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Date: 19971110

Dossiers: 96-1888-UI; 96-1889-UI; 96-1890-UI

ENTRE :

JOSÉE GASSE, MADONE GASSE, HÉLÈNE GASSE,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

2537-5361 QUÉBEC INC. (HÔTEL MARSOUI),

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] Il s’agit d’appels de trois décisions du ministre du Revenu national (le “Ministre”) selon lesquelles les appelantes n’ont pas exercé un emploi assurable auprès de la compagnie 2537-5361 Québec Inc. (la “compagnie”) pour les périodes suivantes:

dans le cas de Josée Gasse:

du 7 février 1993 au 27 août 1993;

du 13 juin 1994 au 1 septembre 1994;

du 1er mai 1995 au 19 août 1995.

dans le cas de Madone Gasse:

du 4 juillet 1993 au 10 septembre 1993;

du 26 juin 1994 au 14 septembre 1994;

du 28 mai 1995 au 2 septembre 1995.

dans le cas de Hélène Gasse:

du 1er août 1993 au 9 octobre 1993;

du 24 juillet 1994 au 15 octobre 1994;

du 25 juin 1995 au 1er juillet 1995;

du 10 septembre 1995 au 7 octobre 1995.

[2] Ces appels ont été entendus sur preuve commune avec les témoignages de Renée Gasse, Josée Gasse, Madone Gasse, Hélène Gasse, Louise Dessureault (agent d’assurabilité pour l’intimé) et Jocelyne Rioux (agent des appels pour l’intimé).

[3] Dans ses décisions, le Ministre a déterminé que ces emplois n’étaient pas assurables au motif qu’il s’agissait d’emplois exclus des emplois assurables aux termes de l’alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage (la “Loi”).

[4] En rendant ses décisions, le Ministre s’est basé sur les faits énoncés au paragraphe 8 de chacune des Réponses aux avis d’appel. Ces faits se lisent comme suit :

Appel 96-1888(UI) (Josée Gasse)

a) Le payeur,[1] incorporé le ou vers le ler août 1987, exploite l’Hôtel Marsoui situé à Marsoui en Gaspésie.

b) Le commerce du payeur compte 7 chambres louées en “ chambre et pension ” à des travailleurs entre avril et septembre de chaque année.

c) Le commerce possède aussi une salle à manger d’une vingtaine de places exploitée de la fin avril à septembre et un bar de 80 places exploité à l’année.

d) La salle à manger offre un menu le matin, le midi et le soir et le bar accueille des orchestres tout au long de l’année.

e) Durant les périodes en litige, les actionnaires du payeur étaient :

- L’appelante

- Madone Gasse, soeur de l’appelante

- Jovette Gasse, soeur de l’appelante

- Renée Gasse, petite cousine de Madone Gasse

* Elles détenaient chacune 25 pour cent des actions émises.

f) L’appelante et Madone Gasse sont les seules actionnaires rémunérées par le payeur.

g) Renée Gasse s’occupe de la comptabilité du payeur à l’année sans rémunération; elle travaille à plein temps au bureau de poste.

h) Jovette Gasse travaille au bar du payeur selon ses disponibilités et sans rémunération.

i) Au cours des périodes en litige, en plus de l’appelante et de Madone Gasse, le payeur embauchait occasionnellement 3 autres travailleuses.

j) L’appelante était la gérante de l’établissement du payeur; elle s’occupait des commandes de fourniture pour la salle à manger, l’hôtel et le bar, elle établissait et planifiait les cédules des employés, elle voyait à la préparation des payes avec Renée Gasse, elle s’occupait des dépôts bancaires et voyait à la bonne marche du commerce et ce, à l’année.

k) Durant ses prétendues semaines de travail, l’appelante prétend qu’elle recevait une rémunération fixe de 360 $ par semaine (40 heures à 9 $ de l’heure).

l) L’appelante était payée par chèque, mais tous ses chèques étaient échangés directement dans le tiroir caisse du payeur.

