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Date: 19981022

Dossier: 98-106-UI

ENTRE :

FLORENT DUMOULIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Le ministre du Revenu national (ministre) a présenté une requête visant le rejet de l’appel interjeté par monsieur Florent Dumoulin à l’encontre d’une décision que le ministre a rendue le 30 octobre 1997 en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi). Cette décision portait sur l’assurabilité d’un emploi occupé par monsieur Dumoulin du 30 octobre 1996 au 27 avril 1997. Selon le ministre, l’appel de monsieur Dumoulin serait prescrit et sans objet puisque l'avis d'appel n'a pas été déposé dans le délai de 90 jours prévu au paragraphe 103(1) de la Loi. Quant à monsieur Dumoulin, il prétend que son avis d’appel a été présenté dans les délais prescrits puisqu’il y aurait eu suspension du délai de prescription en raison de l'impossibilité en fait d’agir où l'a mis son état de santé.

Faits

[2] Voici ce que la preuve a révélé. Par lettre en date du 30 octobre 1997, le ministre a informé monsieur Dumoulin de sa décision relative à l’assurabilité de son emploi. Quelques semaines auparavant, soit le 5 octobre 1997, monsieur Dumoulin avait subi un arrêt cardio-vasculaire (ACV) qui a entraîné son hospitalisation immédiate à l’hôpital de St-Jérôme. Cet ACV aurait causé une paralysie complète du côté droit de même que la perte de la parole. Monsieur Dumoulin est demeuré à cet hôpital jusqu’au 14 novembre 1997. À cette date, il a été transféré dans un centre de réadaptation situé à Ste-Thérèse-de-Blainville (localité où habite monsieur Dumoulin) et il y est demeuré jusqu’au 14 février 1998. À compter de cette date, monsieur Dumoulin a continué son programme de réadaptation, mais il pouvait rentrer chez lui le soir.

[3] Voici comment monsieur Dumoulin a décrit son état de santé durant la première phase de son hospitalisation, à l'hôpital de St-Jérôme :

R. Le cinq (5) octobre j’ai fait un A.C.V.

Q. Qu’est-ce qu’on appelle un A.C.V. là?

R. C’est paralysie complète du côté droit, parole et membres.

Q. Et vous-même vous avez été hospitalisé à quel moment, vous en souvenez-vous?

R. Le cinq (5) octobre 97.

Q. Et vous êtes resté à l’hôpital sous les soins intensifs, j’imagine?

R. Jusqu’au quatorze (14) novembre 97.

Q. Jusqu’à ce moment-là là, que pouviez-vous faire physiquement?

R. Absolument rien.

Q. Qu’est-ce que vous voulez dire par là?

R. Je suis pas ... pas capable d’écrire, pas capable de rien faire.

Q. Pouviez-vous parler?

R. Dialoguer comme ... comme ça là, oui.

Q. Pas plus que ça?

R. Non.

[4] Monsieur Dumoulin a décrit comme suit les traitements qu’il a reçus lors de la deuxième phase de son hospitalisation, au centre de réadaptation :

R. J’ai changé d’hôpital, ils m’ont transféré à une maison de transition.

Q. De réhabilitation?

R. Oui, sept jours par semaine, je restais là, comme un hôpital.

Q. Oui. Vous preniez des traitements pour reprendre vos mouvements puis apprendre à parler?

R. En « physio » , en « ergo » , en « physio » puis en « ortho » .

Q. En « ortho » ?

R. Oui.

Q. Pour apprendre à parler de nouveau?

R. Oui, oui.

Q. Votre mémoire c’était quoi à ce moment-là?

R. Bien, elle était ... elle était comme la maladie là, comme les progressions, en progression.

[5] Vers le 25 ou 26 janvier 1998, à la suite de la visite d'un enquêteur du ministre au centre de réadaptation, monsieur Dumoulin est lui-même descendu de l'étage où était situé sa chambre pour se présenter à la réception du centre et déposer l’enveloppe contenant son avis d’appel daté du 2 décembre 1997. Quelqu'un avait dactylographié cet avis et c’est monsieur Dumoulin qui, avec de l’aide, l’avait signé de sa main droite. C’est un membre du personnel du centre qui devait poster cette enveloppe. L’oblitération du timbre-poste indique comme date le 30 janvier 1998. Cette oblitération aurait été effectuée au bureau de poste central de Montréal et non pas à celui de Ste-Thérèse-de-Blainville où était situé le centre de réadaptation.

