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Date: 20001219

Dossier: 1999-1856-IT-G

ENTRE :

GESTION YVAN DROUIN INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Gestion Yvan Drouin Inc. (Gestion) interjette appel de deux cotisations établies le 12 février 1996 par le ministre du Revenu National (ministre) en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi). Le ministre a tenu Gestion responsable d'une somme de 22 444,81 $ selon l'avis de cotisation portant le numéro 8825 et d'une somme de 352 735,80 $ selon l'avis de cotisation numéro 8826. Ces sommes représenteraient une partie de l'impôt que devait au ministre la société 2850-0692 Québec Inc. (DPCI) au moment où cette dernière a déclaré des dividendes en faveur de Gestion. Le premier avis de cotisation se rapporte à un dividende versé au cours de l'exercice financier 1987 alors que le deuxième a trait à un dividende versé au cours de l'exercice financier 1991 (années pertinentes).

[2] Le litige porte essentiellement sur deux questions : la première, l'existence de dettes fiscales de DPCI envers le ministre, et la deuxième, l'existence d'un lien de dépendance entre DPCI et Gestion. Gestion prétend que le ministre n'a pas fait la preuve de l'existence des dettes fiscales de DPCI. Elle soutient de façon subsidiaire qu'à l'égard de l'année 1991 il n'existait pas de lien de dépendance entre DPCI et Gestion. Pour l'année 1987, Gestion reconnaît qu'un tel lien existait.

Faits

[3] Gestion est une société de gestion constituée en 1980. Durant les années pertinentes, son président et unique actionnaire est monsieur Yvan Drouin. Entre 1980 et le 14 décembre 1987, Gestion est la seule actionnaire de DPCI, une société constituée en vertu de la partie IA de la Loi sur les compagnies du Québec (Loi sur les compagnies). DPCI exploite une entreprise de construction de résidences milieu de gamme. Cette société a construit environ 3 000 maisons de 1970 à 1990, principalement dans le secteur de Beauport, près de Québec.

[4] Le 14 décembre 1987[1], Gestion et monsieur Gilles Moisan, un comptable agréé et vérificateur de DPCI depuis plusieurs années, décident de s'associer dans l'exploitation de l'entreprise de DPCI. Il n'existe aucun lien de parenté entre messieurs Moisan et Drouin. Comme l'intention de monsieur Moisan et Gestion est de faire en sorte qu'ils détiennent chacun 50 % des actions participantes avec droit de vote de DPCI, on procède à un remaniement de capital selon lequel les actions détenues par Gestion sont converties comme suit : 6 704 actions de catégorie A en 6 704 actions privilégiées de catégorie C rachetables pour un prix total de 1 100 797 $ et 52 925 actions de catégorie B en 52 925 actions de catégorie D rachetables au prix total de 529 250 $[2].

[5] Le 1er janvier 1991, DPCI est fusionnée avec la société Développement Québec-Métro Inc. (DQM). La nouvelle société conserve la raison sociale de DPCI. À la suite de cette fusion, les actions de DPCI[3] sont détenues de la façon suivante :

Nom de l'actionnaire

Catégorie A

Catégorie B

Catégorie C[4]

Gestion

1 100

167 040[5]

52 925[6]

Gilles Moisan

1 100

0

0

[6] Quelques jours plus tard, soit le 23 janvier 1991, monsieur Moisan remet à monsieur Drouin un projet de convention qui prévoit un échéancier pour le paiement de dividendes sur les actions de catégories B et C détenues par Gestion, de même que le rachat de ces actions. Les négociations qui ont mené à ce projet avaient été entreprises quelques mois auparavant, soit au cours de l'automne 1990. Dans ce projet, on évalue les arrérages de dividendes sur les actions privilégiées à 380 000 $.

[7] Gestion et monsieur Moisan conviennent que DPCI paiera ces arrérages à même le produit net de la vente d'immeubles qui seront décrits dans le projet. Ce projet prévoit aussi qu'après avoir payé ces dividendes, DPCI verra au rachat des actions privilégiées. Ces actions doivent être rachetées à même le produit net de la vente d'immeubles également à être décrits au projet. Le paiement des dividendes, tout comme le rachat des actions privilégiées, doit s'effectuer sur une période de trois ans. Aucune suite n'est donnée à ce projet de convention.

[8] Un deuxième projet de convention en date du 7 février 1991 est préparé. Dans ce projet, il est plutôt question de rachat d'actions : d'abord, rachat des actions de catégorie C, et par la suite, rachat des actions de catégorie B, sur une période de trois ans. On y décrit la marche à suivre pour le rachat des actions privilégiées selon des modalités prévues à un acte d'accord annexé aux statuts de fusion du 1er janvier 1991. Toutefois, cet accord n'a pas été produit en preuve lors de l'audience. Comme cela avait été prévu au premier projet, le rachat des actions privilégiées doit s'effectuer à même le produit net de disposition de certains immeubles mais, contrairement à ce qui avait été fait dans le premier projet, les immeubles y sont décrits. Tout comme le premier projet, ce deuxième projet n'est pas signé et aucune suite n'y est donnée.

[9] À mesure que les négociations avancent et que le temps passe, les relations entre messieurs Drouin et Moisan deviennent de plus en plus tendues. Monsieur Drouin explique cette situation ainsi : monsieur Moisan et lui ne partagent pas les mêmes vues quant à l'orientation que doit suivre DPCI. Monsieur Moisan désire que DPCI s'investisse davantage dans la construction de maisons haut de gamme. Quant à monsieur Drouin, il considère que DPCI n'a de l'expertise que dans la construction de maisons résidentielles milieu de gamme. Comme il devient de plus en plus évident qu'il y a deux capitaines à bord, il n'est pas surprenant que monsieur Moisan propose que toutes les actions détenues par Gestion soient rachetées par DPCI.

[10] Comme vérificateur externe de DPCI, monsieur Gilles Gingras de Samson Bélair s'était impliqué depuis un certain temps dans les négociations entre messieurs Drouin et Moisan. Il lui est de plus en plus difficile d'y participer tout en gardant son impartialité. Monsieur Gingras décide donc de représenter les intérêts de monsieur Drouin et de Gestion. Monsieur Moisan informe alors monsieur Gingras qu'il désire qu'un autre associé de Samson Bélair le remplace comme associé principal responsable du dossier de DPCI. Au cours des négociations qui suivent, chacun des deux actionnaires a ses propres conseillers comptables et juridiques.

[11] Le 30 avril 1991, monsieur Moisan remet à monsieur Drouin un document manuscrit intitulé “ Base de discussion ”. Dans ce document, on confirme que DPCI rachètera toutes les actions détenues par Gestion. Les actions de catégorie A seront rachetées pour un montant égal à leur capital versé alors que les actions des autres catégories seront rachetées à leur valeur de rachat. Le prix de rachat sera versé par le transfert par DPCI de certains de ses terrains dont la valeur aura été convenue.

[12] Dans ce document, il est aussi question d'un contrat d'emploi entre DPCI et monsieur Drouin pour une période à être définie. Il contient notamment une clause pour le rajustement du prix de rachat dans l'éventualité de poursuites intentées par des clients de DPCI. Tout règlement relatif à des poursuites concernant des travaux effectués avant le 1er novembre 1987 entraînerait une réduction du prix de rachat des actions équivalant à 80 % du montant du règlement. Quant aux travaux effectués entre le 1er novembre 1987 et la date du rachat des actions, un règlement à leur égard entraînerait une réduction du prix correspondant à 50 % du montant du règlement. On prévoit de plus un rajustement dans l'éventualité de cotisations d'impôt résultant du rejet de dépenses personnelles.

[13] Monsieur Gingras a décrit les négociations entre messieurs Drouin et Moisan comme étant longues et laborieuses. Selon lui, ces deux personnes ont des intérêts divergents. Monsieur Moisan désire détenir une société viable alors que monsieur Drouin désire obtenir le rachat le plus rapide possible de ses actions et le paiement des arrérages de dividendes qui lui reviennent. Il décrit le climat entre les deux parties comme étant glacial mais poli. Selon lui, les négociations se déroulent de bonne foi. Il a confirmé que le premier projet de rachat des actions soumis à monsieur Drouin n'a pas satisfait ce dernier parce que cela allait prendre trop de temps pour racheter toutes ses actions privilégiées.

[14] Comme le rachat des actions détenues par Gestion dans DPCI doit être effectué au moyen d'un transfert de terrains appartenant à DPCI, il est important d'établir une valeur pour ces terrains. Le contrôleur interne de DPCI, monsieur Alain Grenier, prépare un tableau daté du 5 juin 1991 dans lequel on retrouve la valeur des terrains devant être transférés à Gestion. Sur ce tableau, on retrouve des annotations manuscrites de monsieur Moisan augmentant la valeur des terrains : par exemple, à l'égard du lot 1773 représentant 168 339 pieds carrés, la valeur unitaire passe de 1,08 $ le pied carré à 1,80 $. Il en est de même pour un terrain situé sur la rue Bessette : la valeur du terrain de 700 000 pieds carrés estimée à l'origine à 1,08 $ le pied carré est augmentée par monsieur Moisan à 1,45 $.

[15] Ce calcul de la valeur des terrains sert non seulement à déterminer quels terrains seront remis à Gestion en paiement du prix de rachat de ses actions mais il sert aussi à déterminer les incidences fiscales de la cession de terrains pour DPCI et l'importance de l'augmentation de ses surplus. Monsieur Gingras rappelle qu'il est important que le versement des dividendes et le rachat des actions respectent les critères de solvabilité prévus dans la Loi sur les compagnies et ne nuisent pas à la prospérité future de DPCI. Comme monsieur Moisan doit continuer l'exploitation de DPCI, il désire une société viable et non un “ canard boiteux ”. Monsieur Gingras a confirmé qu'en plus de satisfaire aux critères de solvabilité à respecter pour pouvoir déclarer les dividendes, il faut s'assurer que DPCI possède des ressources financières suffisantes pour obtenir les cautions nécessaires à l'obtention de contrats de construction.

[16] Dans l'analyse des incidences fiscales de la cession des terrains sur le rachat des actions qui se trouve au tableau du 5 juin 1991, on estime l'impôt à payer à 393 555 $. En outre, on y retrouve une analyse des profits et des flux monétaires à l'égard des terrains conservés par DPCI. Cette analyse révèle que si tous ces terrains étaient vendus par DPCI à un prix estimé de 2 234 800 $, l'encaissement net - après paiement d'un impôt de 390 745 $, d'emprunts de 51 909 $ et d'autres débours de 485 468 $ - s'élèverait à 506 078 $, et le montant des surplus, à 113 123 $.

[17] Une entente entre Gestion et monsieur Moisan intervient le 1er juillet 1991 et un document de 14 pages est signé le 4 juillet 1991. Le prix convenu s'élève à 2 058 000 $ et se répartit comme suit : 1 100 $ pour les actions de catégorie A, 1 221 062 $ pour les actions de catégorie B, 529 250 $ pour les actions de catégorie C et un dividende déclaré mais non payé de 306 588 $. Ce prix doit être acquitté par le transfert de biens décrits dans l'entente.

[18] L'entente du 1er juillet 1991 prévoit aussi un contrat d'emploi pour monsieur Yvan Drouin pour une période de quatre ans et demi : à compter du 1er juillet 1991 jusqu'au 31 décembre 1991, le salaire hebdomadaire doit être calculé sur la base d'un salaire annuel de 170 000 $. Par la suite, monsieur Drouin doit recevoir un salaire annuel de 50 000 $ pour une durée de quatre ans.

[19] L'entente prévoit aussi des rajustements de prix à la baisse en raison de cotisations d'impôt découlant du rejet de dépenses personnelles ou en raison de rajustements consécutifs à des réclamations par des clients de DPCI. Cette entente stipule aussi une clause de non-concurrence liant Gestion, ainsi que monsieur Drouin personnellement.

[20] Contrairement à ce qui est stipulé dans l'entente du 1er juillet 1991, le contrat d'emploi se termine en octobre 1999 : monsieur Drouin a le sentiment d'être de trop. À compter de janvier 1992, il suit des cours de courtage en immeubles. De plus, une somme de 40 000 $ est versée par Gestion à DPCI en remboursement du prix de rachat en raison des clauses de rajustement déjà mentionnées.

[21] Gestion a versé des honoraires de 8 060 $ à Samson Bélair pour des services rendus du 1er janvier au 31 juillet 1991. On décrit ces services comme suit “ planification fiscale et financière concernant l'achat des terrains de la Compagnie Drouin et Parent Construction Inc.[DPCI] ”. Selon le témoignage de monsieur Drouin, ces honoraires visent les services professionnels rendus par monsieur Gingras lors de la négociation du rachat des actions détenues par Gestion dans DPCI.

[22] Le 27 avril 1994, le ministre envoie à Gestion un projet de cotisation en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi. Les avis de cotisation sont établis deux ans plus tard, soit le 12 février 1996. Des avis d'opposition sont produits le 2 avril 1996 et la ratification du ministre n'a lieu que près de trois ans plus tard, soit le 13 janvier 1999.

[23] Selon l'avis de cotisation 8825, la dette fiscale de DPCI à l'égard des années 1986 et 1987 s'élève à 22 176,64 $ et représente le total d'une somme de 50 cents d'impôt, d'une pénalité de 2 819 $ et de 19 357,14 $ en intérêts. Au cours de l'année 1987, un dividende de 77 087 $ est versé par DPCI à Gestion.

[24] Quant à l'année 1991, l'avis de cotisation 8826 indique comme dette fiscale de DPCI une somme de 560 486,13 $ représentant le total de trois montants : le premier, 71 334,77 $ représentant impôt, pénalité et intérêts pour les années d'imposition 1986, 1987, 1988 et 1989, le deuxième, 24 636,99 $ au titre de l'impôt et des intérêts pour l'année 1989[7], et le troisième, 464 514,37 $ pour l'année 1991.

[25] À de nombreuses reprises, Gestion demande au ministre de lui fournir des renseignements concernant les dettes fiscales de DPCI mais sans succès. Notamment, le 12 novembre 1998, les comptables de Gestion demandent au ministre de leur fournir tous les détails relatifs aux dettes fiscales de DPCI en leur communiquant les projets de cotisation, les cotisations et, le cas échéant, les avis d'opposition de DPCI et tout autre document émanant du ministère ou de DPCI, tel que les états financiers ou les déclarations de revenu ayant permis au ministre d'établir l'existence de ces dettes fiscales de DPCI.

