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Date: 19980520

Dossier: 95-1843-UI

ENTRE :

SURINDER KAUR,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Winnipeg (Manitoba) le 16 mars 1998. L'appelante porte en appel le règlement d’une question par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) en date du 6 juillet 1995 selon lequel l'emploi qu'elle a exercé pour Ravinder Sandhu et George Sandhu — des associés faisant affaire sous le nom « The Savoy Hotel » — du 3 mai au 1er octobre 1993 n'était pas un emploi assurable en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après appelée la « Loi » ). Le motif du règlement était le suivant :

[TRADUCTION]

[...] vous n'exerciez pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services et n'étiez donc pas leur employée.

[2] Les faits établis révèlent que l'appelante accomplissait des travaux de nettoyage pour The Savoy Hotel au cours de la période en question. L'avocat du ministre a concédé que l'appelante n'était pas liée à George Sandhu, qui l'avait engagée, ni à Ravinder Sandhu, soit le frère et l'associé de George Sandhu. La réponse à l'avis d'appel donnait à entendre que le ministre ne croyait pas qu'il s'agissait d'une véritable relation de travail. Toutefois, l'avocat du ministre a encore là concédé que tel n'était pas le point en litige. Les deux avocats ont convenu que la question dont notre cour était saisie consistait à savoir si l'appelante exerçait un emploi en vertu d'un contrat de louage de services ou en vertu d'un contrat d'entreprise. Si elle exerçait un emploi en vertu d'un contrat de louage de services, il s'agissait d'un emploi assurable en vertu de l'article 3 de la Loi,pourvu qu'il soit satisfait à tous les autres critères pertinents. Par contre, si elle exerçait un emploi en vertu d'un contrat d'entreprise, il ne s'agissait pas d'un emploi assurable, et l'appelante n'aurait pas droit à des prestations d'assurance-chômage.

Le droit

[3] La façon dont la Cour doit déterminer si une entente concernant un travail est un contrat de louage de services, qui correspond à une relation employeur-employé, ou un contrat d'entreprise, qui correspond à une relation entre entrepreneurs indépendants, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025. Le critère devant être appliqué a également été expliqué par cette cour dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. M.N.R., 88 DTC 6099. Après ces arrêts, notre cour a rendu de nombreuses décisions, dont certaines ont été citées par les avocats, qui montrent comment ces lignes directrices ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale déclarait :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice, risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] "examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties". Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] "l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations" et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

[C'est moi qui souligne.]

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : "Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents".

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[4] Les critères auxquels la Cour se reportait peuvent être résumés comme suit :

a) le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur;

b) la propriété des instruments de travail;

c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l'intégration des travaux effectués par les prétendus employés dans l'entreprise de l'employeur présumé.

Mentionnons aussi les propos suivants que le juge MacGuigan tenait dans l'arrêt Wiebe, précité, en approuvant l'approche utilisée dans les tribunaux anglais :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.)[...], qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739):

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

Les faits

[5]L'appelante ne parle guère anglais, voire pas du tout. Elle est arrivée du Pakistan il y a environ 15 ans. À cette époque, elle a travaillé au restaurant Bombay et dans certaines usines de Winnipeg. George Sandhu et son frère avaient acheté The Savoy Hotel en 1985-1986. C'est un hôtel médiocre situé sur la rue Main à Winnipeg. Quatre-vingts pour cent des occupants y louent une chambre au mois; les vingt pour cent restants vont et viennent plus fréquemment. On y trouve un bar et un restaurant au rez-de-chaussée, mais bon nombre des clients de l'hôtel sont pauvres, ne mangent qu'un repas par jour et y passent peu de temps.

[6]George Sandhu a témoigné que, en 1993, le service sanitaire de la ville exerçait certaines pressions sur lui pour qu'il veille à ce que l'endroit soit plus propre. Avant cela, son gérant s'était occupé de cet aspect, mais était devenu réticent à cet égard. George Sandhu a témoigné qu'il avait engagé l'appelante pour qu'elle fasse le nettoyage. Elle devait nettoyer les chambres des clients lorsque ceux-ci partaient, ainsi que les aires communes de l'hôtel comme l'entrée et le secteur du bar.

[7]George Sandhu et l'appelante ont tous deux témoigné que cette dernière accomplissait ce travail huit heures par jour, entre 2 heures et 10 heures (soit après la fermeture du bar et jusqu'à ce que celui-ci rouvre), cinq jours par semaine, généralement du dimanche au jeudi. Elle avait le privilège de pouvoir choisir ses journées, de sorte que, si elle voulait un changement à cet égard, elle pouvait le leur faire savoir, et ils prenaient d'autres dispositions. Dans ces cas-là, toutefois, elle devait se reprendre un autre jour.