m) L’appelante prétend avoir travaillé à plein temps pendant 10 semaines en 1993, 12 semaines en 1994 et 13 semaines en 1995 soit le minimum de semaines requis pour lui permettre de se qualifier pour recevoir des prestations d’assurance-chômage.

n) Il n’y a aucune corrélation entre les prétendues semaines de travail de l’appelante, les revenus mensuels déclarés par le payeur et les prétendues périodes de travail des autres employés du payeur.

o) Le travail de l’appelante était essentiel aux activités du payeur et ses prétendues périodes de travail ne correspondent pas aux périodes réellement travaillées.

p) L’appelante est liée au payeur au sens de l’article 251 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

q) Le payeur n’aurait jamais engagé une personne non liée à des conditions à peu près semblables à celles offertes à l’appelante.

[5] L’avocat de l’appelante a admis les alinéas 8 a), d) à i), et l). Il a nié les autres alinéas ci-haut énoncés.

Appel 96-1889(UI) (Madone Gasse)[2]

j) L’appelante était la cuisinière attitrée du payeur; elle devait préparer entre 20 et 25 repas par jour à part les repas servis aux pensionnaires.

k) Durant ses prétendues semaines de travail, l’appelante prétend qu’elle recevait une rémunération fixe de 360 $ par semaine (40 heures à 9 $ de l’heure).

l) L’appelante était payée par chèque, mais tous ses chèques étaient échangés directement dans le tiroir caisse du payeur.

m) L’appelante prétend avoir travaillé à plein temps pendant 10 semaines en 1993, 12 semaines en 1994 et 14 semaines en 1995 soit le minimum de semaines requis pour lui permettre de se qualifier pour recevoir des prestations d’assurance-chômage.

n) Le travail de l’appelante était essentiel au payeur et malgré que le restaurant était ouvert de la fin avril à septembre, l’appelante prétend avoir travaillé à plein temps que durant les semaines précitées.

o) Il n’y a aucune corrélation entre les prétendues semaines de travail de l’appelante, les revenus mensuels déclarés par le payeur et les prétendues périodes de travail des autres employés du payeur.

p) L’appelante continuait à rendre des services au payeur lorsqu’elle retirait des prestations d’assurance-chômage; personne ne comblait son poste.

q) L’appelante est liée au payeur au sens de l’article 251 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

q) Le payeur n’aurait jamais engagé une personne non liée à des conditions à peu près semblables à celles offertes à l’appelante.

Appel 96-1990(UI) (Hélène Gasse)[3]

j) L’appelante est la soeur de Madone, Josée et Jovette Gasse.

k) L’appelante était embauchée à titre d’aide-cuisinière pour le payeur; elle devait préparer les légumes et aider la cuisinière, Madone Gasse, à la préparation des repas.

l) L’appelante a prétendu, entre autres, qu’elle travaillait au restaurant 3 jours par semaine et qu’elle ne servait pas aux tables car Marie-France Sohier était embauchée à cet effet; elle prétend qu’à l’automne elle travaillait au bar.

m) Durant ses prétendues semaines de travail, l’appelante prétend qu’elle recevait une rémunération horaire de 5,73 $.

n) L’appelante était payée par chèque, mais tous ses chèques étaient échangés directement dans le tiroir caisse du payeur.

o) L’appelante prétend avoir travaillé à plein temps pendant 10 semaines en 1993, 12 semaines en 1994 et 13 semaines en 1995 soit le minimum de semaines requis pour lui permettre de se qualifier pour recevoir des prestations d’assurance-chômage.

p) En 1995, l’appelante a obtenu un relevé d’emploi indiquant 8 semaines de travail à l’emploi de L’Hôtel des Vagues du Mont-St-Pierre; elle n’avait qu’une semaine prétendument travaillé auprès du payeur et comme il lui manquait 4 semaines pour se qualifier pour recevoir des prestations d’assurance-chômage, elle aurait prétendument travaillé pendant 4 semaines au bar du payeur.