[26] Dans sa réponse du 21 décembre 1998, le ministre n'inclut pas ces documents. Pour les années 1986 et 1987, le ministre n'a pu retrouver ni les dossiers ni les avis de cotisation de DPCI. Quant à l'année 1991, comme Gestion n'était plus actionnaire de DPCI au 31 décembre 1991, le ministre refuse de lui fournir ces renseignements. Monsieur Robert Lévesque du service des appels de Revenu Canada, Impôt de Québec explique lors de son témoignage qu'il s'était considéré lié par le devoir de confidentialité relativement aux renseignements fiscaux de DPCI. Malgré ses demandes répétées, Gestion n'a jamais obtenu avant l'audience les avis de cotisation d'impôt établis par le ministre à l'égard de DPCI pour les années d'imposition 1986 et 1987 ni ceux à l'égard de l'année 1991.

[27] Au cours de l'audience, les représentants du ministre ont été incapables de produire les avis de cotisation pour les années 1986 et 1987. Le seul document qui a été fourni est un tableau indiquant que des frais de représentation de 21 147,10 $ et des dépenses d'entretien et de réparation de 10 008,63 $ auraient été refusées et qu'il y aurait eu des revenus non déclarés de 45 729 $ provenant d'une vente de triplex; le tout totalisait 76 884,73 $. Selon une note de service expédiée à monsieur Jean-Charles Boucher de l'administration centrale des appels par monsieur Lévesque, une nouvelle cotisation aurait été établie à l'égard de DPCI pour les années 1986 et 1987 au mois de mai 1992.

[28] Comme preuve de l'existence de la dette fiscale à l'égard de l'année 1991, l'intimée a produit la déclaration de revenu de DPCI dans laquelle on indique un impôt net à payer de 464 314 $. On a aussi produit un avis de cotisation sur lequel le montant d'impôt à payer fixé par le ministre correspond à celui déclaré par DPCI dans sa déclaration de revenu.

[29] Selon les états financiers du 31 décembre 1991 préparés par Samson Bélair, on retrouve au poste des capitaux propres (avoir des actionnaires) une somme de 173 533 $ dont 151 274 $ représentant des bénéfices non répartis. Dans le passif à court terme, on retrouve un montant d'impôt sur le revenu de 632 482 $. La valeur de l'actif à la même date s'élève à 4 509 904 $.

[30] Ayant affirmé n'avoir pris connaissance de ces états financiers que lors de l'audience, monsieur Gingras a déclaré ne jamais avoir compris pourquoi le ministère avait été incapable de percevoir les impôts qui étaient dus par DPCI. Selon lui, les états financiers de 1991 démontrent que cette société avait des actifs suffisants pour s'acquitter de ses impôts. En outre, ils contredisent l'affirmation du vérificateur du ministre selon laquelle DPCI était dans un état de faillite lors du rachat des actions privilégiées. D'après monsieur Gingras, DPCI était loin d'être en faillite. Il a ajouté que les actifs sont inscrits au coût au bilan de cette société. Selon des informations qu'il possédait quant à la valeur de certains terrains décrits au bilan, monsieur Gingras a estimé que quelques-uns de ces terrains avaient au 31 décembre 1991 une valeur beaucoup plus élevée que le coût indiqué au bilan. Il a mentionné deux terrains qui selon lui avaient une plus-value d'environ un million de dollars.

[31] Lors de son témoignage, le vérificateur du ministre a expliqué pourquoi il croyait à l'existence d'un lien de dépendance effectif entre Gestion et DPCI au moment du versement des dividendes survenu en juillet 1991. Il a confirmé s'être fondé sur la décision rendue dans l'affaire Fournier c. le ministre du Revenu national, 91 DTC 743, et, selon lui, Gestion et monsieur Moisan avaient agi de concert lors du versement en juillet 1991 des dividendes sur les actions privilégiées de Gestion.

Position de Gestion

[32] Le procureur de Gestion soutient que l'intimée a la charge d'établir qu'il existait une dette fiscale lors du versement des dividendes de 77 087 $ en 1987 et lors du versement des dividendes de 352 735,80 $ en 1991. À l'appui de cet argument, il cite ce passage tiré de l'affaire Germain Pelletier Limitée v. The Queen, 98 DTC 2159. Il s'agit là d'une cause qu'il avait lui-même plaidée et dans laquelle j'avais rendu la décision :

[59] Il ne faut pas oublier non plus le contexte dans lequel le ministre établit des cotisations en vertu de l'article 160 de la Loi. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une cotisation de l’impôt dû par un contribuable mais plutôt d’une procédure de perception auprès d’un tiers de sommes qui sont dues par un autre contribuable. Il s’agit d’une sorte d’action paulienne exercée par le ministre. Il m’apparaît essentiel que le tiers contre lequel un tel recours est exercé puisse contester le montant de la dette due par le débiteur. Je ne crois pas que la présomption de validité édictée par le paragraphe 152(8) de la Loi s’applique à l’égard d’un tiers.

[60] Il est difficile d’imaginer un meilleur exemple que celui des circonstances de cet appel pour illustrer la nécessité de permettre à un contribuable faisant l’objet d’une cotisation en vertu de l'article 160 de contester le montant de la dette fiscale. On pourrait même se demander s’il ne serait pas plus équitable que le fardeau de la preuve incombe au ministre et qu’il soit tenu d’établir que la dette fiscale est bien exigible. Toutefois, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur cette question ici puisque le ministre reconnaît que la dette fiscale est nulle si la juste valeur marchande est inférieure à 5 632 587 $. Or, la valeur que je retiens est bien inférieure à ce montant.

[33] D'ailleurs, c'est en se fondant sur cette décision que les représentants de Gestion ont demandé au ministre, dans leur lettre du 12 novembre 1998, de fournir tous les documents pertinents établissant le montant de la dette fiscale. Comme on le sait, les avis de cotisation des années 1986 et 1987 de même que celui pour l'année 1991 n'ont pas été fournis à Gestion ni à ses représentants avant l'audience. Seulement celle pour 1991 a été produite lors de l'audience.

[34] Le procureur de Gestion soutient qu'aucune preuve n'a établi la dette fiscale pour les années 1986, 1987 et 1991. De plus, il soutient, comme le révèle la note de service adressée au bureau central du ministre, que les cotisations pour les années 1986 et 1987 ont été établies en mai 1992 et que cette date se trouvait être hors de la période normale de cotisation. Quant à l'année 1991, Gestion n'a pas eu tous les renseignements lui permettant de contester la cotisation. Notamment, l'annexe T2S(1) accompagnant la déclaration de revenu n'a pas été fournie. Même si le montant établi par le ministre dans sa cotisation correspondait à celui déclaré par DPCI, on peut s'interroger sur le bien-fondé de cette cotisation. De plus, rappelle le procureur, on n'a jamais donné à Gestion l'occasion de confirmer que le montant de la cotisation était bien dû.

[35] Quant à l'existence d'un lien de dépendance entre Gestion et DPCI, le procureur de Gestion reconnaît que, lors du paiement du dividende de 77 087 $ en 1987, Gestion contrôlait DPCI et qu'il existait ainsi un lien de dépendance à cette époque.

[36] Quant au lien de dépendance lors du versement des dividendes en 1991, le procureur de Gestion rappelle qu'il n'existait aucun lien de parenté entre messieurs Drouin et Moisan. Il conteste la position de l'intimée selon laquelle messieurs Drouin et Moisan ont agi de concert et sans intérêt distinct en adoptant comme administrateurs la résolution autorisant le versement des dividendes. Il fait remarquer que les dividendes n'ont été déclarés et versés qu'en faveur de Gestion sur ses actions privilégiées et qu'aucun autre dividende n'a été versé sur des actions appartenant à monsieur Moisan. Il est inconcevable que l'on puisse conclure à l'existence d'un lien de dépendance chaque fois que des personnes signent une entente ou autorisent comme administrateurs le versement de dividendes. Il insiste pour mentionner que chacune des parties avaient des intérêts divergents lorsqu'elles ont négocié le versement des dividendes et le rachat des actions privilégiées détenues par Gestion.

Position de l'intimée

[37] La procureure de l'intimée prétend que l'existence des dettes fiscales a clairement été établie. Elle ne conteste pas la position que j'ai prise dans l'affaire Germain Pelletier Limitée (précitée). Elle reconnaît qu'aucun avis de cotisation visant les années 1986 et 1987 de DPCI n'a été produit lors de l'audience. Elle souligne, par contre, qu'une pénalité a été imposée pour l'année 1987.

[38] Quant à l'année 1991, elle rappelle que l'avis de cotisation ne fait que confirmer le montant d'impôt déclaré par DPCI dans sa déclaration de revenu. Le ministre n'a aucunement procédé à une vérification à l'égard de cette année. Pour ce qui est de l'existence du lien de dépendance entre Gestion et DPCI pour l'année 1991, elle rappelle que les résolutions du conseil d'administration ont été signées par messieurs Drouin et Moisan. Il y avait une volonté commune de déclarer les dividendes, le tout conformément à une planification dont les deux parties avaient convenu. Elle fait une distinction entre le climat glacial qui a pu exister relativement au rachat des actions privilégiées et celui dans lequel s'est fait le versement des dividendes. Elle rappelle que c'est le versement des dividendes qui est visé par l'application du paragraphe 160(1) de la Loi. Pour appuyer sa position, elle se fonde évidemment sur les décisions rendues par mon collègue le juge Dussault dans les affaires Fournier (précitée) et Gosselin c. R., 1996 CarswellNat 2472, [1996] A.C.I. no 206 (QL).

Analyse

[39] Les dispositions législatives sur lesquelles se fonde le ministre pour établir les cotisations sont celles du paragraphe 160(1) de la Loi. Pour trancher les questions soulevées par ces appels, il est à mon avis essentiel d'analyser en détail ce paragraphe qui se lit comme suit :

(1) Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

a) son conjoint ou une personne devenue depuis son conjoint;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s'appliquent :

d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés [sic] du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

[Je souligne.]

Y a-il transfert sans contrepartie ?

[40] Le premier élément qui ressort de l'analyse de ce paragraphe est qu'il doit d'abord y avoir transfert d'un bien entre une personne, le cédant, et une autre, le cessionnaire. Il est évident que le mot “ transfert ” est d'une portée assez large pour comprendre un dividende versé à un actionnaire[8], car il y a appauvrissement d'un patrimoine et enrichissement d'un autre. Ce mot serait aussi d'une portée assez large pour qu'il s'applique au versement d'intérêts sur un prêt.

[41] Un autre élément qui ressort de l'analyse du paragraphe 160(1) est que le cessionnaire d'un bien n'est pas responsable de façon illimitée de la dette fiscale du cédant. En effet, sa responsabilité est limitée au moins élevé de deux montants : (i) la valeur de l'avantage conféré, (ii) le montant de la dette fiscale du cédant. Donc, le cessionnaire ne peut être responsable au-delà de la valeur de l'avantage reçu du cédant. Si le cédant fait don d'un bien, le cessionnaire pourrait être responsable jusqu'à concurrence de la valeur de ce don. Si le cessionnaire a acquis un bien pour un montant inférieur à la juste valeur marchande du bien, il pourrait être responsable de la dette fiscale jusqu'à concurrence de la différence entre la juste valeur marchande du bien et celle de la contrepartie donnée pour ce bien.

[42] J'ai mentionné plus haut que le mot “ transfert ” est d'une portée assez large pour comprendre un dividende versé à un actionnaire. Par contre, il n'est pas aussi clair qu'un dividende est un bien transféré sans aucune contrepartie par le cessionnaire. Une société qui désire exploiter une entreprise a besoin de capital pour lui permettre de financer ses opérations et de faire l'achat des immobilisations nécessaires à l'exploitation de cette entreprise. Une de ses sources de fonds est le capital-actions fourni par les actionnaires; une autre, le financement par prêts. Pour intéresser un actionnaire, la société offre un rendement sous forme de dividendes sur les actions détenues par cet actionnaire. Dans les cas de certaines actions privilégiées, comme cela est le cas ici[9], le rendement peut même avoir été prévu d'avance.

[43] Dans Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, à la page 791, para. 57, [98 DTC 6297, 6304], le juge Iacobucci, traitant de la question de savoir si un dividende pouvait être déclaré en contrepartie de services rendus par une actionnaire, énonce :

Ce point de vue ne tient pas compte de la nature fondamentale des dividendes; un dividende est un paiement lié, sous forme de droit, au capital-actions qu'une personne possède dans une société, et à rien d'autre. Ainsi, l'importance de l'apport fourni par une personne à la société, et tout dividende reçu de cette société, sont indépendants l'un de l'autre. Le juge La Forest a fait la même observation dans les motifs dissidents qu'il a rédigés dans McClurg (à la p. 1073) :

En toute déférence, ce fait n'est pas pertinent pour les fins du litige dont nous sommes saisis. C'est mal interpréter la nature d'un dividende que de lier le versement d'un dividende à la somme des efforts déployés par le bénéficiaire pour le compte de la société payante. Comme nous l'avons dit auparavant, le versement d'un dividende résulte de la propriété du capital-actions d'une société. Selon un principe fondamental du droit des sociétés, un dividende est le rapport du capital qui se rattache à une action et ne dépend d'aucune façon de la conduite d'un actionnaire donné.

[Je souligne.]

[44] De façon générale, un investisseur ne placerait pas son argent dans une société sans la possibilité de partager dans ses bénéfices. C'est d'ailleurs en raison de cette possibilité qu'un tel investisseur peut déduire ses dépenses, notamment ses frais d'intérêt, dans le calcul de son revenu. Son argent est investi dans le but d'en tirer un revenu - les dividendes - tout comme c'est le cas de la personne qui prête son argent pour en tirer de l'intérêt.