[8]Essentiellement, chacun d'eux a dit que l'appelante avait des fonctions déterminées. C'était un travail banal, mais, s'il n'était pas fait, on le remarquait le lendemain matin. Personne ne la supervisait pendant qu'elle travaillait, mais on s'attendait que le travail se fasse. Le critère du contrôle n'est réellement pas décisif à cet égard. Il y avait un certain degré de contrôle, mais, en soi, le travail, ainsi que la façon dont il était accompli, pourrait tout aussi bien caractériser l'un ou l'autre type de contrat.

[9]Tous les produits et le matériel de nettoyage étaient fournis par l'hôtel. Sur la foi de ce critère, le travail était clairement davantage assimilable à un contrat de louage de services.

[10]La question des heures de travail et du salaire de l'appelante fait un peu problème. Il a été dit en preuve qu'elle était payée 7 $ l'heure, pour une semaine de 40 heures, y compris la paye de vacances, soit un salaire duquel des déductions prévues par la loi devaient être faites. L'appelante et George Sandhu ont affirmé tous deux qu'elle était payée comptant. Il a dit qu'il payait tous ses employés comptant. Il signait des chèques et les leur faisait endosser en sa faveur — comme des écritures comptables —, car, a-t-il témoigné, Revenu Canada lui avait indiqué qu'il devait tenir une espèce de registre de ce genre. Au tribunal, ni lui ni l'appelante n'avaient d'autres formes de registres d'emploi. Il a dit qu'il conservait une note sur ce qu'il payait à l'appelante, mais qu’il n'avait pas cette note avec lui.

[11]Bien que la preuve sur ces points soit quelque peu ténue, ces deux témoins ont déclaré formellement que telles étaient les heures de travail de l'appelante et la façon dont elle était payée. En définitive, je suis enclin à les croire.

[12]Pour ce qui est des chances de bénéfice ou des risques de perte, il n'y en avait pas. Il y avait des heures de travail fixes et un salaire fixe. Il n'existait aucune chance de bénéfice et aucun risque de perte. L'appelante a déclaré que, à quelques reprises, alors qu'elle n'était pas bien, elle avait emmené des membres de sa famille pour se faire aider ou pour qu'ils accomplissent le travail à sa place, mais il lui fallait être là. Cela n'est pas arrivé souvent. « Une hirondelle ne fait pas le printemps » , disent-ils, et je considère ce facteur comme n'étant rien de plus qu'une exception dans un arrangement par ailleurs normal.

[13]Il est indubitable que le travail consistant à assurer la propreté de l'hôtel faisait partie intégrante de l'entreprise. Sans ce travail, l'hôtel risquait d'être fermé par l'inspecteur hygiéniste. Dans cette mesure, le travail faisait partie intégrante de l'entreprise. Néanmoins, il aurait pu être accompli par un employé ou un entrepreneur indépendant. Du point de vue du travail, ce critère est quelque peu équivoque.

[14]L'emploi de l'appelante a cessé en octobre 1993. George Sandhu a dit qu'il avait introduit des appareils de loterie vidéo dans l'hôtel et qu'il avait conclu un meilleur arrangement avec son gérant, de sorte qu'il n'avait plus besoin de l'appelante. C'était certainement une curieuse coïncidence étant donné que l'appelante était devenue admissible à des prestations d'assurance-chômage. Néanmoins, telle est la preuve qui a été présentée, et celle-ci n'a pas du tout été contestée. L'appelante a affirmé qu'elle avait été mise à pied parce qu'il n’y avait pas assez de travail. Les deux versions ne sont pas vraiment incompatibles, et j'accepte ce que disent ces témoins.

Conclusion

[15]La question de savoir si un examen plus approfondi aurait révélé autre chose est peut-être discutable. Ce serait toutefois de la spéculation de la part de la Cour. Ayant soupesé tous les facteurs qui m'avaient été présentés en l'espèce — dont certains pointent dans une direction, et certains dans l'autre direction — je suis parvenu à la conclusion que, effectivement, l'appelante exerçait un emploi en vertu d'un contrat de louage de services. En définitive, selon moi, elle a accompli le travail en question, durant les heures normales, mais à des jours différents, exécutait les tâches particulières exigées d'elle et a effectivement reçu le salaire en espèces allégué par les deux témoins. À certains égards, l'arrangement conclu était moins que satisfaisant, assurément du point de vue de la tenue de registres. Je n'oublie pas que cette entreprise n'était pas très complexe. Néanmoins, globalement, les faits correspondent davantage à une relation employeur-employé qu’à une relation avec un entrepreneur indépendant, et telle est ma conclusion.

[16]En conséquence, l'appel est accueilli, et le règlement de la question en litige est infirmé.

Signé à Calgary (Alberta) ce 20e jour de mai 1998.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de janvier 1999.

Isabelle Chénard, réviseure

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