q) L’appelante aurait prétendument travaillé pour le payeur du 10 septembre au 7 octobre 1995 (4 semaines) alors que ses 2 soeurs, Madone et Josée, n’y travaillaient prétendument plus à cause d’une diminution de l’achalandage et que le payeur avait embauché Mme Michelle Côté pour travailler au bar en remplacement de Mme Linda Therrien.

r) Le travail de l’appelante était essentiel au payeur et malgré que le restaurant était ouvert de la fin avril à septembre, l’appelante prétend avoir travaillé à plein temps que durant les semaines précitées.

s) Il n’y a aucune corrélation entre les prétendues semaines de travail de l’appelante, les revenus mensuels déclarés par le payeur et les prétendues périodes de travail des autres employés du payeur.

t) L’appelante est liée au payeur au sens de l’article 251 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

u) Le payeur n’aurait jamais engagé une personne non liée à des conditions à peu près semblables à celles offertes à l’appelante.

[6] L'alinéa 3(2)c) de la Loi se lit comme suit :

3.(2) Les emplois exclus sont les suivants :

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lors­qu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[7] Il est clair que les appelantes et la compagnie ont un lien de dépendance entre elles.[4] La question que je dois résoudre est dans un premier temps de me demander si le Ministre a agi d'une manière appropriée dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi.[5]

[8] Les appelantes doivent prouver selon la prépondérance des probabilités que le Ministre a exercé sa discrétion de façon inappropriée en décidant, compte tenu de toutes les circonstances, que la compagnie n'aurait pas conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre elles.

[9] Je suis d'avis que les appelantes n'ont pas fait une telle preuve.

[10] Il est clair que pour déterminer si le Ministre a exercé sa discrétion de façon appropriée, je peux tenir compte de faits qui sont ressortis à l’audience.[6] A ce sujet, madame la juge Desjardins disait ceci dans l’affaire Tignish Auto Parts Inc.:[7]

[l]a Cour a le droit d’examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s’il y a suffisamment d’éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n’a pas toute latitude pour l’infirmer simplement parce qu’elle serait arrivée à une conclusion différente.

[11] Les principes légaux qui gouvernent le pouvoir de révision d’une décision prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire statutaire (tel que celui conféré au Ministre par l’alinéa 3(2)c) de la Loi) ont été repris dans l’affaire Jencan, supra, alors que le juge en chef de la Cour d’appel fédérale citait les propos de Lord MacMillan du Conseil Privé dans D.R. Fraser and Co. Ltd. v. Minister of National Revenue, ([1949] A.C. 24 à la page 36 (C.P.)) ainsi au paragraphe 34 :

[TRADUCTION]

Les critères selon lesquels il faut juger l’exercise d’un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d’aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n’a le droit d’intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s’il lui avait appartenu.

[12] Ainsi, le pouvoir d’intervention d’une cour de justice dans un recours en révision judiciaire comme dans le cas présent sera justifié seulement s’il est démontré que le Ministre : i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; ii) n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, tel que spécifiquement requis par l’alinéa 3(2)c) de la Loi; ou iii) a tenu compte de faits non pertinents pour prendre sa décision (voir Jencan, supra, paragraphe 37)

[13] Les appelantes soutiennent que le Ministre n’a pas respecté une règle fondamentale de justice naturelle en ne les rencontrant pas personnellement ainsi qu’elles prétendent l’avoir réclamé mais en se fondant uniquement sur une enquête téléphonique avec chacune d’elles de même qu’avec Renée Gasse et Jovette Gasse, toutes deux représentantes de la compagnie.

[14] Madame Louise Dessureault, en tant qu’agent d’assurabilité et madame Jocelyne Rioux, comme agent des appels toutes deux pour le compte de l’intimé, ont traité de ces dossiers. Selon la correspondance déposée en preuve sous la pièce I-3, madame Rioux aurait communiqué au tout début de son enquête avec l’avocat au dossier des appelantes à ce moment-là, Me Denis Paradis, qui lui aurait dit de s’adresser directement aux appelantes et d’entamer les procédures habituelles de révision de leurs dossiers.

