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Date: 19981210

Dossier: 97-1446-IT-I

ENTRE :

CAROLYN OSMOND,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1] L’appelante interjette appel contre des cotisations d’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1991, 1992 et 1993. Durant toute cette période, l’appelante était une salariée du Kingsway College (“ Kingsway ”), une personne morale qui exploitait une école secondaire. L’appelante exerçait les fonctions de directrice administrative de Kingsway, un poste à temps plein comportant des tâches administratives. Kingsway entretenait des liens très étroits avec l’Église adventiste du septième jour au Canada (l’“ Église ”). Dans le calcul de son revenu pour les trois années en l’espèce, l’appelante a réclamé, en vertu de l’alinéa 8(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi ”), des déductions de 12 000 $ par année relativement à la juste valeur locative de la résidence personnelle qu’elle occupait. Dans les cotisations en appel, le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) a refusé les déductions, et il s’agit de déterminer s’il était en droit de le faire.

[2] L’alinéa 8(1)c) est une disposition très exceptionnelle. Il édicte, en effet que les éléments comme la valeur ou le coût du logement d’une personne ne seront pas imposables ou pourront être déduits du calcul du revenu. Ces éléments, sont, par essence, de nature personnelle, du moins en ce qui concerne la plupart des contribuables canadiens. Les termes employés dans l’alinéa pour décrire les contribuables ayant droit à ce traitement fiscal sont plutôt vagues et généraux, fort probablement parce que le Parlement voulait éviter de créer entre les contribuables une distinction illicite fondée sur le motif de la religion. Dans un tel cas, il s’avère particulièrement important d’essayer de déterminer l’objet de la loi afin de permettre l’application de l’article 12 de la Loi d’interprétation qui est ainsi rédigé :

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. S. R., ch. I-23, art.11.

[3] L’alinéa 8(1)c) prévoit ce qui suit :

(1) Lors du calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, peuvent être déduits ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qui peut raisonnablement être considérée comme s’y rapportant :

[...]

c) – lorsque le contribuable est membre du clergé ou d’un ordre religieux ou ministre régulier d’une confession religieuse, et qu’il dessert un diocèse, une paroisse ou a la charge d’une congrégation, ou s’occupe exclusivement et à plein temps du service administratif, du fait de sa nomination par un ordre religieux ou une confession religieuse, un montant égal :

(i) à la valeur de la résidence ou autre logement qu’il a occupé en vertu ou au cours de l’exercice de sa charge ou de son emploi, à titre de membre ou ministre qui ainsi dessert un diocèse, une paroisse ou a la charge d’une congrégation, ou est ainsi occupé à un service administratif, dans la mesure où cette valeur est incluse dans le calcul de son revenu pour l’année en vertu de l’article 6,

(ii) au loyer qu’il a payé pour une résidence ou autre logement qu’il a loué et occupé ou à la juste valeur locative d’une résidence ou autre logement lui appartenant et occupé par lui durant l’année, sans dépasser, dans aucun de ces deux cas, la rémunération provenant de sa charge ou de son emploi ainsi qu’il est indiqué au sous-alinéa (i);

[4] Ainsi, pour être en mesure de réclamer une déduction en vertu de l’alinéa 8(1)c), une personne doit réunir trois conditions. En vertu de la première, qui a trait au statut, le contribuable doit être : 1) un membre du clergé, 2) un membre d’un ordre religieux, ou 3) un ministre régulier d’une confession religieuse. En vertu de la deuxième, qui a trait à la fonction, le contribuable doit : 1) desservir un diocèse, une paroisse ou avoir la charge d’une congrégation, ou 2) s’occuper exclusivement et à plein temps du service administratif, du fait de sa nomination par un ordre religieux ou une confession religieuse. En vertu de la troisième, il faut que l’élément déduit puisse être raisonnablement considéré comme se “ rapportant ” à la source de revenus.

[5] Les cotisations en l’espèce, ont été établies en partant du principe que Kingsway n’était pas un ordre religieux ou une confession religieuse et que l’appelante ne s’était jamais occupée à plein temps du service administratif, du fait de sa nomination par un ordre religieux ou une confession religieuse. Le Ministre a également décidé que l’appelante n’était pas un ministre régulier d’une confession religieuse, qu’elle ne desservait pas un diocèse ou une paroisse et qu’elle n’avait pas la charge d’une congrégation.