[45] Il est donc plutôt surprenant que certains puissent considérer le dividende comme un don fait par la société en faveur des actionnaires[10]. Y a-t-il vraiment là une libéralité? Il ne s'agit pas à vrai dire d'un transfert à titre gratuit fait par la société. La société a reçu une contrepartie pour ce dividende : c'est grâce au capital fourni (au moins en partie) par l'actionnaire que la société peut exploiter son entreprise[11]. C'est par le dividende qu'une société rémunère ce capital. Ceci est encore plus évident lorsqu'il s'agit d'actions privilégiées dites de financement, donnant droit à un dividende annuel et cumulatif, rachetables au gré du détenteur et souvent sans droit de vote. Il existe très peu de différence entre ces actions de financement et un prêt. À un point tel que les comptables les assimilent à des prêts dans la présentation de leurs états financiers[12]. Or, je crois que personne ne met en doute le fait que les intérêts représentent la rémunération du capital et que le paiement des intérêts représente un transfert d'un bien pour lequel une contrepartie a été fournie[13].

[46] Il faut reconnaître qu'il existe des différences juridiques entre les modalités régissant un prêt et celles régissant un placement dans des actions. Notamment, un dividende ne peut être versé si cela rend la société insolvable, alors que les intérêts sont exigibles dès l'arrivée de l'échéance peu importe, de façon générale, la situation financière du débiteur. À moins que les statuts de la société stipulent une échéance, un dividende n'est pas exigible tant qu'il n'a pas été déclaré par la société.

[47] Même si un détenteur d'actions ordinaires ne sait pas quand il recevra la contrepartie de la jouissance de son capital (cela se produira au plus tard au moment de la liquidation de la société, si évidemment il y a suffisamment de biens), il sait que les bénéfices de la société s'accumulent à son profit. Il peut même en bénéficier indirectement s'il dispose de ses actions puisque le produit de disposition devrait normalement tenir compte des bénéfices non répartis. Dans le cas d'actions de financement, le détenteur a souvent la faculté de demander leur rachat quand il le désire ainsi que le versement à ce moment-là des dividendes cumulatifs non encore déclarés.

[48] Je ne crois pas que le ministre applique le paragraphe 160(1) au versement d'intérêts raisonnables sur un prêt et je n'ai pu découvrir aucune décision jurisprudentielle qui traite d'un tel cas. Alors pourquoi appliquer ce paragraphe à des dividendes, surtout s'il s'agit de dividendes cumulatifs sur des actions rachetables au gré du détenteur? D'autant plus que les lois régissant la constitution des sociétés prévoient déjà un recours contre les administrateurs et les actionnaires si le versement d'un dividende met en péril le recouvrement des créances des créanciers de la société, ce qui devrait comprendre les autorités fiscales[14].

[49] Il m'apparaît plus juste de considérer le dividende comme un bien transféré en contrepartie de la jouissance du capital fourni par un actionnaire que de soutenir qu'il s'agit d'un don. De plus, la valeur de cette contrepartie devrait, à moins de circonstances exceptionnelles, être égale au montant du dividende.

[50] Par contre, il existe des décisions qui ont conclu que les dividendes sont des transferts de biens effectués sans contrepartie. Dans Algoa Trust (précitée), à la page 26 [p. 409], le juge Rip décrit ainsi les deux arguments avancés par le contribuable :

L'avocat a fait valoir qu'un dividende est versé aux actionnaires moyennant une contrepartie. Lorsqu'une personne souscrit des actions d'une corporation, elle conclut avec celle-ci un marché prévoyant qu'en retour de cet investissement, la corporation lui versera des dividendes en tant qu'actionnaire. Le versement d'un dividende, s'il constitue un transfert de biens, est fait par une corporation à son actionnaire moyennant une contrepartie égale au montant du dividende versé.

De plus, selon l'avocat, sur déclaration d'un dividende par les administrateurs d'une corporation, l'actionnaire obtient un “ droit d'action ” contre la corporation lui permettant de poursuivre cette dernière pour une somme égale au montant du dividende si celui-ci n'a pas été payé au moment où il était payable. L'actionnaire renonce à ce droit en recevant le dividende. Cela aussi est une contrepartie accordée à la corporation en retour du dividende.

[51] À la page 34 [p. 410], le juge Rip conclut ainsi :

Lorsqu'une personne souscrit des actions d'une corporation, elle paie théoriquement l'acquisition d'une part de propriété de la corporation et reçoit des actions d'une catégorie du capital-actions de la corporation. L'actionnaire verse une contrepartie pour les actions elles-mêmes et non pour ce qu'elles peuvent rapporter. Le fait d'être propriétaire d'actions confère à l'actionnaire certains droits : le droit de voter en tant qu'actionnaire, le droit de participer au partage du capital en cas de liquidation de la corporation et le droit de recevoir des dividendes (cette énumération ne prétend pas être exhaustive). Lorsque l'actionnaire reçoit un dividende, ce n'est pas en raison d'une contrepartie quelconque qu'il a donnée à la corporation ni du fait que la corporation est tenue de payer pour l'investissement. Quand un actionnaire achète des actions, il n'achète pas un droit à un revenu. Un actionnaire reçoit un dividende uniquement parce que le droit de recevoir un dividende est inhérent à la possession d'actions.

[Je souligne.]

[52] Dans Ruffolo c. Canada, [1998] A.C.I. no 714, [99 DTC 184], le contribuable avançait un argument analogue à celui énoncé dans l'affaire Algoa :

[para. 3] Les appelants s'opposent aux cotisations pour deux motifs. Premièrement, ils affirment avoir donné une contrepartie pour les dividendes. Cet argument repose sur le principe bien connu selon lequel, lorsqu'une société déclare qu'un dividende est payable à ses actionnaires à une date donnée, une dette du montant du dividende devient payable à chacun des actionnaires à cette date. Les appelants font valoir que chaque actionnaire donne, pour le dividende, une contrepartie de valeur égale en renonçant au droit de recevoir le dividende qui lui a été attribué du fait de la déclaration. Par conséquent, affirment-ils, le montant dont il est question au sous-alinéa 160(1)e)(ii) est nul.

Cet argument du contribuable n'a pas eu plus de succès devant mon collègue le juge Bonner :

[para. 7] [...] Lorsqu'une société verse des dividendes à un actionnaire, le transfert s'effectue dans un sens seulement. L'actionnaire doit son droit de recevoir le paiement d'un dividende qui a été déclaré à sa qualité d'actionnaire et non à une contrepartie qu'il donne. Rien dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Newman v. The Queen n'appuie la thèse des appelants.

[53] La décision Algoa Trust a une certaine valeur de précédent puisque la Cour d'appel fédérale l'a confirmée. Toutefois comme ladite cour n'a pas fourni de motifs lorsqu'elle a rendu cette décision, il est difficile d'en apprécier la portée véritable. Peut-être aura-t-elle l'occasion un jour de préciser sa pensée sur cette question. Comme le procureur de Gestion n'a pas vraiment remis en question les principes exposés dans l'affaire Algoa Trust et qu'on n'a pas débattu la question de savoir si les dividendes versés représentaient une rémunération excessive du capital fourni par Gestion, il ne serait pas approprié de statuer sur l'appel de Gestion en tenant pour acquis que cette dernière avait fourni à DPCI une contrepartie suffisante pour les dividendes. Il devient alors nécessaire de continuer mon analyse du paragraphe 160(1) de la Loi.

Y avait-il un lien de dépendance en 1991?

[54] Un autre élément important qui se dégage de l'analyse du paragraphe 160(1) de la Loi est que ce ne sont pas tous les cessionnaires ayant reçu un avantage qui deviennent responsables de la dette fiscale d'un cédant. En effet, seulement trois catégories de personnes sont visées par ce paragraphe. Commençons d'abord par la dernière catégorie puisqu'il s'agit de celle qui est d'application plus générale. Cette catégorie vise les personnes avec lesquelles le cédant a un lien de dépendance au moment du transfert[15]. En raison des articles 251 et 252 de la Loi, sont visées dans cette catégorie notamment toutes les personnes liées, comme le conjoint, les enfants ou les parents du cédant et toute société contrôlée par le cédant ou par un groupe lié dont fait partie le cédant. Il y a aussi les personnes qui, quoique n'étant pas liées au cédant, ont avec lui un lien effectif de dépendance.

[55] Les deux autres catégories visent un nombre plus restreint de personnes. Dans la première, il y a le conjoint du cédant ou une personne qui l'est devenue depuis le transfert. Comme une personne qui est le conjoint du cédant au moment du transfert tombe aussi dans la troisième catégorie, la première catégorie vise vraiment une personne qui n'est pas le conjoint du cédant au moment du transfert mais qui le devient par la suite. La deuxième catégorie de contribuables visés par le paragraphe 160(1) est celle des personnes âgées de moins de 18 ans. Dans un tel cas, la Loi n'exige pas qu'il existe entre le mineur et le cédant un lien de dépendance. Que ce lien de dépendance existe ou non, le paragraphe 160(1) de la Loi pourra s'appliquer. Le texte législatif semble tenir pour acquis que tout mineur est nécessairement sous l'influence, sinon sous la dépendance du cédant.

[56] Cette analyse révèle que pour que le paragraphe 160(1) s'applique, il n'est pas suffisant qu'un transfert de bien soit effectué sans aucune contrepartie ou pour une contrepartie insuffisante; il faut aussi que le cessionnaire soit une personne comprise dans l'une de ces trois catégories. Ainsi le paragraphe 160(1) ne vise pas automatiquement tous les dividendes qui sont versés par une société à ses actionnaires; il faut que le dividende ait été versé à une personne qui tombe dans l'une des trois catégories, essentiellement l'une des deux dernières puisqu'une personne ne peut être le conjoint d'une société par actions. Il faut que l'actionnaire soit âgé de moins de 18 ans ou qu'il existe entre lui et la société un lien de dépendance.

[57] Si le législateur avait voulu que tout transfert fait sans aucune contrepartie ou pour une contrepartie insuffisante (c'est-à-dire inférieure à la juste valeur marchande du bien) soit assujetti au paragraphe 160(1) de la Loi, il n'aurait pas ajouté comme condition que le cessionnaire soit une personne visée par l'une des trois catégories décrites plus haut.

[58] Il est évident que si un actionnaire détient plus que 50 % des votes d'une société, il constitue une personne liée selon la définition de cette expression figurant au paragraphe 251(2) de la Loi. Tel qu'il a été mentionné précédemment, des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance[16]. Même si une société n'est pas contrôlée par une seule personne, elle peut l'être par un groupe lié. Dans un tel cas, la personne qui est membre d'un tel groupe est considérée comme une personne liée à la société en vertu du sous-alinéa 251(2)b)(ii) de la Loi. L'alinéa 251(4)a) de la Loi définit un “ groupe lié ” comme un groupe de personnes dont chaque membre est lié à chaque autre membre du groupe.

[59] À l'alinéa 251(2)c) de la Loi, on décrit certaines circonstances dans lesquelles deux sociétés sont considérées comme des personnes liées. C'est notamment le cas si l'une des sociétés est contrôlée par une personne et si cette personne est liée à une personne ou à un membre d'un groupe lié qui contrôle l'autre société. Il en est de même si l'une des sociétés est contrôlée par une personne et si cette personne est liée à chaque membre d'un groupe non lié qui contrôle l'autre société. Selon l'alinéa 251(4)b) de la Loi, un “ groupe non lié ” signifie un groupe de personnes qui n'est pas un groupe lié. Ainsi le seul fait qu'une personne fait partie d'un groupe non lié n'est pas suffisant en soi pour établir une relation de personnes liées entre deux sociétés ou entre cette personne et une société.

[60] Appliquons ces règles aux faits de ces appels. Monsieur Drouin contrôle Gestion et il est une personne liée à Gestion. En 1991, Gestion ne contrôle pas DPCI parce qu'elle ne détient que 50 % de ses actions avec droit de vote. Les 50 % restants sont détenus par monsieur Moisan qui n'a aucun lien de parenté avec monsieur Drouin. Gestion et monsieur Drouin ne sont pas des personnes liées à monsieur Moisan. Gestion et monsieur Moisan ne peuvent donc pas former un groupe lié qui contrôle DPCI. Enfin, monsieur Drouin n'est pas lié à chaque membre du groupe non lié (Gestion et monsieur Moisan) qui contrôle DPCI. Gestion n'est donc pas une personne liée à DPCI et n'est pas réputée non plus être une personne avec laquelle DPCI a un lien de dépendance. C'est d'ailleurs ce que semble croire l'intimée puisqu'elle n'a soulevé aucun argument à cet égard.

[61] Reste toutefois la question de savoir si Gestion et DPCI avaient entre elles un lien de dépendance effectif. Tel que le prévoit l'alinéa 251(1)b) de la Loi, il s'agit là d'une question de fait. C'est d'ailleurs en se fondant sur cet alinéa que le ministre a conclu que le paragraphe 160(1) s'appliquait. Pour en arriver à cette conclusion, le ministre a considéré que monsieur Drouin, qui contrôlait Gestion, et monsieur Moisan ont agi de concert sans intérêt distinct pour faire en sorte que DPCI déclare les dividendes en 1991.

[62] Donc, si on fait abstraction de l'alinéa 251(1)b) de la Loi, il n'existerait aucun lien de dépendance entre Gestion et DPCI. Dans cette hypothèse, le dividende versé en 1991 par DPCI à Gestion ne serait pas assujetti à l'application du paragraphe 160(1) de la Loi, et cela même si on adoptait l'interprétation selon laquelle un dividende est un transfert d'un bien à titre gratuit.

[63] Pour décider s'il existait un lien de dépendance effectif entre Gestion et DPCI en 1991, il faut d'abord définir cette notion de “ lien de dépendance ” pour les fins du paragraphe 160(1). Pour mieux saisir la portée de cette expression, il est utile, sinon essentiel de s'interroger sur l'objectif poursuivi par le législateur dans ce paragraphe. C'est un facteur dont a tenu compte la Cour suprême du Canada dans la célèbre affaire Société de banque Suisse c. Le ministre du Revenu national, [1974] R.C.S. 1144, à la page 1152, [72 DTC 6470, 6473] :

[...] elles assujettissent le présent litige au principe qui est sous-jacent à l'interdiction qu'exprime l'art. 106(1)b)(iii)(A), savoir, que le payeur et le bénéficiaire ne doivent pas être des personnes qui, en réalité, traitent exclusivement l'une avec l'autre au moyen d'un fonds constitué par le bénéficiaire au profit du bénéficiaire. Une bonne raison pour cela, suggérée par le texte législatif lui-même, c'est l'assurance que le taux d'intérêt sera le reflet d'opérations commerciales ordinaires entre des parties agissant dans le sens de leurs intérêts distincts. Il faut conclure que des rapports de prêteur à emprunteur qui n'offrent pas cette assurance parce que, effectivement, les intérêts ne sont pas distincts, ne s'insèrent pas dans l'exception qui exempte tout non-résident de l'impôt sur des paiements d'intérêt canadiens.