[15] C’est ainsi que le 1er mai 1996, madame Rioux a communiqué avec les appelantes afin de fixer une date pour les interroger sur leurs emplois. Le 7 mai 1996, madame Rioux procédait à ces enquêtes par voie téléphonique. Pour chaque appelante, la conversation téléphonique aurait duré environ 30 minutes. Par la même occasion, elle leur aurait demandé de fournir certains documents.

[16] Le 7 juin 1996, madame Rioux communiquait avec Renée Gasse et Jovette Gasse. L’entretien avec ces dernières aurait également duré 30 minutes chacune. Le 26 juin 1996, après avoir pris connaissance des divers documents demandés, madame Rioux faisait parvenir la décision ministérielle à chacune des appelantes.

[17] De la preuve, il ressort que seule Jovette Gasse aurait demandé à madame Rioux de la rencontrer en personne. Madame Rioux aurait dit que cela était impossible compte tenu de la distance (les bureaux de madame Rioux étant à Laval et les appelantes habitant Marsoui en Gaspésie).

[18] L’avocat actuel des appelantes aurait contacté madame Rioux le 29 juillet 1996 sollicitant une rencontre avec cette dernière. Madame Rioux a répondu par lettre en disant que la décision était finale.

[19] Je suis d’avis que la représentante du Ministre a agi en conformité avec la Loi et que les appelantes n’ont pas souffert d’un préjudice quelconque. Leur propre avocat de l’époque a conseillé à madame Rioux de les contacter directement. Madame Rioux a passé suffisamment de temps avec les appelantes et avait assez de documents pour récolter les informations suffisantes lui permettant de trancher la question. Avec la preuve devant moi, je ne peux certainement pas conclure que le Ministre a agi de mauvaise foi avec les appelantes. Compte tenu de la distance, madame Rioux a exécuté son mandat avec les moyens à sa disposition et n’a pas abusé de la situation. J’ajouterais qu’elle semble avoir eu la pleine collaboration des appelantes.

[20] Quant à la question de déterminer si le Ministre a tenu compte de faits erronés ou a fait une mauvaise appréciation des autres faits qu’il avait devant lui pour prendre sa décision en ne tenant pas compte de toutes les circonstances pertinentes, je rappellerai ici qu’il n’est pas suffisant pour les appelantes de simplement contrecarrer certains faits pris en compte par le Ministre pour renverser sa décision. Elles doivent démontrer que les faits sur lesquels s’est appuyé le Ministre et qui ne sont pas exacts ou qui ont été mal interprétés, ont un poids tel que la décision du Ministre ne peut plus tenir (voir Procureur général du Canada c. Jolyn Sports Inc., [1997] F.C.J. No. 512 (Q.L.) (C.A.)). Si les faits établis au procès sont suffisants en droit pour justifier la conclusion du Ministre suivant laquelle les parties n’auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n’avaient pas eu un lien de dépendance, la décision du Ministre doit être maintenue (voir Jencan, supra, paragraphe 50).

[21] L’un des faits invoqués par le Ministre est que la compagnie exploite un commerce de location de chambre et pension (sept chambres) et une salle à dîner entre les mois d’avril et de septembre de chaque année. Les appelantes ont établi qu’il pouvait arriver que ces chambres soient louées en-dehors de cette période s’il y avait la demande. Ceci serait arrivé au mois de février 1993 alors que Josée Gasse se serait occupée seule (à l’exception d’une semaine où Madone Gasse aurait donné un coup de main à temps partiel) des chambres et de la salle à dîner.