Analyse

[6] La première question à trancher est celle de savoir si l’avis d’appel de monsieur Dumoulin a été déposé dans les délais prévus par la Loi. Il est utile de rappeler que cette Cour n’a compétence pour entendre des appels que dans la mesure où les lois adoptées par le Parlement canadien le permettent. Le paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), chap. T-2, édicte que :

La Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application du Régime de pension du Canada, de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers et de la Loi sur l’assurance-emploi, dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle.

[Je souligne.]

[7] Le paragraphe 103(1) de la Loi prévoit qu’une décision du ministre rendue en vertu de l’article 91 de la Loi peut être portée en appel devant cette cour dans les 90 jours de la communication de la décision. Le paragraphe 103(1) se lit comme suit :

103(1) La Commission ou une personne que concerne une décision rendue au titre de l’article 91 ou 92, peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de la décision ou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l’impôt sur demande à elle présentée dans ces quatre-vingt-dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt de la manière prévue par règlement.

[Je souligne.]

[8] Pour déterminer si un appel a été interjeté dans le délai de 90 jours, il est important de savoir le moment auquel la décision au titre de l’article 91 de la Loi a été communiquée et le moment auquel l’avis d’appel est réputé avoir été produit à la Cour.

[9] Pour les fins de la détermination du moment de la communication de la décision par le ministre, le législateur, au paragraphe 103(2) de la Loi, renvoie à la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt :

103(2) La détermination du moment auquel une décision rendue au titre de l’article 91 ou 92 est communiquée à la Commission ou à une personne est faite en conformité avec la règle éventuellement établie en vertu de l’alinéa 20(1.1)h.1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

[Je souligne.]

[10] L’alinéa 20(1.1)h.1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt accorde au comité des règles de cette cour le pouvoir de prendre des règles pour déterminer le moment auquel la décision du ministre est communiquée à une personne :

20(1.1) Sans qu’il soit porté atteinte à l’application générale de ce qui précède, le comité des règles peut prendre des règles sur les objets suivants :

[...]

(h.1) la détermination du moment où, pour l’application des paragraphes [...] ou 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi, un arrêt, une décision ou un règlement du ministre du Revenu national pris en application des articles [...] ou 93 de la Loi sur l’assurance-emploi, selon le cas, est communiqué à une personne.

[11] Les paragraphes 5(1) et 5(2) des Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de la Loi sur l’assurance-emploi (Règles à l’égard de la Loi sur l’assurance-emploi) édictent que, lorsqu'une décision est communiquée par la poste, la date de communication est la date à laquelle la décision a été expédiée par la poste. Le texte est clair et il n'est pas nécessaire d'avoir recours à quelque principe d'interprétation des lois. Il n'est pas question ici de la date à laquelle le justiciable prend connaissance de la décision. De plus, le paragraphe 5(2) desdites règles crée une présomption voulant que la date à laquelle la décision a été expédiée par la poste soit celle figurant dans la décision du ministre :

5(1) Un appelant peut en appeler de la décision rendue par le ministre dans le délai prévu par le paragraphe 103(1) de la Loi, soit dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle la décision lui est communiquée, ou dans le délai supplémentaire que la Cour peut accorder sur demande qui lui est faite dans les 90 jours.

(2) Lorsqu’une décision visée au paragraphe (1) est communiquée par la poste, la date de communication est la date à laquelle la décision a été expédiée par la poste et, en l’absence de toute preuve du contraire, la date d’expédition par la poste est la date figurant dans la décision.

[Je souligne.]

[12] Dans une récente décision en date du 29 mai 1998, dans l’affaire Lamarre et al. c. le ministre du Revenu national, A-682-97, la Cour d’appel fédérale, sous la plume de l’honorable juge Marceau, s’est prononcée de la façon suivante sur le point de départ de la computation du délai :

[3] Il ne fait pas de doute, non plus, qu’en vertu de l’article 5 des Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de l’assurance-chômage que le point de départ de ce délai de 90 jours est la date de la décision dans les cas, comme ici, où la décision fut communiquée à l’intéressé par la poste et qu’aucune preuve ne permet de penser qu’elle ne fut expédiée que plus tard.

