Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19971107

Dossiers : APP-506-96-IT; APP-507-96-IT

ENTRE :

GOR-CAN CANADA INC., ALPHA-LEATHER CANADA INC.,

requérants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] Alpha-Leather Canada Inc. (“Alpha”) et Gor-Can Canada Inc. (“Gor-Can”) ont chacune présenté à cette cour, conformément à l'article 167 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”), une demande de prorogation du délai pour interjeter appel. Les demandes ont été entendues ensemble sur preuve commune.

[2] Le ministre du Revenu national (le “ministre”) a imposé chaque requérante aux dates ci-après énoncées :

Années en cause

Gor-Can

Alpha

1991

13 septembre 1991

13 septembre 1991

1992

28 septembre 1992

28 septembre 1992

1993

8 novembre 1993

28 octobre 1993

1994

22 août 1994

[3] Le 28 août 1995, le ministre a établi de nouvelles cotisations à l'égard des années d'imposition 1991, 1992 et 1993 des requérantes et, dans le cas de Gor-Can, à l'égard de l'année d'imposition 1994 également. En établissant ces nouvelles cotisations, le ministre a rejeté un certain nombre de déductions que les requérantes avaient demandées dans leurs déclarations de revenu. Le litige portait notamment sur la question de savoir si certaines dépenses, désignées comme étant les “dépenses Saar”, avaient été engagées par les requérantes et, dans l'affirmative, si les requérantes pouvaient déduire ces dépenses dans le calcul de leurs revenus pour les années particulières.

[4] Alpha et Gor-Can se sont toutes les deux opposées aux cotisations. Elles ont autorisé leur comptable, qui était membre d'un cabinet de vérificateurs, à négocier avec Revenu Canada une transaction à l'égard des nouvelles cotisations1.

[5] Une transaction a finalement été conclue et le comptable a envoyé les documents y afférents, préparés par Revenu Canada, pour que le président des requérantes, M. John Gorenko, les signe. En vertu des conditions de la transaction, certaines demandes ont été admises alors que d'autres ont été rejetées. Les “dépenses Saar” n'ont pas été admises. Il n'en est pas expressément fait mention dans les documents en question. Les transactions étaient libellées comme suit :

[TRADUCTION]

PROJET DE TRANSACTION

REVENU CANADA — DIVISION DES APPELS (Montréal)

Date : le 23 mai 1996

Objet : avis d'opposition se rapportant aux années 1991, 1992, 1993 et 1994, concernant Gor-Can Canada Inc.

Revenu Canada se propose de régler les présentes affaires comme suit :

Gor-Can Canada Inc.

1991 1992 1993 1994

Dépenses admises

1) Salaires relatifs aux ventes 8 500 10 500 15 673 42 244

2) Réparations et entretien 52 244

3) Mauvaises créances 364 330

Tous les autres éléments des cotisations continuent à être les mêmes.

pour le chef des appels

Bureau du district de Montréal

ACCEPTATION :

Les soussignés, M. John Gorenko et Mme Nicole Gorenko, pour le compte de Gor-Can Canada Inc. conviennent du projet de transaction susmentionné devant être conclu avec Revenu Canada et s'engagent à renoncer à tout droit de faire opposition ou à tout droit d'appel, conformément aux paragraphes 165(1.2) et 169(2.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, relativement aux cotisations qui seront établies à cet égard, y compris tout droit que les compagnies peuvent avoir en vertu du “dossier Équité”.

______________ __________________

DATE SIGNATURE

PROJET DE TRANSACTION

REVENU CANADA — DIVISION DES APPELS (Montréal)

Date : le 2 juillet 1996

Objet : avis d'opposition se rapportant aux années 1990, 1991, 1993 et 1994, concernant Alpha Leather Canada Ltd.

Revenu Canada se propose de régler les présentes affaires comme suit :

Alpha Leather Canada Ltd.

1991 1992 1993

A) Dépenses admises

1) Salaires relatifs

aux ventes 8 500 10 500 7 041

2) Perte de change

non réalisée 122 404

B) Réduction des pertes annulées 417 448

* Comme il en a été fait mention, les avis d'opposition se rapportant aux années 1990 et 1994 sont considérés comme non valides.

pour le chef des appels

Bureau du district de Montréal

ACCEPTATION :

Le soussigné, M. John Gorenko, pour le compte d'Alpha Leather Canada Ltd. convient du projet de transaction susmentionné devant être conclu avec Revenu Canada et s'engage à renoncer à tout droit de faire opposition et à tout droit d'appel, conformément aux paragraphes 165(1.2) et 169(2.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, relativement aux cotisations qui seront établies à cet égard, y compris à tout droit que les compagnies peuvent avoir en vertu du “dossier Équité”.