[6] L’appelante a prétendu avoir le statut dont il est question à l’alinéa 8(1)c) pour deux raisons. D’abord, elle a affirmé qu’elle était membre d’un ordre religieux. Voici, selon l’appelante, la définition d’un ordre religieux :

[TRADUCTION]

... un groupe d’individus qui exercent un ministère ou jouent un rôle de leadership afin de réaliser la mission d’un tel ordre. Ces individus partagent des croyances et adhèrent à des articles de foi et l’ordre religieux entreprend l’exercice d’un ministère particulier qui est l’un de ceux qui est compris dans le mandat global de l’Église chrétienne.

Elle a également déclaré :

[TRADUCTION]

... en 1992, 1993 et 1994, j’étais un ministre commissionné de l’Église, un statut similaire à celui d’agent commissionné de l’Armée du Salut reconnu comme “ ministre ” pour l’application de l’alinéa 8(1)c) de la Loi, dans le Bulletin d’interprétation 141 publié par Revenu Canada, et, au cours de ces années, j’ai eu la charge de congrégations au sein de l’Église.

L’appelante prétend que, lorsqu’elle occupait cette fonction, elle “ s’occupait exclusivement et à plein temps du service administratif du collège et de l’Église ”. Elle n’a pas prétendu qu’elle desservait un diocèse ou une paroisse ou qu’elle avait la charge d’une congrégation. L’appelante n’a pas touché à la question de savoir si, comme l’édicte le préambule du paragraphe 8(1)[1], les éléments qu’elle visait à déduire pouvaient être considérés comme se “ rapportant ” à la source de revenus pertinente, son emploi par Kingsway.

[7] Lors de l’audition des appels, l’appelante s’est représentée elle-même et elle est le seul témoin qui a déposé. Son témoignage était empreint de sincérité, mais il était clair que sa conviction dans la justesse de sa cause était inébranlable. Cette attitude et le fait que l’appelante ait joué le double rôle d’avocat et de témoin l’ont induit à présenter comme des faits des conclusions qui, peut-être, n’étaient pas objectivement justifiées. L’appelante a déclaré que l’Église est une personne morale constituée en vertu des lois du Canada. Kingsway a été constitué en vertu des lois de l’Ontario, à la demande de l’Église. Selon l’appelante, Kingsway a été créée afin de réaliser la mission et d’accomplir le ministère de l’Église. L’appelante a déclaré que Kingsway était un membre de l’Église et que l’Église était un membre Kingsway. Cette dernière assertion n’est pas tout à fait claire. Il semble que Kingsway et l’Église ont des membres qui siègent à leur conseil d’administration respectif. Les deux organismes collaborent et s’entraident. L’appelante a indiqué que l’Église vérifie les livres du collège pour veiller à ce que les lignes de conduite de l’Église soient respectées. L’Église délivre les “ lettres de créance ” aux administrateurs qui appliquent les lignes de conduite de l’Église au collège. Le système scolaire de l’Église adventiste du septième jour est la source de soixante pour cent des baptêmes célébrés par l’Église. Il semble que ce fait explique en grande partie pourquoi l’appelante est d’avis que Kingsway est une “ mission ” de l’Église.

[8] Le conseil d’administration de Kingsway a nommé l’appelante au poste de directrice administrative. Le trésorier de l’Église et le président de Kingsway avaient recruté l’appelante. Lorsqu’elle a été sélectionnée, les lettres de créances d’un ministre commissionné de l’Église lui ont été délivrées. L’appelante a déclaré que les lettres de créance sont délivrées à la suite de l’entrée au service administratif à plein temps pour le compte de la confession religieuse. L’appelante a ajouté qu’elle est membre d’au moins sept comités ou conseils de l’Église et elle a affirmé que ce service constituait la majeure partie de son travail en tant qu’agent au service de l’Église. Il ne fait aucun doute que l’Église et Kingsway entretenaient des liens très étroits, mais il reste tout de même que l’appelante était employée et rémunérée par Kingsway, un organisme distinct de l’Église. En l’absence d’éléments de preuve à l’effet contraire, je présume que l’appelante siégeait aux divers comités à titre bénévole.