[Je souligne.]

[13] Ici, la date d’expédition par la poste de la décision du ministre n’a pas été contestée devant cette cour. La date de communication de la décision est donc le 30 octobre 1997, qui est la date figurant sur la décision. La théorie de la réception souvent appliquée en matière fiscale et celle avancée par le procureur de monsieur Dumoulin, c'est-à-dire celle selon laquelle il est nécessaire que le justiciable ait reçu la décision du ministre, ne s'applique pas ici. De toute façon, le fait que monsieur Dumoulin ait signé un avis d'appel en date du 2 décembre 1997, soit un mois après la mise à la poste de la décision du ministre, confirme que monsieur Dumoulin l'a bien reçue.

[14] Reste à déterminer le moment auquel l’avis d’appel de monsieur Dumoulin a été produit devant cette cour. Le paragraphe 103(1) de la Loi édicte qu’une personne peut interjeter appel devant cette cour « de la manière prévue par règlement » . Les règles pour déterminer le moment auquel l’avis d’appel est considéré comme ayant été produit devant la Cour se retrouvent aux paragraphes 5(5) et 5(6) des Règles à l’égard de la Loi sur l’assurance-emploi :

5(5) Pour interjeter un appel, l’appelant doit déposer au greffe ou y expédier par la poste l’original de l’avis d’appel écrit visé au paragraphe (1).

(6) Si l’appel est interjeté par la poste, la date de l’appel correspond à la date d’oblitération de l’enveloppe par le bureau de poste; s’il y a plus d’une date, la date la plus ancienne est réputée être la date à laquelle l’appel est interjeté.

[Je souligne.]

[15] La preuve a révélé que la date d’oblitération est celle du 30 janvier 1998. Il s’agit donc de la 92e journée suivant la date du 30 octobre 1997.

[16] Dans l’affaire Lamarre, mentionnée plus haut, la Cour d'appel fédérale a confirmé que le délai prévu au paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance-chômage (maintenant le paragraphe 103(1) de la Loi) était un délai de rigueur et que la Cour canadienne de l'impôt n’a pas le pouvoir de l’étendre, à moins qu’une prorogation n’ait été préalablement accordée[1]. Comme monsieur Dumoulin n'a pas produit son avis d'appel dans les 90 jours de la décision du ministre et qu’aucune demande de prorogation de délai n’a été présentée à cette cour dans ce même délai, l’avis d’appel de monsieur Dumoulin n’a pas été produit à la cour dans le délai prévu par le paragraphe 103(1) de la Loi.

[17] Les procureurs de monsieur Dumoulin ne contestent pas que la date d’expédition par le ministre est le 30 octobre 1997 et que la date de production à la cour est le 30 janvier 1998. Toutefois, ils soutiennent que le point de départ de la computation du délai se situe au 14 novembre 1997, date à laquelle monsieur Dumoulin a été transféré dans un centre de réadaptation situé à Ste-Thérèse-de-Blainville.

[18] Dans leurs notes écrites, les procureurs de monsieur Dumoulin résument les faits de cette façon :

4. Le 5 octobre 1997, Florent Dumoulin subit un arrêt cardio-vasculaire qui a entraîné son hospitalisation immédiate aux soins intensifs ainsi que la paralysie entière de son côté droit. Il est de commune renommée qu'un pareil accident constitue une catastrophe importante, tant pour l'individu concerné que pour ses proches et entraîne une incapacité totale pour l'individu de fonctionner.

5. Pour toute la période allant du 5 octobre 1997 au 14 novembre 1997, Florent Dumoulin fut ainsi hospitalisé aux soins intensifs de l'Hôpital de St-Jérôme. Il n'avait alors qu'une conscience extrêmement limitée des événements pouvant se dérouler autour de lui et était dans l'incapacité totale de se mouvoir et même de s'exprimer.1

6. Il fut ensuite, pour toute la période du 14 novembre 1997 au 14 février 1998, transféré dans un foyer de réadaptation et de réhabilitation, soit le foyer Drapeau-Deschambeau à Ste-Thérèse.

