant toute la durée de son témoignage, elle se rappelait remarquablement mal certains événements importants, en particulier sur des points essentiels à la détermination des questions ici en cause. Je m'attendrais à ce qu'un témoin qui a des antécédents de journaliste et qui est de toute évidence intelligent se rappelle mieux les dates de certains événements et passe un certain temps avant l'audience à reconstituer la suite des événements dans son esprit. À mon avis, le témoignage de Mme Caprile n'est pas digne de foi sur ce point, ou de fait sur tout point lorsqu'il contredit d'autres éléments de preuve.

[8] L'autre témoignage portant sur ce point est celui de M. Iannuzzi qui a dit que Mme Caprile avait cessé d'être une administratrice au moment où MultiMedia avait été constituée. Toutefois, M. Iannuzzi n'a pas pu expliquer pourquoi une résolution des administrateurs de Corcan avait dû être télécopiée à Mme Caprile à Rome pour qu'elle la signe en septembre 1990, plus d'un an après que MultiMedia eut été constituée. Compte tenu de la relation personnelle qu'il entretenait avec Mme Caprile, il a un intérêt dans l'issue des appels qui concernent cette dernière. Étant donné l'absence non motivée de la meilleure preuve, preuve sur laquelle je reviendrai ci-dessous, les déclarations non corroborées de l'un ou l'autre des appelants sur ce point ne sont pas retenues.

[9] L'avocat a cherché à corroborer la preuve, en ce qui concerne le fait que Mme Caprile avait cessé d'être une administratrice de Daisons et de Corcan en présentant plusieurs photocopies non certifiées des documents déposés par ces corporations en vertu de la Corporations Information Act2 de l'Ontario. À mon avis, ces photocopies ne constituent pas une preuve satisfaisante. En vertu de cette loi, un avis de modification concernant les dirigeants ou les administrateurs d'une personne morale, certifié par un administrateur, un dirigeant ou une personne informée, doit être déposé auprès de la Direction des compagnies du ministère de la Consommation et du Commerce dans les 15 jours qui suivent le changement.

[10] Parmi les photocopies qui ont été produites en preuve sans objection à l'audience, il y en avait deux qui se rapportaient à Corcan. L'une des photocopies est réputée attester que Mme Caprile a cessé d'être une administratrice le 21 décembre 1989 et l'autre montre que Mme Caprile a cessé d'être une administratrice le 1er octobre 1991. Les documents et les témoignages ne laissent pas entendre que Mme Caprile avait été nommée administratrice une deuxième fois entre ces deux dates, et aucune copie d'un document déposé faisant foi de pareille nomination n'a été produite. Les deux avis sont signés par Erwin Sui pour le compte de la compagnie. M. Sui n'était pas lui-même dirigeant ou administrateur de Corcan. Il a signé les documents en sa qualité de “personne informée” du fait qu'il était membre du cabinet d'avocats Eversley et Sui, ces derniers étant les procureurs de ce groupe de compagnies pendant la période pertinente. Le 30 novembre 1990, M. Eversley a attesté, à l'intention d'une banque de laquelle le groupe de compagnies voulait obtenir des fonds, que Mme Caprile était alors administratrice de Corcan. La pièce A-3 qui a été produite à l'audience est une copie d'une résolution des administrateurs de Corcan, datée du 26 septembre 1990 et signée par Daniel A. Iannuzzi et Elena Caprile, dans laquelle ces derniers déclarent être les administrateurs de Corcan. Ce document a été préparé par MM. Eversley et Sui et télécopié à Mme Caprile, en Italie; Mme Caprile a signé le document et l'a renvoyé par télécopieur.

[11] Compte tenu de ces éléments de preuve contradictoires, les témoignages de Mme Caprile et de M. Iannuzzi sur ce point ne sont pas retenus. L'avocat des appelants a soutenu que malgré toutes les incohérences, je devrais considérer comme exacte la photocopie du document déposé par M. Sui, montrant que Mme Caprile avait cessé d'être une administratrice de Corcan le 1er octobre 1991, même si la première attestation n'était pas exacte. Toutefois, rien ne me permet de croire que la deuxième attestation est plus digne de foi que la première.

[12] Parmi les divers documents déposés par les compagnies en vertu de la Corporations Information Act, dont les copies ont été produites en preuve, un seul montre que Mme Caprile avait cessé d'être une administratrice de Daisons. Il s'agit du dernier document qui a été déposé, lequel a été établi le 14 octobre 1993. Ce document montre que Daniel Iannuzzi était alors l'unique dirigeant et administrateur de Daisons. Il est signé par M. Iannuzzi. Les documents qui avaient antérieurement été déposés montrent que Mme Caprile était vice-présidente et administratrice, et je conclus qu'elle a continué à l'être jusqu'au mois de septembre 1993, étant donné qu'en vertu de la loi, l'avis de modification doit être déposé dans les 15 jours qui suivent le changement.