[Je souligne.]

[64] Avant de s'interroger sur l'objectif visé par le paragraphe 160(1) de la Loi, regardons l'utilisation qui est faite de l'expression “ lien de dépendance ” dans d'autres dispositions de la Loi et le but poursuivi par ces dispositions. Il y a l'article 69 qui crée une présomption que toute disposition d'un bien entre personnes ayant un lien de dépendance s'effectue à la juste valeur marchande. Cette règle vise à obliger un contribuable qui dispose d'un bien à inclure dans son revenu le gain calculé selon la juste valeur marchande du bien, que ce gain soit un revenu tiré d'une entreprise ou un gain de capital imposable tiré de la disposition d'une immobilisation.

[65] Au sous-alinéa 212 (1)b)(vii) de la Loi, on permet que des intérêts soient versés à des non-résidents sans la retenue à la source de 25 % prévue par la partie XIII de la Loi si certaines conditions sont réunies, dont notamment l'absence d'un lien de dépendance entre le prêteur et l'emprunteur. Cette disposition[17] vise à encourager le financement à long terme (au moins cinq ans) d'entreprises canadiennes par des non-résidents tout en empêchant que les bénéfices d'une entreprise canadienne échappent à tout impôt canadien.

[66] La Loi permet, comme c'est le cas à son article 55, que certaines réorganisations puissent être effectuées à l'intérieur d'un même groupe de sociétés sans réalisation de gain en capital.

[67] Par contre, le paragraphe 160(1) vise un tout autre objectif. Tel que je le mentionne dans l'affaire Germain Pelletier Limitée citée plus haut, le paragraphe 160(1) procure au ministre un outil pour contrer les moyens dolosifs qu'un débiteur fiscal pourrait utiliser pour se soustraire à son obligation de payer ses impôts[18] : notamment en transférant tous ses biens à son conjoint, à ses enfants ou à une société qu'il contrôle.

[68] Comme cela est le cas à l'article 69, il est évident que la notion de lien de dépendance que l'on retrouve au paragraphe 160(1) de la Loi vise à contrer les transferts effectués sans contrepartie ou pour une contrepartie insuffisante. Lorsque l'on se retrouve dans le domaine contractuel ou celui des libéralités, il est plutôt facile de repérer de tels transferts. Dans ces cas, il existe des éléments de comparaison et d'appréciation pour déterminer la valeur du bien transféré, ce qui permet de reconnaître plus facilement les opérations à problème. Dans le cas du versement de dividendes, la chose n'est pas aussi évidente. Comment fait-on pour déterminer si le montant d'un dividende est raisonnable ou pas et si le versement de ce dividende dénote un lien de dépendance[19]?

[69] Au premier abord, il m'apparaît tout à fait surprenant qu'une société qui doit de larges sommes d'impôt aux autorités fiscales puisse utiliser le mécanisme des dividendes pour se soustraire à ses obligations fiscales. Par définition, les dividendes doivent être versés à même les bénéfices non répartis d'une société. Ces bénéfices sont des bénéfices après impôt. Ainsi, lorsqu'une société verse des dividendes qui n'excèdent pas ses bénéfices non répartis, elle devrait soit avoir déjà versé ses impôts aux autorités fiscales à l'égard des revenus qui ont donné lieu à de tels bénéfices, soit avoir mis de côté des biens suffisants pour les acquitter. Les bénéfices non répartis au bilan représentent généralement l'excédent des actifs sur l'ensemble du passif et du capital versé des actions de la société. Ainsi, dans des circonstances normales, une société qui verse des dividendes a les actifs nécessaires pour s'acquitter de ses impôts.

[70] Notons immédiatement qu'ici DPCI détenait des actifs suffisants pour s'acquitter de ses impôts. Les états financiers au 31 décembre 1991, soit après le versement des dividendes effectué en juillet 1991, montrent des bénéfices non répartis de 151 274 $. L'avoir des actionnaires s'élève à 173 533 $. Donc, à première vue, rien n'indique que DPCI a versé des dividendes qui ont rendu la société insolvable. Au contraire, cette société semble posséder tous les actifs nécessaires pour s'acquitter de ses dettes fiscales, soit 632 482 $, qui apparaissent d'ailleurs à son passif.

[71] De plus, selon les lois régissant les sociétés - tel qu'on l'a vu plus haut - les administrateurs d'une société ne peuvent déclarer de dividendes qui auraient comme conséquence de la rendre incapable de faire face à ses dettes envers ses créanciers. Si des administrateurs déclaraient et versaient un dividende en violation d'une telle obligation, ils seraient tenus responsables des sommes dues aux créanciers de la société. Des recours pourraient aussi être exercés contre les actionnaires pour obtenir le remboursement des dividendes. Le ministre, comme créancier d'une telle société, n'aurait pas besoin du paragraphe 160(1) pour exercer son recours contre de tels actionnaires[20].

[72] Pour déterminer dans quelles circonstances le versement d'un dividende pourrait se révéler l'indice de l'existence d'un lien de dépendance visé par le paragraphe 160(1) de la Loi, il me semble tout à fait pertinent de tenir compte de celles entourant le versement d'un dividende qui a pour résultat de rendre la société incapable de payer ses dettes à leur échéance. D'autres circonstances pourraient être celles entourant le versement d'un dividende qui dépasse celui prévu dans les statuts de la société, par exemple sur des actions privilégiées dont le taux de rendement est prédéterminé dans les statuts constitutifs. Évidemment si un cessionnaire, sans être une personne liée à la société, la contrôle dans les faits, il sera aussi assujetti à l'application du paragraphe 160(1) de la Loi.

[73] Le contexte légal dans lequel s'insère la notion de dépendance ayant été analysé, étudions maintenant son interprétation jurisprudentielle. Mon collègue le juge Bonner a eu à se pencher sur cette notion dans l'affaire McNichol c. Canada, [1997] A.C.I. no 5, para. 16, [97 DTC 111, 117 et 118] :

On utilise communément trois critères pour déterminer si les parties à une opération ont entre elles un lien de dépendance. Il s'agit des critères suivants :

a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

c) le contrôle “ de facto ” (réel).

Le critère relatif à l'existence d'une même personne résulte de deux jugements, notamment en premier lieu le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd. Aux pages 1113-1114, le juge Locke, qui parlait au nom de la Cour, a dit ceci :

[TRADUCTION]

Lorsqu'une même personne contrôle des compagnies directement ou indirectement, que cette personne soit un individu ou une compagnie, des compagnies contrôlées sont, aux termes de cet article, censées ne pas traiter entre elles à distance. Les dispositions de cet article mises à part, dans le cas d'une vente d'éléments d'actif dépréciables par un contribuable à une entité qu'il contrôle ou par une compagnie contrôlée par le contribuable à une autre compagnie également contrôlée par lui, le contribuable dictant à titre d'actionnaire majoritaire les conditions de la transaction, on ne peut à mon avis prétendre sérieusement que les parties traitaient entre elles à distance et que l'article 20(2) ne s'appliquait pas.

En second lieu, la décision que le juge Cattanach a rendue dans l'affaire M.N.R. v. TR Merritt Estate est également utile. Aux pages 5165-5166, voici ce que le juge a dit :

[TRADUCTION]

Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même “ cerveau ”, on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne “ dictait ” les “ conditions de la transaction ” au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.

Le critère voulant que les parties agissent de concert montre jusqu'à quel point il est important que la négociation ait lieu entre des parties distinctes, qui cherchent chacune à protéger leurs propres intérêts. Ce critère est énoncé dans la décision que la Cour de l'Échiquier a rendue dans l'affaire Swiss Bank Corporation v. M.N.R. À la page 5241, le juge Thurlow (tel était alors son titre) a dit ceci :

J'ajouterais que lorsque plusieurs parties, qu'elles soient des personnes physiques, des compagnies ou une combinaison des deux, agissent de concert et dans le même intérêt pour diriger ou dicter la conduite d'une autre, le “ cerveau ” directeur peut à mon avis être celui de l'ensemble des parties agissant de concert ou celui d'une seule d'entre elles qui remplit un rôle ou des fonctions particulières qu'il faut accomplir pour atteindre l'objectif commun. De plus, à mon sens, il n'y a lieu de faire aucune distinction à ce titre entre des personnes qui agissent à leur propre compte pour en contrôler d'autres et celles qui, quelque nombreuses qu'elles soient, se font représenter par une autre. D'autre part, si l'une des parties à une transaction agit dans un intérêt différent de celui des autres ou le représente, le fait que le but commun soit de diriger les actes d'une autre partie de façon à obtenir un résultat bien précis ne suffira pas en soi à enlever à la transaction son caractère de transaction entre personnes traitant à distance. Selon moi, l'affaire Sheldon's Engineering [précitée] en est un exemple.

Enfin, il est à noter que l'existence d'une relation sans lien de dépendance est exclue si l'une des parties à l'opération en cause exerce un contrôle de fait sur l'autre. À cet égard, on peut mentionner la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Robson Leather Company Ltd. v. M.N.R., 77 D.T.C. 5106.

[Je souligne.]

[74] À mon avis, quoique le juge Bonner (comme bien d'autres) énonce trois critères distincts pour cerner la notion de lien de dépendance, il s'agit essentiellement d'un seul et même critère que l'on peut résumer succinctement ainsi : y a-t-il contrôle d'une partie par une autre? Ce que ces trois critères visent à déterminer c'est l'existence d'une relation entre des personnes qui sont parties à une opération quelconque alors qu'une des parties exerce sur l'autre une influence telle que cette dernière n'est plus libre d'y participer de façon indépendante.

[75] Par rapport au deuxième critère – celui d'agir de concert sans avoir d'intérêt distinct, qui est celui qu'a utilisé le ministre en l'espèce - on peut dire qu'il sera rempli si une personne ne fait que participer à une opération, non pour son propre bénéfice mais pour celui de quelqu'un d'autre ou, même s'il agit pour son propre bénéfice, s'il agit aussi pour quelqu'un d'autre dans un contexte de réciprocité. On agit ainsi sans intérêt distinct, et non de façon indépendante pour son propre intérêt.

[76] Pour illustrer ces deux cas, on peut citer d'abord la décision de mon collègue le juge Bowman dans l'affaire RMM Canadian Enterprises Inc. c. Canada, [1997] A.C.I. no 302, [97 DTC 302, 311]. Au paragraphe 39, il décrit la situation de la façon suivante :

Nous avons une corporation qui utilise une autre corporation pour participer à ce qui est essentiellement un projet visant à en arriver à un résultat fiscal particulier. La participation elle-même a-t-elle pour effet de faire de la relation une relation dans laquelle il y a un lien de dépendance? À vrai dire, il y a clairement eu négociation sans lien de dépendance au sujet du revenu que RMM réaliserait par suite de l'opération. Pendant ces négociations, il n'y avait pas d'élément de contrôle entre EC et RMM, et RMM était conseillée d'une façon indépendante. À ce moment-là, EC et RMM n'avaient pas entre elles de lien de dépendance. Toutefois, une fois l'affaire réglée, et au fur et à mesure qu'elle a abouti à la vente, au paiement des fonds, au paiement anticipé du montant garanti, à l'endossement par RMM des chèques de remboursement en faveur d'EC et à la quasi-disparition de RMM une fois le but atteint, il est devenu clair que RMM n'avait aucune fonction indépendante.

[Je souligne.]

[77] Il y a ensuite l'affaire G. Sayers v. The Minister of National Revenue, Commission de révision de l'impôt, 80-1444, 15 octobre 1981, [81 DTC 790]. Comme le contribuable dans cette affaire ne pouvait pas emprunter à son REER en raison de son lien de dépendance, il a emprunté à celui d'une personne de sa connaissance. Cette dernière n'y voyait pas d'inconvénient puisqu'elle a aussi emprunté au REER du contribuable selon des modalités de prêt identiques à celles du prêt qu'elle consentait au contribuable. Le commissaire Bonner (tel était alors son titre) n'a pas dû avoir beaucoup d'hésitation à conclure ainsi à la page 5 [p. 792] :

[...] Quel qu'ait été leur objectif, leur contrat prévoyant des hypothèques réciproques a empêché chacun, à titre de prêteur, d'exiger en toute liberté pour sa fiducie les conditions qu'il aurait recherchées autrement. Ainsi, chacun était limité : il savait que ce qu'il exigeait de l'autre, il l'exigeait de lui-même. Aux termes du contrat, l'appelant et M. McCracken étaient libres de fixer des conditions sans tenir comte de ce qui aurait été acceptable autrement sur le marché des hypothèques. [...] Le cerveau qui dirigeait les actions de chacun était celui des deux hommes agissant de concert.

[Je souligne.]

[78] Dans H.T. Hoy Holdings Limited c. Canada, [1997] A.C.I. no 159, para. 11, [97 DTC 1180, 1182], le contribuable désirait établir l'existence d'un lien de dépendance. L'argument avancé par le contribuable était le suivant :

Le paragraphe 55(3) prévoit que le paragraphe 55(2) ne s'applique pas à un dividende reçu par une corporation à moins que les parties n'aient pas entre elles de lien de dépendance. MM. Hoy et Cloutier ont agi d'une façon si interdépendante qu'ils avaient entre eux un lien de dépendance et que les corporations qu'ils contrôlaient avaient entre elles un lien de dépendance. Avant que la série d'opérations eussent été conclues, et même après qu'elles devaient en fait prendre fin, ils avaient entre eux un lien de dépendance relativement à Plaza.