[9] À mon avis, en interprétant l’alinéa 8(1)c) d’une manière juste, large et libérale, il faut tenter, dans la mesure où les mots choisis par le Parlement sont respectés, d’attribuer à l'alinéa un sens n’ayant pas pour effet d’accorder un traitement de faveur à une dénomination religieuse ou une secte et non aux autres. C’est pourquoi les définitions du dictionnaire, qui sont en général neutres et complètes, sont probablement les plus à même de nous guider dans la recherche du sens de termes tels qu’“ ordre religieux ” dans la mesure où elles nous aident à réaliser les objets visés par le Parlement.

[10] Le sous-alinéa 8(1)c)(i) vise à ce que la valeur du local à usage mixte fréquemment fourni aux contribuables décrits à l’alinéa c) dans un presbytère, un couvent ou un monastère ne soit pas considérée comme un avantage et imposable en vertu de l’article 6 de la Loi. Ce local est souvent employé à des fins autres que le logement. Le local peut et est souvent l’endroit où les contribuables décrits à l’alinéa c) jouent leur rôle de leaders religieux ou vivent en communauté un style de vie fréquemment suivi par les membres d’au moins certains ordres religieux. Le sous-alinéa (ii) sur lequel l’appelante fonde sa demande vise à offrir un allègement fiscal équivalent aux contribuables décrits à l’alinéa c) et à qui un tel local n’est pas fourni. Le sous-alinéa (ii) ne contient pas les mots “ ... en vertu ou au cours de l’exercice de sa charge ou de son emploi ... ”. Néanmoins, en vertu du paragraphe 8(1), le montant déductible doit “ se rapport(er) entièrement à cette source ” c’est-à-dire la charge ou l’emploi.

[11] J’examine d’abord la question de savoir si l’appelante possédait le statut de “ ministre régulier ” aux termes de l’alinéa 8(1)c). Bien que la preuve offerte sur la position relative des ministres qui ont reçu les ordres et des ministres commissionnés de l’Église n’ait pas été aussi claire que désiré, il semble que les ministres qui ont reçu les ordres ont des pouvoirs que les ministres commissionnés n’ont pas, soit présider à des rites ou à des cérémonies. Il semble que, bien que les attentes de l’Église en ce qui concerne la doctrine établie soit plus élevées envers les ministres commissionnés qu’envers les membres ordinaires, la désignation de ministre commissionné n’ait d’importance qu’en ce qui concerne les personnes qui sont les agents administratifs de l’Église ou des écoles faisant partie du système scolaire de l’Église adventiste du septième jour.

[12] Dans l’arrêt Walsh v. Lord Avocate[2], la Chambre des Lords a examiné la question de savoir si un individu était un “ ministre régulier d’une confession religieuse ” au sens d’une loi exemptant l’“ homme qui a reçu les ordres ou un ministre régulier d’une confession religieuse ” du service militaire obligatoire. Bien que le contexte législatif soit différent, je suis d’avis que la définition suivante du terme “ ministre régulier ” adoptée par lord Macdermott (p. 135E) peut s’appliquer dans le cas de l’alinéa 8(1)c) :

[TRADUCTION]

À mon avis, les mots “ ministre régulier ” signifient une classe ne formant qu’une partie de la confession en question et que cette dernière reconnaît comme possédant une position supérieure et distincte qui lui est propre sur le plan des questions spirituelles. L’expression en elle-même, la mention ci-dessus d’un “ homme qui a reçu les ordres ” et la volonté évidente du Parlement de n’accorder l’exemption qu’à une classe limitée et identifiable de personnes possédant une qualité spéciale, me semblent justifier cette opinion qui, en d’autres mots, présuppose la coexistence dans la même confession d’au moins deux groupes, soit d’un côté, des ministres ou des clercs et, de l’autre, des laïcs.

En tant que ministre commissionné, l’appelante semble appartenir davantage au groupe des laïcs qu’à celui des ministres ou des clercs de l’Église et, par conséquent, elle ne réunit pas les conditions nécessaires pour pouvoir être considérée comme un “ ministre régulier ” aux termes de l’alinéa 8(1)c).