____________________

1 L'Intimé a admis ces faits sans la nécessité de produire les certificats médicaux à cette fin.

[19] À l'appui de leurs prétentions, les procureurs de monsieur Dumoulin se fondent sur l'article 2904 du Code Civil du Québec (C.c.) qui édicte :

Art. 2904. La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l'impossibilité en fait d'agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d'autres.

[20] Toujours selon les procureurs, « la question fondamentale en l'espèce consiste à déterminer s'il est soutenable en droit de prétendre qu'un justiciable inconscient puisse se voir opposer un délai de prescription alors que celui-ci, n'ayant aucune connaissance de l'envoi d'une décision à son attention, ne peut faire valoir ses droits » [2]. Ils prétendent que cette cour a compétence pour entendre l'appel de monsieur Dumoulin parce que la décision de Revenu Canada, point de départ du délai pour interjeter appel devant cette cour, n'a pas pu être valablement communiquée à monsieur Dumoulin alors que ce dernier était aux soins intensifs. Ils prétendent aussi « [qu']il est de commune renommée qu'un pareil accident constitue une catastrophe importante pour l'individu concerné et entraîne une incapacité totale pour celui-ci de fonctionner au sens de l'article 2904 C.C.Q. » [3].

[21] Au soutien de leur argument selon lequel cette cour devait appliquer les dispositions du Code civil en matière de prescription pour calculer le délai d'appel prévu à l'article 103 de la Loi, les procureurs ont cité la règle 4 des Règles de la Cour fédérale, qui prévoit expressément que lorsque se pose une question non autrement visée par une disposition d'une loi canadienne ni par une règle ou ordonnance générale de ladite cour, celle-ci peut déterminer la pratique et la procédure à suivre par analogie avec la pratique et la procédure en vigueur pour des procédures semblables devant les tribunaux de la province à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des procédures. Je dois constater que cette règle ne s'applique pas aux appels entendus par la Cour canadienne de l'impôt et qu'aucune règle similaire ne figure dans les Règles à l'égard de la Loi sur l'assurance-emploi[4].

[22] Comme aucune règle n'existe dans la Loi, ni dans la Loi de la Cour canadienne de l'impôt, ni dans les Règles à l'égard de la Loi sur l'assurance-emploi, les procureurs de monsieur Dumoulin prétendent que les règles de prescription du Code civil du Québec devraient s'appliquer à titre supplétif parce que « le Code civil édicte le droit commun applicable au Québec » [5].

[23] Je suis loin d'être convaincu que, dans un cas comme celui prévu à l'article 103 de la Loi, ces règles peuvent s'appliquer à titre supplétif pour le calcul du délai qu'un contribuable doit respecter pour contester une décision du ministre. Tout d’abord, parmi les autorités citées par les procureurs de monsieur Dumoulin dans leurs notes écrites, je note les propos du juge Gonthier de la Cour suprême du Canada dans Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, à la page 874 :

Le Code civil du Québec énonce plusieurs principes directeurs du droit. Sa disposition préliminaire souligne d'ailleurs qu'il constitue le fondement des autres lois portant sur les matières auxquelles il se rapporte, bien que ces lois puissent ajouter ou déroger au Code. Il constitue donc le fondement des lois qui font appel, principalement ou accessoirement, à des notions de droit civil. Il trouve également application aux personnes morales de droit public dans leurs aspects relevant du Code civil.

[Je souligne.]

[24] Il y a aussi les propos suivants du professeur Côté qui furent cités par la Cour d'appel du Québec dans Industrielle-Alliance (L'), Compagnie d'assurance sur la vie c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1997] R.J.Q. 2928 (C.A.) :

Le Code forme le « fondement des autres lois » en droit privé; il est donc de sa nature de fournir réponse aux questions de droit privé qui ne trouvent pas de solution dans les lois particulières. L'extension analogique des règles du Code constitue ainsi pour les juristes québécois une ressource précieuse, ressource qu'ils ont eu tendance à méconnaître dans le passé.

[Je souligne.]