[79] Mon collègue le juge McArthur a rejeté cet argument de la façon suivante au paragraphe 34 [p. 1185] :

M. Hoy a peut-être offert des conditions favorables à M. Cloutier, mais cela ne permet pas de conclure qu'il dirigeait la négociation des conditions pour le compte des deux parties. M. Cloutier n'avait pas à accepter les conditions qui ne lui convenaient pas. MM. Hoy et Cloutier sont des hommes d'affaires chevronnés qui ne sont pas liés entre eux par des liens familiaux. L'un d'eux était arrivé à la fin d'une brillante carrière et l'autre la commençait. M. Cloutier n'était pas tenu d'accepter les conditions de la “ convention ”, qui de toute évidence résultait de négociations menées d'une façon indépendante. Les parties n'agissaient pas de concert. L'opération n'a pas été imposée unilatéralement à M. Cloutier.

En faisant des concessions et en donnant des conseils de nature commerciale à M. Cloutier et à Plaza, M. Hoy n'agissait pas d'une façon incompatible avec la façon dont une personne agirait dans le cadre d'une relation d'affaires sans lien de dépendance normale. L'existence d'un but commun ne devrait pas être considérée comme voulant dire que les parties avaient des intérêts en commun. MM. Hoy et Cloutier partageaient un but commun en cherchant à assurer le succès de Plaza afin de financer le rachat des actions mais, ce faisant, ils devaient protéger des intérêts distincts. M. Hoy a voulu se départir de la concession et M. Cloutier a voulu acquérir la pleine propriété.

[Je souligne.]

[80] Venons-en aux deux décisions sur lesquelles se fondent la procureure de l'intimée pour défendre la cotisation du ministre. Dans l'affaire Gosselin (précitée), mon collègue le juge Dussault affirme :

12 [...] Premièrement, il s'agit bien de déterminer si l'appelant et Gestion Farrell & Gosselin, et non l'appelant et monsieur Farrell, avaient un lien de dépendance au moment du transfert. Il est évidement pertinent que l'appelant et monsieur Farrell aient agi ensemble puisqu'ils étaient les deux seuls actionnaires à parts égales et également les deux seuls administrateurs de la société. Deuxièmement, la situation dans laquelle se trouvaient les parties doit s'analyser en fonction d'une transaction précise et non de façon très générale, puisque, justement le critère réfère au fait que “les parties à une transaction agissent ensemble”. Cette transaction par voie de déclaration et du paiement du dividende en espèces a entraîné un transfert de biens du patrimoine de la société à celui des actionnaires. Comme administrateurs agissant au nom de la société, l'appelant et monsieur Farrell ont transféré aux actionnaires, soit à eux-mêmes, et à eux-mêmes seulement, des biens appartenant à la société et représentant une portion de ses bénéfices non répartis. Analysant l'intérêt ultime d'une société comme étant en réalité celui de ses actionnaires ou, si l'on veut, celui de ses propriétaires par voie de détention d'actions de son capital-actions, on voit mal l'intérêt distinct dans la mesure où il n'y a que deux actionnaires détenteurs d'actions de la même catégorie comportant les mêmes droits et à parts égales. C'est le sens de la décision que j'ai rendue dans l'affaire Fournier dont les faits s'apparentent à ceux de la présente cause.

[81] Dans l'affaire Fournier (précitée), le juge Dussault déclare à la page 745 :

Nous sommes ici en présence des deux actionnaires principaux d'une compagnie et à toutes fins pratiques des deux seuls actionnaires et administrateurs véritables qui décident ensemble, selon les conseils du comptable de la compagnie, de retirer les bénéfices réalisés par la corporation sous forme de dividendes à être déclarés en fin d'année. [...]

Je ne puis trouver de situation plus appropriée à l'application du concept de lien de dépendance entre personnes non liées en ce que les deux principaux administrateurs et actionnaires de la corporation ont de toute évidence agi de concert et avec un intérêt économique commun pour décider de la façon dont ils retireraient, pour leurs fins personnelles, les bénéfices réalisés par la corporation. Agissant à la fois et en même temps en leur qualité d'administrateurs de la corporation et d'actionnaires de celle-ci, ils se trouvent dans une situation à l'égard de laquelle on ne pourrait mieux appliquer le concept de lien de dépendance dans les faits tel qu'établi par nos tribunaux. En ce sens, j'estime donc que la corporation Les Évaluateurs Fra-Mic Inc. avait un lien de dépendance avec l'appelant au moment du transfert de biens effectué au cours de son année d'imposition 1983 et qu'ainsi l'intimé était à bon droit d'invoquer le paragraphe 160(1) de la Loi à l'égard de cette transaction.

[82] Avec égards, je ne crois pas que les circonstances qui sont relatées dans ces deux décisions constituent des situations des plus appropriées pour l'application du concept de lien de dépendance entre personnes non liées. Tout d'abord, rappelons qu'il s'agit de décisions rendues sous le régime de la procédure informelle qui n'ont pas de valeur de précédents, tel que le précise l'article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt. De plus, dans l'affaire Fournier le contribuable se représentait lui-même.

[83] Quant au fond de la question, je ne crois pas que - sans autres circonstances spéciales - le fait qu'un contribuable soit à la fois actionnaire, administrateur et dirigeant d'une société signifie nécessairement en soi qu'il existe un lien de dépendance effectif entre ce contribuable et cette société. Ce point de vue semble être partagé par le juge Bowman dans l'affaire Del Grande c. Canada, [1992] A.C.I. no 724, [93 DTC 133]. Il a conclu qu'un actionnaire, administrateur et dirigeant d'une société détenant 25 % des actions ordinaires de cette société et une option d'achat d'actions lui donnant le droit d'augmenter sa participation à 50 % n'avait pas de lien de dépendance effectif immédiatement après l'octroi de ce droit d'option. Voici comment le juge Bowman décrit la situation [à la page 141] et conclut qu'il n'existait pas de lien de dépendance :

[...] Je n'hésiterais pas à conclure que, immédiatement après le 4 janvier 1982, l'appelant n'avait aucun lien de dépendance avec Rust Check et Lear. Il ne détenait que 25 p. 100 des actions de ces compagnies et en était un des quatre administrateurs. Même s'il était un membre respecté et influent, à qui l'on faisait confiance, du conseil d'administration, je ne puis conclure, d'après les faits, qu'il contrôlait ces compagnies ni qu'il y exerçait une influence si grande que l'on pourrait affirmer qu'il avait un lien de dépendance avec elles.

Un certain nombre d'arrêts ont été cités relativement à la question du lien de dépendance, dont Peter Cundill & Associates Limited v. The Queen, 91 D.T.C. 5543 et Beaumont v. The Queen, 86 D.T.C. 6264, dans lesquels la jurisprudence faisant autorité a été examinée. En fin de compte, l'affaire se ramène à une question de fait, soit celle de savoir si la relation entre M. Del Grande et les deux compagnies était telle que l'on pourrait affirmer qu'il était l'âme dirigeante des compagnies ou si la famille McCleery et lui se concertaient si étroitement qu'il exerçait sur les compagnies un degré de contrôle tout à fait disproportionné à sa position minoritaire, lui permettant de les inciter à lui accorder des avantages qui ne lui auraient pas été octroyés autrement. La preuve est très loin de permettre d'établir l'existence d'une telle relation. M. McCleery m'a semblé être un homme résolu qui, bien qu'il respectât l'appelant, tenait très fermement les rênes de l'entreprise et n'était pas susceptible d'être influencé contre son gré par l'appelant.

[Je souligne.]

[84] Lorsque l'on compare l'application du critère “ agir de concert ” faite par le juge Bowman et celle faite par le juge Dussault, on constate que ce qui les distingue est le fait que le premier juge se demande si une personne qui agit de concert avec une autre exerce seule[21] le contrôle de la société alors que le deuxième semble se demander si ces deux personnes qui agissent de concert exercent ensemble [22] le contrôle de la société. À mon avis la première approche est la bonne. Si on adoptait la deuxième et qu'on en poussait le raisonnement à la limite, on se trouverait essentiellement à adopter une interprétation selon laquelle il existe un lien de dépendance entre une société et chaque membre d'un groupe non lié qui la contrôle. Or, le législateur a expressément adopté à l'article 251 de la Loi la règle selon laquelle seulement les membres d'un groupe lié qui contrôle une société sont considérés comme liés à cette société et sont réputés avoir avec elle un lien de dépendance.

[85] De plus, à mon avis, le fait – sans autres circonstances spéciales - qu'un actionnaire d'une société vote en sa qualité d'administrateur pour déclarer et verser un dividende à lui-même (comme actionnaire) et aux autres actionnaires ne signifie pas nécessairement qu'il existe un lien de dépendance entre lui et la société. Tout d'abord, selon le droit des sociétés, les administrateurs doivent prendre leurs décisions en tenant compte des intérêts de la société et non des intérêts individuels des administrateurs et des actionnaires.

[86] De plus, en vertu de ce droit, les bénéfices non répartis de la société appartiennent en dernière analyse aux actionnaires selon leurs droits respectifs. Quand les administrateurs décident qu'il est opportun de déclarer des dividendes, seulement les actionnaires y ont droit, pas les administrateurs ni les employés de la société. Je ne vois pas comment on pourrait voir dans la décision de verser des dividendes à leurs véritables propriétaires un indice de l'existence d'un lien de dépendance. Si c'est conformément à la loi pertinente régissant la société et aux statuts constitutifs de cette société que les dividendes ont été versés, il n'y a là aucun avantage inapproprié qui ait été conféré. Qu'il y ait ou non, lien de dépendance, les dividendes sont déclarés en faveur des actionnaires et versés à ceux-ci.

[87] Avec égards pour l'opinion énoncée dans les décisions Fournier et Gosselin, l'approche adoptée dans ces deux décisions conduit à une application injuste et incohérente du paragraphe 160(1) de la Loi. Par exemple, comment devrait-on appliquer ce paragraphe dans les circonstances suivantes : les actions ordinaires sont détenues en parts égales par cinq personnes et trois de ces personnes forment le conseil d'administration? Présumons qu'un dividende est versé. Doit-on appliquer le paragraphe 160(1) à tous les actionnaires? Seulement aux trois administrateurs? Qu'arrive-t-il si l'un d'eux a voté contre la déclaration du dividende? Le résultat est-il le même si nous avons plutôt 10, 20 ou 50 actionnaires?

[88] Qu'arrive-t-il lorsque trois actionnaires se partagent en parts égales les actions ordinaires et que l'un de ces actionnaires est un prête-nom pour l'un des deux autres actionnaires et agit comme administrateur avec les deux autres? À mon avis, celui pour qui on détient les actions possède le contrôle de la société et peut influencer à lui seul la décision du conseil sur l'opportunité de déclarer le dividende. Le troisième actionnaire-administrateur, celui qui ne possède que le tiers des actions avec droit de vote pour lui-même, n'est pas en mesure d'exercer une telle influence. Qu'il vote ou non pour déclarer et verser le dividende, ce vote n'est pas essentiel si l'actionnaire-administrateur exerçant le contrôle a décidé qu'un dividende sera versé. Il m'apparaît tout à fait inapproprié d'appliquer le paragraphe 160(1) dans ces circonstances à l'actionnaire-administrateur véritablement minoritaire alors que ce dernier n'a fait qu'accomplir ses devoirs d'administrateur. Pourtant, tel est essentiellement le résultat obtenu dans l'affaire Fournier.

[89] Même si un actionnaire-administrateur qui ne possède pas plus de 50 % des actions avec droit de vote a un intérêt économique à recevoir sa part du dividende, tout comme les autres coactionnaires-administrateurs, cela ne signifie pas nécessairement qu'il ne possède pas un intérêt distinct de ces personnes. Comme l'a dit le juge McArthur dans la décision H.T. Hoy Holdings Limited (précitée), il faut distinguer entre avoir un but commun et avoir des intérêts en commun. Deux parties peuvent bien avoir comme but commun de participer à une opération tout en ayant des intérêts distincts. De façon générale, les parties à un contrat s'y engagent parce qu'elles y trouvent chacune son intérêt, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'elles n'ont pas d'intérêts distincts.

[90] À mon avis, il faut appliquer avec modération le critère “ agir de concert sans intérêt distinct ” énoncé par le juge Thurlow dans l'affaire Swiss Bank Corporation 71 DTC 5235. Il ne faut surtout pas oublier que le critère n'est pas simplement “ agir de concert ” mais “ agir de concert sans intérêt distinct ”. Le juge Thurlow avait pris bien soin de reconnaître que des gens qui agissent de concert mais avec un intérêt distinct n'ont pas entre eux de lien de dépendance. À la page 5241, il écrit :

On the other hand if one of several parties involved in a transaction acts in or represents a different interest from the others the fact that the common purpose may be to so direct the acts of another as to achieve a particular result will not by itself serve to disqualify the transaction as one between parties dealing at arm's length. The Sheldon's Engineering case, 1955 S.C.R. 637 [55 DTC 1110], as I see it, is an instance of this.

[Je souligne.]

[91] De plus, il faut noter que la Cour suprême du Canada n'a pas eu recours à ce critère formulé par le juge Thurlow lorsqu'elle a confirmé sa décision. Elle a plutôt adopté le critère du contrôle (exercé par les gestionnaires et fiduciaires sur City Park, une société captive, pour le bénéfice des investisseurs) comme le révèle le passage suivant à la page 1151 :

Selon moi, le fait que l'agent administratif et les dépositaires s'interposent entre City Park et les porteurs de certificats n'a pas pour effet, en dépit du Règlement, de créer une situation de personnes traitant à distance entre elles, au sens de l'exception énoncée à l'art. 106(1)b)(iii)(A). City Park doit son existence même aux fonds fournis par les porteurs de certificats; elle n'a d'appui d'aucune autre source et les engagements contractés exigent que ces fonds ne procurent un revenu qu'aux porteurs de certificats. Bref, City Park est absolument esclave des intérêts des porteurs de certificats, agissant par l'entremise d'administrateurs et de fiduciaires professionnels.

[Je souligne.]

[92] J'ai mentionné à plusieurs reprises que le fait en soi d'être actionnaire, administrateur et dirigeant ne signifie pas nécessairement qu'il existe un lien de dépendance, à moins qu'il y ait des circonstances spéciales. On retrouve dans la jurisprudence de tels exemples, notamment dans Ancaster Development Company Limited v. Minister of National Revenue, 61 DTC 1047. Les trois actionnaires de cette appelante étaient aussi ses administrateurs et dirigeants. Messieurs Rolka et Young détenaient chacun 45 % des actions et les derniers 10 % en étaient détenus par un tiers. Des terrains ont été transférés à messieurs Rolka et Young pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande. À la page 1051 de la décision, le juge Cameron explique ainsi sa conclusion que l'un de ces actionnaires, soit monsieur Rolka, contrôlait cette appelante :

[...] In the absence of any other evidence, it seems reasonable to assume that the guiding hand in all these transactions was that of Rolka and that throughout he was acting in concert with Young and according to a plan conceived by Rolka[23], by which all the lots would eventually become the property of his company; and that in some unexplained way he was enabled to speak for and represent Nelmar Realty.