[22] Un autre fait invoqué par le Ministre est que le bar contient 80 places et est exploité à l’année. Bien que nié au début de l’audition par l’avocat des appelantes, ce fait n’a pas été contredit par les témoignages. Par ailleurs, l’avocat des appelantes avait admis que la salle à manger offrait trois repas par jour et que le bar accueillait des orchestres tout au long de l’année.

[23] Il avait aussi été admis que Josée Gasse travaillait à temps plein au bureau de poste et qu’elle s’occupait à l’année longue de la comptabilité de la compagnie sans pour autant être rémunérée par cette dernière. Également, les appelantes ont admis que Jovette Gasse travaillait au bar selon ses disponibilités sans recevoir aucune rémunération.

[24] Bien que nié au début de l’audience, il est bien ressorti de la preuve que les tâches principales de Josée Gasse étaient celles d’une gérante. Lorsque celle-ci était au livre de paie, Renée Gasse a dit que les employées se rapportaient à Josée Gasse. C’est elle qui vérifiait l’horaire des employées et qui voyait à ce qu’elles soient payées. Toutefois, il semble que Josée Gasse était polyvalente et pouvait tout aussi bien s’occuper de l’entretien des chambres, de la cuisine, du service aux tables et du bar. Josée Gasse a de plus reconnu qu’elle pouvait s’occuper de faire des commandes pour l’inventaire du bar en-dehors de ses périodes de travail. Selon elle, il ne s’agissait que d’un coup de téléphone qui ne prenait que quelques minutes. Faire les dépôts bancaires ne lui prenait aussi que quelques minutes.

[25] Pour effectuer ces tâches, Josée Gasse aurait été payée à la semaine un montant fixe de 360 $ (40 heures à 9 $ l’heure). Selon le témoignage de Josée Gasse, elle partageait ses heures avec Madone Gasse qui aurait été payée le même salaire. Celle-ci était engagée comme cuisinière pour faire trois repas par jour pour une dizaine de pensionnaires (environ 6 heures par jour selon elle). Elle pouvait aussi faire l’entretien des chambres.

[26] Madone Gasse a dit qu’elle ne travaillait normalement que du lundi au jeudi et qu’elle préparait en plus des repas de la journée les repas de la fin de semaine. C’est Hélène Gasse qui, comme aide-cuisinière, s’occupait de faire réchauffer les repas pour la clientèle les jours où Madone Gasse ne travaillait pas. Madone Gasse a toutefois reconnu qu’elle allait aider Hélène Gasse lorsque celle-ci en faisait la demande. Hélène Gasse s’occupait également du bar. Elle était payée une rémunération horaire de 5,73 $.

[27] Un autre fait sur lequel s’est appuyé le Ministre, et sans doute le plus important dans ce dossier, est qu’il n’y a aucune corrélation entre les semaines de travail indiquées aux livres de paie pour chaque appelante et les revenus mensuels déclarés par la compagnie. Le Ministre en conclut que le travail de chaque appelante était essentiel aux activités du commerce et que les périodes de travail indiquées pour chacune ne correspondent pas aux périodes de travail réel.

[28] L’avocate de l’intimé résume ainsi le processus d’analyse de l’intimé[8]:

L’agent des appels avait aussi fait une étude comparative entre les périodes travaillées et chômées par les appelantes et le revenus mensuels de l’entreprise et avait noté plusieurs irrégularités; les appelantes étaient parfois mise[s] à pied pour “ manque de travail ” cependant les revenus de l’entreprise étaient, au même moment, plus élevés, il y a des mois où personne n’était inscrit au livre des salaires et les revenus étaient importants.[9]

L’enquête de l’agent des appels auprès du ministère de Développement des ressources-humaines lui avait permis de constater que les appelantes n’étaient inscrites au livre des salaires que le nombre de semaines nécessaire pour être de nouveau admissible à recevoir des prestations d’assurance-chômage (il y a peu d’exceptions).