Il est important de souligner la portée limitée de ces propos : le Code civil constitue le droit commun pour les questions relevant du droit civil. Ici, nous sommes dans le domaine du droit public. Il s'agit de l'application d'une loi adoptée par le Parlement canadien et établissant un régime gouvernemental d'avantages sociaux pour des justiciables qui ont perdu temporairement leur emploi. Il ne s'agit pas ici d'une question relevant du droit civil : par exemple, d'une action en dommages-intérêts intentée par un employé contre son employeur ou d'un litige portant sur l'existence d'un « contrat de travail » entre ces personnes[6].

[25] Je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire ou opportun d'appliquer l'article 2904 C.c. parce que le législateur fédéral a déjà prévu la procédure à suivre si un justiciable désire obtenir la prorogation du délai d'appel. En effet, le paragraphe 103(1) de la Loi prévoit qu'un justiciable qui a besoin d'un délai supplémentaire peut le demander à cette cour.

[26] Si en raison de son ACV, monsieur Dumoulin avait eu besoin d'un délai supplémentaire de 15 jours, il aurait pu le demander, et je suis persuadé qu'il l'aurait obtenu. Or, monsieur Dumoulin n'a jamais présenté une telle demande de prorogation et, au 1er mai 1998, lorsque cette requête en rejet d'appel a été présentée, il était trop tard pour le faire. De toute façon, il ne semble pas qu'il ait été nécessaire de faire une telle demande puisqu'un avis d'appel avait été préparé environ un mois après l’envoi de la décision du ministre, soit le 2 décembre 1997 s'il faut se fier à la date apparaissant sur cet avis d'appel[7]. Le défaut de produire l’avis d'appel dans les délais prescrits par la Loi pourrait être dû plus à la négligence qu'aux problèmes causés par l'ACV.

[27] Finalement, il faudrait aussi s'interroger si quelque chose d'aussi fondamental que l'existence d'un droit d'appel crée par un texte législatif fédéral peut dépendre de l'application d'une loi provinciale qui pourrait être différente selon la province dans laquelle le justiciable réside. Dans une telle éventualité, il serait injuste que tous les Canadiens ne soient pas traités de la même manière. À moins d'un texte législatif clair à cet effet, je ne crois pas qu'il soit acceptable que l'exercice d'un droit d'appel créé par une loi fédérale dépende du droit provincial.

[28] De toute façon, il n'est pas nécessaire ici de trancher toutes ces questions. Même si les procureurs de monsieur Dumoulin avaient raison de prétendre que les dispositions du Code civil doivent s'appliquer à titre supplétif, je crois qu'il n'y a pas lieu d'accorder la suspension de la prescription du délai dans les circonstances de cet appel, et ceci pour deux motifs : le premier, et à mon avis le plus important, est d'ordre factuel; le deuxième est d'ordre juridique.

[29] Contrairement aux prétentions des procureurs de monsieur Dumoulin, la preuve faite devant moi ne révèle pas que ce dernier était un « justiciable inconscient » et qu'il souffrait d'une « incapacité totale [...] d'agir soit par [lui-même], soit en se faisant représenter par d'autres » durant la période allant du 5 octobre 1997 au 14 novembre 1997. Quel était l'état de santé de monsieur Dumoulin au 30 octobre 1997, soit la date pertinente pour déterminer si le délai d'appel a commencé à courir? Comme l'affirme avec raison la procureure du ministre, celui-ci n'a pas admis que monsieur Dumoulin « n'avait [...] qu'une conscience extrêmement limitée des événements pouvant se dérouler autour de lui et était dans l'incapacité totale de se mouvoir et même de s'exprimer » . Il a tout simplement permis qu'on puisse interroger monsieur Dumoulin sur son état de santé sans qu'il ne soit nécessaire de produire son dossier médical.

[30] On sait avec certitude que monsieur Dumoulin a fait un ACV le 5 octobre 1997, soit 25 jours avant la date pertinente. Le 5 octobre 1997 monsieur Dumoulin souffrait d'une paralysie du côté droit. La preuve sur son état de santé entre le 5 octobre 1997 et le 30 octobre 1997 n'est pas claire. Monsieur Dumoulin s'est contredit dans la description de son état. À un moment donné, il affirme qu'il souffrait d'une « paralysie complète du côté droit, parole et membres » . Il ajoute qu'il ne pouvait rien faire physiquement : « pas capable d'écrire, pas capable de rien faire » . Tout de suite après, à la question : « Pouviez-vous parler? » , il a répondu : « Dialoguer [...] comme ça, là, oui » .