[13] L’appelante a fait allusion au traitement fiscal que le ministère du Revenu national réserve aux officiers de l’Armée du Salut et au fait qu’il est question de ces officiers dans un bulletin publié par ce ministère. Selon moi, le bulletin n’aide nullement à interpréter l’alinéa 8(1)c) puisqu’il ne nous éclaire pas sur les motifs retenus par l’auteur du bulletin pour conclure que de tels officiers devaient être considérés comme des ministres. En l’espèce, le tribunal doit déterminer si l’appelante a droit à la déduction prévue à l’alinéa 8(1)c) et rien dans le bulletin ne permet de supposer l’existence d’une pratique administrative de longue date qui étaierait l’opinion selon laquelle le terme “ ministre régulier ” décrit une classe de personnes assez étendue pour comprendre les ministres commissionnés de l’Église.

[14] J’examine maintenant la question de savoir si l’appelante était membre d’un ordre religieux. L’argument de l’appelante selon lequel une confession qui adhère à des articles de foi et qui est engagée dans un ministère tel que l’exploitation d’un collège chrétien réunit les conditions pour pouvoir être considérée comme un ordre religieux pour l’application de l’alinéa 8(1)c) n’est étayé par aucune jurisprudence. Les ordres religieux peuvent dispenser de l’enseignement, mais les organismes créés pour dispenser de l’enseignement conformément aux doctrines d’une religion en particulier ne sont pas tous des ordres religieux. À mon avis, un ordre religieux est constitué d’un groupe, d’une société ou d’une communauté d’individus qui font normalement partie d’une confession religieuse qui, dans tous les cas, est une entité distincte unie par un ou plusieurs voeux. Rien ne semble indiquer dans la preuve que les membres du conseil d’administration de Kingsway ou les directeurs administratifs du collège ou les ministres commissionnés employés par Kinsway sont unis par un voeu particulier qui leur serait unique. Toutes ces personnes peuvent être des ministres commissionnés, mais les ministres commissionnés n’ont pas fait le voeu de faire ou d’être quoi que ce soit qui les distinguerait des autres membres de la religion de l’Église adventiste du septième jour. Dans l’arrêt Oligny v. H.M.Q.[3], mon collègue le juge Dussault a examiné très attentivement les définitions du dictionnaire et, avec égards, je suis d’accord avec la remarque qu’il a faite à la page 1752 :

Selon ces définitions, il ressort clairement que pour former un ordre religieux, des personnes doivent se soumettre à des règles particulières les unissant, règles qui sont plus contraignantes, normalement des voeux, que celles qui unissent généralement les adhérents à une religion ou confession particulière

L’appelante a fait valoir que les personnes qui exploitent le collège Kingsway constituent un ordre religieux. Je pense plutôt que ces personnes sont tout simplement un groupe d’administrateurs ou de salariés qui exploitent une école. Selon moi, le groupe constitué ainsi pour exploiter l’école ne ressemble pas à un ordre religieux et n’en constitue pas un. Par conséquent, l’appelante n’était pas membre d’un ordre religieux et ne s’occupait pas à plein temps du service administratif du fait de sa nomination par un ordre religieux.

[15] À plusieurs reprises, l’appelant a mentionné le traitement fiscal réservé à d’autres personnes, notamment un de ses prédécesseurs dans le poste de directeur administratif du collège. Elle a prétendu qu’ils ont pu déduire les éléments mentionnés à l’alinéa 8(1)c) dans des circonstances similaires aux siennes. Que de telles déductions aient été permises ou non, là n’est pas la question[4]. En l’espèce, il faut résoudre la question suivante : l’appelante avait-elle droit à ces déductions? Selon moi, elle ne l’a pas.

[16] Pour les raisons susmentionnées, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de décembre 1998

“ Michael J. Bonner ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de juillet 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Il ne semble exister aucun lien entre la source de revenus et la déduction réclamée en l’espèce, mais la question n’a pas été soulevée et il n’est pas nécessaire de l’étudier davantage.

[2]               [1956] 3 All ER 129

[3]               96 DTC 1744

[4]               Hawkes v. The Queen 97 DTC 5060

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