Des déclarations révélatrices avaient été faites par les appelantes à l’agent des appels:

Le passage suivant de la déclaration statutaire de Madone Gasse[10] lui avait été lu par l’agent: “ (...) je fais mes semaines pour me qualifier en dehors de cela je ne suis pas payée, c’est de façon bénévole(...) ” ...

[29] A ce sujet, les appelantes ont dit qu’elles travaillaient quand Renée Gasse leur disait de venir travailler. Cette dernière invoque que Marsoui est un petit village très éloigné et qu’elle désirait faire travailler tout le monde afin de préserver un emploi à toutes ses employées. C’est ce qu’elle appelle la rotation des employées. Pour tenter d’expliquer les mois où le commerce affiche des revenus et où il n’y a pas d’employées inscrites aux livres des salaires, Renée Gasse dit que c’est Jovette Gasse, son mari et elle-même qui s’occupaient alors du bar. Ils le faisaient bénévolement car il s’agissait de leur entreprise.

[30] L’avocat des appelantes soutient ceci à ce sujet :

Les représentants de l’employeur, plus particulièrement Mme Renée Gasse, ont très bien expliqué au Tribunal que leur implication dans le commerce à titre d’employés, de même que pour Jovette Gasse et Berthol (conjoint de Jovette Gasse), ne sont pas rémunérés, ce qui explique que pour certains mois, il n’y a personne au livre de paye, le bar étant ouvert, ce qui explique la provenance des revenus sans qu’il y ait rémunération d’employés. D’aucune façon, les représentants du Ministre n’ont pris en considération ces témoignages.

La représentante de l’employeur, Mme Renée Gasse, explique au Tribunal qu’à certaines occasions, les administrateurs font des “blitz” au bar pour favoriser les entrées d’argent. Lors de ces “blitz”, il n’y a pas nécessairement d’employés sur le livre de paye autre que la “barmaid”. Ces “blitz” expliquent certaines périodes où les revenus de l’entreprise peuvent être assez élevés sans qu’il y ait beaucoup d’employés au travail.

En aucun moment, on peut constater que les représentants du Ministre prennent en considération ces procédés (page 3 du mémoire de Me Boutin).[11]

[31] L’explication avancée par les appelantes et Renée Gasse de même que celle donnée par leur avocat ne me convainc pas que le Ministre avait tort de croire que les périodes de travail indiquées aux livres de paie pour chaque appelante ne correspondaient pas aux périodes réelles de travail des appelantes. Je suis d’avis que le Ministre avait suffisamment de faits pertinents pour arriver à la conclusion à laquelle il en est arrivé.

[32] En effet, je m’explique mal qu’il n’y ait aucune employée au cours de périodes ou le commerce fait de bonnes entrées d’argent. Ainsi, par exemple, au mois de mai 1993, avec des revenus de 3 429 $ on engage Josée Gasse. En mai 1994, avec des revenus de 8 784 $, soit presque trois fois plus élevés qu’à la même période en 1993, il n’y a aucune employée. Ce serait Renée (qui déjà travaille à temps plein au bureau de poste), Jovette Gasse (qui travaille à la Caisse Populaire de Tourelle[12]) et son mari (qui lui n’a aucune part dans la compagnie donc aucun intérêt) qui selon leurs témoignages s’occupaient entièrement du commerce sans recevoir aucune rémunération. Par ailleurs, bien que les revenus aient chuté de 8 784 $ en mai 1994 à 3 977 $ en juin 1994, la compagnie aurait alors engagé les trois appelantes contre rémunération à compter du mois de juin 1994.

[33] Ces faits à eux seuls, et les autres exemples qu’on peut donner à la lecture du tableau des périodes d’emploi de chaque employée (pièce A-1) et des ventes mensuelles (pièce A-2) ont suffisamment de poids à mon avis pour démontrer qu’il n’est à peu près pas possible de croire (ou du moins on peut douter sérieusement) qu’aucune des appelantes ne travaillait au cours des mois où elles disaient ne pas travailler. La version de l’intimé voulant que les appelantes travaillaient pour des périodes plus longues que celles indiquées aux relevés d’emploi, (alors qu’elles percevaient des prestations d’assurance-chômage) ne m’apparaît pas dénuée de fondement.