[13] En vertu de la Corporations Act3 de l'Ontario, les personnes morales doivent tenir certains dossiers, notamment un registre des administrateurs ainsi qu'un registre des procès-verbaux. Aucun document de la compagnie n'a été produit à l'audience, et aucune copie du document faisant foi de la démission de Mme Caprile, en sa qualité d'administratrice de l'une ou l'autre des compagnies, n'a été produite. Ni M. Sui ni M. Eversley n'ont été appelés pour présenter une preuve qui pourrait faire la lumière sur ces incohérences. De plus, on n'a produit aucun élément de preuve en vue d'expliquer ces omissions. La seule explication qui a été offerte a été fournie par l'avocat lorsque j'ai soulevé la question pendant les plaidoiries, et celui-ci a déclaré que les dossiers des compagnies avaient posé certains problèmes, sans aucunement indiquer la nature de ces problèmes.

[14] Dans ces conditions, lorsqu'une partie omet de présenter la meilleure preuve ou de fournir une explication satisfaisante au sujet de la raison pour laquelle pareille preuve n'est pas disponible, je me vois obligé d'inférer que la meilleure preuve, si elle était présentée, n'aiderait pas cette partie4. Je conclus que l'appelante, Elena Caprile, ne s'est pas acquittée de l'obligation qui lui incombait de réfuter les hypothèses émises par le ministre, à savoir qu'elle était une administratrice de Daisons et de Corcan “pendant toute la période pertinente” et qu'elle ne peut pas invoquer le paragraphe 227.1(4) de la Loi.

[15] Mme Caprile a soulevé le moyen de défense voulant qu'elle ne s'occupait pas du côté financier de l'entreprise, mais qu'elle s'en remettait entièrement à M. Iannuzzi. Elle a affirmé que ce dernier s'occupait des finances et qu'il ne lui demandait pas son avis. De fait, il semble qu'elle n'ait assisté qu'à une réunion d'un conseil d'administration, et elle ne se rappelait pas ce dont il avait été question. Elle ne connaissait rien des obligations et responsabilités de l'administrateur et il semble qu'elle ne se soit pas renseignée à ce sujet. Lorsque M. Iannuzzi lui demandait d'être membre de ces conseils, elle considérait qu'il s'agissait d'une nomination honorifique. Il a été soutenu qu'il s'agit de circonstances dont il faut tenir compte lorsqu'on apprécie le degré de soin dont l'appelante devrait faire preuve et que, dans ces circonstances, on s'attendrait à peu de choses d'une personne raisonnablement prudente ou encore on ne s'attendrait à rien.

[16] Il est certain que les tâches de Mme Caprile se sont toujours rapportées à l'aspect créatif plutôt qu'à la gestion de l'entreprise. Chez Corcan, Mme Caprile était responsable de ce qui était publié et de temps en temps elle agissait également comme rédactrice. D'autres personnes s'occupaient des revenus et du paiement des comptes. Je ne sais pas trop si Mme Caprile exerçait ses fonctions à titre d'employée de Daisons, mais pendant toute la période pertinente, elle était vice-présidente de la compagnie. À coup sûr, en témoignant, elle n'a pas donné à entendre qu'elle exerçait une fonction particulière à titre de vice-présidente. Toutefois, ces faits à eux seuls ne permettent pas de conclure qu'elle n'avait pas de responsabilités à titre d'administratrice.

[17] Un grand nombre de jugements portent sur la norme à laquelle doivent satisfaire les administrateurs à l'égard de leur responsabilité éventuelle lorsqu'une compagnie ne verse pas les sommes retenues à la source dans diverses circonstances. Les principes applicables ont récemment été énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Soper v. The Queen5. Dans cet arrêt-là, le juge Robertson, qui rendait jugement en son nom personnel et au nom du juge Linden, a souligné que les administrateurs internes, ceux qui s'occupent des affaires quotidiennes de la compagnie, auront de la difficulté à soutenir qu'ils ne savaient pas, ou qu'on ne devrait pas s'attendre à ce qu'ils aient su, qu'il fallait verser les sommes retenues à la source et qu'ils n'étaient pas au courant, ou qu'on ne devrait pas s'attendre à ce qu'ils aient été au courant, des problèmes de la compagnie à cet égard. Dans le contexte de cet énoncé général de principe, le juge approuve expressément le jugement rendu par le juge Bonner dans l'affaire Fraser v. M.N.R.6 Les deux avocats m'ont reporté à un certain nombre de décisions de cette cour portant sur la norme à appliquer, mais je conclus qu'aucune d'elles n'est plus instructive que le jugement Fraser. Dans cette affaire-là, l'appelant était administrateur et vice-président chargé de la fabrication d'une compagnie qui avait finalement gravement fait défaut à l'égard de l'obligation qui lui incombait de verser les sommes retenues à la source. Après avoir découvert que la compagnie était en retard dans ses paiements, l'appelant s'est uniquement fié aux garanties données par les autres administrateurs, qui s'occupaient des finances plus que lui. Le juge Bonner a rejeté la thèse selon laquelle le paragraphe 227.1(3) de la Loi prévoit un moyen de défense lorsque l'administrateur affirme simplement que la responsabilité de veiller au respect des obligations financières incombait à d'autres membres du conseil.