That inference satisfactorily answers the questions as to why Young made substantial and unexplained gifts to Rolka and why Young, who had sold the lots to the appellant company only a few months earlier, would wish to re-purchase a substantial part of them at cost and without profit to the company of which he was the president. It also serves to explain why the appellant company was willing on September 25, 1952, to sell lots to Young at a price substantially below that at which it sold other lots in the Survey.

[Je souligne.]

[93] Nous n'avons pas ici de telles circonstances spéciales révélant notamment de la collusion, de la magouille ou des manigances comme cela est le cas dans les affaires Ancaster Development Company Limited, Sayers et RMM Canadian Enterprises Inc. Au contraire, ici, on se trouve devant des circonstances ressemblant à celles dans les affaires Edward Del Grande et H.T. Hoy Holdings Limited. Il s'agit de deux hommes d'affaires qui se sont associés dans une société par actions et qui, ayant réalisé que cela avait été une mauvaise décision, négocient leur séparation. On est en présence ici, et la preuve est très claire à cet égard, de deux parties qui négocient avec des intérêts non seulement distincts mais divergents et opposés. L'un veut le prix de rachat le plus élevé pour ses actions et l'autre désire le prix le plus bas possible. L'un désire recevoir que ce rachat soit effectué au plus vite alors que l'autre a intérêt à le différer le plus longtemps possible. Comme on a finalement convenu de verser le prix de rachat par le transfert de terrains, il fallait aussi s'entendre sur la valeur des terrains qui devaient être remis à Gestion.

[94] Évidemment, l'opération visée par la cotisation est le versement du dividende et non pas le rachat des actions ordinaires et des actions privilégiées. Mais ce versement de dividende fait partie intégrante du rachat de toutes les actions détenues par Gestion. Les dividendes ont été versés à l'égard des actions privilégiées de catégorie B et C qui ont été rachetées. Le paiement des dividendes cumulatifs, tout comme le rachat des actions, a été effectué par le transfert de terrains de DPCI, ce qui a nécessité l'accord des parties sur l'évaluation de ces terrains.

[95] Il n'y a aucune preuve que les montants de dividende versés n'étaient pas conformes aux statuts constitutifs de DPCI[24]. Comme les dividendes cumulatifs devaient être payés lors du rachat des actions privilégiées par DPCI à la suite de l'initiative prise par monsieur Moisan pour devenir l'unique actionnaire de cette société, on ne peut pas reprocher aux administrateurs de s'être conformés aux statuts de DPCI.

[96] Ainsi, il n'y a rien dans les faits qui puisse me permettre de conclure que Gestion a exercé sur DPCI une influence telle que cette dernière n'était pas en mesure d'agir de façon indépendante. Au contraire, pour obtenir le rachat des actions privilégiées détenues par Gestion et le versement des dividendes à l'égard de ces actions, monsieur Drouin, pour le bénéfice de Gestion, a dû négocier de façon ardue avec monsieur Moisan, chacun étant représenté par ses propres conseillers juridiques et financiers. Il est clair que monsieur Moisan n'était pas la marionnette de Gestion dans ces négociations : même si on peut affirmer que Gestion et Moisan ont agi de concert dans les négociations, ils l'ont fait avec des intérêts distincts et opposés et non avec des intérêts en commun. Si Gestion avait eu une influence dominante sur DPCI, elle aurait pu imposer le transfert de plus de terrains en paiement du dividende de 306 588 $. Or, rien dans la preuve ne laisse croire que cela se soit passé. Bien au contraire, comme Gestion et monsieur Moisan détenaient chacun 50 % des actions avec droit de vote de DPCI, Gestion ne pouvait exercer d'influence sur DPCI sans l'accord de monsieur Moisan. Son influence se limitait à celle d'un actionnaire qui ne détenait pas le contrôle de DPCI. Par conséquent, il n'existait pas de lien de dépendance entre DPCI et Gestion lors du versement de dividendes en 1991 et, de ce fait, la cotisation 8826 doit être annulée.

[97] Avant de passer à la question de l'existence des dettes fiscales, j'aimerais mentionner que ni le procureur de l'intimée ni son vérificateur n'ont jamais soutenu devant moi que Gestion, du fait qu'elle détenait des actions privilégiées rachetables à un prix considérable, pouvait exercer un contrôle de fait sur DPCI, et comme le débat n'a pas porté sur cette question, il aurait été inapproprié d'aborder cette question de fait.

Existence de dettes fiscales

[98] Un des éléments essentiels à l'application du paragraphe 160(1) est le montant de la dette fiscale du débiteur fiscal, ici, DPCI. Comme on l'a vu plus haut, le montant à l'égard duquel Gestion peut être tenue responsable est limité au moins élevé de l'avantage conféré par DPCI et le montant de la dette fiscale. Dans l'affaire Germain Pelletier Limitée (précitée), j'ai déjà dit qu'un cessionnaire visé par le paragraphe 160(1) de la Loi pouvait contester le montant de la dette fiscale du débiteur fiscal. D'autres décisions rendues par cette Cour vont dans le même sens. Dans l'affaire Sarraf c. M.R.N., [1994] A.C.I. no 113, le juge Bowman affirme :

Le bénéficiaire du transfert peut évidemment contester l'exactitude de la cotisation imposée à l'auteur du transfert, même si ce dernier ne l'a pas fait ou, comme en l'espèce, était empêché de le faire : voir les jugements Thorsteinson v. M.N.R., 80 D.T.C. 1369, et Ramey v. The Queen, 93 DTC 791.

Des décisions similaires ont été rendues par le juge Bell dans Route Canada Real Estate Inc. (in Receivership) v. The Queen, 95 DTC 502, à la page 505, et le juge Sobier dans Kraychy v. The Queen, 96 DTC 1479, à la page 1482[25].

[99] À ma connaissance, il n'a pas encore été décidé qui a la charge d'établir l'existence d'une telle dette fiscale. Généralement, lorsqu'un contribuable conteste un avis de cotisation d'impôt établi par le ministre en vertu de l'article 152 de la Loi, c'est à lui que revient la charge de démolir les faits que le ministre a tenus pour acquis dans l'établissement de la cotisation. Si cette règle s'appliquait à une cotisation établie en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi, il reviendrait au cessionnaire de faire la preuve de l'inexistence de la dette fiscale ou de l'existence d'une dette moins élevée que celle fixée par le ministre dans la cotisation. Mais est-il juste et équitable que cette charge incombe au cessionnaire lorsqu'il s'agit d'une cotisation établie en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi? Dans Germain Pelletier Ltée, je m'étais interrogé sur cette question. Toutefois, il n'était pas nécessaire d'y répondre.

[100] Tel qu'il est mentionné dans cette décision, la cotisation établie en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi n'est pas à proprement parler une cotisation de l'impôt dû par le cessionnaire de son propre chef. C'est en sa qualité de cessionnaire d'un avantage qu'on lui a conféré qu'il doit payer l'impôt d'un autre contribuable, le débiteur fiscal. La cotisation établie en vertu du paragraphe 160(1) fournit au ministre un outil de recouvrement, auprès d'un tiers, de l'impôt dû par le débiteur fiscal. Ce moyen de recouvrement ressemble à l'action paulienne que l'on appelle dans le nouveau Code civil du Québec une action en inopposabilité. Cette action est prévue à l'article 1631 C.c.Q., qui édicte :

Le créancier, s'il en subit un préjudice, peut faire déclarer inopposable à son égard l'acte juridique que fait son débiteur en fraude de ses droits, notamment l'acte par lequel il se rend ou cherche à se rendre insolvable ou accorde, alors qu'il est insolvable, une préférence à un autre créancier.

[101] Lorsqu'il entreprend une action en inopposabilité en vertu du Code civil du Québec, un créancier doit établir d'abord, j'en suis persuadé, le montant de la dette qui lui est due par son débiteur[26]. Cette preuve pourra être faite en produisant l'acte de prêt ou tout autre acte juridique en vertu duquel le débiteur est redevable envers le créancier. Pourquoi devrait-on adopter une interprétation différente dans le cas d'un recours exercé par le ministre en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi? Il est vrai que le ministre peut établir sa cotisation, exiger le paiement du cessionnaire et, en cas de défaut, obtenir un certificat équivalant à jugement de la Cour fédérale, Section de première instance. Cette façon de procéder - qu'autorise la Loi - oblige le cessionnaire à prendre l'initiative de la contestation alors que dans un recours en vertu du Code civil du Québec, c'est le créancier qui doit prendre l'initiative.

[102] Même si le paragraphe 160(2) de la Loi édicte que les règles de la section I “ déclarations, cotisations, paiement et appels ” s'appliquent à une telle cotisation comme si elle avait été établie en vertu de l'article 152, la Loi est généralement silencieuse quant à savoir à qui incombe la charge d'établir les faits dans un appel devant cette Cour. Cette assertion souffre au moins deux exceptions qui confirment la règle générale. Le paragraphe 163(3) de la Loi édicte que c'est le ministre qui doit faire la preuve des faits justifiant l'imposition d'une pénalité. Le paragraphe 110.6(6) de la Loi impose aussi au ministre la charge d'établir les faits qui justifient le rejet de la déduction pour gains en capital.

[103] Lorsque la Loi est silencieuse à ce sujet, les règles régissant la charge de la preuve ont été établies par les tribunaux. Dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Johnston v. M.N.R., 3 DTC 1182[27], on a décidé que la charge revient au contribuable de démolir les faits que le ministre a tenus pour acquis dans l'établissement de sa cotisation. À la page 1183, on dit :

Every such fact found or assumed by the assessor or the Minister must then be accepted as it was dealt with by these persons unless questioned by the appellant. If the taxpayer here intended to contest the fact that he supported his wife within the meaning of the Rules mentioned he should have raised that issue in his pleading, and the burden would have rested on him as on any appellant to show that the conclusion below was not warranted. For that purpose he might bring evidence before the Court notwithstanding that it had not been placed before the assessor or the Minister, but the onus was his to demolish the basic fact on which the taxation rested.

[Je souligne.]

[104] Dans l'affaire Pollock v. The Queen, A-75-90, 14 octobre 1993, [94 DTC 6050], le juge Hugessen de la Cour d'appel fédérale adopte la même règle à la page 7, [p. 6053], mais précise que ces faits tenus pour acquis doivent être énoncés par l'intimée dans ses actes de procédure :

Toutefois, lorsqu'un supposition est plaidée, elle a pour effet d'inverser le fardeau de la preuve et d'imposer au contribuable l'obligation de réfuter ce que le ministre a supposé. Naturellement, les suppositions qui n'ont pas été plaidées ne peuvent produire un tel effet et, à mon avis, ne nous concernent pas en l'espèce.

[Je souligne.]

[105] À mon avis, le juge Hugessen fournit à la même page de sa décision la meilleure explication de l'obligation qui incombe au contribuable de démolir les faits énoncés à la réponse à l'avis d'appel :

Le cas spécial des suppositions faites par le ministre en matières fiscales est complètement différent. Il se fonde sur la nature même d'un système d'autodéclaration et d'autocalcul de la cotisation, un système dans lequel les autorités sont obligées de se fier aux déclarations du contribuable concernant les faits et les choses dont il a particulièrement connaissance. En établissant la cotisation, le ministre peut avoir à supposer certaines choses qui diffèrent de ce que le contribuable a déclaré ou qui le complètent.

[Je souligne.]

[106] Et, toujours à la page 6053, le même juge précise pourquoi cette règle lui apparaît tout à fait raisonnable :

Le fardeau de la preuve que les suppositions plaidées ont mis sur les épaules du contribuable n'est nullement injuste : le contribuable, en tant que demandeur, conteste une cotisation qui a été établie concernant ses propres affaires, et il est la personne la mieux placée pour produire des éléments de preuve pertinents pour établir les faits réels.

[Je souligne.]

[107] Il faut mentionner aussi que le juge Duff dans l'affaire Anderson Logging (précitée) tenait des propos similaires à la page 1211 (DTC) :

The appellant may adduce facts constituting a prima facie case which remains unanswered; but in considering whether this has been done it is important not to forget, if it be so, that the facts are, in a special degree if not exclusively, within the appellant's cognizance; although this last is a consideration which, for obvious reasons, must not be pressed too far.

[Je souligne.]

[108] Cette affirmation du juge Duff a fait dire à un auteur que la charge de la preuve peut revenir au ministre quand le contribuable n'a pas connaissance des faits pertinents. Dans son article “ The Burden of Proof in Income Tax Cases ”, Can. Tax J., 1978, vol. XXVI, no 4, p. 393, à la page 410, note 86, monsieur Charles MacNab écrit :

On the other hand, where a taxpayer can show that he is not in possession of the facts in respect of which the onus of proof would in the ordinary course be on him - that they are in the possession of a third party for example - it may be that the onus would shift to the Minister, in respect of those facts. This would appear to be consistent with the limitation on the extent of the onus on a taxpayer indicated by Mr. Justice Duff in Anderson Logging Company v. M.N.R. supra.

Et il ajoute à la même page :

The principle behind the rule which requires a person to prove a matter when he has particular knowledge is, it would seem, that it serves the ends of justice, since otherwise the other party might well be denied in a practical way the opportunity of having a fair hearing of the matter. Which one is more important may well depend on the facts of each case.87

_______________

87 In a note to his reasons for Judgment in The Queen v. McKay, supra, 5185, Mr. Justice Collier said, ". . . I am not convinced . . . the so-called "onus on the taxpayer" is a rigid rule, capable of no exceptions. . . . Each action should be looked at on its own issues and on its own circumstances. . . . It is not sufficient, in my view, to say that tax cases are somehow different from other civil cases tried in this court".