______________ __________________

DATE SIGNATURE

[6] Je remarque que la transaction concernant Gor-Can dit que les éléments qui ne sont pas admis en vertu de la transaction continuent à être les mêmes. La transaction concernant Alpha ne renferme aucune disposition de ce genre.

[7] M. Gorenko a signé la transaction concernant Gor-Can le 29 mai 1996 et le document concernant Alpha le 2 juillet 1996.

[8] Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de Gor-Can le 29 juin 1996 et à l'égard d'Alpha le 12 août 1996. Ces nouvelles cotisations étaient fondées sur les dispositions des transactions signées par M. Gorenko; il s'agissait de cotisations néant.

[9] M. Gorenko a témoigné pour le compte des requérantes. Il a déclaré qu'au moment où il a convenu de régler les nouvelles cotisations, il était émotionnellement stressé parce qu'il faisait face à des revers de fortune en affaires et que la banque exerçait des pressions. Toutefois, il a reconnu que lorsqu'il a signé les transactions, il s'est rendu compte que “la signature était finale” et qu'il ne pouvait pas interjeter appel contre une cotisation en se fondant sur les transactions.

[10] Puis, pendant la deuxième semaine du mois d'octobre 1996, l'Unité des enquêtes spéciales de Revenu Canada s'est présentée dans les locaux commerciaux des requérantes et chez M. Gorenko. En vertu de mandats délivrés par la Division criminelle de la Cour de Québec le 7 octobre 1996, l'Unité des enquêtes spéciales a saisi certains documents commerciaux. Apparemment, le 7 octobre 1996 ou vers cette date, un certain André Faribault en sa qualité d'agent de Revenu Canada a déclaré sous serment qu'il avait des motifs raisonnables de croire et qu'il croyait que certaines présumées infractions à la Loi avaient été commises entre autres par Gor-Can et Alpha. Ces présumées infractions se rapportaient essentiellement aux “dépenses Saar”.

[11] M. Gorenko a déclaré que tant que les mandats n'avaient pas été exécutés, ni les requérantes ni lui ne savaient que Revenu Canada allait réexaminer les “dépenses Saar”. Quant à lui, une fois qu'il avait signé les transactions relatives aux cotisations, toute question litigieuse opposant les requérantes et Revenu Canada relativement aux “dépenses Saar” avait été réglée d'une façon finale. M. Gorenko a alors retenu les services d'un avocat pour agir pour le compte des requérantes. En préparant la défense pour le compte des requérantes, l'avocate a fait savoir que le rejet par Revenu Canada des “dépenses Saar” devait être contesté. Les requérantes ont déclaré que Revenu Canada ne leur avait pas fait part de l'enquête qui était en cours. Si l'enquête n'avait pas été tenue secrète, elles se seraient opposées aux nouvelles cotisations établies le 29 juillet et le 12 août 1996 en interjetant appel devant cette cour dans le délai prévu au paragraphe 169(1) de la Loi.

[12] M. Gorenko a déclaré qu'à compter du moment où il avait communiqué avec son comptable et avec son avocat, “il avait fallu environ 30 jours pour recueillir les faits” et qu'il s'était rendu compte que Revenu Canada menait une enquête au sujet de la question de savoir si des poursuites devaient être engagées au criminel contre les requérantes à l'égard des “dépenses Saar”. De l'avis de M. Gorenko, une fois que les saisies ont eu lieu, les transactions n'étaient plus valides et les nouvelles cotisations établies conformément aux transactions devaient faire l'objet d'un appel. M. Gorenko ne voulait pas que les concessions que les requérantes avaient faites pour en arriver aux transactions soient invoquées contre elles dans des poursuites criminelles. Les requérantes n'ont jamais voulu admettre que les “dépenses Saar” étaient fictives et qu'elles n'étaient pas déductibles. M. Gorenko a déclaré qu'il voulait tout recommencer parce que Revenu Canada remet en question les dépenses sur le plan pénal. Si aucune saisie n'avait eu lieu, il serait satisfait des nouvelles cotisations. En saisissant les documents commerciaux, Revenu Canada est revenu sur la transaction.

[13] Pendant le contre-interrogatoire, M. Gorenko a déclaré que dans l'ensemble, les dépenses Saar non admises auraient dû être admises, que d'autres questions le préoccupaient et qu'il voulait jouer les pompiers, que c'était le moment le plus désastreux de sa carrière; il a ajouté que maintenant qu'il voyait clair, il estimait qu'il n'aurait pas dû régler l'affaire. Il a déclaré qu'étant donné qu'au moment où il avait signé les transactions, il était stressé, les requérantes et lui ne devraient pas être liés. Il a affirmé que son comptable ne lui avait jamais dit que Revenu Canada faisait enquête sur les “dépenses Saar” au moment où il avait signé les transactions2. Le comptable n'a pas témoigné.

