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Date: 19980316

Dossier: 97-1601-IT-I

ENTRE :

NIKOLAI LOUKINE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] En l'espèce, la question qui se posait était restreinte, mais elle était suffisamment nouvelle et difficile pour que je réserve ma décision afin de prononcer de brefs motifs par écrit. La question se rapporte à l'effet réciproque qu'ont entre eux les paragraphes 62(1) et 250(1) ainsi que l'article 64.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[2] Les faits ne sont pas contestés. M. Loukine est un scientifique qui, jusqu'à son arrivée au Canada le 24 avril 1995 en sa qualité d'immigrant reçu, vivait en Russie. Il travaillait autrefois à l'Institut Topchiev de synthèse pétrochimique de l'Académie des Sciences de la Russie, 29, boulevard Lénine, à Moscou, en Russie. M. Loukine a accepté une offre de l'Université de Toronto; il devait faire de la recherche au sein du département de chimie. En 1995, il a travaillé pour l'université et a gagné un revenu d'emploi. Dans le calcul de son revenu de cette année-là, il a déduit la somme de 9 313,09 $ au titre des frais de déménagement en vertu du paragraphe 62(1) de la Loi. Étant donné qu'en 1995, il avait vécu au Canada pendant plus de 183 jours, il était réputé avoir été un résident du Canada pendant toute l'année d'imposition, en vertu du paragraphe 250(1).

[3] Il s'agit de savoir si le fait que M. Loukine était réputé avoir résidé au Canada pendant toute l'année 1995 suffit pour qu'il soit visé par le paragraphe 62(1), telle que cette disposition a été modifiée par l'article 64.1.

[4] Le paragraphe 62(1) se lit comme suit :

(1) Lorsqu'un contribuable a, à une date quelconque, commencé

a) à exploiter une entreprise ou à être employé dans un lieu au Canada (dans le présent paragraphe appelé son « nouveau lieu de travail » ), ou

b) à être étudiant à plein temps dans un établissement d'enseignement (dans le présent paragraphe appelé son nouveau lieu de travail) qui est une université, un collège ou tout autre établissement dispensant un enseignement de niveau post-secondaire,

et a, de ce fait, déménagé d'une résidence au Canada où, avant le déménagement, il résidait habituellement (dans le présent article appelée son « ancienne résidence » ) pour venir occuper une autre résidence sise au Canada où, après le déménagement, il a résidé habituellement (dans le présent article appelée sa « nouvelle résidence » ), de sorte que la distance entre son ancienne résidence et son nouveau lieu de travail soit supérieure d'au moins 40 kilomètres à la distance entre sa nouvelle résidence et son nouveau lieu de travail, il peut déduire, dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition dans laquelle il a déménagé de son ancienne résidence pour venir occuper sa nouvelle résidence, ou pour l'année d'imposition suivante, les sommes qu'il a payées à titre ou au titre des frais de déménagement engagés pour déménager de son ancienne résidence pour venir occuper sa nouvelle résidence, dans la mesure où [...]

(Le reste de la disposition n'est pas pertinent aux fins qui nous occupent.)

[5] L'article 64.1 se lit comme suit :

Pour l'application des articles 62, 63 et 64 au contribuable qui, tout au long de tout ou partie d'une année d'imposition, est absent du Canada mais y réside, les règles suivantes s'appliquent à l'année ou à la partie d'année, selon le cas :

a) il n'est pas tenu compte des mots « au Canada » au paragraphe 62(1), à l'alinéa 63(3)a) et à l'article 64;

b) il n'est pas tenu compte, au paragraphe 63(1) et à l'article 64, du passage « et portant, lorsque celui-ci est un particulier, le numéro d'assurance sociale de ce particulier » , si le bénéficiaire du versement visé à ce paragraphe ou à cet article, selon le cas, est une personne qui ne réside pas au Canada;

c) il n'est pas tenu compte des mots « résidant au Canada » au sous-alinéa 63(3)a)(ii);

[6] L'alinéa 250(1)a) se lit comme suit :