[31] De plus, il n'a pas affirmé qu'il était demeuré aux soins intensifs jusqu'au 14 novembre 1997, date à laquelle il aurait été transféré dans un centre de réadaptation. Il a plutôt répondu à une question suggestive de son procureur : « Et vous êtes resté à l'hôpital sous les soins intensifs, j'imagine? » de la façon suivante : « Jusqu'au 14 novembre 97 » . Je suis convaincu que monsieur Dumoulin n'a pas bien saisi la portée de cette question. Je ne crois pas qu'il en ait écouté la deuxième partie. Je crois plutôt qu'il n'a répondu qu'à la première partie de la question et qu'il a voulu dire qu'il était resté à l'hôpital de St-Jérôme jusqu'au 14 novembre.

[32] À mon avis, il serait fort surprenant qu'un patient ait pu demeurer aux soins intensifs de l'hôpital de St-Jérôme du 5 octobre jusqu'au 14 novembre, et immédiatement après être transféré dans un centre de réadaptation. Il est beaucoup plus probable que monsieur Dumoulin est demeuré aux soins intensifs quelques jours, après avoir subi son ACV, pendant que son état était instable et qu'il est demeuré à l'hôpital dans une chambre normale pendant plusieurs autres jours, de façon à ce qu'on puisse s'assurer que sa santé se rétablisse normalement. Il m'apparaît fort peu probable que l'hôpital de St-Jérôme ait laissé partir monsieur Dumoulin le 14 novembre 1997 alors que ce dernier aurait été, dans les jours précédant immédiatement son départ, dans un état d'inconscience tel qu'il était incapable de charger quelqu'un de produire un avis d'appel pour lui.

[33] Je ne crois pas non plus qu'il faille accepter de façon littérale tous les propos de monsieur Dumoulin. Il affirme d'une part qu'il ne pouvait rien faire, tout en reconnaissant d’autre part qu'il pouvait parler. De plus, monsieur Dumoulin a reconnu que sa mémoire était revenue de façon progressive. La preuve ne révèle ni à quel moment sa mémoire lui est revenue de façon convenable ni quel était l'état de sa mémoire au 30 octobre 1997.

[34] De plus, il ressort de la preuve qu'une tierce personne a dactylographié un avis d'appel daté du 2 décembre 1997 à être signé par monsieur Dumoulin. C'est monsieur Dumoulin lui-même qui l'a signé ¾ quoiqu'avec l'aide de quelqu'un ¾ et qui est allé déposer l'enveloppe contenant cet avis d'appel à la réception du centre de réadaptation vers la fin du mois de janvier 1998.

[35] La preuve faite devant moi favorise davantage la thèse que l'ACV qu'a subi monsieur Dumoulin n'était pas grave à un point tel qu'il se trouvait inconscient au 30 octobre 1997. Le fait qu'il ait pu parler avant le 14 novembre 1997, qu'il ait pu par ses propres moyens aller déposer son enveloppe à la réception du centre de réadaptation au mois de janvier 1998, et qu'il se soit présenté seul devant moi le 1er mai 1998 pour contester la requête du ministre laissent aussi supposer que les effets de son ACV se sont résorbés assez rapidement.

[36] En conclusion, la preuve n'a pas démontré de façon probante que monsieur Dumoulin était, à compter du 30 octobre 1997, inconscient, ni qu'il était dans l'impossibilité en fait d'agir en se faisant représenter par d'autres.

[37] Il existe un autre motif pour rejeter les prétentions des procureurs de monsieur Dumoulin. Il y a en droit civil une doctrine selon laquelle les règles de suspension de prescription ne s'appliquent pas à l'égard d'un délai de déchéance ou de rigueur, aussi appelé délai préfix. En effet, le Code civil reconnaît une distinction entre le délai de prescription et le délai de déchéance. L'article 2878 C.c. édicte : « Le tribunal ne peut suppléer d'office le moyen résultant de la prescription. Toutefois, le tribunal doit déclarer d'office la déchéance du recours, lorsque celle-ci est prévue par la loi » . L'auteur Pierre Martineau, dans La prescription, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1977, à la page 369, définit ainsi le délai préfix :

Le délai préfix constitue, en quelque sorte, une condition sous laquelle la loi accorde un droit; ce droit doit, sous peine de déchéance, être exercé dans le délai fixé sans quoi il est irrémédiablement éteint; son titulaire ne peut pour aucune considération être relevé de son défaut.