[109] Dans l'affaire First Fund Genesis Corporation v. The Queen, 90 DTC 6337, le juge Joyal de la Section de première instance de la Cour fédérale semble partager l'opinion de monsieur MacNab que la règle de la charge de la preuve doit être appliquée avec équité. À la page 6340, il écrit :

Numerous have been the comments by the courts on the application of the onus rule to meet the exigencies of particular cases. Counsel for the plaintiff is correct in stating that care should always be taken in its application. Counsel quotes an article by Charles MacNab in the Canadian Tax Journal, Vol. XXVI, No. 4, 1978, p. 393, where, after the author has referred to the general doctrine with respect to the burden of proof in civil matters, he remarks with reference to income tax cases at p. 411:

There will be need for care in each case, however, to ensure that the considerations of policy and fairness which underlie all the rules are fully appreciated before a determination of the onus of proof is made.

[Je souligne.]

[110] Dans l'affaire Bosa Bros. Construction Ltd c. Canada, [1995] A.C.F. no 1733, [96 DTC 6193], le juge Nadon adopte une approche semblable à celle de son collègue le juge Joyal. Un des points en litige dans cette affaire avait trait à l'application du paragraphe 85(5.1) de la Loi. Cette application nécessite que l'on fasse la preuve qu'un immeuble détenu par le contribuable (à la suite d'une liquidation) a été acquis d'une tierce société et que cette dernière a détenu l'immeuble comme bien amortissable. La demanderesse dans cette affaire soutenait que c'est le ministre qui avait la charge de démontrer que l'immeuble n'avait pas été un bien amortissable pour la tierce société puisque c'est lui qui avait connaissance de ce fait et non la demanderesse.

[111] Le juge Nadon résume cette question au paragaphe 43 [p. 6203], ainsi :

Avant d'examiner au fond les prétentions de la demanderesse, il me faut aborder la question du fardeau de la preuve. Il est de droit constant que toute cotisation (ou nouvelle cotisation) d'impôt est obligatoire à première vue, sous réserve du droit qu'a le contribuable de la contester. Dans un tel cas, il appartient au contribuable de démontrer que la cotisation est erronée. Toutefois, la demanderesse prétend que si l'intérêt de la justice le requiert, le fardeau de la preuve est déplacé et pèse sur le ministère public. Plus précisément, le ministre doit “ jouer franc jeu ” et lorsqu'il est informé de certains faits que la demanderesse ignore, il lui incombe de les fournir. En l'espèce, la demanderesse soutient que lorsqu'elle affirme que le ministre a permis à Darwai de demander une déduction pour amortissement à l'égard de l'immeuble, c'est lui qui possède les renseignements à ce sujet. Selon la demanderesse, dans un tel cas le ministère public devrait, par souci d'équité, fournir ces renseignements. En d'autres termes, il incombe au ministère public de réfuter les allégations de la demanderesse. Évidemment, le ministère public prétend qu'il n'y a pas déplacement du fardeau de la preuve, et que c'est la demanderesse qui doit le supporter.

[Je souligne.]

[112] Lors d'un interrogatoire préalable, le vérificateur du ministre avait reconnu que la tierce société avait traité l'immeuble comme un bien amortissable, mais ce vérificateur a présenté une version différente lors de l'audience. Le juge Nadon a retenu celle donnée à l'interrogatoire préalable. Puis, en obiter dictum, il a déclaré qu'il aurait conclu que la charge de la preuve incombait au ministre quant à cet aspect si la preuve présentée devant lui avait été ambiguë, parce que c'était le ministre qui avait la connaissance des faits pertinents. Au paragraphe 56 [page 6206], il écrit :

Si, d'après la preuve qui m'a été présentée, je n'avais pas été convaincu que le bien était amortissable entre les mains de Darwai, le fardeau de la preuve se serait déplacé et le ministère public aurait été tenu de prouver que, dans les mains de Darwai, l'immeuble Topaz n'était pas un bien en immobilisation amortissable. C'est le genre d'information que le ministère public est en mesure d'obtenir, mais pas la demanderesse. Par l'intermédiaire de son représentant, le ministère public a tenté de respecter l'engagement qu'il avait pris, lors de l'interrogatoire préalable, d'obtenir les documents relatifs à la qualification de l'immeuble Topaz par Darwai. Le représentant a été incapable de le faire. La production de ces documents aurait réglé cette question opposant les parties au présent litige. Il ne suffit pas que le ministre affirme comme il l'a fait dans sa lettre du 12 septembre 1989, que l'immeuble Topaz était un bien figurant dans l'inventaire de Darwai. Des éléments de preuve doivent appuyer cette prétention, et le ministère public a tenté, sans succès toutefois, d'en présenter. Dans l'affaire First Fund Genesis Corporation, le ministre était allé jusqu'à obtenir le consentement d'un tiers à la communication des documents pertinents. En l'espèce, le ministre n'a pas fait autant d'efforts. Compte tenu de cela, j'estime que si je n'avais pas été convaincu d'après la preuve qui m'a été présentée que la demanderesse s'était acquittée du fardeau de la preuve, j'aurais conclu que le ministère public n'avait pas réfuté les allégations de la demanderesse.

[Je souligne.]

[113] Dans le cas qui nous occupe, Gestion n'est pas en position de produire sans difficulté la preuve pertinente contraire pour attaquer la validité de la cotisation de DPCI puisqu'il ne s'agit pas de ses impôts mais de ceux d'une tierce partie dans laquelle elle ne détient aucun intérêt[28]. Gestion n'a pas accès à la déclaration de revenu et à l'avis de cotisation de DPCI, ni aux registres comptables, aux pièces justificatives ou aux autres documents similaires de cette dernière pour faire la preuve que la cotisation est erronée. Lui imposer la charge de faire cette preuve la mettrait dans une situation tout à fait inéquitable.

[114] Comme c'est le ministre qui exerce le recours contre un tiers pour recouvrer la dette fiscale qui lui est due par le débiteur fiscal, il m'apparaît tout à fait raisonnable que ce soit à lui qu'incombe la charge d'établir prima facie l'existence de la dette fiscale. Pour y arriver, le ministre a normalement en sa possession la déclaration de revenu du débiteur fiscal et, s'il a effectué une vérification, il peut détenir des copies des pièces justificatives ou de tout autre document pertinent à l'appui de sa cotisation. C'est donc lui qui est en meilleure position pour établir le montant de la dette fiscale. J'en viens donc à la conclusion que c'est au ministre qu'incombe généralement la charge de faire la preuve prima facie de la dette fiscale lorsqu'il y a une cotisation établie en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi.

[115] À mon avis, il n'est pas suffisant de produire l'avis de cotisation visant le débiteur fiscal, à moins que le montant établi par le ministre dans la cotisation corresponde à celui indiqué par le débiteur fiscal dans sa déclaration de revenu. Ici, à l'égard de l'année d'imposition 1991, le montant établi par le ministre dans la cotisation correspond à celui déterminé par DPCI elle-même. Dans de telles circonstances, une preuve prima facie a été faite de l'existence de la dette fiscale : peut-on avoir meilleure preuve que la reconnaissance du débiteur lui-même ?

[116] Il est important de souligner que je ne dis pas qu'il soit impossible de contester le montant d'une dette fiscale dans de telles circonstances. Il pourrait s'avérer que le débiteur fiscal a commis une erreur dans la préparation de sa déclaration de revenu et que le montant d'impôt qu'il a déterminé est erroné. Toutefois, dans de telles circonstances, il reviendrait au cessionnaire d'en faire la preuve. Dès que le ministre a fait la preuve prima facie de l'existence de la dette fiscale, la charge revient au cessionnaire de présenter une preuve contraire.

[117] Quant à la preuve faite par le ministre à l'égard de la cotisation pour les années d'imposition 1986 et 1987, elle est manifestement insuffisante. Tout d'abord, si l'on se fie à l'avis de cotisation 8825 et à la note de service du ministre, il n'a pas été établi avec une certitude raisonnable que DPCI a reconnu devoir les sommes fixées par le ministre dans la cotisation. De plus, non seulement les avis de cotisation de DPCI pour les années d'imposition 1986 et 1987 n'ont pas été produits lors de l'audience mais encore le vérificateur du ministre qui a établi la cotisation à l'égard de DPCI n'est pas venu témoigner et son rapport de vérification n'a pas été produit non plus.

[118] Il faut mentionner que cette nécessité de faire la preuve est d'autant plus impérieuse ici que les cotisations de DPCI pourraient avoir été établies hors de la période normale de nouvelle cotisation et qu'il incombait au ministre d'établir que les déclarations de revenu pour ces années d'imposition contenaient une présentation erronée des faits faite par négligence, inattention ou omission volontaire ou qu'il y a eu fraude dans la production de ces déclarations[29]. De plus, une pénalité aurait été établie en vertu de l'article 163 de la Loi à l'égard de l'année 1987. Tel qu'il est mentionné plus haut, il incombait au ministre d'établir les faits justifiant l'imposition de cette pénalité (163(3) de la Loi). La dette fiscale pour les années 1986 et 1987 n'ayant pas été établie, la cotisation 8825 doit par conséquent être annulée.

Dépens

[119] Le procureur de Gestion réclame les dépens entre procureur et client en raison d'erreurs graves commises par les représentants du ministre et en raison de la mauvaise foi que ceux-ci auraient manifestée dans l'étude du dossier de Gestion. Il se fonde sur l'alinéa 147(5)c) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) qui dispose :

Nonobstant toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut, à sa discrétion :

[...]

c) adjuger la totalité ou partie des dépens sur une base procureur-client.

[120] Le procureur de Gestion décrit ces erreurs graves dans une lettre en date du 25 mai 2000 qu'il m'a fait tenir après l'audition de l'appel. De façon succincte, il reproche aux représentants du ministre de ne pas avoir fourni avant le jour de l'audition les avis de cotisation de DPCI pour 1987 et 1991[30]. De plus, il fait une imputation de mauvaise foi ou tout au moins d'insouciance grave ou de faute lourde du fait que le ministre a communiqué à Gestion certains renseignements concernant DPCI pour la période au cours de laquelle elle était actionnaire de DPCI, notamment à l'égard des années d'imposition 1988 et 1989, mais qu'il a refusé de le faire pour l'année 1991 au motif que, pour cette dernière période, Gestion avait cessé d'être actionnaire. De plus, il fait référence à certains renseignements erronés qu'aurait transmis le vérificateur au bureau principal du ministre. Finalement, il se lance dans certaines suppositions résultant de la communication, faite par un des représentants du ministre lors de l'audience, selon laquelle il y aurait eu vente en bloc par DPCI en 1992 ou 1993. Il suppose que le montant de la dette fiscale pourrait être réduit en raison du report de certaines pertes sur les années antérieures en vertu de l'article 111 de la Loi.

[121] Dans un premier temps, il faut déterminer quelles sont les règles qui s'appliquent dans la détermination des dépens sur une base procureur-client. Dans l'affaire Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, à la page 134, la juge McLachlin écrit :

La Cour d'appel s'est fondée sur les principes suivants, auxquels je souscris. Les dépens comme entre procureur et client ne sont généralement accordés que s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties. Le peu de fondement d'une demande ne constitue donc pas une raison d'accorder les dépens sur cette base.

[Je souligne.]

[122] Dans une décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Amway Corporation v. The Queen, [1986] 2 C.T.C. 339, on écrit à la page 340 : “ Costs as between solicitor and client are exceptional and generally to be awarded only on the ground of misconduct connected with the litigation. ”

[123] La Cour canadienne de l'impôt adopte une approche similaire dans l'affaire Bruhm c. Canada, [1994] A.C.I. no 134, au paragraphe 16 :

Selon la règle concernant l'adjudication des dépens sur une base procureur-client, l'adjudication des dépens sur cette base est exceptionnelle et ne devrait habituellement avoir lieu qu'en cas d'inconduite liée au litige qui, dans les affaires à caractère fiscal, débute au moment du dépôt d'un avis d'appel.

[124] Par contre, dans La Commission de la capitale nationale c. Mary Bland, [1993] 1 C.F. 541 à la page 544, le juge Pratte écrit :

L'octroi des dépens sur une base procureur-client n'était justifié en l'espèce par aucune faute dans la poursuite du litige. Ce fait est indéniable. Qui plus est, les longs motifs prononcés par le juge de première instance ne font ressortir aucune faute antérieure au litige, qui pourrait être imputable à la Commission et considérée comme étant suffisamment grave et ayant un rapport suffisamment étroit avec le litige pour justifier pareille décision.

[Je souligne.]

[125] Dans sa réponse, la procureure de l'intimée rappelle qu'en vertu du paragraphe 241(1) de la Loi, sauf autorisation prévue à cet article, il est interdit à un fonctionnaire de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel

ou d'en permettre sciemment la prestation. Parmi les exceptions à cette interdiction, on retrouve notamment celle énoncée à l'alinéa 241(5)b) de la Loi :

Un fonctionnaire peut fournir un renseignement confidentiel;

[...]

b) à toute autre personne, avec le consentement du contribuable en cause.

[126] Il y a aussi celle que l'on retrouve à l'alinéa 241(3)b) de la Loi qui édicte :

Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent :

b) ni aux procédures judiciaires ayant trait à l'application ou à l'exécution de la présente Loi [...].

[127] La procureure de l'intimée mentionne que si le procureur de Gestion avait voulu obtenir des renseignements sur les déclarations de revenu de DPCI, il aurait pu s'adresser à cette société et obtenir sa permission pour que le ministre fournisse à Gestion des renseignements la concernant. De plus, elle ajoute : “ force est de constater que le représentant de l'appelant ne s'est jamais prévalu de son droit à l'interrogatoire au préalable et qui lui aurait permis également de prendre connaissance de certains documents[31]. ”

[128] Que je considère la conduite des représentants du ministre avant le début de l'appel devant cette Cour ou par la suite, je ne suis pas convaincu qu'ils ont adopté une conduite “ répréhensible, scandaleuse ou outrageante ”. À aucun moment, lors du témoignage des représentants du ministre, je n'ai cru qu'ils aient pu agir de mauvaise foi dans la gestion de leurs dossiers. Certaines erreurs ont certes été commises mais, à mon avis, elles l'ont été de bonne foi. Finalement, je dois ajouter qu'il n'y a eu aucune preuve que DPCI a droit à un report des pertes en vertu de l'article 111 de la Loi.