[34] Si je devais croire la version des appelantes, soit que Renée Gasse, Jovette Gasse et son mari étaient capables de s’occuper seuls du commerce dans les périodes où les revenus sont plus élevés, je devrais conclure que le travail des appelantes n’était pas justifié au cours des périodes en litige puisque lorsque le commerce affiche des revenus élevés, la compagnie peut très bien se passer des services des appelantes.

[35] Il s’agit ici d’autant d’éléments pertinents sur lesquels s’est appuyée la représentante du Ministre pour conclure suite à l’analyse de l’ensemble des circonstances[13] qu’un contrat de travail à peu près semblable n’aurait pas été conclu si les parties n’avaient pas eu un lien de dépendance entre elles.

[36] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que les appelantes n’ont pas démontré selon la prépondérance des probabilités que l’ensemble des faits tenus en compte par le Ministre était erroné ou que le Ministre en a fait une mauvaise appréciation pour conclure comme il l’a fait. En conséquence, je n’ai pas le pouvoir d’intervenir pour renverser les décisions du Ministre. Je ne peux à cet égard que les confirmer.[14]

[37] En conclusion, j’estime ne pas avoir d’éléments suffisants pour réviser les décisions du Ministre. Les appels sont donc rejetés et le règlement de la question par le Ministre dans chacun des appels est confirmé.

"Lucie Lamarre"

J.C.C.I.



[1]               Le payeur auquel il est fait référence dans les Réponses aux avis d’appel est la compagnie dans mon jugement.

[2]               Les aliénas a) à i) sont identiques quant à leur contenu à ceux que l’on retrouve dans l’appel 96-1888(UI) (Josée Gasse).

[3]               Les aliénas a) à i) sont aussi identiques quant à leur contenu à ceux que l’on retrouve dans l’appel 96-1888(UI) (Josée Gasse).

[4]               Pour établir si des personnes ont un lien de dépendance, l'alinéa 3(2)c) de la Loi réfère à la Loi de l'impôt sur le revenu (la “LIR”). Or, aux termes des alinéas 251(1)a), 251(2)a) et 251(6)a), des sous-alinéas 251(2)(b)(ii) et 251(2)b)(iii) et du paragraphe 251(4) de la LIR, les appelantes ont un lien de dépendance avec la compagnie qui est contrôlée par Josée, Madone et Jovette Gasse, toutes trois étant des soeurs et aussi les soeurs de Hélène Gasse.

[5]                Voir les décisions de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. M.R.N., (1994) 178 N.R. 361 et dans l'affaire Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N., (1994) 185 N.R. 73.

[6]               Voir la décision de la Cour d’appel fédérale dans Procureur général du Canada c. Jencan Ltd., [1997] A.C.F. no. 876 (Q.L.).

[7]               supra, note 5, à la p. 77.

[8]               Argumentation de l’intimé, page 3.

[9]               Ces propos résument en partie les faits recueillis lors de l’enquête de madame Rioux qui a été déposée en preuve sous la pièce I-4.

[10]             Voir pièce I-2.

[11]             Réponse à l’argumentation de l’intimé, pages 2 et 3.

[12]             Voir pièce I-4, p. 3.

[13]             Le critère géographique auquel l’avocat des appelantes a fait référence dans son argumentation écrite n’est pas un élément qui, à mon avis, pouvait atténuer la décision du Ministre dans la mesure où celle-ci repose non pas sur la rotation des employées comme tel, mais plutôt sur le fait que les périodes de travail indiquées aux relevés d’emploi ne correspondent pas aux périodes réelles de travail de chacune des appelantes.

[14]             Voir The Queen v. Bayside Drive-Inn Ltd. et al., [1997] F.C.J. No. 1019 (Q.L.) (C.A.).

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