À la page 370, Pierre Martineau expose ainsi les effets des délais préfix :

La plupart des auteurs s'entendent pour reconnaître aux délais préfix les effets suivants :

1. Ce délai est de rigueur. Celui qui a laissé expirer le délai sans exercer son droit en est automatiquement déchu. Rien ne peut le relever de la déchéance encourue. Le délai ne peut pour aucune considération être prolongé.

2. Il s'ensuit que les délais de déchéance ne sont pas susceptibles de suspension. Ils courent contre tout le monde : mineurs, interdits, entre époux durant mariage. L'impossibilité d'agir ne peut être invoquée.

3. Ces délais ne sont pas, non plus, susceptibles d'interruption. Ainsi, le fait de reconnaître l'existence du droit n'empêche pas le délai de continuer à courir.

4. Une fois le délai de forclusion expiré, il est impossible de faire valoir son droit non seulement par voie d'action, mais aussi par voie d'exception; la règle quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum ( « les actions sont temporaires mais les exceptions sont perpétuelles) ne joue pas en matière de délai de déchéance.

5. Tout comme dans les cas des courtes prescriptions, ce moyen doit être invoqué d'office par les tribunaux. Les cas de déchéance sont des cas où la loi dénie l'action [...].

[Je souligne.]

Tel qu'il a été mentionné plus haut, la Cour d'appel fédérale, dans les affaires Lamarre et Vaillancourt citées plus haut, a déjà établi que le délai prescrit par l'article 103 de la Loi est un délai de rigueur. Par conséquent, même si les dispositions du Code civil étaient applicables et que la preuve de l’impossibilité d’agir avait été faite, l’article 2904 C.c. ne serait d’aucune aide à la cause de monsieur Dumoulin.

[38] En conclusion, la Cour accueille la requête du ministre et rejette l'appel de monsieur Dumoulin pour cause de nullité.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'octobre 1998.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.



[1] Voici comment la Cour d'appel fédérale s'est exprimée :

[2] Il ne fait pas de doute, depuis la décision de cette Cour dans Vaillancourt,1que le délai de 90 jours prévu à ce paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance-chômage pour en appeler d’une décision du ministre est un délai de rigueur que la Cour canadienne de l’impôt n’a pas le pouvoir d’étendre.

_________________________

1 Canada (P.G.) v. Vaillancourt, décision non publiée de cette Cour en date du 14 mai 1992 portant le numéro A-639-91.

                                                                                                                                [Je souligne.]

Dans Nakis Holdings Ltd. c. Sous-ministre du Revenu du Québec, [1985] R.D.J. 468, C.A. Québec, à la page 473, il est intéressant de noter que la Cour d'appel du Québec a conclu que le délai de 90 jours pour interjeter appel d'une cotisation en vertu de la Loi sur les impôts était aussi un délai de rigueur.

[2] Paragraphe 2 de leurs notes écrites.

[3] Paragraphe 15 de leurs notes écrites.

[4] Les procureurs de monsieur Dumoulin ont aussi cité dans leurs notes écrites, notamment à la page 7 et au paragraphe 52, l'article 4 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), qui édicte que celles-ci doivent recevoir une interprétation large. Ces règles ne s'appliquent pas elles non plus à ce litige. Ce sont plutôt les Règles à l'égard de la Loi sur l'assurance-emploi qui s'appliquent et qui contiennent d'ailleurs à l'article 3 une règle similaire à cet article 4.

[5] Paragraphe 36 de leurs notes écrites.

[6] Dans l'affaire Gauthier c. Lac Brome (Ville), [1998] A.C.S. no 55 (QL), à laquelle se réfèrent les procureurs de monsieur Dumoulin, le débat porte sur le recours en dommages-intérêts exercé contre une ville par une victime battue et torturée par des policiers de cette ville. Il s'agit là d'une matière à laquelle se rapporte le Code civil.

[7] Monsieur Dumoulin n'a présenté aucune preuve suggérant que cet avis d'appel aurait été préparé postérieurement à cette date.

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