[129] À mon avis, Gestion n'a droit qu'à des dépens entre parties.

[130] Pour tous ces motifs, les appels de Gestion sont admis et les avis de cotisation 8825 et 8826 sont annulés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de décembre 2000.

“ Pierre Archambault ”

J.C.C.I.



[1] Dans son avis d'appel, Gestion déclare qu'elle était la seule actionnaire de DPCI jusqu'au 14 décembre 1987, ce que l'intimée a admis dans sa réponse à l'avis d'appel, quoiqu'elle affirme aussi qu'à compter du 1er décembre 1987 les actions avec droit de vote de DPCI étaient réparties également entre Gilles Moisan et Gestion, ce que Gestion a admis dans sa réplique : cette contradiction dans les faits est sans conséquence pour les fins du litige.

[2] Selon les notes complémentaires des états financiers de DPCI au 31 août 1988, les actions de catégorie C étaient des actions “ d'une valeur nominale de 10 $ chacune, sans droit de vote, [dividende de] 8 % sur la valeur de rachat préférentiel et cumulatif à partir du 1er novembre 1989, prioritaire quant au capital aux actions de catégories A et B, rachetables au gré de la compagnie ou du détenteur à 164,20 $ chacune ”. Les actions de catégorie D sont des actions “ sans droit de vote, [dividende de] 8 % préférentiel aux actions de catégories A et C et cumulatif à partir du 1er novembre 1989, prioritaires quant au capital aux actions de catégories A, B et C, rachetables au gré de la compagnie ou du détenteur à leur valeur nominale de 10 $ chacune ”.

[3] Les états financiers de DPCI au 31 décembre 1991 décrivent son capital autorisé de la façon suivante :

2 200 actions de catégorie “ A ” sans valeur nominale avec droit de vote et participantes

167 040 actions de catégorie “ B ” d'une valeur nominale de 1 $ chacune, sans droit de vote, dividende de 8 % sur la valeur de rachat, préférentiel et cumulatif, prioritaires quant au capital aux actions de catégorie “ A ”, rachetables au gré de la société ou du détenteur à 7,31 $ chacune [pour une valeur totale de 1 221 062 $]

52 925 actions de catégorie “ C ” d'une valeur nominale de 10 $ chacune, sans droit de vote, dividende de 8 % sur la valeur de rachat, préférentiel aux actions de catégories A et B et cumulatif, prioritaires quant au capital aux actions de catégories “ A ” et “ B ”, rachetables au gré de la société ou du détenteur à 10 $ chacune

nombre illimité actions de catégorie “ D ”, sans droit de vote et participantes

[4] La preuve ne révèle pas qui détient les actions de catégorie D.

[5] Les 167 040 actions de catégorie B dont la valeur totale de rachat s'élève à 1 221 062 $ sont le résultat de la conversion des 6 704 actions de catégorie C détenues par Gestion avant la fusion en 150 620 actions de catégorie B de la nouvelle société issue de la fusion. Il semble que Gestion ait obtenu 16 420 actions de catégorie B additionnelles en échange des 100 000 actions de catégorie C qu'elle détenait dans DQM.

[6] Ces 52 925 actions de catégorie C proviennent de la conversion des 52 925 actions de catégorie D que Gestion détenait dans DPCI avant la fusion.

[7] Il y aurait eu une fusion en 1989, ce qui expliquerait le dédoublement de 1989.

[8] Voir notamment Algoa Trust c. Canada, [1993] A.C.I. no 15 (C.C.I.), [93 DTC 405], conf. sans motifs par la Cour d'appel fédérale dans une décision non publiée (4 février 1998), no A-201-93; Mario Ruffolo v. The Queen, 99 DTC 184, Davis v. The Queen, [1994] 2 C.T.C. 2033, 94 DTC 1934 (C.C.I.).

[9] Dividende cumulatif de 8%.

[10] Voir notamment B. Welling, Corporate Law in Canada – The Governing Principles, Toronto, Butterworths, 1984, à la p. 614.

[11] Il est vrai qu'une société peut être exploitée tout en ne disposant que d'un capital-actions minime. Toutefois, si les besoins en capitaux sont satisfaits grâce à des prêts portant intérêts, le rendement des actions devrait en souffrir. De toute façon, même si le capital-actions est minime, le raisonnement demeure le même : les dividendes représentent la rémunération du capital.

[12] Manuel de l'ICCA – Comptabilité, Recommandations du Conseil des normes comptables de l'Institut Canadien des Comptables Agréés (citation tirée de La Bibliothèque professionnelle virtuelle de l'ICCA, mise à jour : No. 4 (03/00))

POSTES PARTICULIERS

CHAPITRE 3860

instruments financiers — informations à fournir et présentation

.32            C'est le classement d'un instrument financier dans le bilan qui détermine si les intérêts, les dividendes, les pertes et les gains qui s'y rattachent sont classés dans les charges ou les produits et présentés dans l'état des résultats. Ainsi, les dividendes versés sur des actions classées comme passifs sont classés dans les charges de la même façon que les intérêts sur une obligation, et sont présentés dans l'état des résultats. De même, les gains et les pertes associés au rachat ou au refinancement d'instruments classés comme passifs sont présentés dans l'état des résultats, alors que le rachat ou le refinancement d'instruments classés comme capitaux propres sont présentés comme des variations des capitaux propres.

Actions privilégiées

A20          Il est possible d'émettre des actions privilégiées (ou actions de priorité) assorties de droits divers. Afin de déterminer si une action privilégiée doit être classée comme un élément de passif ou de capitaux propres, l'entité examine les droits particuliers qui sont attachés à l'action pour déterminer si celle-ci possède les caractéristiques fondamentales d'un passif financier. Par exemple, une action privilégiée qui est assortie d'un droit de rachat à une date précise ou au gré du détenteur répond à la définition d'un passif financier si l'émetteur a l'obligation de transférer des actifs financiers au détenteur de l'action. L'incapacité de l'émetteur de s'acquitter de son obligation de racheter l'action privilégiée au moment stipulé par contrat, que ce soit en raison d'un manque de fonds ou d'une restriction légale, ne fait pas disparaître son obligation. L'option que posséderait l'émetteur de racheter les actions ne répond pas à la définition d'un passif financier parce que l'émetteur n'a pas une obligation actuelle de transférer des actifs financiers aux actionnaires. Le rachat des actions est laissé à la seule discrétion de l'émetteur. Une obligation peut cependant apparaître lorsque l'émetteur des actions lève son option, le plus souvent en avisant officiellement les détenteurs de son intention de racheter les actions.

[13] Évidemment, pourrait être soulevée la question de savoir si la contrepartie (les intérêts) représente la juste valeur pour l'usage du capital (le prêt).

[14] Par exemple, dans la Loi sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44, on édicte à l'article 42 :

42. La société ne peut déclarer ni verser de dividende s'il existe des motifs raisonnables de croire que :

a) ou bien elle ne peut, ou ne pourrait de ce fait, acquitter son passif à échéance;

b) ou bien la valeur de réalisation de son actif serait, de ce fait, inférieure au total de son passif et de son capital déclaré.

            L'article 118 de cette loi édicte :

118(2) Responsabilité supplémentaire des administrateurs

(2) Les administrateurs qui ont, par vote ou acquiescement, approuvé l'adoption d'une résolution autorisant, selon le cas :

[...]

c) le versement d'un dividende en violation de l'article 42;

[...]

sont solidairement tenus de restituer à la société les sommes en cause non encore recouvrées.

[...]

118(4) Recours

(4) L'administrateur tenu responsable conformément au paragraphe (2) peut demander au tribunal une ordonnance obligeant les bénéficiaires, notamment les actionnaires, à lui remettre les fonds ou biens reçus en violation des articles 34, 35, 36, 41, 42, 44, 124, 190 ou 241.

118(5) Ordonnance du tribunal

(5) À l'occasion de la demande visée au paragraphe (4), le tribunal peut, s'il estime équitable de le faire :

a) ordonner aux bénéficiaires de remettre à l'administrateur les fonds ou biens reçus en violation des articles 34, 35, 36, 41, 42, 44, 124, 190 ou 241;

[...]

Des dispositions similaires existent dans la Loi sur les compagnies, notamment les articles 123.70 et 123.71. Selon la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 101(2)b), les actionnaires “ liés ” à la société peuvent être tenus de rembourser au syndic les dividendes reçus alors que la société était insolvable ou dont le paiement l'a rendue insolvable. Voir M. Martel et P. Martel, La compagnie au Québec, vol. 1, Les aspects juridiques, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, Martel Ltée, 1998, à la page 18-62.

[15] Cette catégorie a été ajoutée par L.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 107 et est en vigueur depuis le 12 novembre 1981.

[16] L'alinéa 251(1)a) de la Loi.

[17] Disposition semblable à celle en litige dans l'affaire Société de banque Suisse.

[18] Même si tel est le but de cet article, son libellé ne requiert pas que la preuve soit faite de l'intention dolosive du cédant : voir notamment Quinton v. The Queen, 2000 DTC 2137, para. 9.

[19] Évidemment si l'on croit qu'un dividende constitue un don, la difficulté disparaît.

[20] Évidemment, rien n'empêche le législateur d'accorder au gouvernement un recours additionnel et même plus large pour faciliter le recouvrement des sommes qui lui sont dues, comme il l'a d'ailleurs fait en adoptant le paragraphe 160(1) de la Loi. Mais rappelons que cet article vise toute forme de transfert, et non de façon particulière les dividendes. Si l'on adopte l'interprétation selon laquelle le versement d'un dividende constitue un don, il est évident que le paragraphe 160(1) permet au ministre de recouvrer la dette fiscale d'une société qui verse un dividende au cessionnaire qui la contrôle, qu'il s'agisse d'un contrôle de droit ou d'un contrôle de fait. Dans un tel cas, il importe peu que le dividende respecte les dispositions de la loi pertinente régissant la société.

[21] Voici le passage pertinent dans l'affaire Edward Del Grande :

[...] si la famille McCleery et lui se concertaient si étroitement qu'il exerçait sur les compagnies un degré de contrôle tout à fait disproportionné à sa position minoritaire, lui permettant de les inciter à lui accorder des avantages [...]

                                                                                                                [Je souligne.]

[22] Voici le passage pertinent dans l'affaire Gosselin :

Il est évidemment pertinent que l'appelant et monsieur Farrell aient agi ensemble puisqu'ils étaient les deux seuls actionnaires à parts égales et également les deux seuls administrateurs de la société.[...] Analysant l'intérêt ultime d'une société comme étant en réalité celui de ses actionnaires ou, si l'on veut, celui de ses propriétaires par voie de détention d'actions de son capital-actions, on voit mal l'intérêt distinct dans la mesure où il n'y a que deux actionnaires détenteurs d'actions de la même catégorie comportant les mêmes droits et à parts égales.

                                                                                                [Je souligne.]

Le juge Dussault n'aurait pas pu adopter ces propos s'il n'avait pas considéré l'ensemble des actionnaires : l'intérêt ultime de la société ne peut être assimilé à celui d'un seul actionnaire. Il ne peut correspondre qu'à celui de l'ensemble des actionnaires.

[23] Je note aussi que le juge Cameron adopte la même approche que celle du juge Bowman dans l'affaire Edward Del Grande (précitée), à savoir qu'il détermine laquelle des personnes qui agissent de concert avec d'autres actionnaires-administrateurs exerce seule le contrôle sur la société.

[24] Aucune copie de ces statuts n'a été produite en preuve et il n'est pas possible de déterminer avec certitude si ces dividendes sont conformes aux attributs des actions. La seule description de ces actions que l'on possède est celle que l'on retrouve dans les états financiers de DPCI. Avec ces éléments de preuve, j'ai tenté de déterminer si le montant des dividendes semblait correspondre aux attributs des actions. Ayant fait les calculs, j'arrive à un montant de dividende correspondant à une période d'environ 2.19 années pour chacune des deux catégories d'actions, ce qui correspond à la période du mois d'avril 1989 à juillet 1991. Comme Gestion détenait la plupart de ces actions avant le 31 août 1988, ce montant n'apparaît pas excessif.

[25] Contra : Schafer v. The Queen [1998] G.S.T.C. 7. Après la rédaction de ces motifs mais avant de prononcer ma décision, la Cour d'appel fédérale a décidé qu'une contribuable pouvait contester le montant de la dette fiscale de son mari même si la cotisation d'impôt du mari avait été confirmée par la Cour canadienne de l'impôt. Voir Gaucher v. The Queen, A-275-00, décision rendue le 16 novembre 2000 et en particulier les motifs du juge Rothstein aux paragraphes [6] et [9].

[26] Selon le paragraphe 2803(1) C.c.Q., une personne qui veut faire valoir un droit a le fardeau de prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

[27] Voir aussi deux autres décisions de la Cour suprême du Canada : Anderson Logging Co. v. The King, [1925] S.C.R. 45, 52 DTC 1209 et Hickman Motors Limited c. La Reine, [1997] 2 R.C.S. 336.

[28] En vertu de l'article 99 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), il est possible de demander à la Cour la permission d'interroger un tiers. Pour qu'il puisse être fait droit à une telle demande, certaines conditions doivent être réunies.

[29] Voir 152(4)a) de la Loi et Venne v. The Queen, [1984] C.T.C. 223, 84 DTC 6247.

[30] Au cours de l'audience, seulement l'avis de cotisation pour l'année 1991 a été produit. Il semble que les dossiers du ministre pour 1986 et 1987 aient été détruits.

[31] Dans Canada v. Bassermann, [1994] 114 D.L.R. (4th) 104, 107-108, on avait ordonné la production de documents en la possession du ministre (des déclarations de revenu d'autres contribuables) en vertu de l'article 17 des Règles de procédure de la Cour canadienne de l'impôt (Loi de 1971 sur l'assurance-chômage). Le juge Mahoney de la Cour d'appel fédérale confirme que la Cour canadienne de l'impôt a le pouvoir de rendre une telle ordonnance et que la production de ces documents par le ministre est autorisée par l'article 241 de la Loi, qui impose au ministre le devoir de la confidentialité. (Voir aussi M.N.R. c. Huron Steel Fabricators (London) Ltd., [1973] C.F. 808 (CAF) et Slattery c. Slattery, [1993] 3 R.C.S. 430, 93 DTC 5443.

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