[14] En 1996, les requérantes ont également intenté une action devant la Cour supérieure, district de Montréal, pour demander (entre autres choses) que les mandats soient annulés. Le 17 juillet 1997, Madame la juge Côté a rendu un jugement par lequel elle rejetait la requête3. Les requérantes avaient notamment allégué que la mesure prise par Revenu Canada constituait un abus de pouvoir. Les requérantes n'ont jamais été informées que l'Unité des enquêtes spéciales de Revenu Canada interviendrait dans les transactions. Leur avocat avait soutenu devant la Cour supérieure qu'il était inéquitable que Revenu Canada incite le contribuable à conclure une transaction finale, tout en faisant en sorte qu'il renonce à son droit d'appel à un moment où l'Unité des enquêtes spéciales étudiait encore la question des “dépenses Saar”. Le juge Côté a examiné la preuve et a statué que les requérantes n'avaient pas établi que Revenu Canada avait commis un abus flagrant. Elle a conclu que Revenu Canada n'avait jamais insisté pour que M. Gorenko ou les requérantes renoncent à leurs droits. En outre, Revenu Canada n'a jamais fait croire aux requérantes ou à leur représentant que la transaction relative aux nouvelles cotisations aurait pour effet d'exclure toute action criminelle. La juge Côté a statué que la transaction relative aux cotisations n'empêchait pas Revenu Canada d'engager des poursuites criminelles contre les requérantes.

[15] Le jugement de la juge Côté a été porté en appel devant la Cour d'appel du Québec. On ne s'attend pas à ce que l'appel soit entendu cette année.

[16] L'avocate des requérantes me demande de proroger le délai d'appel, et ce, pour deux raisons :

a) la transaction était fondée sur de fausses représentations de la part de Revenu Canada et Revenu Canada n'a pas informé les requérantes des poursuites criminelles possibles;

b) les requérantes veulent répudier les transactions parce qu'elles ne veulent pas que les tribunaux considèrent les transactions comme constituant un aveu selon lequel les “dépenses Saar” étaient illégitimes, futiles ou frauduleuses.

[17] Je n'ai pas de remarques à faire au sujet des raisons pour lesquelles les requérantes veulent prolonger le délai d'appel. La Cour supérieure de Montréal, qui est le tribunal compétent, a refusé d'annuler les mandats. Je remarque que les requérantes n'ont pas demandé à la Cour supérieure de répudier les transactions et que celles-ci continuent à être véritables et valides. Les requérantes ne disposeraient donc d'aucun fondement leur permettant d'interjeter appel contre les cotisations compte tenu de ces transactions.

[18] Enfin, il faut avant tout noter que toutes les cotisations dont les requérantes veulent interjeter appel sont des cotisations néant. Aucun appel ne peut être interjeté contre une cotisation néant : voir par exemple Okalta Oils Ltd. v. M.N.R., 55 DTC 1176 (C.S.C.); The Queen v. Bowater Mersey Paper Company Limited, 87 DTC 5382 (C.A.F.), 86 DTC 6293 (C.F. 1re inst.); Lornex Mining Corporation Ltd. v. M.N.R., 88 DTC 6399 (C.F. 1re inst.) et Consoltex Inc. v. The Queen, 92 DTC 1567 (C.C.I.). Sur la base de ces seules décisions, les demandes présentées par les requérantes devraient être rejetées et elles sont rejetées, les dépens étant adjugés à l'intimée.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour de janvier 1998.

Monique Pelletier, réviseure



1                De nouvelles cotisations ont également été établies à l'égard d'autres contribuables liés et le comptable a négocié des transactions à l'égard de toutes les nouvelles cotisations.

2                Cela montre jusqu'à quel point il est dangereux de retenir les services d'un comptable plutôt que ceux d'un avocat lorsqu'il s'agit de négocier une transaction d'une nature qui risque d'être litigieuse. Le comptable agréé qui agit pour les requérantes est peut-être compétent, mais il exerce néanmoins la profession de comptable et non celle d'avocat. Un avocat aurait peut-être rédigé les transactions de façon à régler tout problème que pourraient poser les “dépenses Saar” ou il aurait peut-être recommandé à M. Gorenko de ne pas signer les transactions telles qu'elles avaient été rédigées par les représentants de Revenu Canada.

3                [1997] A.Q. no 3206 (Q.L.) (C.S.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.