[18] Telle est essentiellement la position que prend l'appelante en l'espèce. Mme Caprile était chargée de la production; M. Iannuzzi s'occupait du côté financier. Il est certain que Mme Caprile a eu connaissance dès le 1er septembre 1988 des problèmes liés aux sommes non versées tant en ce qui concerne Daisons que Corcan. Ce jour-là, M. Iannuzzi et elles ont tous les deux signé, pour chaque compagnie, un document qui énonce, dans les termes les plus précis possibles, l'obligation incombant à la compagnie à l'égard des sommes retenues à la source qui n'avaient pas été versées en vertu de la législation, ainsi que la responsabilité personnelle éventuelle qui leur incombait en vertu de l'article 227.1 de la Loi. Ce document visait à inciter Revenu Canada à renoncer à exiger le paiement du solde des comptes bancaires de la compagnie et à fournir à Revenu Canada la garantie nécessaire selon laquelle les appelants n'invoqueraient pas cette renonciation comme moyen de défense dans des poursuites futures que le ministère pourrait engager. On ne saurait imaginer qu'une personne moyennement intelligente puisse prendre connaissance de ces documents sans se rendre immédiatement compte de la nature exacte des problèmes qu'avaient ces compagnies à l'égard de leur défaut et de la responsabilité personnelle éventuelle incombant aux appelants en vertu de l'article 227.1 de la Loi. Les sommes en cause, soit 97 116,17 $ dans le cas de Daisons et 283 074,52 $ dans le cas de Corcan, figurent à la troisième ligne de chaque document. Dans son témoignage, Mme Caprile a affirmé ne pas se souvenir du document ou des circonstances dans lesquelles il avait été signé. Son avocat a reconnu, dans le cadre de son argumentation, et ce, avec raison, que Mme Caprile était une administratrice interne. À mon avis, Mme Caprile répond d'une façon appropriée à la description donnée par le juge Robertson à l'égard de l'appelant dans le jugement Fraser, à savoir que c'est “un bon exemple d'un administrateur interne négligent qui a légitimement été tenu responsable”7.

[19] Me Harris a soutenu qu'en l'espèce, Mme Caprile ne pouvait pas influer sur la suite des événements à l'égard des affaires des compagnies, étant donné que c'était M. Iannuzzi qui prenait les décisions. Il a comparé la présente affaire à l'affaire Fitzgerald v. M.N.R.8 La conclusion tirée par le juge Mogan, dans cette affaire-là, à savoir que les appelants pouvaient se prévaloir du moyen de défense fondé sur le paragraphe 227.1(3), dépendait de la conclusion de fait selon laquelle le mari de l'appelante, qui était le père des autres appelants, gérait l'entreprise familiale d'une façon tyrannique, et dans le cadre de “relations de type féodal, le père étant le châtelain et les autres membres de la famille, ses serfs”, et que les autres administrateurs se pliaient à ses volontés en vue d'éviter les dissensions familiales. Rien ne me permet de conclure que M. Iannuzzi agissait de cette façon ou que Mme Caprile n'aurait pas pu s'intéresser au côté financier de l'entreprise, si elle avait décidé de le faire. Il nous est impossible de savoir si Mme Caprile pouvait influer sur la suite des événements parce qu'elle n'a jamais essayé de faire en sorte, ne serait-ce que dans une légère mesure, que les compagnies mettent de l'ordre dans leurs affaires. Je conclus que Mme Caprile ne peut pas invoquer le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable.