(1) Aux fins de la présente loi, une personne est réputée, sous réserve du paragraphe (2), avoir été un résident du Canada pendant toute une année d'imposition si

a) elle a séjourné au Canada au cours de l'année pendant une période ou des périodes dont l'ensemble est de 183 jours ou plus,

[7] Il est clair qu'en soi, le paragraphe 62(1) ne peut pas donner droit à la demande que M. Loukine a faite pour déduire ses frais de déplacement. M. Loukine a commencé à travailler dans un lieu au Canada, mais il n'a pas déménagé d'une résidence au Canada où il résidait habituellement (son « ancienne résidence » ) pour venir occuper sa nouvelle résidence. Son ancienne résidence était située en Russie et non au Canada. Le paragraphe 62(1) en soi prévoit le cas d'une personne qui déménage d'une résidence au Canada pour venir occuper une autre résidence sise au Canada.

[8] Toutefois, il est soutenu que M. Loukine peut se prévaloir de l'article 64.1, qui élargit la portée du paragraphe 62(1) dans le cas d'un contribuable qui « tout au long de tout ou partie d'une année d'imposition, est absent du Canada mais y réside, [...] » .

[9] Dans le cas de pareil contribuable, les mots « au Canada » sont en fait supprimés du libellé du paragraphe 62(1). Les mots « au Canada » apparaissent trois fois dans ce paragraphe. Par suite de cette suppression, dans le cas d'une personne à laquelle l'article 64.1 s'applique (une personne qui réside au Canada, mais qui en est absente) cette personne pourrait déduire les frais de déménagement non seulement si elle déménage d'une résidence au Canada pour venir occuper une nouvelle résidence sise au Canada, mais aussi :

a) si elle déménage d'une résidence à l'extérieur du Canada pour venir occuper une résidence sise au Canada; ou

b) si elle déménage d'une résidence à une autre, qui ne sont ni l'une ni l'autre sises au Canada, dans la mesure où les autres conditions prévues au paragraphe 62(1) sont remplies.

[10] L'appelant soutient qu'étant donné qu'en vertu du paragraphe 250(1), il est réputé être résident du Canada pendant toute l'année d'imposition (soit l'année 1995), il satisfait précisément au critère établi à l'article 64.1 :

a) pendant toute l'année d'imposition, il résidait au Canada;

b) il a été absent du Canada pendant la partie de l'année qui a précédé le 24 avril 1995.

[11] La position de l'appelant est intéressante sur le plan théorique mais je ne crois pas qu'elle soit juste sur le plan de l'interprétation de la loi. Je me fonderai au départ sur ce qui est selon moi une appréciation sensée de ce que le législateur essayait de faire à l'article 64.1. De nombreux résidents du Canada résident habituellement au Canada (voir Fisher v. The Queen, 95 DTC 840) mais s'absentent du pays pour un certain temps. L'article 64.1 vise à assurer que de telles personnes ne soient pas privées des avantages qui leur sont conférés par le paragraphe 62(1). Il m'est difficile de reconnaître que le législateur voulait appliquer cet avantage aux personnes qui en fait ne résidaient pas au Canada tant qu'elles n'y sont pas venues et tant qu'elles n'y ont pas séjourné pendant 183 jours ou plus au cours d'une année d'imposition. Il pourrait être utile de comparer cette situation avec celle d'une personne qui a immigré au Canada et qui en est devenue résidente permanente, disons, le 184e jour de l'année. Pareille personne serait considérée comme un résident uniquement pendant la partie de l'année où elle résidait réellement au Canada, compte tenu de l'article 114 de la Loi. Pareille personne n'aurait certainement pas droit à l'avantage conféré au paragraphe 62(1).