[20] M. Iannuzzi était l'unique actionnaire de Daisons, par l'entremise de laquelle il contrôlait toutes les autres compagnies du groupe. Il est certain qu'en ce qui concerne les affaires de ces compagnies, c'était lui l'âme dirigeante. Il a déclaré sans équivoque dans son témoignage qu'en 1989, son journal, comme tout autre journal, faisait face à une baisse de revenu, ce qui entraînait des problèmes de mouvements de trésorerie, et que peu de temps après, il a appris que ses compagnies avaient omis de verser les sommes qu'elles avaient retenues à la source comme la législation l'exigeait. Comme Mme Caprile, il a signé les conventions du 1er décembre 1988, et il savait alors qu'il avait un grave problème. Il n'a pas fourni le moindre élément de preuve au sujet des mesures qui avaient été prises pour éviter pareil défaut. Il n'a pas non plus pris de mesures par la suite pour remédier au défaut, si ce n'est qu'il a tenu l'entreprise à flot, en se servant des sommes retenues en vertu de la législation en tant que fonds de roulement, dans l'espoir que des bénéfices soient réalisés dans l'avenir, ce qui permettrait de régler le problème. À coup sûr, il n'a pas accordé beaucoup d'importance au paiement des sommes retenues à la source qui étaient exigibles à court terme ou de la dette accumulée. Il a déclaré que pendant cette période, il cherchait avant tout à payer les employés, puis à payer les fournisseurs de papier journal et d'encre, et que les autres créanciers, dont Sa Majesté, venaient au dernier rang. Son attitude peut uniquement être considérée comme constituant une indifférence flagrante à l'égard des obligations qui lui incombaient en vertu de la Loi. Je conclus qu'il n'a absolument pas fait preuve de diligence et qu'il ne peut pas se prévaloir du moyen de défense fondé sur le paragraphe 227.1(3).

[21] Il reste la question du contrat de dépôt de garantie. En avril 1991, l'appelant Iannuzzi a signé ce contrat, qui est en fait une hypothèque subsidiaire en faveur de la Couronne, se rapportant à 1 000 000 actions ordinaires de MultiMedia, en vue de garantir les dettes combinées de Corcan, de Daisons, de Fotoset et de VitaSana à l'égard des retenues à la source prévues par la législation qui faisaient l'objet d'un arriéré, pour une somme totale de 552 786,50 $. Revenu Canada a obtenu cette hypothèque subsidiaire en garantie de la dette existante, dans l'espoir que les compagnies paieraient dans l'avenir les sommes retenues à la source qui étaient exigibles à court terme, tout en payant les arriérés au fur et à mesure qu'elles disposeraient de fonds pour le faire. Ces espoirs ne se sont pas réalisés; quelques mois plus tard, les compagnies ont de nouveau omis de verser les sommes retenues à la source qui étaient exigibles à court terme, et les représentants de Revenu Canada ont saisi le bien hypothéqué et ont tenté de vendre les actions. Les actions, qui n'étaient pas cotées en bourse, avaient par le passé été négociées sur le marché hors cote, mais au milieu de l'année 1991, la demande était inexistante, et toutes les tentatives qu'on a faites pour les vendre ont échoué. Compte tenu de la preuve dont je dispose, je conclus que les actions ne valaient rien pendant l'été 1991.

[22] L'avocat des appelants n'a cité aucun arrêt à l'appui de la prétention selon laquelle ces circonstances ont pour effet de libérer les appelants de la responsabilité prévue à l'article 227.1, et je n'en connais aucun. Si à un moment donné les actions reprennent de la valeur et si la Couronne réussit à les réaliser, les compagnies et les appelants auront sans doute le droit de se voir créditer le produit net. De même, s'ils s'acquittent de leur obligation à l'égard des sommes retenues à la source impayées, ainsi que des intérêts et pénalités, M. Iannuzzi aura droit à la remise du bien donné en garantie. Toutefois, dans l'intervalle, le fait que la Couronne détenait ces actions sans valeur au moment où les cotisations ont été établies n'influe pas sur la responsabilité qui incombe aux appelants en vertu de l'article 227.1.

[23] Tous les appels sont rejetés. L'intimée a droit aux dépens, mais les honoraires d'avocat à l'audience seront limités à ceux qui s'appliquent à un seul appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 1997.

“ E. A Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de janvier 1998.

Monique Pelletier, réviseure



1                Je désignerai les trois lois collectivement sous le nom de “la législation”.

2                R.S.O. 1980, ch. 96, maintenant L.R.O. 1990, ch. C.39.

3                Maintenant L.R.O. 1990, ch. C.38.

4               Murray v. Saskatoon, [1952] 2 D.L.R. 499, à la page 506.

5                97 DTC 5407.

6                87 DTC 250.

7                Soper v. The Queen, ci-dessus, à la p. 5417.

8                92 DTC 1019.

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