[12] À l'appui, je me fonde sur l'historique législatif de l'article 64.1. Cette disposition a remplacé l'ancien article 63.1 et elle s'appliquait à l'année 1989 et aux années d'imposition subséquentes. Avant d'être abrogé, l'article 63.1 se lisait comme suit :

Lorsque, en application de l'article 250, un contribuable est réputé résider au Canada pendant tout ou partie d'une année d'imposition, les articles 62 et 63 lui sont applicables pour la période où il est ainsi réputé résider au Canada selon les règles suivantes :

a) [Abrogé]

b) il ne doit pas être tenu compte, au paragraphe 62(1), des mots “au Canada”;

c) il ne doit pas être tenu compte, au paragraphe 63(1), des mots “et portant, lorsque celui-ci est un particulier, le numéro d'assurance sociale de ce particulier” lorsque les sommes visées à ce paragraphe ont été payées à une personne qui n'est ni un résident du Canada ni réputée être un résident du Canada en vertu de l'article 250;

d) il ne doit pas être tenu compte, à l'alinéa 63(3)(a), des mots “au Canada”; et

e) les mots “personne résidant au Canada”, au sous-alinéa 63(3)(a)(ii), sont remplacés par le mot “personne”.

[13] L'alinéa a) de l'article 63.1, qui a été abrogé en 1988, se lisait comme suit :

a) il ne doit pas être tenu compte, à l'alinéa 60(f), des mots “au Canada”.

[14] La portée de l'article 63.1 était apparemment à la fois trop générale et trop restreinte. Cet article ne s'appliquait qu'aux personnes qui étaient réputées, en vertu du paragraphe 250(1), être des résidents du Canada et, de toute évidence, elle élargissait la portée du paragraphe 62(1) de façon qu'il s'applique aux personnes qui venaient au Canada et qui y séjournaient pendant 183 jours ou plus. L'article 64.1 semble s'harmoniser davantage avec l'intention du législateur. Il élargit la portée du paragraphe 62(1) de façon qu'il s'applique aux personnes autres que celles qui sont réputées, en vertu du paragraphe 250(1), être des résidents, ainsi qu'aux personnes a) qui sont des résidents et b) qui sont absentes.

[15] Il est intéressant de noter l'emploi du mot « absent » . Au sens large, il peut sans doute dénoter simplement l'idée d'une chose qui « n'est pas présente » , comme par exemple dans la phrase : « La neige est absente du Sahara. » Toutefois, ce mot a également un sens un peu plus restreint et qui, selon moi, correspond davantage à l'objectif visé par le législateur dans le contexte du régime que la loi vise à réglementer. Ce sens dénote l'idée d'une personne qui n'est pas là où on s’attendrait normalement à la trouver. Ainsi, dans le langage courant, je ne dirais pas : « Je suis absent de l'Antarctique » , soit un endroit où je ne suis jamais allé. Toutefois, je dirais : « En juillet, j'étais absent du Canada. » Cette limitation du sens du mot « absent » découle du contexte de la loi et fait implicitement partie des définitions figurant dans plusieurs dictionnaires courants. Le premier sens donné au mot dans le Oxford English Dictionary est : [TRADUCTION] « Le fait de ne pas être (dans un lieu), d'être éloigné (d'un lieu) ou de ne pas être présent (dans un lieu) » .

[16] De même, le Petit Robert de la langue française définit le mot « absent » comme suit :

1. Qui n’est pas (dans le lieu où il pourrait, devait être), qui est éloigné (de ce lieu). Il est absent de son bureau, de Paris.

[...]

3. Qui n’est pas là où on s’attendrait à le trouver.

[17] Ces deux définitions veulent dire qu’une personne n’est pas là où elle est habituellement ou qu’elle n’est pas là où on s’attendrait à la trouver.

[18] Il n'est pas nécessaire d'examiner les nombreux principes d'interprétation de la loi qui ont été établis au fil des ans. On l'a fait dans d'autres jugements (voir Glaxo Wellcome Inc. v. The Queen, 96 DTC 1159). Il s'agit simplement d'attribuer à un mot un sens qui semble s'harmoniser davantage avec le contexte, l'économie de la Loi ainsi qu'avec l'intention du législateur.

[19] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 1998

« D. G. H. Bowman »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de juillet 1998.

Benoît Charron, réviseur

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